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Décisions

CJCE, 2e ch., 29 juin 2006, n° C-301/04 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes, SGL Carbon AG, Tokai Carbon Co. Ltd, Nippon Carbon Co. Ltd, Showa Denko KK, GrafTech International Ltd, SEC Corp., The Carbide/Graphite Group Inc.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Timmermans

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

Mme Silva de Lapuerta, MM. Kuris, Arestis, Klucka

Avocat :

Me Klusmann

CJCE n° C-301/04 P

29 juin 2006

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l'annulation du point 2 du dispositif de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission (T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, Rec. p. II-1181, ci-après l'"arrêt attaqué"), en ce qu'il a réduit à la somme de 69 114 000 euro le montant de l'amende infligée à la société SGL Carbon AG (ci-après "SGL Carbon") par la décision 2002-271-CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE - Affaire COMP/E-1/36.490 - Électrodes de graphite (JO 2002, L 100, p. 1, ci-après la "décision litigieuse").

Le cadre juridique

Le règlement n° 17

2 L'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), prévoit:

"1. Dans l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par l'article [85] et par les prescriptions arrêtées en application de l'article [83] du traité, la Commission peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des gouvernements et des autorités compétentes des États membres, ainsi que des entreprises et associations d'entreprises.

2. Lorsque la Commission adresse une demande de renseignements à une entreprise ou association d'entreprises, elle adresse simultanément une copie de cette demande à l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel se trouve le siège de l'entreprise ou de l'association d'entreprises.

3. Dans sa demande, la Commission indique les bases juridiques et le but de sa demande, ainsi que les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, alinéa b), du présent règlement au cas où un renseignement inexact serait fourni.

4. Sont tenus de fournir les renseignements demandés les propriétaires des entreprises ou leurs représentants et, dans le cas de personnes morales, de sociétés ou d'associations n'ayant pas la personnalité juridique, les personnes chargées de les représenter selon la loi ou les statuts.

5. Si une entreprise ou association d'entreprises ne fournit pas les renseignements requis dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission les demande par voie de décision. Cette décision précise les renseignements demandés, fixe un délai approprié dans lequel les renseignements doivent être fournis et indique les sanctions prévues à l'article 15, paragraphe 1, alinéa b), et à l'article 16, paragraphe 1, alinéa c), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

6. La Commission adresse simultanément copie de sa décision à l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel se trouve le siège de l'entreprise ou de l'association d'entreprises."

3 L'article 15 dudit règlement prévoit:

"1. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes d'un montant de cent à cinq mille unités de compte lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

[...]

b) elles fournissent un renseignement inexact en réponse à une demande faite en application de l'article 11, paragraphe 3 ou 5, [...]

[...]

2. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d'un million d'unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l'article [81], paragraphe 1, ou de l'article [82] du traité, [...]

[...]

Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.

[...]"

Les lignes directrices

4 La communication de la Commission intitulée "Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l'article 65 paragraphe 5 du traité CECA" (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les "lignes directrices") énonce dans son préambule:

"Les principes posés par les [...] lignes directrices devraient permettre d'assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l'égard des entreprises qu'à l'égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d'affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s'exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l'amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d'un montant de base auquel s'appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes."

La communication sur la coopération

5 Dans sa communication concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la "communication sur la coopération"), la Commission a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter.

6 Aux termes du point A, paragraphe 5, de cette communication:

"La coopération d'une entreprise avec elle n'est qu'un élément parmi d'autres dont la Commission tient compte dans la fixation du montant d'une amende. [...]"

Les faits à l'origine du litige et la décision litigieuse

7 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a résumé les faits à l'origine du recours engagé devant lui dans les termes suivants:

"1 Par la décision 2002-271-CE [...], la Commission a constaté la participation de diverses entreprises à une série d'accords et de pratiques concertées, au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord sur l'Espace économique européen [du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l''accord EEE')], dans le secteur des électrodes de graphite.

2 Les électrodes de graphite sont utilisées principalement pour la production d'acier dans les fours électriques à arc. La fabrication d'acier au moyen de ces fours consiste essentiellement en un processus de recyclage par lequel des déchets d'acier sont convertis en acier neuf, par opposition au procédé classique de production à partir du minerai de fer dans les hauts-fourneaux à l'oxygène. Neuf électrodes, rassemblées en colonnes de trois, sont utilisées dans le four électrique type pour fondre la ferraille. Étant donné l'intensité du processus de fusion, la consommation d'électrodes atteint environ une unité par tranche de huit heures. La durée de fabrication d'une électrode est d'environ deux mois. Aucun produit n'est substituable aux électrodes de graphite dans le cadre de ce processus de production.

3 La demande d'électrodes de graphite est directement liée à la production d'acier en four électrique à arc. Les principaux clients sont les sidérurgistes, qui représentent environ 85 % de la demande. En 1998, la production mondiale d'acier brut s'est élevée à 800 millions de tonnes, dont 280 millions de tonnes produites dans des fours électriques à arc [...]

[...]

5 Dans les années 80, des améliorations technologiques ont permis une réduction substantielle de la consommation d'électrodes par tonne d'acier produite. L'industrie sidérurgique a également connu un important processus de restructuration pendant cette période. L'affaiblissement de la demande d'électrodes a donné lieu à un processus de restructuration de l'industrie mondiale des électrodes. Plusieurs usines ont été fermées.

6 En 2001, neuf producteurs occidentaux ont approvisionné le marché européen en électrodes de graphite [...]

7 En application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 [...], des fonctionnaires de la Commission ont, le 5 juin 1997, procédé à l'improviste à des vérifications simultanées dans les locaux de [certains des producteurs d'électrodes de graphite].

