Cass. crim., 2 avril 1974, n° 72-92.638
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Combaldieu (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Malaval
Avocat général :
M. Boucheron
Avocats :
Mes Defrénois, Coulet, Jolly
LA COUR : - Cassation sur le pourvoi formé par : X (André) contre un arrêt de la Cour d'appel de Rennes (chambre dés appels correctionnels) du 11 juillet 1972, qui l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 francs d'amende ainsi qu'à dés pénalités fiscales et à dés réparations civiles pour falsification de boissons, ventes de boissons falsifiées, vente de produits portant une appellation d'origine inexacte et infraction à la loi du 26 mars 1930 sur les fausses indications d'origine dés marchandises la cour, vu les mémoires produits tant en demande, qu'en défense;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation dés articles 1 et 3 de la loi du 1er août 1905, 8 de la loi du 6 mai 1919, 2 de la loi du 26 mars 1930, 427 du Code de procédure pénale, 485 et 593 du même Code, violation dés droits de la défense et du décret du 22 janvier 1919, défaut de motifs et manque de base légale, " en ce que malgré l'absence de tout prélèvement d'échantillons et d'analyses contradictoires établissant le bien-fondé dés poursuites de l'administration, l'arrêt attaqué a déclare M X coupable dés infractions qui lui étaient reprochées, aux motifs que le cahier dit " de coupage " révèle une série d'opérations faites en violation dés dispositions du Code du vin et ayant eu pour conséquence de modifier frauduleusement les qualités substantielles du vin vendu par le prévenu, que les mentions dudit cahier de " coupage " sont corroborées par les indications du registre de ferrocyanure de potassium, et que l'absence de prélèvements d'échantillons et d'analyses contradictoires n'entache en rien la régularité dés poursuites;
" alors que toute décision pénale doit contenir, à peine de nullité, les motifs propres à justifier légalement la condamnation qu'elle prononce et que tel est loin d'être le cas en l'espèce, que d'une part, l'article 1er du décret du 22 janvier 1919 précise que les infractions à la loi du 1er août 1905 sont recherchées et constatées conformément aux dispositions dudit décret, c'est-à-dire, notamment par prélèvement et analyses d'échantillons et expertises contradictoires que si l'alinéa 2 du même article dispose que ces prescriptions ne font pas obstacles à ce que la preuve desdites infractions puisse être établie par toutes voies de droit commun, il n'en reste pas moins que l'inobservation dés formalités prescrites par l'alinéa 1er doit être prise en considération lorsque les droits de la défense ont été violés, ce qui est le cas en l'espèce X n'ayant pu, faute de prélèvement, démontrer l'inanité dés accusations portées contre lui, par le service dés fraudes, alors que d'autre part, les droits de la défense ont encore été méconnus par la cour d'appel de même que l'article 427 du Code de procédure pénale, puisqu'elle a fondé sa conviction sur un élément de preuve non versé aux débats, le registre de ferrocyanure de potassium, et alors enfin que bien que les juges doivent répondre aux chefs péremptoires dés conclusions dont ils sont saisis, la cour d'appel a totalement omis de tenir compte dés moyens fort pertinents, invoques par X et démontrant à l'évidence l'absence de toute portée probante du cahier " dit de coupage ";
Vu lesdits articles;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir dés motifs propres à justifier la décision;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, s'étant présentés dans les chais de X, marchand de vins en gros, dés agents du service de la répression dés fraudes y ont découvert dés documents révélateurs selon eux de manipulations interdites qui auraient été effectuées sur les vins mis en vente par ce commerçant; Que les mêmes agents ont en même temps refusé, malgré la proposition qui lui en était faite par X, de procéder à dés prélèvements d'échantillons, en alléguant, " aux termes de l'arrêt, que la plupart dés vins falsifiés avaient été vendus, que pour ceux encore en chai il était impossible d'identifier les cuves objet de manipulation et en alléguant l'incertitude de l'analyse chimique ";
Attendu que pour rejeter le moyen de nullité que X, niant toute falsification, prétendait tirer de ce refus, constituant selon lui une violation dés droits de la défense et retenir à la charge de ce prévenu l'ensemble dés infractions qui lui étaient imputées, l'arrêt énonce que le service de la répression dés fraudes a pu valablement renoncer aux prélèvements proposés par X;
Attendu que cette motivation ne saurait justifier la décision; Qu'en effet si, aux termes de l'article 1er du décret du 22 janvier 1919, les dispositions de ce décret qui instituent une procédure spéciale pour la recherche et la constatation dés infractions à la loi du 1er août 1905 ne fait pas obstacle ç ce que la preuve dés mêmes infractions puisse être établie par toutes voies de droit commun, le refus par les agents de la répression dés fraudes de procéder quand ils le peuvent, sur dés denrées dont la falsification est contestée, aux prélèvements et analyses spécialement prévus par le décret précité, peut être de nature à porter atteinte aux droits de la défense;
Qu'il appartenait dés lors aux juges du fond, pour répondre aux conclusions dont ils étaient saisis, de rechercher, en fonction dés circonstances de la cause, si une partie au moins dés fraudes imputées au prévenu n'auraient pas été susceptibles de donner lieu à la procédure spéciale susmentionnée et si l'utilisation de cette procédure n'avait pas été dans la même mesure abusivement refusée au prévenu, que dans l'affirmative, une distinction devait être faite entre d'une part les infractions dont la poursuite se serait ainsi trouvée initialement viciée, et d'autre part les infractions distinctes ne pouvant être atteintes par ce grief d'irrégularité, soit comme n'étant pas soumises en raison de leur nature juridique aux dispositions du décret du 22 janvier 1919, soit comme n'ayant pu, en raison de leur ancienneté, donner lieu, le jour du procès-verbal à dés prélèvements utiles; d'ou il suit que la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen : Casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes en date du 11 juillet 1972, et pour être statué à nouveau prélèvements à la loi; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Caen.