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Décisions

CJCE, 3 décembre 1996, n° C-268/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République portugaise, République hellénique

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne, Royaume de Danemark, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Murray, Sevón

Avocat général :

M. La Pergola

Juges :

MM. Kakouris, Kapteyn, Gulmann, Edward, Puissochet, Hirsch, Jann, Wathelet

CJCE n° C-268/94

3 décembre 1996

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 septembre 1994, la République portugaise a, en vertu de l'article 173 du traité CE, demandé l'annulation de la décision 94-578-CE du Conseil, du 18 juillet 1994, concernant la conclusion de l'accord de coopération entre la Communauté européenne et la République de l'Inde relatif au partenariat et au développement (JO L 223, p. 23, ci-après la "décision litigieuse").

2 La décision litigieuse est fondée sur les articles 113 et 130 Y, en liaison avec l'article 228, paragraphe 2, première phrase, et paragraphe 3, premier alinéa, du traité CE.

3 La décision litigieuse a été adoptée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, après consultation du Parlement européen. Lors de la session au cours de laquelle cette décision a été adoptée, la République portugaise a manifesté, par une déclaration au procès-verbal, son désaccord quant au choix de la base juridique.

4 L'accord de coopération entre la Communauté européenne et la République de l'Inde relatif au partenariat et au développement (ci-après l'"accord") est entré en vigueur le 1er août 1994 (JO L 223, p. 35).

5 L'article 1er, paragraphe 1, de l'accord dispose: "Le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques est la base de la coopération entre les parties contractantes et des dispositions du présent accord et constitue un élément essentiel du présent accord."

6 L'article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, de l'accord prévoit: "Le présent accord a pour objectif principal de développer, grâce au dialogue et au partenariat, les divers aspects de la coopération entre les parties contractantes afin d'établir des relations plus étroites et meilleures." L'article 1er, paragraphe 2, second alinéa, énonce les points sur lesquels cette coopération est axée.

7 L'article 2 de l'accord prévoit que le régime de la nation la plus favorisée sera appliqué dans les relations commerciales entre la Communauté et la République de l'Inde.

8 L'article 3 contient des dispositions relatives aux échanges et à la coopération commerciale et l'article 4 concerne la coopération économique.

9 Les articles 5 à 19 de l'accord énoncent les autres domaines de coopération dont ceux concernant l'énergie (article 7), la propriété intellectuelle (article 10), le tourisme (article 13), l'information et la culture (article 15) et la lutte contre la drogue (article 19), qui disposent:

"Article 7 Énergie

Les parties contractantes reconnaissent l'importance du secteur de l'énergie pour le développement économique et social et s'engagent à développer la coopération, notamment en ce qui concerne la production, l'économie et l'utilisation rationnelle de l'énergie. Cette coopération ainsi améliorée portera notamment sur la planification dans le domaine de l'énergie, sur l'énergie non traditionnelle, y compris l'énergie solaire, et sur l'examen de son incidence sur l'environnement."

"Article 10 Propriété intellectuelle

Les parties contractantes s'engagent à assurer, dans la mesure où leur législation, leur réglementation et leurs politiques le permettent, une protection appropriée et efficace des droits de propriété intellectuelle, y compris les brevets, les marques de commerce ou de service, les droits d'auteur et droits voisins, les dénominations géographiques (y compris les appellations d'origine), les dessins industriels et topographiques de circuits intégrés, en renforçant cette protection lorsque cela est souhaitable. Elles s'engagent également, dans la mesure du possible, à faciliter l'accès aux bases de données des organismes de propriété intellectuelle."

"Article 13 Tourisme

Les parties contractantes conviennent de contribuer à la coopération dans le domaine du tourisme par des mesures spécifiques, y compris par:

a) l'échange d'informations et la réalisation d'études;

b) des programmes de formation;

c) la promotion des investissements et des entreprises communes."

"Article 15 Information et culture

Les parties contractantes coopèrent dans les domaines de l'information et de la culture, tant pour améliorer la compréhension mutuelle que pour renforcer les liens culturels entre les deux régions. Cette coopération peut comprendre:

a) l'échange d'informations sur des questions d'intérêt culturel;

b) des études préparatoires et l'assistance technique pour la préservation du patrimoine culturel;

c) la coopération dans le domaine des médias et de la documentation audiovisuelle;

d) l'organisation de manifestations et d'échanges culturels."