8 Le même jour, des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) ont procédé, aux États-Unis, à des perquisitions dans les locaux de plusieurs producteurs. À la suite de ces perquisitions, des poursuites pénales ont été engagées contre SGL [...] pour entente délictueuse. Tous les accusés ont plaidé coupables des faits qui leur étaient reprochés et ont accepté de payer des amendes, [fixée] à 135 millions de dollars des États-Unis (USD) pour SGL [...]

[...]

10 Des actions en triples dommages et intérêts (triple damages) ont été intentées contre SGL [...] aux États-Unis pour le compte d'un groupe d'acheteurs.

11 Au Canada, [...] [e]n juillet 2000, SGL a plaidé coupable et accepté de payer une amende de 12,5 millions de CAD pour [...] infraction [à la loi canadienne sur la concurrence]. Des actions civiles ont été intentées contre SGL [...] par des producteurs d'acier au Canada en juin 1998 pour entente délictueuse.

12 La Commission a adressé, le 24 janvier 2000, une communication des griefs aux entreprises incriminées. La procédure administrative a abouti à l'adoption, le 18 juillet 2001, de la décision [litigieuse], par laquelle il est reproché aux entreprises requérantes [...] d'avoir procédé, à l'échelle mondiale, à une fixation des prix ainsi qu'à une répartition des marchés nationaux et régionaux du produit en cause selon le principe du 'producteur domestique': [...] SGL [...] [était responsable pour une partie] de l'Europe; [...]

13 Toujours selon la décision [litigieuse], les principes directeurs de l'entente étaient les suivants:

- les prix des électrodes de graphite devaient être fixés au niveau mondial;

- les décisions relatives aux prix de chaque société devaient être arrêtées exclusivement par le président ou les directeurs généraux;

- le 'producteur domestique' devait fixer le prix du marché sur son 'territoire' et les autres producteurs le 'suivraient';

- en ce qui concerne les marchés 'non domestiques', c'est-à-dire les marchés sur lesquels aucun producteur 'domestique' n'était présent, les prix seraient fixés par consensus;

- les producteurs 'non domestiques' ne devaient exercer aucune concurrence agressive et se retireraient des marchés 'domestiques' des autres;

- la capacité ne devait pas augmenter (les producteurs japonais étaient censés réduire la leur);

- aucun transfert de technologie ne devait avoir lieu en dehors du cercle des producteurs participant au cartel.

14 La décision [litigieuse] poursuit en exposant que lesdits principes directeurs ont été mis en œuvre par des réunions de l'entente qui se tenaient à plusieurs niveaux: réunions 'des patrons', réunions 'de travail', réunions du groupe des producteurs européens (sans les entreprises japonaises), réunions nationales ou régionales consacrées à des marchés spécifiques et contacts bilatéraux entre les entreprises.

[...]

16 Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la décision [litigieuse], la Commission a imposé aux entreprises incriminées des amendes dont le montant a été calculé conformément à la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA [...] ainsi que de la communication concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes [...]

17 L'article 3 du dispositif de la décision [litigieuse] inflige les amendes suivantes:

SGL: 80,2 millions d'euro;

[...]

18 L'article 4 du dispositif ordonne aux entreprises concernées de verser les amendes dans les trois mois à compter de la date de notification de la décision [litigieuse], sous peine de devoir payer des intérêts de 8,04 %."

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

8 SGL Carbon et d'autres entreprises destinataires de la décision litigieuse ont introduit, devant le Tribunal, des recours en annulation à l'encontre de ladite décision.

9 Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a notamment déclaré et arrêté:

"[...]

2) Dans l'affaire T-239-01, SGL Carbon/Commission:

- le montant de l'amende infligée à la partie requérante par l'article 3 de la décision 2002-271 est fixé à 69 114 000 euro;

- le recours est rejeté pour le surplus;

[...]"

10 S'agissant du calcul des amendes infligées, le Tribunal, aux points 401 à 412 de l'arrêt attaqué, a jugé:

"401 Il y a lieu de constater, ensuite, que le motif essentiel pour lequel la Commission n'a accordé à SGL qu'une réduction d'amende de 30 % figure au considérant 174 de la décision [litigieuse]: selon la Commission, une entreprise ne mérite une réduction d'amende que si sa coopération est 'spontanée' et ne s'inscrit pas dans le cadre de l''exercice d'un pouvoir d'investigation'; considérant qu''une partie substantielle des informations fournies [par SGL] constitue en fait la réponse de SGL à la demande formelle de renseignements de la Commission, seules [ont été] considérées comme une contribution spontanée au sens de la communication les informations contenues dans la déclaration qui allaient au-delà de ce qui était demandé au titre de l'article 11'. En outre, SGL n'aurait transmis sa déclaration du 8 juin 1999 qu'après l'envoi d'un rappel dans lequel la Commission se réservait le droit d'adopter une décision formelle en application de l'article 11, paragraphe 5 (considérant 173 de la décision [litigieuse]). Se fondant sur l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission (374-87, Rec. p. 3283, points 27, 28 et 32 à 35), la Commission n'a donc pas récompensé les informations dont elle estimait que SGL devait, en tout état de cause, les lui fournir en réponse à une demande de renseignements ou à une décision ordonnant, sous la menace de sanctions, la communication des renseignements demandés.

