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Décisions

Cass. crim., 6 février 1997, n° 95-81.153

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culie (faisant fonction)

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Bore, Xavier, Me Parmentier

Lyon, 7e ch., du 1 févr. 1995

1 février 1995

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - X Jean Pierre, X Philippe, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 1er février 1995, qui, sur renvoi après cassation, pour tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, falsification et détention de boissons falsifiées, les a condamnés chacun à 15 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er et 3 de la loi du 1er août 1905, 2 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que les prévenus ont été déclarés coupables d'avoir commis le délit de tromperie pour avoir mélangé des vins de Savoie avec des vins de pays ;

"aux motifs que, lors de son contrôle, l'agent de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a constaté la présence dans une cuve de 75 hectolitres de vin blanc désigné comme "vin de pays de l'Allobrogie", alors que dans la déclaration de récolte figuraient seulement 50 hectolitres de vin de cette catégorie, que Jean-Pierre et Philippe X ont déclaré que la différence correspondait notamment à l'adjonction de 10 hectolitres de vin déclaré comme "vin de Savoie" ;

"que ce mélange entre produits de nature ou d'origine différente a abouti à l'obtention d'un produit hybride, ne possédant plus les qualités reconnues à un cru ou à une appellation d'origine contrôlée; que les 10 hectolitres de "vin de Savoie" ne pouvaient plus être revendiqués sous cette appellation et se trouvaient déclassés en vin de table; qu'en procédant à cette manipulation, Jean-Pierre et Philippe X n'ignoraient pas les conséquences de ces mélanges sur la qualité et l'identité des produits; qu'en revendiquant pour ce vin une appellation à laquelle il ne pouvait prétendre et en le détenant en vue de la vente, il est démontré qu'ils ont bien tenté de tromper le cocontractant sur les qualités substantielles, la nature et l'origine de cette marchandises ;

"1) alors que le délit de tromperie suppose l'existence d'un contrat; qu'en condamnant les prévenus du chef de cette infraction sans justifier de la conclusion d'un contrat à l'occasion duquel la tromperie aurait été commise, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"2) alors que la tentative n'est caractérisée que si le prévenu a accompli des actes ayant pour conséquence directe et immédiate de consommer le délit, celui-ci étant entré dans la période d'exécution; que la cour d'appel, pour retenir les prévenus dans les liens de la prévention, s'est bornée à relever qu'ils avaient procédé à un "mélange entre produits de nature ou d'origine différente" (p. 4 2 al. 2); qu'en n'établissant pas l'existence d'un commencement d'exécution, seul susceptible de caractériser une tentative, la cour d'appel a entaché sa décision d'une violation des textes visés au moyen ;

"3) alors que, selon les propres constatations de l'arrêt attaqué, le mélange de vins était stocké dans une cuve désignée comme contenant du "vin de pays de l'Allobrogie" (p. 4 2 al. 1); que les prévenus pouvaient rajouter du vin d'AOC à ce vin de pays dès lors que le mélange était présenté comme un vin de pays; qu'en retenant, dès lors, que les prévenus avaient revendiqué pour ce vin une appellation à laquelle il ne pouvait prétendre, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

"4) alors que, dans leurs conclusions d'appel, les demandeurs avaient fait valoir que "le contenu de la cuve où le mélange a été relevé est destiné à la production de vin selon la méthode champenoise, comme les années précédentes, sous la dénomination "vin mousseux", sans la moindre appellation d'origine contrôlée", et que "le mélange entre cépages et entre vins d'années différentes est couramment pratiqué dans une telle méthode" (concl. p. 10 5 & 6); qu'en déclarant le délit de tromperie constitué, sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, 3 et 8 de la loi du 1er août 1905, 2-B du décret du 4 septembre 1973, 37, 47 et 126 et suivants, 146 du Code du vin, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que les prévenus ont été déclarés coupables d'avoir commis le délit de tromperie pour avoir falsifié et détenu des produits falsifiés sur les 9,9 hectolitres d'excédents de Roussette de Savoie déclarés en vin de Savoie ;

"aux motifs que, pour les vendanges 1990, le rendement maximal autorisé par hectare en vin de Savoie cépage Chardonnay était de 78 hectolitres alors qu'il n'était que de 66 hectolitres en Roussette cépage Altesse; qu'en l'espèce, eu égard à la superficie de production de cette dernière appellation qui était de 45 ares 55 centiares, la récolte maximum autorisée était de 30,1 hectolitres alors que, pour l'appellation vin de Savoie, ce maximum était de 44,7 hectolitres, la superficie étant de 57 ares 55 centiares ;

"que l'inventaire réalisé le 5 décembre 1990 dans les chais de Jean-Pierre et Philippe X a permis de constater la présence de 40 hectolitres de vin blanc répondant à l'appellation Roussette de Savoie cépage Altesse et de 30 hectolitres de vin blanc répondant à l'appellation vin de Savoie cépage Chardonnay; qu'ainsi, un excédent de 9,9 hectolitres en appellation Roussette a été imputé, afin de le dissimuler, sur l'appellation vin de Savoie cépage Chardonnay, alors que cet excédent aurait dû être livré à la distillation ou à la vinaigrerie; que, dans la mesure où les prévenus ont revendiqué dans la déclaration de récolte deux vins différents, ils ne peuvent soutenir qu'ils avaient la possibilité, en respectant la proportion entre les deux cépages, d'élaborer la Roussette à partir d'assemblage de cépage Chardonnay et de cépage Altesse ;