"Article 19 Lutte contre la drogue

1. Les parties contractantes expriment leur volonté, dans le respect de leurs compétences respectives, d'accroître l'efficacité des politiques suivies et des mesures adoptées, de lutter contre la fourniture et la distribution de narcotiques et de substances psychotropes, et de prévenir et de réduire la consommation de drogue, en tenant compte des travaux effectués dans ce domaine par les instances internationales.

2. La coopération entre les parties contractantes comprend:

a) la formation, l'éducation, le traitement et la désintoxication des toxicomanes, y compris les projets visant à réinsérer ceux-ci dans leur vie professionnelle et sociale;

b) des mesures destinées à encourager la création d'activités économiques de remplacement;

c) une assistance technique, financière et administrative pour le contrôle du commerce des précurseurs, la prévention, le traitement et la réduction de la consommation de drogue;

d) l'échange de toutes les informations utiles, notamment celles relatives au blanchiment de l'argent."

10 L'article 24, paragraphe 1, de l'accord dispose que les parties contractantes peuvent, d'un commun accord, étendre l'accord afin de développer la coopération et le compléter par des accords portant sur des activités ou des secteurs particuliers. Selon le paragraphe 2 de cette disposition, chacune des parties contractantes peut émettre, dans le cadre de l'accord, des suggestions tendant à étendre le champ d'application de la coopération, en tenant compte de l'expérience acquise au cours de sa mise en œuvre.

11 L'article 25 de l'accord précise que, sans préjudice des dispositions pertinentes des traités instituant les Communautés européennes, ni l'accord ni aucune action entreprise dans ce cadre ne portent atteinte au pouvoir des États membres d'entreprendre des activités bilatérales avec la République de l'Inde dans le cadre de la coopération économique ou de conclure de nouveaux accords de coopération économique avec celle-ci.

12 Par ordonnance du 14 février 1995, le président de la Cour a admis la République hellénique à intervenir à l'appui des conclusions de la République portugaise. Par trois ordonnances du 14 mars 1995, le président de la Cour a admis le Royaume de Danemark, le Royaume-Uni et la Commission à intervenir à l'appui des conclusions du Conseil. Par lettre du 7 juin 1995, le Gouvernement du Royaume-Uni a toutefois informé la Cour qu'il n'entendait pas déposer de mémoire.

13 Par son recours, le Gouvernement portugais conteste la légalité du fondement juridique de la compétence communautaire et la procédure correspondante par laquelle la Communauté a conclu l'accord. Il estime en effet que la base juridique de la décision litigieuse ne confère pas à la Communauté les pouvoirs nécessaires pour la conclusion de cet accord en ce qui concerne, d'une part, la disposition de l'accord relative aux droits de l'homme et, d'autre part, les dispositions de l'accord relatives à certaines matières spécifiques de coopération. Ainsi, il aurait fallu également recourir à l'article 235 du traité et à la participation de tous les États membres à la conclusion de l'accord.

Sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques

14 Il convient d'examiner, en premier lieu, l'argumentation du Gouvernement portugais selon laquelle l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord aurait nécessité le recours à l'article 235 du traité comme base juridique de la décision litigieuse.

15 A cet égard, le Gouvernement portugais rappelle tout d'abord que, dans les accords de coopération conclus avant l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, l'article 235 du traité CEE garantissait à la Communauté la base juridique adéquate pour l'inclusion d'une disposition concernant les droits de l'homme.

16 Il estime ensuite que le fait que les droits fondamentaux en tant que principes généraux s'imposent dans l'ordre juridique communautaire ne permet pas de conclure que la Communauté détient la compétence pour adopter des mesures dans ce domaine, que ce soit au plan interne ou externe. En outre, les références aux droits fondamentaux dans le préambule de l'Acte unique européen, ainsi que dans le préambule et dans certains articles du traité sur l'Union européenne sont, selon ce gouvernement, de nature programmatique; elles définissent un objectif général, mais ne confèrent pas à la Communauté des pouvoirs d'action spécifiques.

17 De même, selon le Gouvernement portugais, l'article 130 U, paragraphe 2, du traité CE se limite à définir un objectif général. L'article 130 Y ne constituerait, par conséquent, une base juridique suffisante pour la conclusion d'un accord de coopération que dans la mesure où le respect des droits de l'homme n'est prévu que comme objectif général de cet accord. Toutefois, l'accord conclu avec la République de l'Inde irait plus loin, dès lors qu'il énonce à son article 1er, paragraphe 1, que "Le respect des droits de l'homme ... constitue un élément essentiel" de l'accord. Ce dernier ne précise pas les conséquences de cette qualification particulière, mais celle-ci supposerait que la Communauté puisse recourir à des moyens d'action déterminés dont le fondement ne peut résider que dans l'article 235 du traité.

