Livv
Décisions

CJCE, 2e ch., 22 juin 2006, n° C-399/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Timmermans

Avocat général :

M. Léger

Juges :

MM. Makarczyk, Schintgen, Kuris, Klucka

CJCE n° C-399/03

22 juin 2006

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande l'annulation de la décision 2003-531-CE du Conseil, du 16 juillet 2003, relative à l'octroi par le Gouvernement belge d'une aide en faveur de certains centres de coordination établis en Belgique (JO L 184, p. 17, ci-après la "décision attaquée").

Le cadre juridique

2 L'article 1er du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1) dispose:

"Aux fins du présent règlement, on entend par:

[...]

b) 'aide existante':

[...]

ii) toute aide autorisée, c'est-à-dire les régimes d'aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil;

iii) toute aide qui est réputée avoir été autorisée conformément à l'article 4, paragraphe 6, du présent règlement, ou avant le présent règlement, mais conformément à la présente procédure;

iv) toute aide réputée existante conformément à l'article 15;

v) toute aide qui est réputée existante parce qu'il peut être établi qu'elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l'évolution du Marché commun et sans avoir été modifiée par l'État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d'une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation;

c) 'aide nouvelle': toute aide, c'est-à-dire tout régime d'aides ou toute aide individuelle, qui n'est pas une aide existante, y compris toute modification d'une aide existante;

[...]"

La décision attaquée et son contexte

3 Par l'arrêté royal n° 187, du 30 décembre 1982, relatif à la création de centres de coordination (Moniteur belge du 13 janvier 1983), le Royaume de Belgique a prévu une exonération fiscale, pour une durée de dix ans, de l'impôt sur les bénéfices des centres de coordination qui assureraient, au profit des entreprises du groupe auquel elles appartiennent, un certain nombre de tâches administratives, préparatoires ou auxiliaires ainsi que certaines activités de centralisation financière.

4 Le 3 février 1983, la Commission a informé le Gouvernement belge que les interventions prévues par cet arrêté royal relevaient de l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE (devenu article 92, paragraphe 1, du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE), lui a demandé de lui notifier ce régime fiscal et de surseoir sans délai à son application.

5 À la suite de la notification, le 3 avril 1984, d'un projet de loi modifiant le régime fiscal des centres de coordination, la Commission a décidé, le 2 mai 1984, que le régime ainsi modifié ne contenait plus d'élément d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Le Gouvernement belge a été informé de cette décision par lettre du 16 mai 1984.

6 Mais, compte tenu du fait que les modifications apportées par la loi n'étaient pas entièrement conformes audit projet, le 12 décembre 1985, la Commission a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE (devenu article 93, paragraphe 2, du traité CE, lui-même devenu article 88, paragraphe 2, CE).

7 À la suite d'une nouvelle modification législative, le 4 août 1986, la Commission a clos la procédure et communiqué sa décision au Gouvernement belge le 9 mars 1987.

8 Le Conseil a, tout d'abord, adopté à l'unanimité, le 1er décembre 1997, une série de conclusions ainsi qu'une résolution portant sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Un rapport du Conseil du 29 février 2000 a qualifié les dispositions belges relatives aux centres de coordination de mesures fiscales dommageables devant être supprimées au 31 décembre 2005. Puis, les 26 et 27 novembre 2000, le Conseil "Ecofin" a décidé que cette date ultime des effets des mesures dommageables était applicable aux bénéficiaires de telles mesures à la date du 31 décembre 2000. Enfin, le 21 janvier 2003, le Conseil s'est prononcé en faveur de la prolongation des effets de certains régimes dommageables au-delà de 2005 et, en particulier, pour les centres de coordination belges, jusqu'au 31 décembre 2010.

9 Dans le cadre de l'examen de tous les régimes fiscaux en vigueur dans les États membres, la Commission a demandé le 12 février 1999 au Gouvernement belge de lui fournir des renseignements sur les centres de coordination. Par lettre du 17 juillet 2000, elle a informé les autorités belges que le régime fiscal des centres de coordination semblait constituer une aide d'État visée à l'article 87, paragraphe 1, CE.

10 La Commission a adopté, le 11 juillet 2001, des propositions de mesures utiles prévoyant, à titre transitoire, que les centres de coordination agréés avant la date d'acceptation desdites mesures puissent continuer à bénéficier dudit régime fiscal jusqu'au 31 décembre 2005.

11 Par une lettre du 27 février 2002, la Commission a notifié au Royaume de Belgique sa décision d'ouvrir la procédure d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, puis a adopté la décision 2003-757-CE, du 17 février 2003, concernant le régime d'aides mis en œuvre par la Belgique en faveur des centres de coordination établis en Belgique (JO L 282, p. 25). Cette dernière décision a fait l'objet de deux recours en annulation devant la Cour.

12 À la suite de la notification qui lui a été faite d'un avant-projet de loi visant à modifier l'arrêté royal n° 187, la Commission a, par lettre du 23 avril 2003, notifié au Royaume de Belgique sa décision d'ouvrir une procédure d'examen concernant une partie de la mesure envisagée.

