Cass. crim., 16 juin 1970, n° 69-91.825
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Desaché, Coulet, Coutard, Ryziger
LA COUR : - Rejet et amnistie sur le pourvoi de X (André), agissant en son nom personnel et ses qualités de gérant de la Y, contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 14 mai 1969, qui, pour infractions à la loi du 1er août 1905 et à la loi du 6 mai 1919, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende, a déclaré la Y, civilement responsable et a accordé des réparations aux parties civiles; - La cour, vu les mémoires produits en demande et en défense;
Sur les premier et deuxième moyens de cassation : - Le premier, pris de la violation de l'article 3 de la loi du 1er août 1905, 7 de la loi du 20 avril 1810, insuffisance de motifs, manque de base légale, en ce que la décision attaquée qui constate seulement que des prélèvements de vin auraient été effectués à la société de diffusion de vins spiritueux français et étrangers et qui constate que certains des vins ainsi prélevés considérés comme Porto auraient subi une falsification par addition de cerise, a déclaré X convaincu et coupable d'avoir à Paris, dans le courant de l'année 1962, en tout cas depuis temps non prescrit, exposé, mis en vente et vendu du vin de Porto qu'il savait falsifié notamment par addition d'infusion de cerise;
Alors que l'exposition, la mise en vente ou la vente d'un produit falsifié est un élément caractéristique du délit prévu et réprimé par l'article 3 de la loi du 1er août 1905, et que la décision attaquée qui constate seulement une prétendue falsification portant sur des échantillons prélevés dans les chais de la Y n'a pas caractérisé le délit retenu à la charge d'X;
Le deuxième, pris de la violation de l'article 3 de la loi du 1er août 1905 de l'article 593 du Code de procédure pénale, en ce que la décision attaquée, après avoir énoncé que l'expertise effectuée par le laboratoire central du ministère de l'Agriculture aurait conclu que les vins de Porto détenus par les demandeurs étaient en réalité des vins de liqueur préparée avec une infusion alcoolique de cerise et de sureau;
Que l'expertise contradictoire ordonnée par le magistrat instructeur aurait estimé que les échantillons n° 1645 et 1646 correspondaient à du vin de Porto mais que le prélèvement n° 1623 ne paraît pas être un véritable Porto mais plus vraisemblablement un vin de liqueur aromatisée, qu'une surexpertise aurait abouti en ce qui concerne le Porto prélevé au siège de la société gérée par X à la conclusion que ce Porto contenait de l'aldéhyde benzoïque et était additionné d'infusion de cerise, et qu'à ces conclusions suffisamment précises et parfaitement concordantes concernant ce Porto s'ajoutant a des constatations faites par des enquêteurs, X se serait contente d'opposer de simples dénégations et différentes allégations qui n'étaient assorties d'aucun élément utile, de telle sorte qu'apparaîtrait dès lors établie de ce chef l'inculpation de fraude;
Alors que la cour n'a pu, sans se contredire, déclarer que les conclusions des experts étaient parfaitement concordantes, puisque, au contraire, il apparaît des différences et des contradictions entre les opinions des différents experts;
Alors d'autre part que la cour n'a pu sans dénaturer le rapport de l'expertise contradictoire ordonnée par le juge d'instruction, déclarer qu'il résultait de celles-ci que le prélèvement n° 1623 ne paraissait pas être un vin véritable de Porto mais plus vraisemblablement un vin de liqueur aromatisé, le rapport ayant conclu effectivement en ce sens du point de vue dégustation, mais ayant conclu du point de vue de l'analyse que les trois échantillons dont le n° 1623 présentaient des compositions acceptables pour des portos;
Les deux moyens étant réunis : - Attendu qu'après avoir exposé que des agents du service de la Répression des Fraudes et des contributions indirectes, procédant au contrôle de l'entreprise exploitée par la Y, dirigée par X, avaient opéré différents prélèvements de vins préparés en vue de la vente sous la dénomination de vins de Porto, l'arrêt attaqué, examinant les résultats de plusieurs expertises, énoncé qu'il résultait tant des analyses effectuées par le laboratoire central du ministère de l'Agriculture que de l'expertise contradictoire ordonnée par le juge d'instruction que le prélèvement n° 1623 ne paraissait pas être un véritable Porto, mais plus vraisemblablement un vin de liqueur aromatisé; Que ledit arrêt précise encore qu'une nouvelle expertise devait aboutir, en ce qui concerne ce même Porto prélevé au siège de la société, à la conclusion que ce Porto, contenant de l'aldéhyde benzoïque, était additionné d'infusion de cerise;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, qui ne relèvent aucune contradiction dans les conclusions des experts, et desquelles il résulte que la boisson, entreposée dans un local commercial, sur laquelle les prélèvements ont été opérés, était destinée a être vendue sous la dénomination frauduleuse de vin de Porto, c'est à bon droit que la cour d'appel a considéré qu'il s'agissait, non