402 Dans ce contexte, il convient de souligner que le droit au silence absolu, invoqué par SGL pour soutenir qu'elle ne devait répondre à aucune demande de renseignements, ne peut pas être reconnu. En effet, la reconnaissance d'un tel droit irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits de la défense des entreprises et constituerait une entrave injustifiée à l'accomplissement, par la Commission, de la mission de veiller au respect des règles de concurrence dans le Marché commun. Un droit au silence ne peut être reconnu que dans la mesure où l'entreprise concernée serait obligée de fournir des réponses par lesquelles elle serait amenée à admettre l'existence de l'infraction dont il appartient à la Commission d'établir l'existence (arrêt du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-112-98, Rec. p. II-729, points 66 et 67).

403 Pour préserver l'effet utile de l'article 11 du règlement n° 17, la Commission est, dès lors, en droit d'obliger les entreprises à fournir tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elles peuvent avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les documents y afférents qui sont en leur possession, même si ceux-ci peuvent servir à établir l'existence d'un comportement anticoncurrentiel (voir arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 402 supra, point 65, et la jurisprudence citée).

404 Ce pouvoir de renseignements de la Commission, consacré par les

arrêts Orkem/Commission et Mannesmannröhren-Werke/Commission, respectivement, points 401 et 402 supra, ne se heurte ni à l'article 6, paragraphes 1 et 2, de la CEDH [convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950] (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, précité, point 75) ni à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

405 En effet, si la Cour a jugé [arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commisssion, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, point 274] que, postérieurement à l'arrêt Orkem/Commission, point 401 supra, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le juge communautaire doit tenir compte, a connu de nouveaux développements avec l'arrêt Funke [...] l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996 Recueil des arrêts et décisions, 1996-VI, p. 2044, [paragraphes] 69, 71 et 76) et l'arrêt J. B. c. Suisse du 3 mai 2001 (Recueil des arrêts et décisions, 2001-III, p. 455, [paragraphes] 64 à 71), la Cour n'a pas procédé, dans l'arrêt [Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commisssion], précité, au revirement de sa jurisprudence.

406 En tout état de cause, le fait d'être obligé de répondre aux questions purement factuelles posées par la Commission et de satisfaire aux demandes de celle-ci de production de documents préexistants n'est pas susceptible de violer le principe fondamental du respect des droits de la défense ainsi que celui d'un droit à un procès équitable, qui offrent, dans le domaine du droit de la concurrence, une protection équivalente à celle garantie par l'article 6 de la CEDH. Rien n'empêche, en effet, le destinataire d'une demande de renseignements de démontrer, plus tard dans le cadre de la procédure administrative ou lors d'une procédure devant le juge communautaire, que les faits exposés dans ses réponses ou les documents communiqués ont une autre signification que celle retenue par la Commission (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 402 supra, points 77 et 78).

407 S'agissant ensuite de savoir dans quelle mesure SGL était obligée de répondre, conformément à la jurisprudence susmentionnée, à la demande de renseignements du 31 mars 1999, il y a lieu de constater que, outre les questions purement factuelles et les demandes de production de documents préexistants, la Commission a demandé de décrire l'objet et le déroulement de plusieurs réunions auxquelles SGL aurait participé ainsi que les résultats/conclusions de ces réunions, alors qu'il était clair que la Commission soupçonnait que l'objet desdites réunions était de restreindre la concurrence. Il s'ensuit qu'une telle demande était de nature à obliger SGL à avouer sa participation à une infraction aux règles communautaires de la concurrence.

408 Il en va de même pour les demandes visant à obtenir les protocoles desdites réunions, les documents de travail et les documents de préparation y relatifs, les notes manuscrites s'y rapportant, les notes et conclusions ayant trait à ces réunions, les documents de planification et de discussion ainsi que les projets d'exécution relatifs aux majorations de prix effectuées entre 1992 et 1998.

409 SGL n'ayant pas été tenue de répondre à ce type de questions figurant dans la demande de renseignements du 31 mars 1999, le fait pour elle d'avoir néanmoins fourni des informations sur ces points doit être considéré comme une collaboration volontaire de l'entreprise susceptible de justifier une réduction d'amende en application de la communication sur la coopération.

410 Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'argument de la Commission selon lequel les informations en cause n'ont pas été apportées spontanément, mais en réponse à une demande de renseignements. En effet, le point D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, loin de requérir un acte spontané, pris de la seule initiative de l'entreprise concernée, se contente d'exiger des informations qui contribuent 'à confirmer' l'existence de l'infraction commise. En outre, même le point C, qui concerne une réduction d'amende plus importante que celle visée au point D, permet de récompenser une coopération fournie 'après que la Commission a procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l''entente'. Dès lors, la circonstance qu'une demande de renseignements ait été adressée à SGL, au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, ne saurait être déterminante pour minimiser la coopération fournie par l'entreprise, au titre du point D, paragraphe 2, premier tiret, de la communication sur la coopération, d'autant moins qu'une telle demande est un acte moins contraignant qu'une vérification effectuée sur la base d'une décision.

411 Il s'ensuit que la Commission a méconnu l'importance de la coopération apportée par SGL dans ce contexte.

412 Dans la mesure où la Commission reproche à SGL de lui avoir donné une réponse incomplète à la question de savoir quelles étaient les entreprises que SGL avait informées de l'imminence des vérifications de la Commission en juin 1997, il est vrai que, par lettre du 30 juillet 1997, SGL a limité son aveu à VAW et à une autre entreprise, sans indiquer qu'elle avait aussi informé UCAR. Toutefois, la Commission a elle-même souligné que l'avertissement donné par SGL renforçait la gravité de l'infraction, donnait lieu à une amende dont l'effet dissuasif était plus important que normalement et justifiait d'être retenue comme circonstance aggravante, ce comportement de SGL ayant créé les conditions nécessaires au maintien du cartel en activité et à la prolongation de ses effets néfastes. Il s'avère donc que SGL n'aurait pas été tenue d'indiquer à la Commission qu'elle avait averti d'autres entreprises. En effet, ces informations étaient susceptibles d'aggraver la sanction que la Commission allait imposer à SGL. La Commission a donc, également sur ce point, méconnu le comportement de SGL en lui reprochant d'avoir fourni une réponse incomplète."