13 Dès le 6 mars 2003, le Royaume de Belgique s'est adressé simultanément à la Commission et au Conseil auxquels il a demandé que "le nécessaire soit fait pour que les centres de coordination dont l'agrément expir[ait] après le 17 février 2003 puissent être prorogés jusqu'au 31 décembre 2005". Cette demande a été renouvelée les 20 mars et 26 mai 2003 sur la base de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE.

14 Le Conseil, réuni le 16 juillet 2003, a adopté la décision attaquée par laquelle il considère comme compatible avec le Marché commun l'aide que compte accorder le Royaume de Belgique aux entreprises qui bénéficiaient au 31 décembre 2000 d'un agrément comme centre de coordination au titre de l'arrêté royal n° 187, expirant entre le 17 février 2003 et le 31 décembre 2005. Cette aide consiste en l'application du taux normal d'imposition des sociétés sur une base d'imposition déterminée selon la méthode du "cost plus", d'un impôt annuel spécial de 10 000 euro par salarié avec un maximum de 100 000 euro, de l'exemption des précomptes immobiliers sur les immeubles dont les centres sont propriétaires et mobiliers sur les dividendes, intérêts et redevances que les centres paient et sur les revenus que les centres perçoivent en raison de dépôts d'argent, ainsi qu'en l'application de l'exemption du droit d'enregistrement sur les apports et augmentation du capital statutaire.

Sur le recours

15 La Commission invoque quatre moyens au soutien de son recours, tirés respectivement de l'incompétence du Conseil, du détournement de pouvoir et de procédure, de la violation du traité et de divers principes généraux ainsi que, à titre subsidiaire, de l'erreur manifeste d'appréciation.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

16 Par son premier moyen, la Commission soutient que le Conseil n'avait pas compétence pour adopter la décision attaquée.

17 Elle considère, en premier lieu, que les dispositions du traité et le règlement n° 659-1999 confèrent à elle seule la compétence pour adopter une décision telle que celle qui est attaquée. Le Conseil ne détiendrait dans ce domaine qu'un pouvoir revêtant un caractère exceptionnel et dont l'exercice devrait faire l'objet d'une interprétation stricte, sous peine de générer un risque de conflit de compétence entre les deux institutions. De surcroît, le Conseil aurait, en l'espèce, perdu sa compétence rationae temporis dans la mesure où les conditions de la forclusion prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE étaient réunies.

18 En second lieu, la Commission expose que la décision attaquée vise à maintenir les effets du régime fiscal dont la compatibilité avec le Marché commun a donné lieu aux doutes qu'elle a exprimés dans sa lettre du 23 avril 2003 et que cette décision porte non pas sur un régime d'aides nouvelles ou de mesures individuelles mais sur des aides considérées comme existantes au sens du traité.

19 Le Conseil fait valoir que la solution retenue dans l'arrêt du 29 juin 2004, Commission/Conseil (C-110-02, Rec. p. I-6333) n'est pas transposable à la présente espèce dès lors qu'il a autorisé une aide nouvelle, différente de celle qui a été déclarée incompatible avec le Marché commun par la Commission.

20 À cette fin, il soutient que les aides autorisées, instituées par des dispositions légales nouvelles, sont attribuées à un nombre restreint d'entreprises, toutes identifiables, soit une trentaine de centres de coordination dont l'agrément venait à expiration entre le 17 février 2003 et le 31 décembre 2005. De plus, ne se prolongeant pas au-delà du 31 décembre 2005, cette décision aurait eu un effet limité dans le temps. Lesdites aides sont, selon le Conseil, moins avantageuses pour les entreprises que le régime préexistant.

21 Par ailleurs, il considère que la décision attaquée autorisait le Royaume de Belgique non pas à maintenir le régime déclaré incompatible par la Commission mais à prendre un nouvel acte juridique.

22 En ce qui concerne le délai écoulé entre la présentation par le Royaume de Belgique d'une demande au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE et l'adoption de la décision attaquée, le Conseil a fait valoir que la lettre du 20 mars 2003 du représentant permanent dudit Royaume ne constituait qu'un document préparatoire destiné à faciliter les traductions, afin que les discussions sur les mesures envisagées puissent être entreprises. La demande du Royaume de Belgique ne lui aurait donc été présentée que le 26 mai 2003.

Appréciation de la Cour

23 Il y a lieu de rappeler que la Cour a précisé dans l'arrêt Commission/Conseil, précité, les conditions dans lesquelles le Conseil peut prendre une décision autorisant une aide d'État lorsque la Commission a adopté une décision constatant le caractère incompatible d'une telle aide avec le Marché commun.

24 Dans un premier temps, la Cour a interprété, au point 31 de cet arrêt, la portée de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE en considérant que le pouvoir du Conseil revêt manifestement un caractère d'exception. Elle en déduit que si aucune demande n'est adressée au Conseil par l'État membre concerné sur le fondement de cette disposition avant que la Commission déclare l'aide incompatible avec le Marché commun, le Conseil n'est plus autorisé à exercer le pouvoir exceptionnel que lui confère ladite disposition aux fins de déclarer une telle aide compatible avec le Marché commun (arrêt Commission/Conseil, précité, point 33).

