CA Toulouse, 3e ch. sect. 1, 4 mai 2004, n° 03-00459
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Biotonic (SA)
Défendeur :
Gaillard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hélip
Conseillers :
MM. Girot, Boyer-Campourcy
Avoués :
SCP Malet, Me De Lamy
Avocats :
Mes Chas, Tello-Soler
Rappel des faits :
La société Biotonic est une société de vente par correspondance qui organise régulièrement des opérations de promotion de ses produits par des loteries publicitaires réalisées par la voie de l'écrit.
Au mois de novembre 2001, Madame Francette Gaillard a été destinataire de différents documents, lui annonçant qu'elle était la gagnante d'un lot constitué d'un chèque de 100 000 F.
La perception de ce chèque était subordonnée, selon les documents reçus, à l'envoi d'un acte intitulé " acte d'acceptation préalable de chèque " ainsi qu'à la passation d'une commande sur le catalogue joint.
Après avoir passé commande, reçu son colis, lequel ne comportait pas le lot promis, et réclamé celui-ci, la société Biotonic a fait savoir à Madame Francette Gaillard, par un courrier en date du 12 décembre 2001, que le tirage au sort du gagnant de ce lot ne serait en réalité connu que le 31 mars 2002, date de clôture du jeu.
Par acte du 24 avril 2002, Madame Francette Gaillard a sollicité la condamnation de la société Biotonic à qui elle reproche d'avoir engagé sa responsabilité délictuelle en lui faisant croire, au moyen d'une opération publicitaire irrégulière, à un gain financier important présenté comme certain alors qu'il n'était qu'hypothétique, à lui payer, sous le bénéfice de l'exécution provisoire:
- 7 600 euro de dommages et intérêts,
- 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 9 janvier 2003 le Tribunal d'instance de Toulouse relevait la faute de la société Biotonic qui a manqué à son obligation de loyauté dans ses rapports commerciaux par l'utilisation d'affirmations contraires de nature à tromper son cocontractant, à provoquer chez lui une commande, à faire naître la croyance en un gain, et a condamné la société Biotonic à payer à Madame Francette Gaillard :
- La somme de 4 600 euro à titre de dommages et intérêts et 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le tribunal d'instance a en effet dit :
- que le préjudice matériel était lié à la dépense représentée par la commande,
- que le préjudice moral était lié au sentiment d'avoir été joué et à la déception de ne pas se voir attribuer le lot dont le gagnant croyait avoir bénéficié. La société Biotonic a interjeté appel de cette décision. Elle a exécuté les causes de la condamnation, exécutoire par provision.
Prétentions des parties:
Par conclusions déposées le 23 mai 2003, la société Biotonic sollicite l'infirmation de ce jugement.
Elle demande à la cour :
- de constater que les jeux publicitaires qu'elle diffuse sont parfaitement licites ;
- de constater qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge, pour avoir réalisé les obligations auxquelles elle s'était engagée;
- de constater qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix à la charge de la société Biotonic;
- de débouter Madame Francette Gaillard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;
- de condamner Madame Francette Gaillard au paiement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Malet, Avoué près la cour.
Elle estime que la motivation du tribunal est totalement subjective.
Il a retenu un prétendu caractère trompeur des documents publicitaires alors que leur lecture attentive permet à l'inverse de comprendre le fonctionnement du jeu ; Il a rejeté de manière systématique voire partiale les éléments qu'elle avançait.
De la même manière le tribunal d'instance a estimé fautif le comportement commercial normal d'une société de distribution par correspondance.
Madame Francette Gaillard, par conclusions déposés le 19 novembre 2003, conclut, pour les motifs retenus par le tribunal d'instance à la confirmation de la décision, outre l'allocation d'une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision:
Les documents de l'opération versés aux débats sont constants et leur matérialité n'est pas contestée par les parties.
1°) Irrégularité de l'opération publicitaire
Selon l'article L. 121-36 du Code de la consommation, les opérations publicitaires réalisées par la voie de l'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit (Cass. Crim, 1er octobre 1997 : Bull. crim, n° 323 ; 30 octobre 1995 Bull crim, n° 334).
L'opération publicitaire à laquelle Madame Francette Gaillard a été conviée de participer est d'évidence irrégulière au regard de ces prescriptions impératives d'ordre public, lesquelles sont assorties par ailleurs de sanctions correctionnelles.
La société Biotonic a expressément subordonné la participation à l'opération publicitaire à une commande préalable et impérative d'articles du catalogue.
Le tribunal d'instance a parfaitement caractérisé cette infraction dans les motifs de sa décision en visant:
Deux cases pré-imprimées s'offrent au choix du client sur le second document valant acceptation du règlement et bon de commande qui sont :
- oui, je commande. Prière de m'envoyer le règlement concerné à l'adresse ci-dessous.
- non, je décide de ne pas commander et renonce de ce fait au règlement prévu de 100 000 F par chèque bancaire.
A la lecture de ces deux mentions, il est évident que l'octroi du gain est subordonné à un achat, et ce de façon parfaitement illégale au vu de l'article L. 121-36 du Code de la consommation.
Cette infraction a été commise dans le cadre d'une opération publicitaire délibérément trompeuse faisant croire en des termes non ambigus au gain certain d'une somme importante afin de déterminer Madame Francette Gaillard à passer une commande pour obtenir la délivrance d'un gain qui n'était en fait qu'illusoire.