Les conclusions des parties devant la Cour

11 La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'arrêt attaqué en ce qui concerne le point 2 de son dispositif;

- condamner SGL Carbon aux dépens.

12 SGL Carbon conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le pourvoi;

- condamner la Commission aux dépens.

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

13 Par lettre parvenue à la Cour le 24 février 2006, SGL Carbon a, en vertu de l'article 61 du règlement de procédure de la Cour, demandé la réouverture de la procédure orale.

14 Au soutien de ladite demande, SGL Carbon fait valoir que les conclusions de M. l'avocat général dans le présent pourvoi ne reproduiraient pas toujours de manière correcte l'exposé des faits des parties ainsi que les constatations du Tribunal. Elles contiendraient également des arguments et des suppositions qui n'ont pas été avancés jusqu'ici par les parties dans leurs mémoires respectifs et qui ne faisaient pas l'objet de l'audience. Ces conclusions ne pourraient donc pas préparer suffisamment au jugement, mais appelleraient exceptionnellement des observations supplémentaires avant que la Cour ne statue définitivement.

15 À cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que le statut de la Cour de justice et le règlement de procédure de celle-ci ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l'avocat général (voir, notamment, ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C-17-98, Rec. p. I-665, point 2).

16 En ce qui concerne l'argumentation avancée par SGL Carbon, il convient de relever que la Cour peut d'office ou sur proposition de l'avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l'article 61 de son règlement de procédure, si elle estime qu'elle est insuffisamment éclairée ou que l'affaire doit être tranchée sur la base d'un argument qui n'a pas été débattu entre les parties (voir notamment, arrêts du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling, C-209-01, Rec. p. I-13389, point 19, ainsi que du 17 juin 2004, Recheio - Cash & Carry, C-30-02, Rec. p. I-6051, point 12).

17 En l'occurrence, la Cour considère qu'elle dispose de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer sur le présent pourvoi.

18 Dès lors, il n'y a pas lieu d'ordonner la réouverture de la procédure orale.

Sur le pourvoi

19 La Commission fait valoir que les points 401 à 412 de l'arrêt attaqué comportent des violations du droit communautaire, en particulier de l'article 15 du règlement n° 17, en liaison avec l'article 11de celui-ci, ainsi que de la communication sur la coopération. Elle estime que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans son appréciation des réponses données par SGL Carbon aux demandes de renseignements de la Commission quant à une éventuelle réduction du montant de l'amende. En outre, l'arrêt attaqué, sur ces points, serait entaché de défauts de motivation. Au soutien de ses conclusions, la Commission divise son unique moyen en deux branches.

20 SGL Carbon estime que, à l'instar des appréciations effectuées par le Tribunal, la demande de renseignements de la Commission du 30 juin 1997 ainsi que les première à cinquième questions et la septième question, deuxième tiret, de celle du 31 mars 1999 allaient au-delà des compétences de la Commission en matière d'investigation. En effet, lesdites demandes auraient été contraires au droit de ne pas s'accuser elle-même (nemo tenetur se ipsum accusare). Par conséquent, sur le fondement de la communication sur la coopération, il aurait fallu réduire encore l'amende d'au moins 8 %. En tout état de cause, l'arrêt du Tribunal ne serait, sur ce point, entaché d'aucune erreur d'appréciation.

Première branche: la demande de renseignements du 31 mars 1999

- Argumentation des parties

21 La Commission considère que l'arrêt attaqué, à ses points 408 et 409, est entaché de plusieurs erreurs de droit en ce qui concerne l'interprétation de l'article 15 du règlement n° 17, en liaison avec l'article 11, de celui-ci ainsi qu'avec la communication sur la coopération. En effet, elle serait toujours en droit de demander la production de documents et une telle demande ne violerait pas les droits de la défense.

22 La Commission souligne que les points évoqués dans la demande de renseignements du 31 mars 1999 portaient sur la "production" de documents se trouvant en possession de SGL Carbon et qu'il ne s'agissait pas de questions visant à obtenir une "réponse" de cette dernière. Dans ces conditions, la conclusion du Tribunal selon laquelle certains éléments de ladite demande étaient de nature à obliger SGL à avouer sa participation à une infraction ne saurait s'appliquer aux demandes visant à obtenir des documents existants.

23 La Commission affirme qu'une demande de documents existants est toujours conciliable avec les droits de la défense, même si ceux-ci peuvent servir à établir l'existence d'un comportement anticoncurrentiel, ainsi que le Tribunal l'a explicitement souligné aux points 403, 406 et 407 de l'arrêt attaqué. Le Tribunal aurait donc méconnu la jurisprudence de la Cour et contredit ses propres conclusions.

24 Selon la Commission, le Tribunal aurait dû établir dans quelle mesure SGL Carbon s'était effectivement conformée aux différents points de la demande de renseignements que le Tribunal a spécifiquement contestés, en produisant les documents y cités. Or, il ressortirait de la réponse de cette entreprise du 8 juin 1999 que ce n'était pas le cas. Au contraire, SGL Carbon aurait indiqué dans ladite réponse qu'elle ne détenait pas de documents du type de ceux demandés.