pas d'une simple détention, mais bien d'une exposition et d'une mise en vente constitutives du délit prévu par l'article 3, paragraphe 2 de la loi du 1er août 1905; d'où il suit que les deux premiers moyens doivent être rejetés;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 12 de la loi du 6 mai 1919, 593 du Code de procédure pénale, en ce que la décision attaquée a déclaré le demandeur coupable de non tenue de compte spécial prévu par l'article 12 de la loi du 6 mai 1919 par le seul motif adopté des premiers juges qu'il aurait cessé de tenir le registre des appellations d'origine depuis 1960 et qu'il ne pourrait se contenter de porter des indications suffisantes sur le compte établi par la régie, qu'en effet la tenue d'un compte spécial serait obligatoire;
Alors que si toute personne faisant le commerce en gros des vins, vins doux naturels, vins de liqueur et eaux-de-vie est soumise pour les produits achetés ou vendus avec appellation d'origine française à la tenue d'un compte spécial d'entrée et de sortie, arrêté mensuellement par nature de produit et tenu sur place à la disposition des employés des contributions indirectes, aucune prescription règlementaire sur la tenue de ce compte n'implique qu'il ne puisse être tenu en même temps que le compte normal de régie, dès lors qu'il permet d'exercer un contrôle;
Attendu que le jugement, dont l'arrêt attaqué adopte les motifs sur ce point, énoncé que, depuis l'année 1960, le prévenu, qui le reconnaît, n'a pas tenu, ainsi qu'il y était obligé, le registre du compte spécial des entrées et des sorties, et que, contrairement à ce qu'il soutenait dans ses conclusions, il ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité pénale en prétendant qu'il portait des indications suffisantes sur le compte établi pour la régie;
Attendu qu'ainsi les juges du fond ont relevé l'existence de l'infraction a l'article 12 de la loi du 6 mai 1919, repris par l'article 278 du Code des vins, selon lequel toute personne faisant le commerce en gros des vins doux naturels et des vins de liqueur est obligatoirement soumise a la tenue d'un compte spécial d'entrées et de sorties; Qu'à cet égard l'existence d'autres registres règlementaires ne pouvait suppléer à l'absence du compte spécial prévu par le texte de loi susvisé; Que dès lors, ce troisième moyen doit être également rejeté;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2 et 3 du Code de procédure pénale, 593 du même Code : - En ce que la décision attaquée a condamné le demandeur à verser à l'Association Nationale des importateurs de vins de Porto et de madère et à l'Institut de vin de Porto ainsi qu'à la confédération nationale des vins et spiritueux et à la Confédération Nationale des vins doux naturels et de liqueur et appellation d'origine agricole, des dommages-intérêts par le motif en ce qui concerne la confédération nationale des vins et spiritueux, qu'elle serait l'émanation des syndicats professionnels, et en ce qui concerne les autres parties civiles que leur objet serait précisément la défense des intérêts professionnels du commerce des vins;
Alors que seules les personnes morales subissant un préjudice prenant sa source directe dans l'infraction peuvent se constituer partie civile et obtenir des dommages intérêts, et qu'en l'espèce actuelle, la décision attaquée, qui n'a pas précise la nature du préjudice, ni même ce que représentait l'Institut du vin de Porto et sous quelle forme il était constitué, n'a pas légalement justifié l'allocation de dommages intérêts;
Attendu que, pour déclarer recevables les constitutions des parties civiles et allouer à celles-ci des dommages intérêts, les juges du fond énoncent : 1° en ce qui concerne la confédération nationale des vins et spiritueux et l'Institut national des appellations d'origine des vins et eaux de vie, que, d'une part, ces organismes sont recevables en leurs actions en raison de leur nature juridique, le premier étant l'union nationale des syndicats professionnels et le second ayant reçu spécialement de la loi la mission d'organiser la défense des appellations d'origine, et que, d'autre part, le délit retenu en l'espèce l'infraction à l'article 12 de la loi du 6 mai 1919 à causé un préjudice à la profession; 2° en ce qui concerne l'institut du vin de Porto et l'association nationale des importateurs des vins de Porto et de madère, que ces organismes, dont l'objet est précisément la défense des intérêts professionnels du commerce de ces vins, ont subi, du fait de l'infraction à l'article 3 de la loi du 1er août 1905, un préjudice certain dont l'un et l'autre, parties civiles, sont fondés à obtenir réparation;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, desquelles il résulte que les infractions retenues ont porté un préjudice direct, ou indirect, en ce qui concerne l'union nationale des syndicats professionnels, à l'intérêt collectif des professions que les parties civiles représentent, la cour d'appel a justifié sa décision; qu'ainsi, le moyen ne saurait être accueilli;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette le pourvoi.