18 Le Conseil, appuyé par le Gouvernement danois et la Commission, considère que l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord constitue un corollaire de l'exigence de l'article 130 U, paragraphe 2. Cette exigence étant un élément essentiel de la politique de développement, il serait logique de la mentionner dans l'accord.

19 En outre, le Conseil et les parties le soutenant font valoir qu'une disposition de ce type dans un accord de coopération permet à la Communauté, en cas de violation grave des droits de l'homme par l'autre partie contractante, de suspendre l'application de l'accord pour violation d'une disposition essentielle. A cet égard, ils se réfèrent à l'article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités.

20 Le Gouvernement danois ajoute que l'article 235 constituerait effectivement la base juridique correcte si la Communauté décidait de conclure un accord spécifique avec un pays tiers, dont l'objet principal serait la protection des droits de l'homme. Cependant, l'accord conclu avec la République de l'Inde n'aurait pas cet objet. L'article 1er, paragraphe 1, de l'accord aurait en effet été inclus dans le seul but de permettre l'application des autres dispositions de l'accord.

21 A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le recours à l'article 235 du traité comme base juridique d'un acte n'est justifié que si aucune autre disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter cet acte (voir, notamment, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45-86, Rec. p. 1493, point 13, et du 26 mars 1996, Parlement/Conseil, C-271-94, Rec. p. I-1689, point 13).

22 Dans le cadre du système de compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d'un acte doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. Parmi de tels éléments figurent, notamment, le but et le contenu de l'acte (voir, notamment, arrêts du 11 juin 1991, Commission/Conseil, C-300-89, Rec. p. I-2867, point 10, et du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C-84-94, non encore publié au Recueil, point 25).

23 En énonçant que "La politique de la Communauté ... contribue à l'objectif général de développement et de consolidation de la démocratie et de l'État de droit, ainsi qu'à l'objectif du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales", l'article 130 U, paragraphe 2, du traité prévoit que la Communauté doit tenir compte de l'objectif du respect des droits de l'homme lorsqu'elle arrête des mesures dans le domaine de la coopération au développement.

24 Il y a lieu de constater que le seul fait que l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord dispose que le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques "constitue un élément essentiel" de l'accord ne permet pas de conclure qu'il dépasse l'objectif énoncé à l'article 130 U, paragraphe 2, du traité. En effet, le libellé même de cette dernière disposition démontre l'importance qu'il convient d'accorder au respect des droits de l'homme et des principes démocratiques. Il en résulte, notamment, que la politique de coopération au développement doit y être adaptée.

25 Par ailleurs, comme M. l'avocat général l'a relevé au point 27 de ses conclusions, diverses déclarations et documents des États membres et des institutions communautaires, déjà établis avant l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne et par conséquent du titre XVII du traité CE, ont souligné l'importance des droits de l'homme dans le cadre de la coopération au développement.

26 En ce qui concerne plus particulièrement l'argument du Gouvernement portugais selon lequel la qualification du respect des droits de l'homme comme élément essentiel de la coopération supposerait des moyens d'action déterminés, il y a lieu de constater, en premier lieu, que l'adaptation de la politique de coopération au respect des droits de l'homme implique nécessairement l'établissement d'un certain lien de subordination entre eux.

27 A cet égard, il convient de relever qu'une disposition telle que l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord peut être, notamment, un facteur important pour exercer le droit d'obtenir, en vertu du droit international, la suspension ou la cessation d'un accord de coopération au développement lorsque le pays tiers n'a pas respecté les droits de l'homme.

28 En second lieu, il convient d'observer que l'article 1er de l'accord, intitulé "Base et objectifs", ainsi que le libellé du paragraphe 1 de cet article confirment que la question du respect des droits de l'homme et des principes démocratiques ne constitue pas un domaine spécifique de coopération prévu par l'accord.

29 Il y a donc lieu de constater que, s'agissant de l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord, la décision litigieuse a pu être valablement fondée sur l'article 130 Y.

Sur les dispositions de l'accord concernant les matières spécifiques de la coopération

30 Le Gouvernement portugais fait valoir que certaines dispositions de l'accord, relatives aux matières spécifiques couvertes par la coopération, sont d'une portée telle que la base juridique de la décision litigieuse n'est pas suffisante.