25 La Commission en déduit que les éléments en cause dans la demande de renseignements du 31 mars 1999 ne sont pas susceptibles de donner lieu à une réduction de l'amende plus importante que celle déjà accordée. En effet, elle aurait pris en compte la circonstance que SGL Carbon, malgré l'absence des documents réclamés, s'était efforcée de contribuer à l'élucidation des faits. Les seuls éléments qu'elle n'aurait pas pris en considération pour déterminer ladite réduction seraient ceux qui constituaient la réponse de SGL Carbon à la demande formelle de renseignements. En revanche, elle aurait fait entrer en ligne de compte des informations qui allaient au-delà de ce qui était demandé au titre de l'article 11 du règlement n° 17 pour réduire de 30 % le montant de l'amende infligée.

26 Or, d'après la Commission, le Tribunal aurait néanmoins considéré à tort, au point 409 de l'arrêt attaqué, que SGL Carbon s'est conformée à la demande de renseignements portant sur lesdits éléments en tant que tels et que la Commission n'a pas tenu compte de cette contribution.

27 La Commission ajoute que l'arrêt attaqué est également affecté d'un défaut de motivation. En effet, les points 408 et 409 dudit arrêt sont manifestement en contradiction avec les points 403, 406 et 407 du même arrêt, dans lesquels le Tribunal a repris les critères énoncés dans la jurisprudence de la Cour. En outre, le Tribunal n'aurait pas exposé comment, compte tenu, d'une part, du libellé de la réponse de SGL Carbon du 8 juin 1999 et, d'autre part, de la décision litigieuse, il a pu parvenir à la conclusion que cette entreprise avait apporté à l'enquête de la Commission une contribution dont celle-ci n'a pas tenu compte.

28 SGL Carbon expose que l'intégralité des éléments figurant dans son mémorandum du 8 juin 1999 ainsi que ses réponses à la demande de renseignements du 30 juin 1997 devaient être considérées comme des contributions synonymes de coopération, étant donné qu'il ne saurait être opéré de distinction entre l'aveu explicite de l'infraction et des faits ou la présentation de documents constitutifs d'une preuve de l'infraction.

29 SGL Carbon fait valoir que les première à cinquième questions ainsi que la septième question, deuxième tiret, de la demande de renseignements du 31 mars 1999 n'avaient pas seulement pour objectif de la contraindre à avouer l'infraction, mais devaient en outre l'inciter à communiquer des éléments prouvant sa propre infraction. Or, elle ne pouvait, conformément à la jurisprudence de la Cour et à celle de la Cour européenne des droits de l'homme, être contrainte de répondre à ces questions. Dans ces conditions, le fait qu'elle ait spontanément communiqué les informations et les éléments demandés devrait être considéré comme une contribution justifiant une réduction de l'amende.

30 À titre subsidiaire, c'est-à-dire au cas où la Cour n'admettrait pas l'existence d'un droit illimité au silence, SGL Carbon estime que l'arrêt du Tribunal n'est pas contraire à la jurisprudence de la Cour en la matière. En effet, une entreprise ne saurait être obligée de donner des réponses consistant à avouer l'existence d'une infraction dont la preuve doit être apportée par la Commission. Au sens de cette jurisprudence, l'arrêt du Tribunal serait fondé, celui-ci ayant considéré comme un élément entraînant la réduction de l'amende, en application de l'examen requis au regard des règles de fond, le fait que SGL Carbon ait répondu à la demande de renseignements du 31 mars 1999 au-delà de ce qu'elle était tenue de faire.

31 SGL Carbon conclut que, si une entreprise interrogée présente - sans y être obligée - des documents probants dans le domaine considéré, il s'agit, au sens de la communication sur la coopération, d'une initiative qui doit être reconnue comme telle, comme l'aurait jugé à juste titre le Tribunal au point 409 de l'arrêt attaqué. Le Tribunal aurait en effet, à bon droit, mis en évidence que l'appréciation de la coopération consiste à identifier la valeur ajoutée matérielle apportée de manière spontanée

32 SGL Carbon précise en outre qu'il importe peu, dans ce contexte, de savoir s'il y avait une demande de renseignements antérieure. En effet, il y aurait lieu de s'interroger sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, l'élément matériel apporté devait ou non être révélé. Dans la mesure où ce n'était pas le cas, même une réponse à une demande de renseignements pourrait être spontanée et donc pertinente du point de vue d'une coopération de l'entreprise en question.

Appréciation de la Cour

33 La première branche du moyen soulève, pour l'essentiel, la question de savoir si SGL Carbon était tenue de fournir la totalité des documents demandés par la Commission dans sa demande de renseignements du 31 mars 1999 et, par conséquent, celle de savoir si les appréciations faites par le Tribunal sur cette question, aux points 408 et 409 de l'arrêt attaqué, sont conformes au droit.

34 Par conséquent, il convient de déterminer si la réponse donnée par SGL Carbon à cette demande de la Commission s'analysait en une coopération volontaire ou en l'exécution d'une obligation.

35 S'agissant du contenu de la demande susvisée, il y a lieu de relever que la Commission avait sollicité, entre autres, des documents relatifs à l'objet et au déroulement de réunions auxquelles SGL Carbon avait participé ainsi que les pièces écrites concernant les résultats ou les conclusions de ces réunions. Ces documents étaient décrits par la Commission comme des copies de convocations, d'agenda, de listes de participants, de notes manuscrites, de documents de travail, de documents préparatoires et de documents de mise en œuvre concernant des majorations de prix.