25 La Cour considère qu'une telle interprétation, qui permet d'éviter qu'une même aide d'État fasse l'objet de décisions contraires prises successivement par la Commission et le Conseil, contribue ainsi à la sécurité juridique (arrêt Commission/Conseil, précité, point 35).

26 Dans un second temps, la Cour a examiné si cette incompétence du Conseil impliquait que ce dernier soit également incompétent pour statuer sur une aide ayant pour objet l'attribution aux bénéficiaires d'une aide illégale, antérieurement déclarée incompatible par une décision de la Commission, d'une somme destinée à compenser les remboursements auxquels ceux-ci sont tenus en application de cette décision.

27 Elle a relevé que selon une jurisprudence constante, admettre qu'un État membre puisse octroyer aux bénéficiaires d'une telle aide illégale une aide nouvelle d'un montant équivalent à celui de l'aide illégale, destinée à neutraliser l'impact des remboursements auxquels ces derniers sont tenus en application de ladite décision, reviendrait à l'évidence à mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu des articles 87 CE et 88 CE (arrêt Commission/Conseil, précité, point 43).

28 La Cour a alors jugé que le Conseil, qui ne saurait faire obstacle à une décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le Marché commun en déclarant lui-même cette aide compatible avec ledit marché, ne saurait davantage mettre en échec l'efficacité d'une telle décision en déclarant compatible avec le Marché commun, au titre de l'article 88, paragraphe 2, troisième alinéa, CE, une aide destinée à compenser, au profit des bénéficiaires de l'aide illégale déclarée incompatible avec le Marché commun, les remboursements auxquels ceux-ci sont tenus en application de ladite décision (arrêt Commission/Conseil, précité, points 44 et 45).

29 À la lumière de cette jurisprudence, il convient de conclure que le Conseil ne pouvait valablement adopter la décision attaquée.

30 En effet, en premier lieu, il est constant que le Conseil a été saisi par le Royaume de Belgique postérieurement à la décision 2003-757 déclarant incompatibles avec le Marché commun les aides attribuées par l'État belge aux centres de coordination

31 En deuxième lieu, il y a lieu d'examiner si les aides décrites à l'article 1er de la décision attaquée et celles faisant l'objet de la décision 2003-757 sont identiques.

32 À cet égard, il ressort des pièces du dossier et, en particulier, de la note adressée par le Royaume de Belgique au Conseil le 6 mars 2003 que le régime d'aides que le Conseil devait déclarer compatible avec le Marché commun était celui qui avait fait l'objet de la décision 2003-757.

33 De plus, la note datée du 26 mai 2003, dans laquelle le représentant permanent du Royaume de Belgique auprès de l'Union européenne a décrit le contenu de l'aide, ne laisse aucun doute sur l'identité des mesures concernées.

34 Enfin, la décision attaquée autorise des mesures qui consistent en l'application des mêmes méthodes de détermination des bénéfices imposables et taxe exigible en fonction du nombre de salariés que celles prévues dans le régime fiscal des centres de coordination. Les mêmes exonérations des précomptes mobilier et immobilier ainsi que des droits d'apport y sont reprises.

35 En troisième lieu, il convient de déterminer les effets qui s'attachent à la décision attaquée. Il suffit de constater qu'il résulte des termes mêmes de la motivation de ladite décision qu'elle a eu pour objet de pallier les effets de la décision 2003-757 en ce qui concerne les centres de coordination dont l'agrément est venu à expiration entre le 17 février 2003 et le 31 décembre 2005.

36 Dès lors, la décision attaquée a été prise en contradiction avec la décision 2003-757. La circonstance qu'elle ne concerne qu'un nombre restreint d'entreprises et porte sur une durée limitée est sans incidence sur le constat selon lequel elle contredit la décision 2003-757 qui, à son article 2, dispose que, à compter de sa notification, le bénéfice du régime en cause ne pourra pas être prolongé par le renouvellement des agréments en cours et que, si l'agrément vient à échéance avant le 31 décembre 2010, le bénéfice dudit régime ne peut plus être accordé, même temporairement.

37 Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil n'a pu valablement adopter la décision attaquée.

38 Il s'ensuit que le premier moyen invoqué par la Commission au soutien de son recours, tiré du défaut de compétence du Conseil pour adopter la décision attaquée, est fondé et que celle-ci doit, par suite, être annulée.

Sur les autres moyens du recours

39 Le premier moyen de la Commission ayant été accueilli et la décision attaquée devant être annulée de ce chef, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par la Commission au soutien de son recours.

Sur les dépens

40 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Conseil et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) déclare et arrête:

1) La décision 2003-531-CE du Conseil, du 16 juillet 2003, relative à l'octroi par le Gouvernement belge d'une aide en faveur de certains centres de coordination établis en Belgique, est annulée.

2) Le Conseil de l'Union européenne est condamné aux dépens.