"qu'ils n'ont pas contesté avoir procédé à la chaptalisation de l'excédent produit; qu'il ressort en effet de l'examen du carnet d'entrées et d'utilisation d'enrichissants que 120 kilogrammes de sucre ont été ajoutés en deux fois, les 17 et 18 octobre 1990, à la vendange de Roussette de Savoie; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le vin produit en excédent n'était pas un produit loyal et que sa chaptalisation illicite en avait altéré sa constitution physique par augmentation du degré alcoolique; que Jean-Pierre et Philippe X, issus d'une famille de viticulteurs et exerçant eux-mêmes cette profession depuis plusieurs années, n'ignoraient pas qu'il était interdit de procéder à une telle chaptalisation; qu'au surplus, ils ont reconnu avoir agi ainsi pour éviter d'avoir à distiller les 10 hectolitres de Roussette en raison des différences de rendement ;

"1) alors que l'application de la loi du 1er août 1905 suppose l'existence d'un contrat ou d'un acte à titre onéreux, qu'en retenant le délit de falsification sans établir que les prévenus auraient conclu un contrat à l'occasion duquel ce délit aurait été commis, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"2) alors que toute poursuite exercée en vertu de la loi du 1er août 1905 doit être terminée en vertu du même texte et ne peut donner lieu à une disqualification, que la déclaration irrégulière de récolte et la chaptalisation prohibée sont pénalement sanctionnées, respectivement, par les articles 47 et 146 du Code du vin; qu'en prononçant cependant une condamnation sur ces deux fondements, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;

"3) alors que, dans leurs conclusions d'appel, les prévenus avaient contesté l'existence de l'excédent de 9,9 hectolitres de Roussette de Savoie en rappelant que, selon un décret du 4 septembre 1973, "un vin de Savoie à l'appellation Roussette de Savoie peut provenir de deux cépages, Altesse ou Roussette d'une part, et de Chardonnay d'autre part..." (concl. p. 6 1), et qu'il n'y avait aucun excédent si l'on tenait compte de cette possibilité d'utiliser du cépage Chardonnay pour produire de la Roussette; qu'en retenant cependant les demandeurs dans les liens de la prévention, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"4) alors que le recours à la chaptalisation n'est pas, en soi, illicite; qu'en ne justifiant pas, en l'espèce, de l'illicéité de ce procédé, la Cour a entaché son arrêt d'une violation des textes visés au moyen" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'un contrôle des chais de Jean-Pierre et Philippe X, viticulteurs en Savoie, par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation, et de la Répression des Fraudes a mis en évidence une discordance entre les déclarations de récoltes et les quantités de vins effectivement détenues en cuves ;

Qu'il a été ainsi constaté que les prévenus avaient déclaré trente hectolitres d'appellation contrôlée "Roussette", alors qu'ils en détenaient quarante, qu'ils avaient déclaré quarante hectolitres d'appellation contrôlée "Savoie" alors qu'ils n'en détenaient que trente, la différence ayant, selon les dires des intéressés, servi à couper un vin de pays, et qu'ils avaient déclaré cinquante hectolitres de "vin de pays d'Allobrogie", alors qu'ils en détenaient soixante quinze ;

Qu'en raison de la détention en vue de la vente de quantités de vins présentés comme des "AOC" ou des "vins de pays" qui devaient être regardés en réalité, au regard de la réglementation applicable, comme de simples vins de table, Jean-Pierre et Philippe X ont été cités devant la juridiction correctionnelle sur le fondement des articles 1er , 3 et 4 de la loi du 1er août 1905, devenus les articles L. 213-1, L. 213-3, 213-4 du Code de la consommation, pour tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise et détention en vue de la vente de boissons falsifiées ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables des faits visés à la prévention, la cour d'appel observe qu'en vue de préserver la qualité des vins bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée, la réglementation limitait les quantités que l'on pouvait obtenir des cépages et qu'en l'espèce, eu égard à la superficie dont ils disposaient, les frères X n'auraient pas dû récolter plus de 30 hectolitres de "Roussette" et qu'ils avaient, de leur propre aveu, fait une fausse déclaration de récolte pour ne pas avoir à en envoyer le surplus à la distillation; que les juges ajoutent que c'est donc irrégulièrement que les intéressés avaient conservé cet excédent de dix hectolitres, en vue de sa vente comme "appellation contrôlée Roussette", après l'avoir en outre illégalement chaptalisé pour lui redonner du caractère, alors que ce produit ne méritait plus, au regard de la réglementation, que l'appellation de vin de table ;

Attendu que la cour d'appel relève encore qu'en ce qui concerne les vins de pays, la réglementation imposait l'utilisation de certains cépages et des modalités de production particulières, et qu'en détenant en vue de la vente, comme "vin de pays d'Allobrogie", un vin obtenu par coupage de vins de provenance différente, dont notamment des vins d'appellation "Savoie" ou des vins récoltés les années précédentes, les prévenus ont méconnu les dispositions précitées et ainsi commis les infractions qu'on leur reprochait ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, nonobstant tous autres erronés mais surabondants, la cour d'appel a, sans encourir les griefs allégués, justifié sa décision ; d'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.