36 Le Tribunal a, au point 408 de l'arrêt attaqué, jugé que, en ce qui concerne le droit pour l'entreprise de refuser la production de documents susceptibles de comporter une reconnaissance de l'infraction, il "en va de même pour les demandes visant à obtenir les protocoles desdites réunions, les documents de travail et les documents de préparation y relatifs, les notes manuscrites s'y rapportant, les notes et les conclusions ayant trait à ces réunions, les documents de planification et de discussion ainsi que les projets d'exécution relatifs aux majorations de prix effectuées entre 1992 et 1998".

37 Le Tribunal a, au point 409 de l'arrêt attaqué, considéré à cet égard que SGL Carbon n'était "pas [...] tenue de répondre à ce type de questions". Il a donc estimé que, dans la mesure où la Commission ne pouvait pas la contraindre à fournir les pièces demandées, la réponse donnée par l'entreprise devait être considérée comme une "collaboration volontaire".

38 Ces appréciations du Tribunal sont entachées d'erreurs de droit.

39 Il convient de rappeler d'abord que, conformément à l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, dans l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées en la matière, la Commission peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des gouvernements et des autorités compétentes des États membres, ainsi que des entreprises et des associations d'entreprises. Aux termes du paragraphe 4 dudit article, sont tenus de fournir les renseignements demandés les propriétaires des entreprises ou leurs représentants et, dans le cas de personnes morales, de sociétés ou d'associations n'ayant pas la personnalité juridique, les personnes chargées de les représenter selon la loi ou les statuts.

40 Quant aux pouvoirs de la Commission pour formuler de telles demandes, il importe de rappeler que, au point 27 de l'arrêt Orkem/Commission, précité, la Cour a souligné que le règlement n° 17 ne reconnaît à l'entreprise faisant l'objet d'une mesure d'investigation en vertu dudit règlement aucun droit de se soustraire à l'exécution de cette mesure et que l'entreprise en question est, au contraire, soumise à une obligation de collaboration active, qui implique qu'elle tienne à la disposition de la Commission tous les éléments d'information relatifs à l'objet de l'enquête.

41 En ce qui concerne la question de savoir si cette obligation s'applique également à des demandes d'informations susceptibles d'être utilisées pour établir, à l'encontre de l'entreprise qui les fournit, l'existence d'une infraction aux règles de concurrence, la Cour a, au point 34 dudit arrêt, jugé que, afin de préserver l'effet utile de l'article 11, paragraphes 2 et 5, du règlement n° 17, la Commission est en droit d'obliger cette entreprise à fournir tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elle peut avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les documents y afférents qui sont en sa possession, même si ceux-ci peuvent servir à établir, à son encontre ou à l'encontre d'une autre entreprise, l'existence d'un comportement anticoncurrentiel.

42 En revanche, tout autre est la situation dans laquelle la Commission cherche à obtenir des réponses de la part d'une entreprise faisant l'objet d'une enquête par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l'existence de l'infraction dont il appartient à la Commission d'établir la preuve (voir arrêt Orkem/Commission, précité, point 35).

43 Il y a lieu d'ajouter que la Cour a, aux points 274 à 276 de l'arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, observé que, postérieurement à l'arrêt Orkem/Commission, précité, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le juge communautaire doit tenir compte dans son interprétation des droits fondamentaux, a connu de nouveaux développements. La Cour a cependant indiqué à cet égard que ces développements n'étaient pas de nature à mettre en cause les considérations de principe énoncées dans ledit arrêt Orkem/Commission.

44 Il ne découle pas de cette jurisprudence que les pouvoirs d'enquête de la Commission ont été limités en ce qui concerne la production de documents qui se trouvent en possession d'une entreprise faisant l'objet d'une enquête. Il s'ensuit que l'entreprise concernée doit, si la Commission le lui demande, lui fournir lesdits documents qui ont trait à l'objet de l'enquête, même si ces pièces pourraient être utilisées par la Commission afin d'établir l'existence d'une infraction.

45 Il importe de rappeler également que le Tribunal lui-même a, au point 405 de l'arrêt attaqué, explicitement renvoyé aux principes posés dans l'arrêt Orkem/Commission, précité, ainsi qu'au fait que la Cour n'a pas procédé à un revirement de sa jurisprudence en la matière.

46 Le Tribunal a cependant considéré, dans la suite de son raisonnement, que la demande de renseignements de la Commission du 31 mars 1999 était de nature à obliger SGL Carbon à avouer sa participation relative à des infractions aux règles communautaires de la concurrence.

47 Or, cette appréciation du Tribunal méconnaît la portée de l'article 11 du règlement n° 17, tel qu'interprété par la Cour, et, partant, affaiblit le principe de coopération qui incombe aux entreprises faisant l'objet d'une enquête de la Commission.

48 En effet, cette obligation de coopération ne permet pas à l'entreprise de se soustraire à des demandes de production de documents au motif que, en y donnant suite, elle serait contrainte de témoigner contre elle-même.

49 Par ailleurs, et comme le relève à juste titre M. l'avocat général au point 67 de ses conclusions, s'il est évident que les droits de la défense doivent être respectés, l'entreprise concernée est encore en mesure, soit durant la procédure administrative, soit au cours de la procédure devant les juridictions communautaires, de soutenir que les documents présentés ont un sens autre que celui que leur attribue la Commission.

50 Ainsi, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les conditions pour une réduction de l'amende en vertu de la communication sur la coopération étaient remplies.

