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Décisions

Cass. crim., 7 août 1990, n° 89-83.556

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Berthiau (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Souppe

Avocat général :

M. Lecocq

Avocats :

SCP Boré, Xavier, Mes Foussard, Parmentier

Rennes, ch. corr., du 3 mai 1989

3 mai 1989

LA COUR : - Rejet du pourvoi formé par X Claude, la société anonyme Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 3 mai 1989, qui, pour infractions à la loi sur les appellations d'origine, fausse indication d'origine, falsification et détention de produits falsifiés, publicité de nature à induire en erreur, fraude commerciale, et infraction aux règles de la facturation, a condamné X à 18 mois d'emprisonnement dont 12 mois avec sursis et 200 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les réparations civiles et pour expédition de vins sous le lien de titres de mouvement inapplicables, a condamné solidairement X et la société anonyme Y à une amende de 4 000 francs et à diverses pénalités fiscales requises par l'administration des Impôts, partie poursuivante. - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 26, 39, 40 du Livre des procédures fiscales, 15 de l'ordonnance du 30 juin 1945, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a débouté le prévenu de ses exceptions de nullité des opérations de contrôle ;

" aux motifs adoptés qu'il résulte des pièces versées aux débats, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté par le prévenu, que ces formalités ont été respectées lors de la visite du 27 mai 1986 ; que s'il est exact que les agents des Impôts sont retournés à quatre reprises à la société anonyme Y sans ordre de visite et sans l'assistance d'un officier de police judiciaire, ils ne se sont pas livrés, à cette occasion à de nouvelles visites à l'intérieur des locaux non exclusivement réservés à l'habitation, mais ils ont :

" - le 2 juin 1986 : relaté à X leur intervention du 27 janvier 1986 (page 6 du procès-verbal du 27 août 1986) ;

" - le 4 juin 1986 : procédé à l'audition de X (annexe 5 du même procès-verbal) ;

" - le 21 juillet 1986 : procédé à l'audition du maître de chais Lucien Bazin (annexe 7 du même procès-verbal) ; que ces actes n'ont pas constitué l'exercice du droit de visite domiciliaire prévu aux articles L. 38 et suivants du Livre des procédures fiscales, mais des actes de contrôle que les agents des Impôts peuvent exercer " sans formalité préalable " dans les locaux professionnels des personnes soumises, en raison de leur profession, à la législation des contributions indirectes en vertu de l'article L. 26 et, dans le cas particulier des marchands en gros de boissons, de l'article L. 34 du même Livre, qu'ils ne nécessitaient en conséquence ni ordre de visite, ni assistance d'un officier de police judiciaire ; que le 31 juillet 1986, les agents de contrôle se sont fait présenter et ont saisi 2 121 duplicatas de facture (annexe 8 du procès-verbal du 27 août 1986) ; que toutefois, ils ont agi, ainsi que cela est précisé dans le procès-verbal de saisie, en vertu de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945, texte aujourd'hui abrogé mais applicable en la cause, et qui, dans le cadre de la constatation des infractions à la législation économique, autorise les agents de contrôle à se faire communiquer, en quelque lieux qu'ils se trouvent, et à saisir les documents de toute nature propres à faciliter l'accomplissement de leur mission ; que ce texte n'exige ni ordre de visite préalable, ni assistance par un officier de police judiciaire ;

" et aux motifs propres qu'il sera en outre précisé qu'il ne résulte nullement des énonciations des procès-verbaux et notamment des mentions afférentes aux opérations du 4 juin 1986 que les agents de l'administration des impôts soient intervenus au domicile personnel du prévenu et en tout cas dans d'autres locaux que ceux à caractère professionnel, visés aux articles L. 26 et L. 34 du Livre des procédures fiscales ;

" alors que les articles L. 39 et L. 40 du Livre des procédures fiscales soumettent l'exercice du droit de visite à une double exigence, à savoir un ordre de visite et la présence d'un officier de police judiciaire ; que l'article L. 26 du même Code permet aux agents des Impôts d'effectuer des contrôles sans formalité préalable dans des locaux professionnels " pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et généralement aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par ces législatifs ; que le jugement confirmé a relevé que les 2 juin, 4 juin et 21 juillet 1986, les agents des Impôts dans les locaux de la société Y avaient " relaté à X leur intervention du 27 mai 1986, procédé à l'audition de Mme X et procédé à l'audition du maître de chais, Lucien Bazin " ; qu'en déclarant que ces actes ne constituaient pas l'exercice au droit de visite, mais des actes de contrôle relevant de l'article L. 26 pour en déduire qu'ils n'étaient munis ni d'un ordre de visite, ni de la présence d'un officier de police judiciaire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

