Conseil Conc., 14 juin 2006, n° 06-D-15
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la pose et de l'entretien des voies de chemin de fer
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Darodes de Tailly, par Mme Aubert, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Mader-Saussaye ainsi que MM. Flichy, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 2 janvier 2002, sous le numéro 02/0002 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de différents marchés de travaux de voies ferrées passés par la SNCF ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 en fixant les conditions d'application ; Vu les observations présentées par les sociétés Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF), Angelo Meccoli & Cie, R.Vecchietti, Vossloh Infrastructure Services, STPV, TSO, Entreprise Lamblin, AMEC Spie Rail FR, et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés TSO, Amec Spie Rail, Européenne de Travaux Ferroviaires, Vossloh Infrastructure Services, Angelo Meccoli & Cie, DG Entreprise, R.Vecchietti et STPV entendus lors de la séance du 10 mai 2006, la société Entreprise Lamblin ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR DES TRAVAUX DE VOIES FERREES
1. Les travaux de voies consistent en la pose et l'entretien des voies pour trains publics ou privés, pour tramways, pour métros. Il peut s'agir de travaux de renouvellement (pose) de voies (remplacer des rails vieillissants et cassants, par exemple) ainsi que de travaux de maintenance, comme l'entretien de rails, de traverses ou le remplacement du ballast (opérations de "bourrage").
1. LA DEMANDE DE TRAVAUX DE VOIES FERREES
2. La demande de travaux de voies provient, pour l'essentiel, des propriétaires ou des exploitants de voies. Des entreprises privées possèdent des installations de voies terminales reliées au réseau public. Cependant, l'essentiel de la demande de travaux de voies provient de Réseau Ferré de France (ci-après RFF) pour le réseau public de chemins de fer.
3. Si RFF est propriétaire de la quasi-totalité du réseau public de chemins de fer français (depuis 1998), c'est la Société Nationale des Chemins de Fer français (ci-après SNCF) qui assure l'entretien des installations de ce réseau pour le compte de RFF ainsi que selon les objectifs et les principes de gestion définis par ce dernier. Une convention conclue entre RFF et la SNCF fixe, notamment, les conditions d'exécution et de rémunération de cette mission.
4. Si la SNCF n'est pas soumise au Code des marchés publics, la passation de ses marchés était, à l'époque des faits, encadrée par deux textes principaux : d'une part, la loi Sapin, et d'autre part, la directive européenne dite "transport" du 14 juin 1993 (93/38).
5. L'appel d'offres pour passer ce type de marchés se déroule en deux phases. Dans un premier temps, la SNCF lance un appel à candidatures, notamment par publicité dans la presse spécialisée, puis elle sélectionne les candidatures envoyées selon des critères objectifs de compétence, de qualification et de solidité financière. Dans une seconde phase, elle envoie un dossier de consultation aux entreprises ainsi sélectionnées.
6. Lorsque l'appel d'offres est déclaré infructueux, notamment en raison d'offres financières nettement plus élevées que les estimations de la SNCF, celle-ci s'affranchit des règles strictes des appels d'offres et procède à une consultation des entreprises de façon plus informelle.
7. La SNCF a édité un "Référentiel Gestion Finances" en juin 1999 qui décrit les principes et procédures suivant lesquels les marchés de toutes catégories doivent être préparés et conclus, quel que soit leur montant ou leur objet.
8. Il est arrivé que la SNCF utilise un type de marchés plus spécifique : les marchés sur ordre (ci-après MSO). Les MSO sont des accords cadres qui fixent les conditions, notamment financières, de réalisation d'une série de travaux qui sont envisagés par la SNCF pour une période de deux ou trois ans. Ces MSO, qui concernent en principe une région, permettent de fixer un cadre dans lequel la SNCF passera des ordres de services pour l'exécution de différents travaux par les entreprises qui ont été retenues. Ainsi, tous les deux ou trois ans, la SNCF met en concurrence les entreprises pour un MSO puis, dans le cadre de ce MSO, elle confie à l'entreprise ou au groupement d'entreprises ayant remporté l'appel d'offres du MSO le soin d'effectuer les travaux par des ordres de services. Dans le MSO, les conditions pratiques et tarifaires de l'exécution des travaux envisagés sont précisées. En revanche, le MSO ne contient qu'une liste indicative des travaux envisagés pour la période de référence du MSO. Seuls des volumes prévisionnels de travaux sont indiqués.
9. A l'époque des faits, l'organisation de la SNCF reposait sur un découpage du territoire national en vingt-trois régions. Chacune de ces régions comprenait un service régional des achats (ci-après SRA), essentiellement compétent pour les marchés de travaux (à l'exclusion des marchés de fournitures) sans limite financière particulière.
2. L'OFFRE DE TRAVAUX DE VOIES FERREES
10. Le secteur a connu un important mouvement de concentration et de regroupement qui a démarré au début des années 1980 et qui se poursuit actuellement. Ce mouvement s'explique en partie par les investissements importants, notamment en matériels lourds nécessaires pour répondre à certains marchés.
11. La structure très capitalistique de ce secteur a provoqué une tension sur le marché à partir de 1996. En effet, à cette époque, face à la hausse sensible de la demande en raison notamment des projets d'infrastructures de transport en commun des collectivités locales (métros, tramways notamment), l'offre a eu du mal à s'adapter et est demeurée relativement inélastique en raison de la difficulté des entreprises à augmenter leurs capacités de production et alors que de nouveaux acteurs ne pouvaient entrer sur le marché en raison des investissements importants à réaliser.
12. Ainsi, en 1999, cinq entreprises représentaient plus des deux tiers du chiffre d'affaires global du secteur : Cogifer TF, Seco-DGC, ETF, TSO et Spie Drouard. Ces cinq entreprises étaient d'envergure nationale alors que les autres sociétés du secteur intervenaient davantage régionalement voire localement.
B. LES FAITS CONSTATES
1. CONCERNANT LE MARCHE DU TUNNEL DE ST-IGEST (SRA DE TOULOUSE)
13. La SNCF a lancé un appel d'offres, le 27 juillet 1998, pour l'exécution de travaux de voies et d'assainissement à l'intérieur et aux abords du tunnel de Saint-Igest sur la ligne ferroviaire reliant Brive à Toulouse.
14. L'appel d'offres prévoyait deux solutions, une solution de base et une variante. Ces deux solutions présentaient des différences techniques et organisationnelles. Les entreprises devaient obligatoirement établir une proposition pour les deux options. Les entreprises devaient soumissionner en proposant des coefficients de majoration ou de minoration (en pourcentage) par rapport à une série de prix qui servait de référence de prix pour la SNCF.