31 Il souligne que l'interprétation des dispositions du titre XVII du traité CE, intitulé "Coopération au développement", devrait notamment tenir compte du fait que les compétences de la Communauté dans le domaine de la coopération au développement et celles des États membres sont complémentaires. Selon lui, un accord de coopération ne saurait être fondé uniquement sur l'article 130 Y, indépendamment de son champ d'application matériel concret et de la nature des obligations contractuelles qu'il prévoit. Cet article ne constituerait un fondement adéquat et suffisant que pour les accords de coopération dont les dispositions restent dans les limites des pouvoirs d'action de la Communauté, définis en termes exprès ou implicites. Par conséquent, si une matière incluse dans un accord de coopération relève de la compétence propre des États membres, la conclusion de cet accord exigerait leur participation. En l'espèce, il en serait ainsi en ce qui concerne les dispositions relatives à la propriété intellectuelle et à la lutte contre la drogue. Lors de l'audience, le Gouvernement portugais a indiqué que la coopération en matière de tourisme et de culture requérait également la participation des États membres à la conclusion de l'accord.

32 Selon le Gouvernement portugais, la disposition de l'accord relative à l'énergie impose le recours à l'article 235 du traité étant donné que cette matière entre dans les objectifs de la Communauté, mais que le traité CE ne contient pas de disposition spécifique quant aux moyens d'action.

33 En revanche, le Conseil estime avoir correctement appliqué la jurisprudence de la Cour selon laquelle les mesures qui sont accessoires par rapport à l'objectif principal de l'acte dont elles font partie doivent être fondées sur la ou les dispositions pertinentes eu égard à cet objectif et ne nécessitent pas une base juridique distincte. En l'espèce, seul l'aspect commercial de l'accord se traduirait par des engagements dont la portée et le rôle dans l'économie de l'accord exigent le recours à une base juridique spécifique, à savoir l'article 113.

34 La Commission, qui souscrit aux arguments du Conseil, précise qu'à son avis la compétence de la Communauté dans le domaine de la politique de coopération au développement en matière de relations extérieures résulte davantage de l'article 130 W que de l'article 130 Y.

35 L'argumentation du Gouvernement portugais soulève la question de savoir dans quelle mesure un accord conclu entre la Communauté et un pays tiers et adopté sur le fondement de l'article 130 Y peut prévoir des dispositions dans des matières spécifiques sans qu'il soit nécessaire de recourir à d'autres bases juridiques, voire à la participation des États membres à la conclusion de l'accord.

36 A cet égard, il convient tout d'abord de relever qu'il ressort des dispositions du titre XVII du traité, notamment de ses articles 130 U, paragraphe 1, 130 W, paragraphe 1, 130 X et 130 Y, d'une part, que la Communauté possède une compétence spécifique pour conclure des accords avec les pays tiers dans le domaine de la coopération au développement et, d'autre part, que cette compétence n'est pas exclusive mais complémentaire de celle des États membres.

37 Pour être qualifié d'accord de coopération au développement au sens de l'article 130 Y du traité, un accord doit poursuivre les objectifs visés à l'article 130 U. Or, il ressort notamment du paragraphe 1 de cette dernière disposition que ces objectifs sont larges en ce sens que les mesures nécessaires à leur poursuite doivent pouvoir concerner différentes matières spécifiques. Il en est ainsi notamment dans le cas d'un accord qui fixe les cadres de cette coopération.

38 Dans ces conditions, exiger qu'un accord de coopération au développement entre la Communauté et un pays tiers soit également fondé sur une autre disposition que l'article 130 Y et, éventuellement, conclu également par les États membres chaque fois qu'il affecterait une matière spécifique serait, en pratique, de nature à vider de leur substance la compétence et la procédure prévues par l'article 130 Y.

39 Par conséquent, il convient de considérer que la présence, dans un accord de coopération au développement, de clauses concernant différentes matières spécifiques ne saurait modifier la qualification de l'accord qui doit être faite en considération de l'objet essentiel de celui-ci et non en fonction des clauses particulières, à condition que ces clauses ne comportent des obligations d'une telle portée dans les matières spécifiques visées que ces obligations constituent en réalité des objectifs distincts de ceux de la coopération au développement (voir, notamment, en ce sens, avis 1-78, du 4 octobre 1979, Rec. p. 2871, point 56).

