CA Paris, 1re ch. G, 15 septembre 1999, n° 1998-00980
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Banque Sovac Immobilier (Sté)
Défendeur :
Savoie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Avocat général :
M. Couturier
Conseillers :
Mmes Collot, Radennec, Bregeon, M. Garban
Avoués :
SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Dauthy-Naboudet
Avocats :
Mes Le Ny, Renaud
La cour statue, ensuite de l'arrêt de la Cour de cassation - 1re chambre civile - du 9 décembre 1997 ayant cassé en toutes ses dispositions l'arrêt infirmatif rendu le 12 avril 1995 par cette cour (15e ch. A), autrement composée, sur l'appel formé par la société Sovac Immobilier contre le jugement rendu le 1er juin 1993 par le Tribunal de grande instance de Paris, qui a déclaré nul le contrat de prêt conclu entre ladite banque et Madame Hélène Savoie, a condamné celle-ci à rembourser à celle-là la somme de 1 750 000 F, montant du prêt, sous déduction des versements déjà effectués, débouté les parties du surplus de leurs demandes et mis les dépens à la charge de Sovac.
Les faits de la cause et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit.
Par acte authentique du 26 décembre 1990 la Sovac a consenti à Madame Savoie, afin de financer l'achat d'un appartement dans l'attente de la vente d'un autre bien immobilier qu'elle possédait, un crédit-relais de 1 750 000 F.
L'emprunteur a remboursé 1 250 000 F mais, en dépit d'une mise en demeure, n'a pas payé le capital restant dû, augmenté des intérêts conventionnels, s'élevant au total selon la Sovac à 868 826,16 F au 24 mars 1992. La banque ayant alors diligenté une procédure de saisie immobilière relativement au bien acquis à l'aide du prêt, Madame Savoie l'a, par acte du 11 septembre 1992, fait assigner en nullité du contrat de prêt pour violation des dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 13 juillet 1979 relatives aux modalités d'envoi de l'offre de prêt et à l'acceptation de cette offre.
C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée, qui a accueilli la demande.
Par arrêt du 12 avril 1995 la cour - 15e ch., A - l'a au contraire rejetée, en retenant que Madame Savoie avait elle-même, sans contrainte et parce qu'elle y trouvait intérêt, accepté l'offre de prêt et déclaré au notaire l'avoir reçue le 7 décembre 1990 et acceptée le 19 décembre suivant, que le contrat avait été exécuté conformément à ses prévisions et que Madame Savoie, qui avait attendu 2 ans pour assigner en nullité, ne faisait valoir aucun grief qui serait né du non-respect des dispositions légales applicables.
La banque Sovac, appelante, soutient avoir adressé l'offre préalable de prêt par voie postale le 7 décembre 1990 à Madame Savoie, qui l'a acceptée le 19 décembre 1990 et conclut en conséquence à titre principal au rejet de la demande.
Subsidiairement elle fait valoir que Madame Savoie n'alléguant aucun grief, ne pouvant invoquer sa propre faute et ayant confirmé son acceptation en exécutant le prêt, ne peut se prévaloir de la déchéance des intérêts. Plus subsidiairement encore la banque demande que ceux-ci, s'ils devaient être diminués, soient ramenés à un taux non inférieur au taux légal.
Elle réclame en outre 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Hélène Savoie, intimée, conclut à titre principal à la confirmation du jugement, ayant déclaré le prêt nul et prononcé la déchéance totale du droit à intérêts pour la banque.
Subsidiairement, elle demande à la cour de prononcer au moins la déchéance totale du droit à intérêt.
Elle réclame en tout état de cause le remboursement, avec les intérêts au taux légal à compter du 30 août 1995 - date à laquelle elle a entièrement désintéressé la Sovac - du trop perçu par la Sovac, soit 811 906,75 F, correspondant aux intérêts qu'elle a versés en sus du capital.