15. L'ouverture des plis contenant les offres a eu lieu, le 10 septembre 1998, dans les locaux du SRA de Toulouse. Quatre agents de la SNCF ont procédé au dépouillement. Un procès verbal de dépouillement des offres a été dressé, ne faisant état d'aucune remarque particulière sur les offres.
16. Le groupement Seco-DGC/Drouard avait, de son propre chef, proposé une autre variante, envisageant une intervention intensive avec suspension de la circulation des trains.
17. Les offres remises sont récapitulées dans le tableau synoptique suivant :
<emplacement tableau>
18. La SNCF a déclaré l'appel d'offres infructueux, estimant que les prix proposés étaient trop élevés. Elle s'est néanmoins intéressée à l'offre variante (non envisagée dans l'appel d'offres) proposée par Seco-DGC au nom du groupement que cette entreprise constituait avec l'entreprise Drouard ("variante entreprise").
19. Après différentes études de faisabilité, la SNCF a décidé de retenir cette variante technique comportant une interruption totale de la ligne pendant plusieurs jours, qui s'était révélée sensiblement moins onéreuse que les schémas techniques et organisationnels envisagés initialement dans l'appel d'offres.
20. Une réunion de calage des études a été organisée par la SNCF avec, notamment M. Y..., directeur d'agence Seco-DGC Lyon sud (responsable des travaux du sud de la France). Cette réunion dite "PV3" a eu lieu, le 12 octobre 1998, dans les locaux SNCF d'Albi.
21. Le 27 octobre 1998, la SNCF a envoyé à l'entreprise Seco-DGC un ordre de service (OS n° 979 G1). Cet ordre de service envisageait le calendrier suivant :
"Travaux préparatoires du 28 octobre au 3 novembre 1998
Travaux principaux 4 et 5 novembre 1998
Travaux de finitions du 6 au 13 novembre".
22. Lors de la préparation de l'ordre de service et de la lettre de commande (fin octobre/début novembre), les agents de la SNCF ont découvert dans le dossier d'offre de la société Seco-DGC, cinq feuilles de brouillon de la lettre concernant l'appel d'offres du 27 juillet 1998. Sur l'une de ces feuilles figurait un tableau récapitulant les offres des entreprises concurrentes. Selon la SNCF, "ce n'est qu'une fois ce démarrage un peu "bousculé" des travaux que les services du SRA ont procédé à la notification de la lettre de commande en régularisation, qu'ils ont pour ce faire, ressorti la lettre d'offre, et qu'ils ont eu la curiosité d'examiner dans son entier le brouillon litigieux".
23. Le tableau, figurant au bas d'une des cinq feuilles de brouillon découvertes dans le pli de l'offre de Seco-DGC fin octobre, est ainsi conçu:
<emplacement tableau>
24. Par ailleurs, alors qu'un premier brouillon de la lettre d'offre proposait un prix de 1 389 000 F pour la variante entreprise, un second brouillon envisageait un prix de 1 695 000 F finalement proposé à la SNCF.
25. Néanmoins, la SNCF n'a pas immédiatement fait part de ses soupçons aux entreprises concernées et les travaux (variante entreprise) ont été exécutés par le groupement Seco-DGC/Drouard. Selon la SNCF, les travaux se sont déroulés rapidement (première quinzaine de novembre 1998) et sans perturbation majeure. Cependant, en raison des indications portées dans le brouillon de l'offre, elle n'a que payé la somme de 1 389 000 F pour ces travaux de "variante entreprise".
26. La SNCF (en la personne du contrôleur général des marchés, M. X...), a informé la DGCCRF de la découverte des feuilles manuscrites dans l'enveloppe de l'offre du groupement Seco-DGC/Drouard, par une lettre datée du 18 novembre 1998. La lettre expose que le SRA de Toulouse a constaté une entente entre trois entreprises, Seco-DGC, Cogifer et TSO puis précise la chronologie et les éléments de l'affaire.
2. CONCERNANT LE MARCHE DE LA LIGNE BORDEAUX-GAZINET (SRA DE BORDEAUX)
27. Par un appel d'offres du 30 mai 2000 (numéro 0063), la SNCF, mandatée par Réseau Ferré de France (RFF), souhaitait sélectionner une ou plusieurs entreprises pour des travaux d'"amélioration de capacité Bordeaux-Gazinet". Ce marché était divisé en cinq lots afin de permettre à des petites entreprises de soumissionner à un seul lot :
Lot n° 1 - Amélioration de la capacité Bordeaux-Gazinet : travaux de Bordeaux et de Talence ;
Lot n° 2 - Amélioration de la capacité Bordeaux-Gazinet : travaux de la gare de Gazinet ;
Lot n° 3 - Travaux de régénération : gare de Gazinet ;
Lot n° 4 - Travaux de régénération : gare de Marcheprime ;
Lot n° 5 - Travaux de régénération : gare de Facture.
28. L'appel d'offres demandait explicitement aux entreprises soumissionnaires de proposer des rabais pour l'attribution de plusieurs lots.
29. La remise des offres était fixée initialement au 29 juin 2000. Le 21 juin 2000, la SNCF a décidé de reporter la date limite de remise des offres au 12 juillet 2000 et en a aussitôt informé l'ensemble des entreprises.
30. La SNCF a adressé l'appel d'offres à neuf entreprises différentes, le 30 mai 2000 :
- AVF TP - Norena - TSO
- Meccoli - Robert - Vecchietti
- Pichenot - Olichon - Seco-DGC.
31. Lors de l'appel d'offres initial, l'entreprise ETF (ex Gogifer) n'avait pas été consultée. Elle faisait en effet l'objet, à l'époque du lancement de l'appel d'offres, d'une mesure temporaire d'exclusion des consultations sur la région de Bordeaux pour insatisfaction concernant la réalisation d'un chantier.
<emplacement tableau>
32. L'appel d'offres a finalement été déclaré infructueux, les offres les "moins disantes" étant bien au-delà de l'objectif de la SNCF.
33. A la suite de cet échec de l'appel d'offres, la SNCF a consulté en direct certaines entreprises travaillant habituellement dans la région et n'ayant pas remis d'offres : Norena qui possédait les moyens pour au moins un lot (lot 1 ou lot 2), Pichenot qui possédait également les moyens pour un ou deux lots et enfin ETF qui n'avait pas été consultée et dont la sanction se trouvait levée.
34. Même si l'entreprise Vecchietti n'était pas concernée par cette nouvelle consultation, elle a, de sa propre initiative, repris contact avec le SRA de Bordeaux pour s'expliquer sur ses prix. Ainsi, une réunion entre la société Vecchietti et la SNCF a eu lieu le 17 août 2000. A l'issue de cet entretien, Vecchietti a reconsidéré son offre en proposant une remise globale pour l'attribution des cinq lots de 1,8 % le 18 août 2000.