Pourtant, le code de déontologie professionnelle des sociétés de vente par correspondance impartit impérativement et expressément à ces sociétés de mentionner clairement que la participation n'est soumise à aucune obligation d'achat et qu'elle ne doit les exposer à aucun débours d'aucune sorte.
La société Biotonic a donc bien engagé sa responsabilité délictuelle sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil.
2°) Dol, publicité mensongère :
La société Biotonic a commis une seconde faute en faisant croire à Madame Francette Gaillard, par des documents tapageurs employant des affirmations non ambiguës, qu'elle était la gagnante à titre définitif d'un lot d'une valeur de 100 000 F dont la perception lui était annoncée comme certaine à la seule condition qu'elle passe une commande sur le catalogue et qu'elle retourne le bon d'acceptation préalable du chèque.
Ces faits constituent d'évidence un dol civil, Madame Francette Gaillard a été délibérément trompée par le professionnel qui a présenté de manière insistante et affirmative un événement hypothétique.
Il ressort en effet du courrier de la société Biotonic adressé le 12 décembre 2001 sur réclamation de Madame Francette Gaillard que la clôture du jeu n'était pas encore faite à cette date et que le gagnant définitif ne serait connu que le 31 mars 2002.
Ainsi, lorsque Madame Francette Gaillard a reçu les documents incriminés an novembre 2001, aucun gagnant n'avait été tiré au sort, ce qui démontre l'aspect des affirmations péremptoires qui y sont contenues.
Cette correspondance démontre encore, si besoin était, l'entière mauvaise foi de la société Biotonic. En effet, la mention selon laquelle la direction générale a demandé de lui adresser le chèque qui était prêt est manifestement mensongère puisqu'à cette date, il s'avère, selon les explications données par la société Biotonic intimée, que le tirage au sort n'était pas encore intervenu.
Ensuite, la mention selon laquelle la commande est obligatoire car le lot attribué doit être joint au colis destiné à la cliente, est également mensongère, puisque la livraison de la commande a eu lieu le 26 novembre 2001, à une date à laquelle il apparaît constant que le tirage au sort définitif n'était pas encore intervenu.
Le tribunal d'instance a donc fait une exacte appréciation des éléments de fait et de droit de l'espèce, après une analyse fort détaillée et argumentée des différents documents litigieux.
Et le tribunal d'instance a fort bien dit qu'il est totalement faux de prétendre que les documents envoyés à la cliente attirent l'attention de celle-ci sur l'aléa du tirage au sort.
Au contraire, la contrariété des informations adressées, tendant pour certaines à affirmer de façon autonome et flagrante le gain annoncé comme une réalité alors que d'autres, auxquelles le consommateur ne peut accéder que par renvois peu explicites et minuscules, le subordonnent à un aléa, est manifestement employée afin de créer une confusion dans l'esprit du consommateur de nature à le tromper et à déterminer sa commande.
Le code de déontologie dispose pour la présentation de ces opérations que l'offre soit claire, précise et complète afin que les destinataires puissent apprécier la nature et l'étendue de l'opération proposée.
Ensuite, l'opération promotionnelle ne doit jamais induire le participant à penser qu'il a gagné l'un des lots aussi longtemps que ce gain n'est pas certain.
En outre, si l'offre comporte plusieurs opérations promotionnelles simultanées, par exemple distribution de primes, de cadeaux et parallèlement organisation d'une ou plusieurs loteries différentes, ces opérations doivent être décrites dans l'offre elle-même et être parfaitement individualisées pour éviter toute confusion.
Par ailleurs, chaque fois que le nom du destinataire est associé à un des lots principaux mais qu'il gagne, ou peut gagner un autre lot, cette alternative doit être clairement annoncée dans l'offre.
D'évidence, la société Biotonic a manqué à son obligation de loyauté dans ses rapports de commerce par l'utilisation d'affirmations de nature à tromper le consommateur, à provoquer chez lui une commande et à faire naître la croyance en l'obtention certaine d'un gain.
La société Biotonic a de nouveau engagé sa responsabilité en occultant dans ses documents publicitaires l'existence de l'aléa.
En effet, en application de l'article 1371 du Code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
L'inexécution de cette obligation entraîne la responsabilité quasi-délictuelle de la société organisatrice du jeu (à cet égard Cass. chambre mixte, 6 septembre 2002, n° 4; CA Bourges, ch. civ., 22 janvier 2003 ; SA Biotonic c/ Collas : JCP éd. Générale, 2003, n° 38, IV, 2548).
La cour confirme donc le jugement déféré dans toutes ses dispositions.
3°) Sur les préjudices matériels et moraux :
La société Biotonic ne peut ignorer que les documents adressés à Madame Francette Gaillard sont destinés à déterminer la cliente à passer des commandes.
Le tribunal d'instance a parfaitement retenu et caractérisé l'existence des préjudices de Madame Francette Gaillard, aussi bien matériels que moraux, tenant à l'existence d'une tromperie l'ayant déterminée à passer commando pour recevoir le gain, ainsi qu'au sentiment d'avoir été jouée et à la déception de ne pas se voir attribuer le lot dont elle a cru pouvoir bénéficier.
La cour confirme on conséquence le quantum des dommages et intérêts alloués à Madame Francette Gaillard par le tribunal d'instance au titre des différents préjudices matériels et moraux constatés.
Madame Francette Gaillard a exposé des frais irrépétibles en cause d'appel pour lesquels la société Biotonic sera condamnée à lui payer une indemnité de 1 500,00 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR ; Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Biotonic à payer à Madame Francette Gaillard la somme de 1 200 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître De Lamy, avoué, aux formes de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.