Madame Savoie sollicite enfin la condamnation de l'appelante à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cela étant exposé,
Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la Loi du 13 juillet 1979, devenu l'article L. 312.7 du code de la consommation, l'offre de prêt doit être formulée par écrit et adressée par voie postale à l'emprunteur éventuel, lequel, selon l'article L. 312.10 du même code, ne peut l'accepter que dix jours après l'avoir reçue ; qu'il résulte de l'article L. 313.16 que ces dispositions sont d'ordre public et que Madame Savoie ne pouvait pas renoncer à leur bénéfice;
Considérant que Madame Savoie, qui ne conteste pas avoir accepté L'offre préalable de crédit le 19 décembre 1990, soutient que ladite offre ne lui a pas été adressée par voie postale, mais par télécopie, par l'intermédiaire de l'agence immobilière Jouffroy, et qu'elle ne l'a reçue que le 17 décembre 1990, deux jours seulement avant de l'accepter;
Considérant que, selon la banque Sovac, la preuve de l'envoi de l'offre par voie postale le 7 décembre 1990 résulterait de la mention insérée à l'acte authentique de vente, de l'accusé de réception signé par Madame Savoie et de l'aveu, judiciaire et extrajudiciaire, de celle-ci;
Mais considérant qu'aucun des actes ou conclusions ainsi visés ne fait état d'un envoi par voie postale de l'offre, la mention de l'acte authentique " il a été adressé à l'emprunteur une offre... " n'impliquant pas nécessairement que la voie postale a été utilisée;
Que, s'il est vrai que Madame Savoie a, sur le document accusant réception et portant acceptation de l'offre, indiqué avoir reçu celle-ci le 7 décembre 1990, il s'agit là d'une erreur manifeste ; qu'en effet il n'existe aucune trace d'expédition à Madame Savoie par voie postale ou toute autre voie de l'offre et de l'accusé de réception, parvenu signé à la Sovac, alors qu'a été versé aux débats un exemplaire de l'offre, transmis par télécopie le 17 décembre 1990 à l'agence JOUPFROY mais avec la mention que le destinataire est " Madame Savoie, 3 avenue de la République - 75011 Paris " ; que le notaire rédacteur de l'acte de vente a d'ailleurs reçu le même jour, également par télécopie, le texte de l'offre de crédit ; qu'il apparaît ainsi de l'ensemble de ces éléments, combinés entre eux, que l'offre préalable n'a pas été envoyée par voie postale à Madame Savoie et que c'est nécessairement par erreur que celle-ci a déclaré l'avoir reçue le 7 décembre 1990 alors que tout indique qu'elle ne l'a reçue que le 17 décembre;
Que la mention de l'acte de vente, qui n'est que la reprise de l'indication de date erronée figurant sur l'accusé de réception établi par Madame Savoie et ne relate pas une constatation personnelle du notaire ou l'accomplissement d'un acte de son ministère, n'a pas plus de valeur ni de portée, nonobstant le caractère authentique de l'acte dans lequel elle est insérée, que n'en a l'indication, reposant sur une erreur, dont elle est la simple reproduction;
Que les aveux judiciaires et extrajudiciaires, que Sovac prétend tirer du texte de l'assignation délivrée à la requête de Madame Savoie dans la présente instance et de conclusions par elle signifiées dans une précédente instance en redressement judiciaire civil, faisant état du 7 décembre 1990 comme date de réception de l'offre de crédit ne peuvent être opposés à Madame Savoie dès lors, d'une part, qu'ils résultent d'une erreur de plume manifeste, puisque les deux actes invoqués font grief à la Sovac de n'avoir pas respecté le délai de 10 jours devant séparer l'offre de son acceptation, intervenue le 19 décembre 1990 selon les deux parties, et que ce délai aurait été respecté si l'offre avait été reçue le 7 décembre, comme le prétendait la Sovac, d'autre part que l'aveu qui résulte d'une erreur de fait - ce qui serait ici le cas si les erreurs de plume commises ne lui étaient toute réalité - peut toujours être révoqué, ainsi qu'il est dit à l'article 1356 du Code civil;
Considérant qu'il suit de là que les dispositions d'ordre public des articles L. 312-7 et L. 312-10 du Code de la consommation ont été méconnues, l'offre de prêt de la banque Sovac n'ayant pas été adressée par voie postale à Madame Savoie et ayant été acceptée par celle-ci moins de 10 jours après qu'elle l'ait reçue ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 312-33 du Code de la consommation que la seule sanction civile de l'inobservation des règles prévues par les articles précités du même code est la perte, en totalité ou en partie, du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge ; que cette sanction est encourue sans qu'il y ait lieu d'établir l'existence d'un grief né, pour l'emprunteur, de la violation des textes susvisés;
Considérant qu'il y a lieu en l'espèce de déchoir la banque Sovac en totalité du droit aux intérêts ;
Considérant que Madame Savoie ne peut donc être tenue qu'au remboursement à la banque de la somme en principal de 1 750 000 F qu'elle avait empruntée;
Qu'il n'est pas contesté qu'elle s'est acquittée de cette obligation qu'elle affirme sans être contredite qu'elle a versé à Sovac la somme totale de 2 561 906,75 F, ce dont la cour lui donnera acte ; qu'elle est fondée à demander restitution des intérêts versés en sus du principal, à l'exclusion de toutes autres sommes correspondant notamment à des accessoires du prêt ou à des frais engagés par la banque pour le recouvrement de sa créance en principal ; que les intérêts à restituer seront augmentés des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 1999, date de signification des conclusions formulant pour la première fois ce chef de demande, à défaut de preuve d'une mise en demeure antérieure;
Considérant que la banque Sovac, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que l'équité ne commande pas de faire application de ce texte eu faveur de Madame Savoie;
Par ces motifs, Vu l'arrêt de la Cour de cassation - 1re ch. civ. - en date du 9 décembre 1997, Réforme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, - dit la société Banque Sovac Immobilier déchue de son droit aux intérêts sur le prêt de 1 750 000 F consenti à Madame Hélène Sovac, - constate que Madame Savoie a versé à la société Sovac Immobilier la somme totale de 2 561 906,75 F, - condamne la société Banque Sovac Immobilier à restituer à Madame Savoie, avec les intérêts au taux légal à compter du 4 mai 1999, l'intégralité des sommes reçues de celle-ci au titre des intérêts sur le montant en principal du prêt, - déboute Madame Savoie de ses demandes plus amples ou contraires, - dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur d'aucune des parties, - condamne la société Banque Sovac Immobilier aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel et, pour le recouvrement de ceux-ci, admet la SCP Dauthy-Naboudet, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.