35. L'entreprise ETF, ayant reçu le 10 août un dossier d'appel d'offres de la part de la SNCF, a soumis de son côté, le 18 août 2000, une offre pour un montant total sur les cinq lots de 5 505 484,50 F sans remise.
<emplacement tableau>
36. Malgré un prix supérieur aux estimations de la SNCF, l'offre de l'entreprise Norena a été retenue pour les lots 1 et 2, cette offre étant considérée comme la "moins disante", notamment par rapport à celle du groupement Vecchietti/Meccoli.
37. La SNCF a, le 23 août 2000, pris contact par téléphone avec l'entreprise ETF, en lui faisant remarquer que son offre du 18 août 2000 était identique à celle de Vechietti du 12 juillet 2000. En réponse, par lettre datée du 23 août 2000, ETF a précisé à la SNCF : "suite à notre entretien de ce jour, nous avons l'honneur de vous confirmer que nous sommes groupés solidaires avec les entreprises Vecchietti et Meccoli dans l'affaire citée en marge. Nous vous signalons également que nous désignons l'entreprise Vecchietti comme mandataire du groupement. [...]". Cette lettre du 23 août 2000 comporte un pièce jointe ainsi nommée : "PJ : lettre de groupement que nous avons omis de joindre à notre offre du 18/08/2000".
38. Cette "lettre de groupement" est datée du 25 août 2000. Elle précise "Par la présente, nous tenons à vous préciser que, dans le cadre de l'appel d'offre cité en référence et suite à la demande de la société ETF, nous avons constitué un groupement d'entreprises conjointes [...]. Ce groupement a été constitué en date du 16/08/00, c'est pourquoi notre première offre ne le précisait pas. C'est donc au nom de ce groupement que nous vous avons proposé notre dernière offre en date du 18/08/00 pour un montant de 5 271 950 F. Sur notre papier à en-tête nous avions omis de vous le préciser [...]".
39. La "convention de groupement momentané d'entreprises solidaires", conclue entre Vecchietti, Meccoli et ETF pour répondre à l'appel d'offres en cause, est datée du 11 août 2000. La convention prévoit une répartition entre les membres du groupement comme suit :
"Vecchietti 40 %
Meccoli 40 %
ETF 20 %".
40. La SNCF, ayant des doutes sur la régularité de l'appel d'offres d'août 2000, a informé la DGCCRF de cette situation.
3. CONCERNANT TROIS MARCHES DU SRA DE LILLE
41. Depuis le début des années 80, le Service Régional des Achats (ci-après SRA) de la SNCF avait l'habitude, pour la réalisation des travaux de voies, de passer des "Marchés sur Ordres" (MSO).
42. La SNCF a ainsi passé deux appels d'offres le 15 mai 1998 et le 11 janvier 1999 pour des MSO, respectivement, de 7 mois et de 32 mois. Comme c'était le cas depuis plusieurs années, c'est un même groupement, à la composition stable (même composition et même répartition depuis 1982), qui a remporté ces MSO. Les pourcentages au sein du groupement sont les suivants : 42 % Cogifer (puis ETF) ; 28 % Seco ; 15 % Lamblin ; 15 % STPV.
43. Les entreprises de ce groupement se réunissaient régulièrement (tous les deux mois environ) pour discuter des travaux envisagés dans le cadre du MSO, pour opérer une répartition de ceux-ci entre elles et rééquilibrer les travaux affectés à chaque entreprise en fonction des pourcentages de répartition définis au départ dans la convention de groupement.
44. La SNCF semblait être satisfaite des prix et des prestations techniques offerts par ce groupement. Pourtant, à partir de 1998, Réseau Ferré de France, devenu propriétaire des voies ferrées et donc maître d'ouvrage principal a demandé à la SNCF (devenue maître d'ouvrage délégué) que certains travaux, originairement envisagés en MSO, soient "ressortis" en hors marché sur ordre (HMSO) et qu'un appel d'offres soit lancé pour chaque marché, en espérant obtenir de meilleurs prix grâce à la concurrence entre les entreprises soumissionnaires.
45. Pour deux marchés en appels d'offres (ressortis en HMSO), des entreprises membres du groupement ont proposé des offres distinctes :
<emplacement tableau>
46. Par ailleurs, le SRA de Lille a, dans la même période, passé un marché en appel d'offres pour des travaux qui n'avaient pas été explicitement prévus dans la liste indicative du MSO.
<emplacement tableau>
47. Au cours des réunions du groupement chargé de l'exécution des travaux du MSO, les entreprises partenaires étaient conduites à discuter des différents travaux envisagés ou envisageables pour se répartir et planifier leurs interventions ainsi que pour veiller à ce que la part d'activité de chaque entreprise au sein du groupement corresponde effectivement à ce qui était envisagé dans la convention de groupement. Ainsi, comme le précise M. Z... (société ETF), "les entreprises du groupement se réunissent pour se répartir les travaux selon les moyens, la situation géographique et les périodes de disponibilité de chacun. Il en résulte des pourcentages de répartition désignés sous le terme de "ratios nominaux" [...] Nous avons des réunions régulières environ tous les deux mois pour faire le point. Ces réunions formalisées existent depuis 6-7 ans. Elles permettent de voir le plan de charge de chacun, et éventuellement de rééquilibrer en fonction des pourcentages de répartition définis au départ".
48. Dans ce cadre, les entreprises ont discuté des trois marchés visés "Assainissement de la gare d'Aulnoye", "Raquette Délivrance" (envisagés dans un premier temps dans le cadre du MSO) et "TCO Dunkerque" (non envisagé en MSO).
49. Lors de la visite dans les locaux de Seco-DGC le 13 avril 2000, les enquêteurs ont découvert un tableau reprenant la répartition des marchés HMSO. Ce document a été daté de 1998 par M. A..., directeur des travaux responsable de l'agence SECO de Lens.
50. Le tableau est reproduit ci-après :
<emplacement tableau>
51. De même, le compte-rendu de la réunion du groupement en date du 17 septembre 1999, fait apparaître les données suivantes :
"Hors MSO :
(A faire) TCO Dunkerque = 2 486 000.00 > Lamblin 1 243 000.00 > Cogifer 1 243 000.00
(Fait) Traverses Adunkerque = 380 000.00 > Cogifer 190 000.00 > Lamblin 190 000.00
(Fait) RVB Hazebrouck = 320 000.00 > Cogifer 160 000.00 > Lamblin 160 000.00
(A faire) Assai. Aulnoye = 840 000.00 > STPV 420 000.00 > SECO 420 000.00 ".