40 A la lumière de ces considérations, il convient tout d'abord d'examiner, en l'espèce, les objectifs de l'accord ainsi que l'économie générale des dispositions concernées.

41 Selon l'article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, l'objectif principal de l'accord est le développement des divers aspects de la coopération entre les parties contractantes. Le second alinéa de ce paragraphe ainsi que le préambule de l'accord soulignent notamment, d'une part, le développement des relations entre les parties contractantes dans les domaines d'intérêt commun et, d'autre part, le soutien des efforts de développement de l'Inde. Ce dernier alinéa met particulièrement en évidence le développement de la coopération économique.

42 Alors que les articles 2 à 4 de l'accord concernent de façon générale les relations commerciales et la coopération économique entre les parties contractantes, les articles 5 à 15 et 17 à 19 contiennent des dispositions sur des matières spécifiques dont la plupart sont d'ailleurs liées à la coopération économique.

43 L'article 16 de l'accord régit, d'une façon générale, la coopération au développement. Aux termes de son paragraphe 1, la Communauté "... est disposée à renforcer sa coopération et à développer son efficacité pour contribuer aux efforts déployés par l'Inde pour parvenir à un développement économique durable et promouvoir le progrès social de sa population à l'aide de projets et de programmes concrets". Ce même paragraphe poursuit que "L'aide de la Communauté sera conforme aux politiques et à la réglementation communautaires, et se situera dans la limite des moyens financiers disponibles pour la coopération et sera conforme à une stratégie de développement élaborée". L'article 16, paragraphe 2, dispose, notamment, que "Les projets et programmes seront axés sur les catégories les plus démunies de la population."

44 Il résulte de cet examen que la coopération prévue par l'accord est énoncée en tenant compte particulièrement des besoins d'un pays en développement et, partant, contribue à favoriser notamment la poursuite des objectifs visés à l'article 130 U, paragraphe 1, du traité.

45 Pour ce qui est, plus spécialement, des dispositions de l'accord relatives aux matières spécifiques, elles fixent le cadre de la coopération entre les parties contractantes. En effet, appréciées dans leur ensemble, elles se bornent à déterminer les domaines qui font l'objet de la coopération et à en préciser certains aspects et certaines actions auxquels il est accordé une importance particulière. En revanche, lesdites dispositions ne contiennent pas une réglementation des modalités concrètes de mise en œuvre de la coopération dans chaque domaine spécifique envisagé.

46 Cette constatation est confortée par le fait que certaines dispositions de l'accord envisagent d'étendre et de compléter la coopération par de nouvelles mesures. Ainsi l'article 22, paragraphe 2, cinquième alinéa, dispose-t-il que la commission mixte prévue par cet article est également compétent pour garantir le bon fonctionnement de tout accord sectoriel conclu ou susceptible d'être conclu entre la Communauté et la République de l'Inde. De même, l'article 24, paragraphe 1, prévoit la possibilité de développer et de compléter la coopération par des accords portant sur des activités ou des secteurs particuliers. En outre, selon l'article 24, paragraphe 2, chacune des parties contractantes peut émettre, dans le cadre de l'accord, des suggestions tendant à étendre le champ d'application de la coopération. Enfin, l'article 25 souligne que ni l'accord ni aucune action entreprise dans ce cadre ne portent atteinte au pouvoir des États membres d'entreprendre des activités bilatérales avec la République de l'Inde dans le cadre de la coopération économique ou de conclure, le cas échéant, de nouveaux accords de coopération économique avec celle-ci.

47 Par conséquent, la seule inclusion de dispositions prévoyant une coopération dans un domaine spécifique ne comporte pas nécessairement une habilitation générale de nature à fonder une compétence pour entreprendre tout type d'action de coopération dans ce domaine. Aussi ne préjuge-t-elle pas la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres ni la base juridique des actes communautaires pour la mise en œuvre de la coopération dans un tel domaine.

48 Afin de vérifier le bien-fondé de cette analyse, il convient encore d'examiner plus précisément l'objectif et le contenu de chacune des dispositions contestées par le Gouvernement portugais.

Sur l'énergie, le tourisme et la culture

49 Le Gouvernement portugais fait valoir que l'article 7 de l'accord, relatif au domaine de l'énergie, constitue le fondement pour l'adoption ultérieure de mesures spécifiques, en particulier des mesures normatives, en vue de la mise en œuvre des objectifs et des engagements prévus par l'accord. Il ne s'agirait pas de clauses accessoires ou de simples déclarations d'intention des parties contractantes. Cette disposition prévoirait notamment une coopération approfondie dans des domaines tels que celui des sources d'énergie non traditionnelles. En l'absence de pouvoirs spécifiques d'actions dans ce domaine, la Communauté aurait dû recourir à l'article 235 du traité.