" alors que les agents des Impôts peuvent exiger la communication et saisir les documents de toute nature propres à faciliter l'accomplissement de leur mission par application de l'article 15 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que ce texte ne les autorisait pas à effectuer des visites dans les locaux d'une entreprise pour rechercher et saisir des documents ; que dans cette hypothèse, ils doivent obtenir un ordre de visite et être assistés d'un officier de police judiciaire, conformément aux dispositions des articles L. 29 et L. 30 du Livre des procédures fiscales ; qu'en déclarant que les agents des Impôts avaient le droit de se rendre dans les locaux de la société Y pour obtenir et saisir des documents sans ordre de visite et sans la présence d'un officier de police judiciaire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, du jugement entrepris qu'il confirme et du procès-verbal, base des poursuites que des agents appartenant à la Direction Générale des Impôts et à la Direction de la Consommation et de la Répression des Fraudes se sont présentés le 27 mai 1986 au siège social de la société anonyme Y, marchand en gros de boissons et ont procédé à l'inventaire de vins entreposés dans les chais puis à la consultation des documents et registres se trouvant dans les locaux professionnels où ils ont saisi ceux qui étaient nécessaires au rapprochement des comptes ; que les mêmes agents se sont de nouveau rendus au siège de la société le 2 juin 1986 pour notifier à X son président, les résultats de l'inventaire, puis le 4 juin 1986 pour lui présenter la balance quantitative des vins établie à partir de la documentation saisie ; qu'à cette occasion les agents verbalisateurs ont recueilli les déclarations de X ; que le 21 juillet 1986, ils ont procédé à l'audition de Bazin, maître de chais sur les faits révélés par les précédentes constatations ; qu'enfin le 31 juillet 1986, deux de ces mêmes agents, dont le contrôleur Bouyer, appartenant à la Direction de la Consommation et de la Répression des Fraudes, agissant dans le cadre de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 alors applicable, ont procédé, en vertu de l'article 15 de ce texte, à la saisie des duplicatas des factures de vente relatives aux expéditions irrégulières de vins pendant la période objet du contrôle ;

En cet état ;

Sur la première branche du moyen : - Attendu que pour rejeter l'exception de nullité de la procédure, régulièrement présentée par les prévenus qui soutenaient que le procès-verbal, base des poursuites avait été établi au mépris des dispositions des articles L. 39 et L. 40 du Livre des procédures fiscales dans leur rédaction alors applicable, les juges du fond relèvent qu'il ne résulte nullement des énonciations dudit procès-verbal que les agents de l'administration des Impôts soient intervenus au domicile personnel du prévenu X et en tous cas dans d'autres locaux que ceux à caractère professionnel, visés aux articles L. 26 et L. 34 du Livre susvisé ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations dont il résulte que les visites critiquées, s'étant déroulées exclusivement dans les locaux professionnels et les magasins de la société marchand de vins en gros, n'étaient pas soumises aux formalités prescrites par les articles L. 39 et L. 40 du Livre des procédures fiscales, le moyen qui en sa première branche se fonde sur la méconnaissance de ces textes, ne saurait être accueilli ;

Sur la seconde branche du moyen : - Attendu qu'en ce qui concerne les opérations effectuées le 31 juillet 1986 au siège de la société Y, en vertu de l'article 15 de l'ordonnance du 30 juin 1945, les juges du fond énoncent que ce texte qui autorise les agents de contrôle à se faire communiquer en quelque lieu qu'ils se trouvent, et à saisir les documents de toute nature propres à faciliter l'accomplissement de leur mission, n'exige ni ordre de visite préalable ni assistance d'un officier de police judiciaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel, loin d'avoir méconnu les textes visés au moyen, en a fait au contraire l'exacte application ; d'où il suit qu'en sa seconde branche, le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 39, L. 40 du Livre des procédures fiscales, 385, 393 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les exceptions de nullité tirées du détournement de procédure, de violation des droits de la défense par non-restitution des documents saisis ;

" aux motifs que l'examen des conclusions déposées par X devant la Cour fait apparaître que le prévenu excipe de nouveaux moyens de nullité tenant soit au détournement de procédure par les agents du Service de la Répression des Fraudes, dans le cadre de la procédure économique, soit à la violation des droits de la défense en ce qui concerne les saisies pour simulacre de restitution des documents saisis par l'administration des Impôts, pour rétention indue de documents saisis, et plus généralement pour non-respect du principe de la contradiction ; que s'agissant de moyens tirés de la nullité de la procédure antérieure à la citation, délivrée en première instance, le prévenu ne peut être en application de l'article 385 du Code de procédure pénale que forclos en ses moyens de nullité ;

" alors qu'il résulte des " conclusions in limine litis présentées conformément aux dispositions de l'article 385 du Code de procédure pénale " devant le tribunal que le prévenu soulevait expressément le détournement de procédure commis par les agents des Impôts et la violation des droits de la défense pour non-restitution des pièces saisies ; qu'en écartant ces exceptions de nullité au motif qu'elles n'auraient pas été soulevées in limine litis, la cour d'appel a violé l'article 385 du Code de procédure pénale " ;