52. Un brouillon de compte-rendu de cette réunion du 21 janvier 2000 a été retrouvé par les enquêteurs lors de leur visite chez Seco-DGC. Il indique en bas de page :
"Hors MSO à venir Raquette Délivrance 2 000 000
ETF
en AO RR Bertry sept 600 000
STPV
Boucle Dunkerque 2°sem 400 000
Lamblin
Connexes GOP à partir 13/03 7 000 000 Grpt
".
53. Par ailleurs, plusieurs compte-rendus de réunions du groupement MSO montrent que ces entreprises prenaient en compte le montant des marchés HMSO (ressortis en appel d'offres) pour assurer une répartition des travaux respectant les ratios prévus dans la convention de groupement MSO.
54. La dernière page du compte-rendu de la réunion du 17 septembre 1999 présente un tableau récapitulatif qui concerne aussi bien les MSO que les HMSO avec une indication de la part de chaque entreprise dans l'ensemble des travaux :
<emplacement tableau>
55. Selon les propos de M. Z... (ETF) au sujet de ce tableau, "la ligne MSO concerne des travaux déjà attribués. La ligne Hors MSO concerne des prévisions de travaux futurs, ressortis du marché sur ordre, avec les prévisions d'obtention par les entreprises. Ces prévisions ont été discutées au cours de la réunion et décidées par les participants".
56. De même, le compte rendu de la réunion du 19 novembre 1999 contient en seconde page le tableau suivant :
<emplacement tableau>
57. Encore, le compte-rendu de la réunion du 21 janvier 2000 confirme que la répartition des marchés HMSO entre les entreprises du groupement était opérée de telle manière qu'elle respectait les ratios (part d'activité) de chacune des entreprises au sein du groupement.
<emplacement tableau>
C. LES GRIEFS NOTIFIES
58. Sur la base des éléments qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés.
1. CONCERNANT LE MARCHE DU TUNNEL DE ST-IGEST (SRA DE TOULOUSE)
59. Il a été notifié "aux sociétés DG Enreprise, TSO, Amec Spie Rail FR, Vossloh Infrastructure Services un grief d'entente constituant une violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce, en raison, notamment, de la communication de leurs offres par les entreprises soumissionnaires (Cogifer, TSO et le groupement Seco-DGC + Spie Drouard) à l'appel d'offre du 27 juillet 1998 (tunnel de St Igest), avant le dépôt de celles-ci qui a faussé le libre jeu d'une concurrence effective".
60. Dans le cadre de son rapport, le rapporteur a proposé l'abandon de ce grief.
2. CONCERNANT LE MARCHE DE LA LIGNE BORDEAUX-GAZINET (SRA DE BORDEAUX)
61. Il a été notifié "un grief d'entente constituant une violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce aux sociétés R.Vecchietti, Angelo Meccoli & Cie et Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF) pour avoir échangé leurs offres avant le dépôt de celles-ci sans en avoir averti le maître d'œuvre et en les ayant présentées comme des offres concurrentes alors qu'elles ne l'étaient pas, lors de la consultation de la SNCF pour l'appel d'offres "amélioration de capacité Bordeaux-Gazinet" en août 2000".
3. CONCERNANT DIVERS MARCHES DU SRA DE LILLE
62. Il a été notifié "un grief d'entente constituant une violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce aux sociétés Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF), Entreprise Lamblin, Vossloh Infrastructure Services, STPV et DG Entreprise pour s'être entendues en vue de la répartition de plusieurs marchés de travaux de voies ferrées sur les années 1998, 1999 et 2000 lors de différents appels d'offres du SRA SNCF de Lille".
II. Discussion
A. SUR LA PROCEDURE
1. SUR LA PRESCRIPTION
63. Les sociétés ETF et Vossloh Infrastructure Services soutiennent que "la convocation adressée à M. X..., en sa qualité de contrôleur des marchés de la SNCF, dans la mesure où elle n'a pas été adressée à l'une des entreprises poursuivies, ne saurait être considérée comme ayant interrompu le délai de prescription" et que cette convocation, à quelques jours seulement de la date d'acquisition de la prescription, est artificielle et ne peut être considérée comme nécessaire à l'instruction. Selon ces parties, le procès-verbal d'audition du contrôleur général des marchés de la SNCF est "entaché d'irrégularités manifestes" et "devra dès lors être écarté des débats" dans la mesure où il aurait été complété puis signé quinze jours après l'audition.
64. Le Conseil de la concurrence a appliqué le nouveau régime de la prescription quinquennale issu de l'ordonnance du 4 novembre 2004 aux affaires en cours d'instruction pour lesquelles la prescription n'avait pas déjà été définitivement acquise sous l'empire du précédent texte envisageant une prescription triennale. Ainsi, dans une décision n° 06-D-08 du 24 mars 2006 (points 38 à 45), le Conseil de la concurrence a affirmé que "l'article 6 de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 a porté de trois à cinq ans le délai de prescription prévu à l'article L. 462-7 du Code de commerce. S'agissant d'un texte de procédure et non d'une loi instituant une peine plus sévère, il est applicable immédiatement, y compris à la poursuite et à la sanction des faits antérieurs à son entrée en vigueur, sous la seule réserve qu'il ne puisse permettre de poursuivre ou de sanctionner des faits pour lesquels la prescription a été définitivement acquise en vertu du texte applicable précédemment".
65. L'applicabilité immédiate d'un délai de prescription plus long à des situations dans lesquelles la prescription n'a pas déjà été acquise n'est considérée, ni par la Cour européenne des droits de l'homme, ni par le Conseil constitutionnel, ni par le législateur, comme contraire au principe de non rétroactivité des lois répressives. En effet, le législateur, en adoptant l'article 72 de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite "loi Perben II", a modifié l'article 112-2 du Code pénal, en ce sens que "sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur (...) lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines". Ce faisant, le législateur n'a fait que mettre le droit pénal en harmonie avec le principe général de l'applicabilité immédiate des lois de procédure.
66. En l'espèce, la saisine du Conseil remontant au 2 janvier 2002 ne s'est pas trouvée prescrite sous l'empire de l'ancienne prescription de trois ans lors de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 novembre 2004 de sorte que la prescription, même dans l'hypothèse d'absence de tout acte d'instruction, n'aurait pas été acquise avant le 2 janvier 2007.
67. Au surplus, au cours de l'instruction, le contrôleur général des marchés de la SNCF a été convoqué pour une audition par une lettre recommandée du rapporteur, reçue le 22 décembre 2004. Il ressort du procès-verbal d'audition que cette audition tendait à la recherche, la constatation et la sanction de faits répréhensibles au sens de l'article L. 462-7 du Code de commerce et a interrompu la prescription. La circonstance que la SNCF n'ait pas qualité de partie à l'instance devant le Conseil est sans conséquence en l'espèce. Par ailleurs, comme la Cour d'appel de Paris et le Conseil ont déjà eu l'occasion de le préciser (arrêt du 9 avril 2002, Bloc Matériaux ; décision n° 99-D-01 du 5 janvier 1999), le fait que le procès-verbal d'audition ait été signé postérieurement au jour de l'audition puis retourné par courrier, n'a pas d'incidence sur la validité de cette audition.