50 Quant à l'article 13 de l'accord, le Gouvernement portugais fait valoir que le texte même de cette disposition prévoit des mesures spécifiques, en particulier des programmes de formation. Or, les articles 126, paragraphe 3, et 127, paragraphe 3, du traité CE démontreraient que la Communauté ne serait pas habilitée à conclure seule un accord en matière de tourisme.

51 En ce qui concerne le domaine de la culture, le gouvernement requérant relève tout d'abord que l'article 128 du traité CE ne vise qu'à encourager la coopération entre les États membres et, si nécessaire, à appuyer et à compléter leur action dans un certain nombre de domaines. Il s'agirait donc d'une compétence de la Communauté clairement subordonnée à un objectif de coordination de politiques culturelles définies par chaque État membre dans la sphère de ses compétences propres. Certes, l'article 128, paragraphe 3, mentionne que la Communauté et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers, mais cette disposition ne conférerait pas à la Communauté une compétence au plan externe. Le Gouvernement portugais attire l'attention sur le fait que, même si une telle compétence était reconnue, les mesures ne pourraient être prises qu'à l'unanimité du Conseil et suivant la procédure de codécision. Le Gouvernement portugais conclut que l'insertion de dispositions en matière culturelle dans les accords de coopération imposerait, à tout le moins, le recours à l'article 235 du traité et à un accord mixte.

52 Le Conseil et la Commission estiment que les dispositions de l'accord concernant les domaines de l'énergie, du tourisme et de la culture sont accessoires par rapport aux objectifs principaux de l'accord. Ces dispositions ne viseraient donc pas des objectifs séparables de celui de la coopération au développement et n'auraient, en outre, qu'un caractère déclaratoire. Le Conseil ajoute que l'article 7 de l'accord ne prévoit pas une coopération approfondie dans le domaine des sources d'énergie non conventionnelles, mais mentionne simplement ce domaine comme l'un des domaines dans lesquels la coopération peut s'effectuer.

53 Au vu de ces considérations, il convient tout d'abord de relever que le Gouvernement portugais ne conteste pas que les dispositions de l'accord concernant les domaines de l'énergie, du tourisme et de la culture poursuivent les objectifs visés à l'article 130 U.

54 Quant à l'appréciation de la portée des dispositions des articles 7, 13 et 15 de l'accord, il convient de tenir compte de l'examen de l'économie générale des dispositions de l'accord relatives aux matières spécifiques opéré aux points 45 à 47 du présent arrêt. Or, l'analyse du libellé des articles 7, 13 et 15 confirme la conclusion que ces dispositions fixent le cadre de la coopération dans les matières qui y sont visées. Les obligations prévues dans les dispositions en cause en matière d'énergie, de tourisme et de culture sont des obligations de comportement qui ne constituent pas des objectifs distincts de ceux de la coopération au développement.

55 La portée des dispositions des articles 7, 13 et 15 de l'accord ayant ainsi été précisée, il y a lieu de conclure que, en ce qui concerne l'inclusion de ces dispositions dans l'accord, la décision a pu être valablement adoptée sur le fondement de l'article 130 Y du traité.

Sur la lutte contre la drogue

56 Le Gouvernement portugais estime que l'article 19 de l'accord contient un engagement spécifique et réciproque en matière de lutte contre la drogue. Toutefois, cette matière relèverait de la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (voir article K.1, points 4 et 9, du traité sur l'Union européenne). Le traité sur l'Union européenne n'aurait fait que confirmer la pratique communautaire antérieure, c'est-à-dire l'existence d'une compétence propre des États membres.

57 Selon la requérante, l'article 129 du traité CE, qui prévoit que, dans le domaine de la santé publique, la Communauté peut agir au niveau de la prévention de la toxicomanie, ne constitue pas une base juridique permettant à la Communauté de s'arroger des pouvoirs de décision; l'action de la Communauté doit se limiter à des mesures d'encouragement ou à l'adoption de recommandations.

58 Le Conseil, quant à lui, invoque l'existence de plusieurs actes communautaires qui concernent directement ou indirectement la lutte contre la drogue et qui ont été adoptés sans que leur base juridique ait été contestée. Dès lors que ces actes réglementent plusieurs aspects de la lutte contre la drogue, la Communauté posséderait, en application du principe du parallélisme, la même compétence au plan externe.