Attendu que contrairement à ce qui est allégué par les demandeurs, les conclusions déposées par les prévenus devant les premiers juges avant toute défense au fond ne tendaient qu'à faire déclarer nulles les quatre visites effectuées les 2 juin, 4 juin, 21 juillet et 31 juillet 1986 et les saisies correspondantes, faute d'avoir été effectuées sur ordre de visite et avec l'assistance d'un officier de police judiciaire ; qu'aucun chef du dispositif de ces conclusions ne visait le détournement de procédure qu'auraient commis les agents du service de la Répression des Fraudes ou la violation des droits de la défense résultant de l'absence de restitution des documents saisis ; que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a opposé à ces exceptions de nullité proposées pour la première fois devant elle la forclusion édictée par l'article 385 du Code de procédure pénale ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 8, 12 et 22 de la loi du 6 mai 1919, 1 et 2 de la loi du 26 mars 1930, 1, 3 et 4 de la loi du 1er août 1905, 44 de la loi du 27 décembre 1973, 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 2 et 9 du règlement des Communautés européennes n° 822-87 du 16 mars 1987, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à la peine de 18 mois de prison dont 12 avec sursis ainsi qu'au paiement d'amendes et d'indemnités ;

" aux motifs qu'il résulte des textes en vigueur que le traitement des vins blancs et rosés au ferrocyanure de potassium n'est autorisé que sous réserve d'une part que le traitement soit exclusivement exécuté par un technicien titulaire du titre d'oenologue, et encore selon certaines modalités, d'autre part que le négociant ne dispose du vin traité qu'après remise par l'oenologue d'un bulletin délivré spécialement ;

" qu'il a été établi, au vu des omissions constatées dans le registre afférent au ferrocyanure et surtout des déclarations tant de M. Bazin, maître de chais, que de M. Beteau, maître de chais adjoint que les premières analyses et la détermination des doses de ferrocyanure à mettre en œuvre étaient effectués par les maîtres de chais et non par l'oenologue, les quantités de vins traitées de façon illicite au ferrocyanure de potassium sur la période du 1er septembre 1983 au 27 mai 1986 étant chiffrées à 279 925 hectolitres ;

" que sur ce dernier point, la falsification d'un produit apparaît constituée dès lors que les conditions administratives et même formelles de son traitement n'ont pas été respectées, comme en l'espèce ; que X ne saurait rejeter l'entière responsabilité de la méconnaissance des modalités et formalités prévues pour le traitement du ferrocyanure de potassium sur l'oenologue alors que si celui-ci a le cas échéant commis une faute, en tolérant de telles pratiques, X compte tenu de l'importance des falsifications commises par son personnel et dans son établissement en est le véritable responsable et peut-être d'ailleurs l'initiateur, aux termes des déclarations de M. Bazin ;

" alors qu'un produit ne peut être falsifié que s'il subit un traitement prohibé, s'il lui est ajouté ou retranché une substance particulière ; qu'il résulte en l'espèce d'une expertise de M. Boidron que les vins blancs ont été " traités au ferrocyanure de potassium dans des conditions techniques tout à fait correctes... "; que, par ailleurs, le traitement au ferrocyanure de potassium est admis par la législation communautaire ; que pour déclarer X coupable de falsification de produits, la cour d'appel a relevé que les modalités et les formalités prévues pour le ferrocyanure du potassium avaient été effectuées par un maître de chais et non par un oenologue ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen et notamment l'article 3 de la loi du 1er août 1905 ;

" alors que l'article 3 de la loi du 1er août 1905 exige pour que le délit soit constitué qu'il y ait falsification de produits ; qu'en s'abstenant de constater que le prévenu aurait falsifié le produit avec du ferrocyanure de potassium, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article susvisé ;

" alors qu'un motif dubitatif équivaut à un défaut de motifs ; que l'arrêt attaqué a relevé que X était peut-être " l'initiateur " des falsifications ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale " ;

Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs que du 1er septembre 1983 au 27 mai 1986, 279 925 hectolitres de vin ont été traités dans les chais de la société Y, au ferrocyanure de potassium, dans des conditions non conformes à la réglementation en vigueur qui prescrit l'exécution de cette opération par un oenologue diplômé et soumet la mise en circulation des vins traités à la remise d'un bulletin spécial délivré par ce technicien ;

Attendu que pour déclarer X coupable du délit prévu par l'article 3 de la loi du 1er août 1905, les juges du fond énoncent que la falsification d'un produit est constituée dès lors que les conditions réglementaires de son traitement n'ont pas été respectées, et que le prévenu ne saurait rejeter sur l'oenologue la responsabilité de la méconnaissance des modalités et formalités prescrites pour le traitement par le ferrocyanure alors qu'en raison de l'importance des falsifications commises par son personnel et dans son établissement, il en est le véritable responsable ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance et de caractère hypothétique, dès lors que la réglementation communautaire, invoquée par le demandeur, n'a admis le traitement des vins au ferrocyanure de potassium que dans des conditions à déterminer par les Etats membres, la cour d'appel a justifié sa décision ; que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.