2. SUR LES OPERATIONS AYANT FAIT L'OBJET DE L'ORDONNANCE DE VISITES ET SAISIES
68. Selon les sociétés ETF et Vossloh Infrastructure Services, alors que l'ordonnance de visite et de saisie rendue par le Tribunal de grande instance de Paris avait autorisé les opérations "nécessaires à apporter la preuve que les pratiques relevées dans le secteur des installations fixes pour chemin de fer...", que la totalité des procès-verbaux versés aux débats font mention du marché des "installations fixes pour chemins de fer", le rapport d'enquête de la DGCCRF ainsi que l'intitulé de la notification de griefs portent sur "la pose et l'entretien de voies de chemins de fer". Selon les sociétés ETF et Vossloh Infrastructure Services, "il semble donc que les services de la DGCCRF aient souhaité affiner le secteur d'activité concerné ainsi que les marchés en cause, mais après avoir procédé aux visites, saisies et auditions des différentes parties en présence". Ainsi, selon ces sociétés, "le changement de secteur incriminé ainsi que le changement de marchés poursuivis, décisions adoptées à l'insu des parties en présence et notamment de la société ETF [Vossloh Infrastructure Services] ont eu pour effet de priver cette dernière de collecter, en temps utile, les éléments de preuve qui leur auraient permis d'assurer utilement sa défense aujourd'hui" (premier point).
Par ailleurs, "lors des opérations de visite et de saisie effectuées au siège de certaines entreprises, certains faits ne pouvaient à l'évidence avoir déjà été portés à la connaissance des services des autorités de concurrence pour la simple raison qu'ils n'avaient pas encore eu lieu ; c'est le cas par exemple, du marché du SRA de Bordeaux, pour lequel les faits suspectés se sont déroulés à la fin du mois d'août 2000 alors que l'ordonnance ayant autorisé les visites domiciliaires a été rendue le 30 mars 2000" (second point).
69. Mais sur le premier point, l'ordonnance rendue le 30 mars 2000 par le Tribunal de grande instance de Paris a autorisé les opérations de visite et de saisie "nécessaires à apporter la preuve que les pratiques relevées dans le secteur des installations fixes pour chemin de fer telles qu'elles ont été énoncées et présumées par notre ordonnance, notamment à l'occasion des marchés privés et soumis à appel d'offres [...]". Or, contrairement à ce qu'affirment les sociétés ETF et Vossloh Infrastructure Services, les éléments recueillis par les enquêteurs au cours de ces opérations et utilisés par le rapporteur concernent des travaux de pose et d'entretien de voies ferrées qui entrent dans le secteur visé par l'ordonnance de visite et saisie. D'ailleurs, les motifs de l'ordonnance font référence au marché du Tunnel de St Igest, l'un des marchés de travaux sur voies ferrées visé par la notification de griefs. Dès lors, les enquêteurs ont respecté le champ des investigations autorisé par l'ordonnance et mis en mesure les sociétés visitées d'exercer leur défense.
70. Sur le second point, concernant le marché du SRA de Bordeaux (la ligne Bordeaux- Gazinet, appel d'offres du 30 mai 2000), aucun des éléments apportés par les enquêteurs et utilisés par le rapporteur pour fonder les griefs qu'il a adressés aux entreprises mises en cause n'a été recueilli dans le cadre de l'ordonnance de visite et saisie rendue le 30 mars 2000 par le Tribunal de grande instance de Paris qui fixait un délai d'un mois maximum pour effectuer les dites opérations. En effet, les agents de la DGCCRF ont procédé à l'enquête relative au marché de la ligne Bordeaux-Gazinet et recueilli les pièces relatives à ce marché en vertu de leur pouvoir d'enquête ordinaire.
3. SUR LE DEFAUT D'IMPARTIALITE ET LES MANOEUVRES PRETENDUMENT DELOYALES DU RAPPORTEUR
71. Selon les sociétés ETF et Vossloh Infrastructure Services, "le rapporteur a mené une instruction en très étroite collaboration avec différents services de la SNCF, accusateur dans ce dossier, et n'a souhaité interroger que très tardivement un seul responsable d'entreprise poursuivie [...] pour obtenir des informations complémentaires" (premier point). Par ailleurs, elles estiment que le rapporteur a tenté de surprendre le consentement des entreprises mises en cause, d'extorquer des aveux, de faire pression sur les dirigeants des entreprises par des contacts téléphoniques et l'envoi de courriels (second point).
72. Mais sur le premier point, le rapporteur dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations (Cour de cassation, 15 juin 1999, Lilly France). Lorsque l'impartialité du rapporteur est mise en cause, il convient de vérifier que les règles de procédure garantissant le principe du contradictoire ont été respectées (faculté de consulter le dossier, de demander l'audition de témoins au Conseil, de présenter des observations sur les griefs notifiés et sur le rapport, de s'exprimer oralement en séance) (Cour d'appel de Paris, 12 avril 2005, France Télécom). Il n'est allégué aucun fait précis démontrant que ces garanties ont été méconnues, la critique portant en réalité sur la valeur des éléments de preuve soumis au débat contradictoire.
La cour d'appel s'est exprimée en ce sens dans un arrêt du 15 novembre 2005 (TPS) : "(...) sous couleur d'une violation du principe d'impartialité, la société Canal Plus se borne à critiquer les investigations du rapporteur, qu'elle estime insuffisantes, et l'appréciation émise par ce dernier sur les éléments collectés, selon elle entachée d'imprécisions et d'erreurs manifestes, sans même invoquer une recherche précise qui lui aurait été refusée, et alors au surplus qu'elle-même avait toute latitude pour produire, tant devant le rapporteur qu'en séance, les éléments qui lui semblaient pertinents".
73. Sur le second point, il est exact que le rapporteur a pris contact par téléphone ou par courriel, avant la notification de griefs, avec les différentes entreprises mises en cause par la saisine ministérielle en précisant systématiquement l'objet de son intervention et le cas échéant, des éléments de l'enquête retenus contre elles. Il n'a, dès lors, pas pu surprendre le consentement des entreprises. De plus, les griefs notifiés ne s'appuient sur aucune déclaration ni aucun document que le rapporteur aurait obtenus lors de ces contacts.