59 La Commission estime que les actions communautaires dans le domaine de la lutte contre la drogue visent également à contribuer au développement économique et social de l'Inde et soutient que la lutte contre la drogue fait partie intégrante de l'aide communautaire au développement. A cet égard, elle mentionne le règlement (CEE) n° 443-92 du Conseil, du 25 février 1992, relatif à l'aide financière et technique et à la coopération économique avec les pays en développement d'Amérique latine et d'Asie (JO L 52, p. 1), qui contient une disposition précisant que la lutte contre la drogue relève du domaine de la coopération au développement avec ces pays.

60 Il y a lieu tout d'abord de considérer que la lutte contre la drogue ne saurait être exclue en tant que telle des mesures qui sont nécessaires pour la poursuite des objectifs visés à l'article 130 U, dès lors que la production de stupéfiants, la consommation de la drogue et les activités connexes peuvent constituer de graves entraves au développement économique et social.

61 Il convient ensuite d'examiner si l'article 19 de l'accord reste dans des limites qui ne nécessitent pas le recours à une compétence et à un fondement juridique propre à la matière de la lutte contre la drogue.

62 A cet égard, il y a lieu de relever que le libellé de l'article 19, paragraphe 1, ne contient qu'une simple déclaration d'intention de coopérer en matière de lutte contre la drogue. En outre, il précise que les parties contractantes agissent dans le respect de leurs compétences respectives.

63 L'article 19, paragraphe 2, de l'accord définit la substance de la coopération en mentionnant les actions qu'elle comprend. Il ressort de l'examen de ces actions que celles-ci peuvent constituer des mesures qui entrent dans le cadre des objectifs de la coopération au développement. En effet, la formation, l'éducation, le traitement et la désintoxication des toxicomanes, de même que les actions destinées à encourager la création d'activités économiques de remplacement, mentionnées aux points a) et b) de ce paragraphe, peuvent se rattacher aux objectifs socio-économiques poursuivis par la coopération au développement. A ces actions peuvent être assimilées les assistances technique, financière et administrative pour la prévention, le traitement et la réduction de la consommation de drogue, prévues au point c) du même paragraphe.

64 Quant à l'assistance pour le contrôle du commerce des précurseurs, également prévue au paragraphe 2, sous c), elle peut faire partie, comme M. l'Avocat général l'a relevé au point 61 de ses conclusions, des objectifs définis à l'article 130 U, dans la mesure où il s'agit de la contribution de la Communauté aux efforts accomplis par l'autre partie contractante pour lutter contre le trafic de drogue.

65 S'agissant de l'article 19, paragraphe 2, sous d), il y a lieu tout d'abord de constater que, lors de l'audience, le représentant du Conseil a indiqué que cette disposition ne concernerait pas des informations individuelles telles que celles relatives aux personnes, comptes bancaires ou opérations spécifiques, mais seulement les informations générales sur les problèmes du blanchiment de l'argent.

66 Ce n'est effectivement que dans la mesure où cet échange d'informations contribue étroitement aux autres mesures prévues par l'article 19 que la disposition figurant sous d) peut s'insérer dans le cadre des actions relevant du domaine de la coopération au développement. Cette interprétation restrictive est confirmée par le texte même de cette disposition, étant donné qu'il limite la portée de celle-ci aux informations "utiles". A cet égard, il convient encore d'indiquer que l'article 19, paragraphe 1, renvoie expressément aux compétences respectives des parties contractantes, à savoir, s'agissant de la Communauté, à la compétence que celle-ci possède en matière de lutte contre la drogue.

67 Enfin, il y a lieu de considérer, comme il a déjà été relevé aux points 45 à 47 du présent arrêt, s'agissant de l'économie générale des dispositions relatives aux matières spécifiques, que même les dispositions relatives aux actions spécifiées à l'article 19, paragraphe 2, de l'accord ne sauraient constituer, vu leur libellé et leur contexte, des habilitations de caractère général pour leur mise en œuvre.

68 La portée des dispositions de l'article 19 ayant été ainsi précisée, il y a lieu de conclure que cet article n'exigeait pas la participation des États membres à la conclusion de l'accord.

Sur la propriété intellectuelle

69 S'agissant de l'article 10 de l'accord, le Gouvernement portugais fait valoir qu'il ressort notamment de l'avis 1-94, du 15 novembre 1994 (Rec. p. I-5267), que la protection de la propriété intellectuelle est une matière dans laquelle la Communauté ne dispose pas d'une compétence exclusive.

