CJCE, 30 juin 1993, n° C-181/91
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Parlement européen
Défendeur :
Conseil des Communautés européennes, Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
MM. Due
Présidents de chambre :
MM. Rodríguez Iglesias, Murray
Juges :
MM. Mancini, Joliet, Schockweiler, Díez de Velasco, Kapteyn, Edward
Avocat général :
M. Jacobs
LA COUR,
1 Par requêtes du 11 juillet 1991 et du 2 octobre 1991, le Parlement a, en vertu de l'article 173 du traité CEE, demandé l'annulation, d'une part, d'un acte adopté au cours de la 1487e session du Conseil, visant à octroyer une aide spéciale au Bangladesh et, d'autre part, des mesures arrêtées par la Commission en vue d'exécuter cet acte.
2 Au cours d'une session régulière qui s'est tenue à Bruxelles les 13 et 14 mai 1991 sous la présidence de M. Jacques F. Poos, ministre des Affaires étrangères au grand-duché de Luxembourg, il a été décidé d'octroyer une aide spéciale au Bangladesh. Au point 12 du procès-verbal de cette réunion, la décision en question est décrite dans les termes suivants :
"Les États membres réunis au sein du Conseil, sur la base d'une proposition de la Commission, ont décidé, dans le cadre d'une action communautaire, d'une aide spéciale de 60 Mécus pour le Bangladesh.
La répartition entre les États membres se fera selon la clé PNB.
Cette aide sera intégrée dans l'action générale de la Communauté vers le Bangladesh.
L'aide est fournie soit directement par les États membres, soit par le biais d'un compte géré par la Commission.
La Commission assure la coordination d'ensemble de l'aide spéciale de 60 Mécus."
Cette décision a fait l'objet d'une communication à la presse intitulée "Aide au Bangladesh - Conclusions du Conseil" (référence 6004/91, Presse 60-c).
3 A la suite de cette décision, la Commission a ouvert un compte spécial auprès de la Banque Bruxelles Lambert et a invité les États membres à y virer leur quote-part. Seule la Grèce a répondu à cette invitation. Les autres États membres ont en effet versé leur contribution directement dans le cadre de l'aide bilatérale.
4 Dans le cadre du recours dirigé contre le Conseil, le Parlement a demandé l'annulation de la décision visant à octroyer une aide spéciale au Bangladesh (ci-après "acte litigieux").
5 Par acte séparé, le Conseil a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91 du règlement de procédure au motif que l'acte attaqué ne constituait pas un acte du Conseil au sens de l'article 173 du traité. Par décision du 15 juin 1992, la Cour a décidé de joindre cette exception au fond de l'affaire.
6 Dans le cadre du recours dirigé contre la Commission, le Parlement européen a, par ailleurs, demandé l'annulation des actes arrêtés par la Commission en exécution de l'acte litigieux. Il s'agit, premièrement, de la décision, prise le 10 juin par le directeur général des Budgets, d'inscrire à l'article 900 (partie recettes) du budget général des Communautés pour 1991 la somme de 716 775,45 ECUS représentant la quote-part de la Grèce et figurant sur le compte spécial ouvert auprès de la Banque Bruxelles Lambert, deuxièmement, de la décision du 13 juin 1991 consistant à inscrire cette somme en crédit sur une ligne supplémentaire ouverte à cet effet dans la partie "Dépenses" dudit budget (poste B7-3000: coopération financière et technique avec des pays en voie de développement d'Asie) et, troisièmement, de tous les autres actes d'exécution budgétaire, dont le Parlement n'aurait pas eu connaissance (ci-après "inscription au budget").
7 Par ordonnance du 15 octobre 1992, le Président a décidé de joindre les recours formés contre le Conseil et la Commission en application de l'article 43 du règlement de procédure.
8 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur le recours contre le Conseil
9 Le Conseil demande à la Cour que le recours dirigé contre lui soit déclaré irrecevable au motif que l'acte litigieux a été adopté non pas par le Conseil mais par les États membres et qu'il ne peut donc faire l'objet d'un recours en annulation en vertu de l'article 173 du traité.
10 Le Parlement soutient au contraire que, vu son intitulé "conclusions du Conseil" et étant donné qu'il a été arrêté lors de la 1487e session du Conseil qui rassemblait, entre autres, tous les ministres des Affaires étrangères des États membres, l'acte litigieux constitue un acte du Conseil. En adoptant cet acte, cette dernière institution aurait porté atteinte aux prérogatives que lui confère l'article 203 du traité en matière budgétaire.
11 Pour statuer sur ce point, il convient de rappeler tout d'abord qu'aux termes de l'article 173, la Cour a pour mission de contrôler "la légalité des actes du Conseil et de la Commission autres que les recommandations ou avis".
12 Du libellé de cette disposition, il ressort clairement que les actes adoptés par les représentants des États membres agissant non pas en qualité de membres du Conseil, mais en qualité de représentants de leur gouvernement, et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par la Cour. Comme l'avocat général l'a indiqué au point 18 de ses conclusions, il est indifférent à cet égard qu'un tel acte soit intitulé "acte des États membres réunis au sein du Conseil" ou "acte des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil".
13 Toutefois, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, le recours en annulation est ouvert à l'égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu'en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (voir arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 263).