74. Il convient dès lors d'écarter ce moyen.
B. SUR LE FOND
1. CONCERNANT LE MARCHE DU TUNNEL DE ST-IGEST (SRA DE TOULOUSE)
75. Seco-DGC et Drouard prétendent que, si le brouillon de la lettre contenant leur offre et sur lequel figure le tableau litigieux reprenant l'ensemble des offres financières des entreprises concurrentes était joint à la lettre déposée par le groupement, mention en aurait été faite sur le procès-verbal de dépouillement des offres. L'absence de cette mention signifie, selon les parties, que ce brouillon a été mis dans le dossier d'offre du groupement Seco-DGC/Drouard postérieurement au dépôt des offres. Elles soutiennent que le tableau litigieux a été ajouté au brouillon demeuré en possession de M. Y... lorsqu'il a eu connaissance des offres de ses concurrents au cours de la réunion du 12 octobre 1998 (PV3) avec des agents de la SNCF concernant l'étude technique des travaux. Ces papiers auraient été ramassés par inadvertance par un agent de la SNCF, qui les aurait ensuite rangés dans le dossier de l'appel d'offres où ils ont été découverts par les agents lorsqu'ils ont procédé à la notification de la lettre de commande de régularisation qui les a amenés à examiner, une nouvelle fois, le dossier de l'appel d'offres.
76. L'absence de toute mention sur le procès-verbal de dépouillement des offres dressé par les agents de la SNCF en date du 10 septembre 1998, de la présence inhabituelle de cinq feuilles de brouillon dans le pli contenant l'offre et dont l'une des feuilles comportait le tableau synoptique litigieux des offres des autres soumissionnaires, ne permet pas de considérer, en l'espèce, avec un degré de certitude suffisant que Seco-DGC avait obtenu communication du montant des offres des autres entreprises soumissionnaires reproduites sur le tableau, avant le dépôt de son offre initiale, et établi celle-ci en ayant connaissance des autres.
77. Dès lors, en l'absence de tout autre indice venant étayer un échange préalable d'informations, la preuve n'est pas rapportée que les sociétés mises en cause se sont concertées pour faire échec au jeu de la concurrence lors de l'appel d'offres "Tunnel de St Igest", en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce. La pratique n'est donc pas établie.
2. CONCERNANT LE MARCHE DE LA LIGNE BORDEAUX- GAZINET (SRA DE BORDEAUX)
78. Lors de la consultation qui a suivi l'appel d'offres du 12 juillet 2000, les sociétés ETF et Vecchietti (pour le compte de son groupement avec l'entreprise Meccoli), ont admis qu'elles avaient remis des offres distinctes à la SNCF le 18 août 2000 mais soutiennent qu'elles ont commis une "erreur matérielle" en omettant de préciser qu'il s'agissait de l'offre d'un même groupement et qu'elles l'ont réparée quelques jours plus tard par un courrier informant la SNCF de l'existence d'un groupement entre les trois entreprises (ETF, Meccoli et Vecchietti). Ces offres ont pu, selon elles, être expliquées et complétées par leur courrier du 23 août 2000, car après avoir déclaré l'appel d'offres du 12 juillet 2000 infructueux, la SNCF a choisi de s'affranchir des règles formalistes de cet appel en optant pour un marché négocié et il ne peut dès lors être considéré qu'il existait une date limite de dépôt des offres et une date de dépouillement et de choix des offres. Ainsi, selon la société Vecchietti, "aucune disposition légale ou réglementaire ne s'oppose à ce que les offres faites à la SNCF soient précisées ou complétées après leur envoi" et dès lors, "l'offre adressée le 18 août 2000 par les sociétés Vecchietti, Meccoli et ETF n'a donc pas à être dissociée de leur courrier du 23 août 2000". Ainsi, la SNCF aurait été dûment informée de l'existence du groupement entre les trois entreprises avant le choix de l'attributaire.
79. La société ETF prétend que la SNCF l'ayant consultée tardivement à la suite de l'échec du premier appel d'offres, elle n'a été en mesure de répondre qu'en rejoignant le groupement constitué par les entreprises Meccoli et Vecchietti.
80. L'entreprise Vecchietti justifie s'être groupée avec ETF parce que la SNCF, ayant consulté en direct un des sous-traitants (la société Norena) du groupement qu'elle formait avec Meccoli, celui-ci avait besoin d'un nouveau partenaire pour une partie des travaux.
81. Cependant, s'agissant de l'argument tiré du choix du marché négocié, il convient de rappeler que l'appel d'offres et le marché négocié obéissent aux mêmes règles en ce qui concerne la date limite de dépôt des offres, du dépouillement et du choix des offres dans le respect du droit de la concurrence qui s'applique à l'ensemble des appels d'offres, qu'ils soient privés ou publics, qu'ils soient ou non régis par le Code des marchés publics, qu'ils soient ou non encadrés par une procédure formelle. Il en est ainsi du marché négocié en cause. La SNCF avait indiqué aux entreprises consultées qu'elles avaient jusqu'au 18 août pour proposer de nouvelles offres. La société ETF a, d'ailleurs, précisé dans ses écritures que "la société ETF, dont la sanction se trouvait levée, s'est vue remettre par le SRA de Bordeaux, un dossier d'appel d'offres le 10 août 2000, avec pour obligation de remettre son offre le 18 août 2000". De même dans ses écritures, la société Vecchietti a dénoncé "le caractère irréaliste du délai laissé aux entreprises pour répondre à cette nouvelle consultation : le SRA de Bordeaux lançant celle-ci le 10 août et demandant une offre pour le 18 août [...]". La date du 18 août 2000 constituait bien la date limite de remise des offres dans l'esprit du maître d'ouvrage comme des entreprises soumissionnaires.
82. S'agissant des autres moyens soulevés par les parties, l'offre déposée par Vecchietti au nom de son groupement avec Meccoli et celle déposée le même jour par ETF ne peuvent pas être considérées comme émanant d'un seul et même groupement.
83. Tout d'abord, ces deux offres étaient distinctes et comportaient des prix différents pour chaque lot.
<emplacement tableau>
84. Ensuite, la convention de groupement adressée le 23 août 2000 à la SNCF par les sociétés mises en cause est datée et signée du 11 août 2000, alors que les cadres des sociétés ETF et Vecchietti ont déclaré qu'ils avaient décidé de se grouper à la suite d'une entrevue à Lyon le 16 août 2000. Ainsi, M. B..., directeur régional de ETF précise, au sujet de son entrevue du 16 août avec M. C... (Vecchietti) qu'"une entrevue s'est déroulée le 16 août 2000 en gare de Lyon-Perrache. Après discussions et après confrontations de nos prix de vente respectifs, nous avons décidé de répondre au prix de l'entreprise Vecchietti qui m'a remis son étude". M. C..., évoquant sa rencontre avec M. B... précise : "nous nous sommes rencontrés le 16 août à Lyon (Saint Priest), M. B... et moi même. Je lui ai présenté l'étude du marché et les prix sur lesquels je comptais m'engager auprès de la SNCF le lendemain".