51 La première branche du moyen est dès lors fondée.

Seconde branche: la demande de renseignements du 30 juin 1997

Argumentation des parties

52 La Commission allègue que le point 412 de l'arrêt attaqué est entaché de plusieurs erreurs de droit. En effet, le Tribunal aurait prêté à la Commission un point de vue que celle-ci n'a pas soutenu et il n'aurait pas examiné les arguments qu'elle avait développés dans ses observations, ce qui constituerait un défaut de motivation.

53 La Commission souligne qu'elle n'a jamais prétendu avoir limité l'allègement accordé à SGL Carbon au titre de la communication sur la coopération au motif que cette entreprise n'aurait pas cité toutes les entreprises qu'elle avait averties de l'imminence d'un contrôle. La Commission n'aurait, au contraire, pas accordé de majoration de la réduction de l'amende parce qu'elle considérait que la réponse effectivement donnée par SGL Carbon n'allait pas au-delà de son obligation de coopérer, conformément à l'article 11 du règlement n° 17.

54 La Commission soutient que la question qu'elle a posée n'allait pas au-delà de ses pouvoirs d'enquête et donc que la réponse donnée n'allait pas au-delà de ce qui était demandé en vertu de l'article 11 du règlement n° 17. Il n'y avait, par conséquent, aucune raison de réduire l'amende au titre de la communication sur la coopération. De plus, le fait que la réponse de SGL Carbon était incomplète et trompeuse constituait une raison supplémentaire de ne pas offrir de réduction de l'amende en application de ladite communication.

55 De l'avis de la Commission, le Tribunal n'aurait pas non plus répondu à l'argument subsidiaire selon lequel SGL Carbon aurait omis d'évoquer, dans sa réponse à la demande de renseignements du 30 juin 1997, les éléments les plus importants qui ont abouti à une majoration de l'amende en raison de l'existence d'une circonstance aggravante. Ainsi que le Tribunal l'aurait reconnu lui-même, seules des contributions effectives à l'enquête de la Commission pouvaient donner lieu à une réduction de l'amende

56 La Commission relève également qu'une réduction pour une "non-contribution excusable" serait, si le Tribunal l'avait envisagée, en toute hypothèse incompatible avec l'article 15 du règlement n° 17 et avec la communication sur la coopération. En effet, selon les principes qui régissent l'application de ces dispositions, une réduction ne serait justifiée que si le comportement de l'entreprise a permis à la Commission de constater l'existence d'une infraction avec moins de difficultés et, le cas échéant, d'y mettre fin.

57 La Commission soutient que, si le Tribunal a considéré que la réponse effectivement donnée par SGL Carbon, à savoir qu'elle a averti une autre entreprise des vérifications imminentes, aurait dû donner lieu à une réduction de l'amende, il a commis une violation de l'article 15 du règlement n° 17, en liaison avec l'article 11 de celui-ci, et de la communication sur la coopération. En effet, la Commission ne serait pas tenue d'accorder une réduction de l'amende du seul fait qu'une entreprise s'est conformée à une demande de renseignements si celle-ci respecte les limites établies par la jurisprudence de la Cour. Or, tel serait le cas en l'espèce, puisque la demande du 30 juin 1997 aurait visé à obtenir des renseignements sur des faits et n'aurait pas amené SGL Carbon à admettre l'existence de l'infraction.

58 La Commission reconnaît que le fait d'avertir une autre entreprise n'était pas constitutif d'une infraction à l'article 81 CE et indique que le Tribunal a jugé lui-même que ces avertissements ne constituaient pas une violation de cette disposition. Le Tribunal aurait considéré cependant que les informations en cause étaient susceptibles d'aggraver la sanction que la Commission allait imposer à SGL Carbon. Il en aurait conclu, au point 412 de l'arrêt attaqué, que cette entreprise n'était pas tenue d'informer la Commission qu'elle avait averti d'autres entreprises de l'imminence d'une vérification. Or, ce faisant, le Tribunal aurait méconnu le sens de la jurisprudence en la matière.

59 Pour la Commission, la question déterminante consiste à savoir si la réponse demandée anticipe en soi sur la conclusion qu'il existe une infraction, de sorte que l'entreprise s'exposerait à une sanction du seul fait de cette réponse. Or, le fait d'avertir un autre opérateur économique de l'imminence d'une vérification n'exposerait pas en soi l'entreprise à se voir reprocher une infraction ou à des sanctions. La circonstance, relevée par le Tribunal, que la Commission a considéré cet avertissement comme un facteur aggravant n'y changerait rien. En effet, pour parvenir à cette conclusion, la Commission aurait d'abord dû établir la preuve de l'infraction, et l'information relative à l'avertissement ne serait pas de nature à remplacer cette preuve.

60 La Commission soutient en outre que le fait qu'elle ait retenu une circonstance aggravante ne participe pas de la constatation des faits constitutifs de l'infraction, mais de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lors de la détermination du montant de l'amende. Par ailleurs, la circonstance que l'information fournie ait été susceptible de contribuer à établir la preuve de l'infraction en tant qu'élément de fait est sans pertinence.

61 La Commission conclut que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la réponse donnée par SGL Carbon selon laquelle elle avait averti une autre entreprise des vérifications imminentes aurait dû donner lieu à une réduction de l'amende. Cette interprétation serait contraire à l'article 15 du règlement n° 17 en liaison avec l'article 11 de celui-ci, et à la communication sur la coopération. Par ailleurs, l'arrêt attaqué serait contradictoire sur ce point, comme il le serait en ce qui concerne la production de documents préexistants. En effet, se fondant sur la jurisprudence de la Cour, le Tribunal aurait rappelé les critères pertinents aux points 402 à 406 de l'arrêt attaqué, mais ne les aurait pas appliqués.