14 En conséquence, il ne suffit pas qu'un acte soit qualifié de "décision des États membres" pour qu'il échappe au contrôle institué par l'article 173 du traité. Encore faut-il pour cela vérifier que l'acte en question, eu égard à son contenu et à l'ensemble des circonstances dans lesquelles il a été adopté, ne constitue pas en réalité une décision du Conseil.
15 Il s'ensuit que l'appréciation de la recevabilité du recours est liée à celle qui doit être portée sur les griefs invoqués à l'encontre de l'acte litigieux.
16 Avant d'examiner ces griefs, il convient de rappeler que, dans le domaine de l'aide humanitaire, la compétence de la Communauté n'est pas exclusive et que, par conséquent, les États membres ne sont pas empêchés d'exercer collectivement, au sein ou en dehors du Conseil, leurs compétences à cet égard.
17 A l'appui de son recours, le Parlement invoque en premier lieu la référence qui est faite dans l'acte litigieux à la proposition de la Commission. Cette mention indiquerait que, du fait de la procédure qui a conduit à son adoption, c'est le Conseil, et non les États membres, qui a agi en l'espèce.
18 Cet argument n'est pas déterminant. Toute proposition de la Commission ne constitue pas nécessairement une proposition au sens de l'article 149 du traité. Son caractère juridique doit être apprécié à la lumière de l'ensemble des circonstances dans lesquelles elle a été faite. Elle peut également constituer une simple initiative prise sous la forme d'une proposition informelle.
19 En deuxième lieu, le Parlement observe que, selon la description de l'acte, l'aide spéciale doit être gérée par la Commission. Or, d'après l'article 155, quatrième tiret, du traité, une compétence d'exécution ne peut être conférée à la Commission que par une décision du Conseil.
20 Cet argument ne peut pas non plus être accueilli. L'article 155, quatrième tiret, du traité n'empêche pas en effet les États membres de confier à la Commission la mission de veiller à la coordination d'une action collective entreprise par eux sur la base d'un acte de leurs représentants réunis au sein du Conseil.
21 En troisième lieu, le Parlement fait valoir que l'acte litigieux impose que l'aide spéciale soit répartie "selon la clé PNB", laquelle constitue, selon lui, une notion typiquement communautaire.
22 A cet argument, il suffit de répondre que rien dans le traité n'empêche les États membres d'utiliser en dehors du cadre communautaire des critères repris des dispositions budgétaires pour la répartition des obligations financières résultant des décisions adoptées par leurs représentants.
23 En quatrième lieu, le Parlement soutient que, vu que, à l'avenir, l'exécution de l'acte litigieux sera soumise au contrôle de la Cour des comptes et à celui du Parlement prévus, respectivement, par les articles 206bis et 206ter du traité, cet acte constitue manifestement un acte communautaire.
24 Comme il résulte du procès-verbal du Conseil, précité, la décision attaquée laisse aux États membres le choix de verser leur quote-part soit dans le cadre de l'aide bilatérale, soit par le biais d'un compte géré par la Commission. Étant donné que l'acte litigieux n'impose pas le recours au budget communautaire pour la partie de l'aide devant être gérée par la Commission, l'inscription au budget effectuée par celle-ci ne saurait être de nature à influer sur la qualification de cet acte.
25 De l'ensemble des considérations qui précèdent, il résulte que l'acte litigieux ne constitue pas un acte du Conseil mais un acte pris par les États membres collectivement. Le recours du Parlement contre le Conseil doit par conséquent être déclaré irrecevable.
Sur le recours contre la Commission
26 Selon le Parlement, la Commission, en inscrivant au budget de la Communauté la contribution hellénique à l'aide spéciale au Bangladesh, a enfreint les dispositions du traité relatives au budget et violé ainsi les prérogatives que celles-ci lui reconnaissent.
27 La Commission demande que le recours du Parlement soit déclaré irrecevable au motif que l'inscription au budget n'est pas un acte attaquable au titre de l'article 173 du traité et que cette inscription n'a pas porté atteinte aux prérogatives du Parlement.
28 Pour apprécier si l'inscription au budget constitue une décision de la Commission susceptible de porter atteinte aux prérogatives du Parlement, il convient tout d'abord de rappeler que les mesures contestées constituent des modalités d'exécution d'un mandat qui, comme il a été constaté au point 20 ci-dessus, lui a été conféré par les États membres et non par le Conseil.
29 Il y a lieu d'observer ensuite que ces mesures concernent une aide octroyée dans le cadre d'une action collective des États membres et dont le financement est assuré directement par ceux-ci.
30 Il en résulte que les contributions des États membres à l'aide spéciale ne font pas partie des recettes de la Communauté au sens de l'article 199 du traité et que les dépenses y afférentes ne constituent pas non plus des dépenses de la Communauté au sens de cet article.
31 Par conséquent, l'inscription de la contribution hellénique à l'aide spéciale au budget communautaire ne saurait entraîner une modification de celui-ci.
32 Dès lors il y a lieu de considérer qu'un tel acte ne saurait violer les prérogatives du Parlement décrites à l'article 203 du traité et de déclarer le recours contre la Commission irrecevable.
Sur les dépens
33 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Parlement européen ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) Les recours sont irrecevables.
2) Le Parlement européen est condamné aux dépens.