85. En outre, ETF, qui était déjà à l'époque des faits une importante entreprise de travaux de voies, avait l'habitude de répondre (parfois en groupement) aux appels d'offres de la SNCF. Dès lors, il n'est pas explicable qu'elle ait déposé une offre distincte le 18 août 2000 alors qu'elle soutient avoir signé quelques jours auparavant une convention de groupement stipulant que "le rôle de mandataire commun des entreprises vis-à-vis de la SNCF est confié à l'entreprise Vecchietti".
86. Par ailleurs, lors de la réunion entre la SNCF et l'entreprise Vecchietti, en date du 17 août 2000, portant précisément sur l'appel d'offres en cause, Philippe C..., de l'entreprise Vecchietti n'a pas informé la SNCF de l'existence du groupement avec la société ETF : "Je n'ai pas mentionné au SRA le fait qu'ETF nous avait rejoints dans le groupement ; ce n'était pas notre préoccupation". Cette attitude n'est pas crédible alors que la réunion portait sur les modalités et l'offre du marché en cause.
87. Il convient enfin de remarquer que la lettre dactylographiée de la nouvelle offre de l'entreprise Vecchietti, remise le 18 août 2005, comporte une mention "Copie S.A. Meccoli", montrant que Vecchietti a pris soin d'informer son partenaire dans le groupement. En revanche, l'absence de mention de l'envoi d'une copie à l'entreprise ETF indique que celle-ci n'avait pas rejoint le groupement Vecchietti/Meccoli au moment du dépôt des offres.
88. En réalité, l'existence du groupement n'a été invoquée que pour tenter de donner une réponse à la SNCF qui a, le 23 août 2000, appelé ETF pour recueillir ses explications sur l'identité entre son offre du 18 août 2000 et l'offre initiale du groupement Vecchietti/Meccoli en date du 12 juillet 2000. ETF a alors adressé à la SNCF un courrier précisant que "suite à notre entretien de ce jour, nous avons l'honneur de vous confirmer que nous sommes groupés solidaires avec les entreprises Vecchietti et Meccoli dans l'affaire citée en marge". Au bas de cette lettre, il est indiqué "P.J. : lettre de groupement que nous avons omis de joindre à notre offre du 18/08/2000". La "lettre de groupement" est toutefois datée du 25 août 2000 démontrant encore une fois que la prétendue appartenance de ETF au groupement Vecchietti/Meccoli n'est qu'une vaine tentative de justification du comportement des entreprises lors du marché négocié. En effet, même si ces entreprises s'étaient réellement groupées, les échanges d'informations auxquels aurait donné lieu ce groupement leur auraient interdit de soumissionner séparément.
89. Il résulte de ce qui précède que, lors du marché négocié, les offres d'un montant différent remises à la SNCF émanent l'une de Vecchietti, mandataire du groupement constitué avec l'entreprise Meccoli, et l'autre de ETF. L'échange d'informations préalable à la remise des offres est prouvé par le fait que l'offre de ETF du 18 août 2000 reprend strictement (à cinquante centimes près pour l'un des lots) l'offre proposée par le groupement Vecchietti/Meccoli lors du premier appel d'offres du 12 juillet 2000. Les entreprises Vecchietti et ETF ont, d'ailleurs, reconnu au cours de l'enquête et de l'instruction qu'elles avaient échangé des informations. Cet échange d'informations préalable au dépôt des offres a mis en échec la concurrence indispensable à tout appel d'offres.
90. Dans un récent arrêt du 24 mai 2005 (SARL Imagin et autres), la Cour d'appel de Paris a considéré que : "les quatre sociétés du groupe Imagin ne peuvent valablement se prévaloir du caractère prétendument transparent de leur démarche et de leur bonne foi alors que, en déposant des offres séparées, elles ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre de l'appel d'offres, comme des entreprises concurrentes ; qu'elles devaient, par conséquent, respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises et s'interdire de présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ; que la connaissance des liens unissant ces sociétés, que pouvaient avoir les services de la préfecture, est inopérante au regard des développements qui précèdent". De même, dans un arrêt du 9 novembre 2004 (SEE Camille Bayol), la cour a sanctionné quatre entreprises pour s'être concertées et avoir présenté des offres faussement concurrentes, rappelant "qu'il est loisible à des entreprises, ayant entre elles des liens juridiques et financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt des offres et, en cas de concertation (...) de n'en déposer qu'une seule".
91. Il ressort de cette jurisprudence constante que le dépôt d'offres séparées apparemment concurrentes par des entreprises qui ont échangé préalablement des informations, notamment sur le prix de leurs offres, constitue une pratique anticoncurrentielle réprimée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
92. Les parties soutiennent encore qu'elles n'ont pas eu la volonté de tromper le maître d'ouvrage et que leur comportement n'a pas eu pour conséquence de limiter la concurrence car elles n'ont obtenu aucun lot du marché.
93. Mais il est de principe que "l'absence d'intention anticoncurrentielle des entreprises parties à l'entente est sans portée sur la qualification même d'entente" (décision n° 01-D-67). Le Conseil de la concurrence a, par ailleurs, précisé (décision n° 05-D-45 du 22 juillet 2005, point 44) que, "selon une jurisprudence constante de la Cour d'appel de Paris, les pratiques d'échange d'informations lors de la passation de marchés publics ont en elles-mêmes un objet anticoncurrentiel car elles conduisent nécessairement à une restriction de concurrence en supprimant ou limitant l'indépendance des entreprises soumissionnaires (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 janvier 2000, Chaillan Frères ; arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 mai 2005, Imagin)". En l'espèce, les dysfonctionnements constatés ont fait que, seuls, deux lots composant le marché ont été attribués à l'entreprise Norena et si la SNCF a pu déjouer la pratique, c'est en raison de sa vigilance qui l'a conduit à demander des explications à la société ETF sur les anomalies de son offre.
94. La société Meccoli fait enfin valoir que si elle s'est groupée avec Vecchietti pour ce marché, cette dernière était mandataire du groupement et était chargée de présenter une offre commune et transparente. Elle soutient n'avoir pris aucune part à la pratique reprochée dans la notification de griefs.