62 SGL Carbon considère que le Tribunal a jugé à juste titre, au point 412 de l'arrêt attaqué, que la demande de renseignements de la Commission du 30 juin 1997 n'était pas légitime. SGL Carbon aurait en effet admis spontanément qu'elle avait averti certaines entreprises des vérifications imminentes et la Commission aurait dû prendre cet aveu en considération dans le cadre de l'appréciation d'une coopération.

63 Cette entreprise soutient que l'argumentation de la Commission doit être rejetée comme irrecevable dans la mesure où ni celle-ci ni le Tribunal n'ont constaté l'existence d'un accord en vue de la destruction de documents. La Commission ne saurait, dans le cadre d'un pourvoi, avancer de nouveaux éléments de fait.

64 SGL Carbon fait valoir que ladite demande de renseignements n'avait pas de fondement juridique étant donné que les avertissements à d'autres entreprises ne relèvent pas des comportements anticoncurrentiels prohibés par l'article 81 CE. Les droits que l'article 11 du règlement n° 17 confère à la Commission n'habiliteraient en effet pas celle-ci à poser des questions sur des éléments de fait non visés par cette disposition. Toutefois, à supposer que ces avertissements étaient susceptibles de constituer des circonstances aggravantes, le fait de les avoir reconnus devrait être qualifié d'"élément de coopération".

65 SGL Carbon considère que, en toute hypothèse, le Tribunal a constaté à juste titre qu'elle n'était pas tenue de révéler à la Commission qu'elle avait prévenu d'autres entreprises de l'existence de vérifications imminentes.

Appréciation de la Cour

66 Il importe de rappeler à titre liminaire que, dans sa demande de renseignements du 30 juin 1997, la Commission avait demandé à SGL Carbon de lui indiquer, entre autres, le nom des entreprises de l'industrie des électrodes de graphite qu'elle avait averties de la possibilité d'être soumises à des mesures d'enquête de la Commission.

67 Il convient de noter que le Tribunal a observé, au point 412 de l'arrêt attaqué, que cette entreprise n'était pas tenue d'informer la Commission, à la suite de ladite demande, qu'elle avait averti d'autres entreprises et que la Commission n'aurait pu contraindre SGL Carbon à y répondre. Le Tribunal a conclu, au même point de l'arrêt attaqué, que la Commission avait méconnu le comportement de SGL Carbon en lui reprochant d'avoir fourni une réponse incomplète.

68 Afin d'apprécier le bien-fondé de ce raisonnement du Tribunal, il y a lieu de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence récente de la Cour qu'une réduction au titre de la communication sur la coopération ne saurait être justifiée que lorsque les informations fournies et, plus généralement, le comportement de l'entreprise concernée pourraient à cet égard être considérés comme démontrant un véritable esprit de coopération de sa part (voir arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, points 388 à 403, en particulier point 395).

69 Or, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 78 de ses conclusions, bien que SGL Carbon n'ait pas été obligée de répondre à la question posée par la Commission, elle y a répondu de manière incomplète et trompeuse. Dès lors, ce comportement de SGL Carbon ne saurait être considéré comme le reflet d'un esprit de coopération au sens de l'arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité.

70 Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en jugeant que SGL Carbon remplissait, du fait de son comportement, les conditions pour une éventuelle réduction de l'amende au titre de la communication sur la coopération. Le point 412 de l'arrêt attaqué est dès lors également entaché d'une erreur de droit. Il s'ensuit que la seconde branche du moyen est fondée.

Sur les conséquences de l'annulation de l'arrêt attaqué

71 Conformément à l'article 61 du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue.

72 La Cour estime que, dans la présente espèce, les conditions sont remplies pour qu'elle puisse statuer définitivement.

73 Il importe de rappeler que le Tribunal a accordé à SGL Carbon une réduction supplémentaire de 10 % au titre du point D, paragraphe 2, de la communication sur la coopération, mais l'a par la suite réduite à 8 % en raison du comportement de ladite entreprise. Cette réduction de 8 % était destinée à récompenser SGL Carbon pour ses réponses à la question posée par la Commission, qui était considérée comme allant au-delà de la compétence de la Commission, lesquelles ont été qualifiées par le Tribunal de comportement tombant dans le champ d'application de la communication sur la coopération.

74 Or, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé aux points 69 et 82 de ses conclusions, seul un élément mineur des questions posées par la Commission, à savoir celui relatif à l'objet et au résultat des réunions de SGL Carbon avec d'autres entreprises, allait au-delà de ce à quoi celle-ci pouvait contraindre cette entreprise à répondre.

75 La Cour fait remarquer que cet élément équivaut à un cinquième des informations réclamées par la Commission.

76 Dans ces conditions, la Cour considère qu'une réduction supplémentaire totale de 4 % en plus de celle de 30 % accordée par la Commission est justifiée.

77 Il convient donc de fixer l'amende à 75,7 millions d'euro.

Sur les dépens

78 Aux termes de l'article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. En vertu de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, dudit règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de SGL Carbon et cette dernière ayant succombé en l'essentiel de ses moyens dans le cadre du pourvoi, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1) Le point 2, premier tiret, du dispositif de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission (T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01), est annulé.

2) Le montant de l'amende infligée à la société SGL Carbon AG par l'article 3 de la décision 2002-271-CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE - Affaire COMP/E-1/36.490 - Électrodes de graphite, est fixé à 75,7 millions d'euro.

3) SGL Carbon AG est condamnée aux dépens de la présente instance.