70 Le Gouvernement portugais conclut que, conformément au principe du parallélisme des compétences, les articles 113 et 130 Y du traité sont insuffisants pour conférer à la Communauté les pouvoirs nécessaires à l'exécution de l'obligation contractuelle que la Communauté a assumée par l'article 10 de l'accord.

71 Le Conseil soutient que le fait que la compétence de la Communauté n'est pas exclusive n'implique pas que celle-ci ne puisse en aucun cas conclure seule des accords contenant des dispositions touchant à ce domaine. Il estime que la Communauté était habilitée à conclure l'accord sans la participation des États membres étant donné que la clause de l'accord en matière de propriété intellectuelle n'a qu'une portée limitée et ne comporte des obligations substantielles que pour la République de l'Inde.

72 Il importe donc d'examiner si l'article 10 de l'accord peut trouver son fondement dans la base juridique mentionnée dans la décision litigieuse, à savoir les articles 113 et 130 Y du traité.

73 Il convient tout d'abord de constater que l'amélioration de la protection des droits de propriété intellectuelle visée par cet article est de nature à contribuer à l'objectif, prévu par l'article 130 U, paragraphe 1, d'une insertion harmonieuse et progressive des pays en développement dans l'économie mondiale.

74 Ensuite, il y a lieu de relever que la première phrase de l'article 10 se contente de prévoir que les parties contractantes s'engagent à assurer, dans la mesure où leur législation, leur réglementation et leurs politiques le permettent, une protection appropriée et efficace des droits de propriété intellectuelle, en renforçant cette protection lorsque cela est souhaitable.

75 Quant à la dernière phrase de l'article 10, elle prévoit que les parties contractantes "s'engagent également, dans la mesure du possible, à faciliter l'accès aux bases de données des organismes de propriété intellectuelle". Or, l'obligation créée par cette disposition n'est que de portée très limitée et de caractère accessoire, même par rapport à la substance de la protection de la propriété intellectuelle.

76 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les obligations découlant de l'article 10 de l'accord n'ont pas une portée telle qu'elles constituent des objectifs distincts de ceux de la coopération au développement. Par conséquent, l'article 130 Y du traité est une base suffisante pour l'insertion de l'article 10 dans l'accord.

77 En outre, s'agissant du rattachement de l'article 10 de l'accord à la politique commerciale, il suffit de rappeler que la Communauté est en droit d'insérer, dans des accords extérieurs qui, pour le surplus, relèvent de l'article 113, des dispositions accessoires organisant des procédures de pure consultation ou des clauses invitant l'autre partie à relever le niveau de protection de la propriété intellectuelle (voir, en ce sens, avis 1-94, précité, point 68).

Sur la politique commerciale

78 Le Gouvernement portugais soutient que l'article 113 du traité est une base juridique superflue pour la conclusion de l'accord. Pour étayer cette affirmation, il fait valoir que l'article 130 Y constitue un fondement suffisant pour les dispositions de l'accord concernant la politique commerciale étant donné que l'objectif principal de l'accord est la coopération au développement et que la Communauté est dotée de pouvoirs d'actions spécifiques dans le domaine de la politique commerciale commune.

79 A cet égard, il suffit de relever que, à supposer même que cet argument du Gouvernement portugais soit fondé, la conclusion de l'accord requerrait, en tout état de cause, la majorité qualifiée et la consultation du Parlement conformément à l'article 228, paragraphe 2, première phrase, et paragraphe 3, premier alinéa, du traité. Le moyen avancé par le Gouvernement portugais est donc de portée purement formelle, le caractère éventuellement superflu de l'article 113 du traité comme base juridique pour la conclusion de l'accord n'étant pas susceptible d'avoir des conséquences sur la détermination du contenu de l'accord attaqué (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Conseil, précité, point 12, et du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 131-86, Rec. p. 905, point 11).

80 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

81 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil a conclu à la condamnation de la République portugaise aux dépens. Celle-ci ayant succombé en son moyen, il y a lieu de la condamner aux dépens. En application de l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, le Royaume de Danemark, la République hellénique, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, ainsi que la Commission des Communautés européennes, qui sont intervenus au litige, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La République portugaise est condamnée aux dépens.

3) Le Royaume de Danemark, la République hellénique, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et la Commission des Communautés européennes supporteront leurs propres dépens.