95. Selon une jurisprudence établie, "une pratique ne peut être qualifiée d'entente anticoncurrentielle que si les entreprises en cause ont librement et volontairement participé à l'action concertée, en sachant quel en était l'objet ou l'effet" (Cour d'appel de Paris, 9 novembre 2004). Comme l'a déjà précisé le Conseil de la concurrence (décision n° 05-D-17 du 27 avril 2005, point 68), "la seule circonstance d'avoir signé, en groupement, l'offre de soumission ne suffit pas à fonder la participation de la société X à l'entente". Dès lors, en l'absence de tout élément permettant d'établir une participation de la société Meccoli à la pratique concertée autrement qu'en sa qualité de membre du groupement celle-ci doit être mise hors de cause.
96. Il résulte de l'analyse qui précède qu'en déposant des offres distinctes, alors qu'elles avaient préalablement échangé des informations, notamment sur leurs prix, les entreprises Vecchietti et ETF ont faussé la concurrence sur le marché négocié et violé l'article L. 420-1 du Code de commerce.
3. CONCERNANT LES MARCHES DU SRA DE LILLE
97. Il est reproché aux sociétés Européenne de travaux ferroviaires (ETF), entreprise Lamblin, Vossloh Infrastructures services, STPV et DG entreprise, de s'être entendues pour se répartir les marchés "assainissement de la gare d'Aulnoye", "TCO Dunkerque" et "Raquette Délivrance" qui ont fait l'objet d'une procédure d'appel d'offres respectivement le 4 août 1999, le 13 août 1999 et le 3 février 2000.
98. Les parties indiquent que, si des informations ont été échangées concernant ces trois marchés, ces échanges ont eu lieu au sein du groupement chargé de réaliser les MSO. Ces échanges d'informations, de même que la répartition des travaux entre les membres du groupement, ne sauraient être répréhensibles puisque les trois marchés étaient susceptibles de devenir des MSO. Certes, elles admettent que le marché "TCO Dunkerque" ne figurait pas sur la liste indicative des travaux prévus en MSO, mais elles l'ont néanmoins considéré comme un marché pouvant faire l'objet d'un ordre de services dans ce cadre. Elles estiment qu'aucune pratique concertée ne peut leur être reprochée concernant la répartition de ces marchés bien qu'ils aient été soumis en définitive à une procédure classique d'appel d'offres.
99. Les réunions, au cours desquelles les membres du groupement ont échangé des informations et réparti entre eux les travaux, ne révèlent pas l'existence d'une concertation prohibée dans la mesure où elles ont porté sur l'exécution des travaux envisagés dans le cadre d'un MSO. En revanche, à partir du moment où les entreprises du groupement ont su que certains travaux ne feraient plus partie du MSO mais seraient "ressortis" en appel d'offres, elles ne pouvaient continuer à discuter des modalités, des prix ainsi que de la répartition de ces nouveaux marchés au sein de leur groupement. Ainsi, les échanges d'informations sur ces travaux, qui ont eu lieu entre le moment où les entreprises ont su qu'ils étaient exclus du marché sur ordre (HMSO) et la date de remise des offres lors de l'appel d'offres, ne sauraient être justifiés par la nécessité d'organiser les travaux au sein du groupement. De plus, les entreprises membres du groupement, qui ont déposé des offres séparées à l'appel d'offres après avoir discuté et réparti entre elles les travaux afférents à ces marchés, doivent se voir reprocher une pratique prohibée.
100. Concernant les marchés "TCO Dunkerque"et "Gare d'Aulnoye", la preuve d'un échange préalable d'informations entre les différentes entreprises soumissionnaires, à un moment où les entreprises ont su que ces marchés feraient l'objet d'un appel d'offres, repose sur le tableau reproduit au paragraphe 50.
101. La mention "Travaux Hors Marché sur ordre" montre que, lors de la discussion de ces marchés, les entreprises concernées savaient que, même si ces travaux avaient été initialement envisagés en MSO, il était désormais clair qu'ils feraient l'objet d'appels d'offres distincts et seraient donc "ressortis en HMSO", ce qui ne les a pas empêchées de procéder à la répartition des deux marchés mentionnés "TCO Dunkerque" et "Assainissement Aulnoye".
102. Cependant, la date d'établissement et les conditions d'élaboration du tableau sont incertaines. Ainsi, M. A... de l'entreprise Seco/DGC a déclaré aux enquêteurs "le document coté 78 m'apparaît être un document Seco. Il s'agit d'estimations que je date de 1998". Cette unique déclaration faite en juillet 2000, plus de deux ans après les faits par M. A..., ne permet pas de dater avec un degré de certitude suffisant le tableau qui a pu être dressé à un moment où les entreprises pouvaient escompter que ces marchés deviendraient des MSO ou postérieurement aux dates limites de dépôt des offres des appels d'offres de "TCO Dunkerque" et "Assainissement Aulnoye", qui étaient respectivement les 10 septembre 1999 et 30 août 1999.
103. Le compte rendu de la réunion du 17 septembre 1999, décrit au paragraphe 54, étant postérieur à ces dates limites de dépôt des offres des marchés "TCO Dunkerque" et "Assainissement Aulnoye", n'apporte pas davantage de preuve d'un échange préalable d'informations concernant ces marchés à une date où les entreprises du groupement savaient que ces marchés seraient ressortis en appels d'offres.
104. Il ressort des analyses qui précèdent qu'il ne peut être établi, au regard des circonstances particulières de l'espèce, que les échanges d'informations et les répartitions des marchés concernant les marchés de "TCO Dunkerque" et "Assainissement Aulnoye" aient eu lieu au cours d'une période où ils étaient répréhensibles. Dès lors, la pratique d'entente concernant les marchés de "TCO Dunkerque" et "Assainissement Aulnoye" n'est pas établie.
105. Le marché de "Raquette Délivrance" a fait l'objet d'un appel d'offres, le 3 février 2000, avec une date limite de remise des offres au 28 février 2000. Or, le brouillon du compte rendu de la réunion du 21 janvier 2000 (paragraphe 52) souligne d'une part, que les entreprises du groupement savaient que le marché de "Raquette Délivrance" serait "Hors MSO" et d'autre part, que, antérieurement au dépôt des offres, les entreprises du groupement se sont mises d'accord pour attribuer ce marché à ETF. Le résultat de l'appel d'offres, qui a finalement retenu l'offre d'ETF pour un montant de 2 026 893 francs, confirme cette répartition. Dès lors, les offres des autres entreprises du groupement (STPV, Seco-DGC et Lamblin) constituent des offres de couverture.
106. En se concertant pour attribuer à l'une d'entre elles, le marché de "Raquette Délivrance" avant la date du dépôt des offres qu'elles ont présentées séparément à un moment où aucun doute n'était plus permis sur le sort de ce marché, les entreprises ETF, STPV, Seco-DGC et Lamblin se sont entendues pour fausser le jeu de la concurrence en déposant des offres apparemment concurrentes en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
107. La circonstance selon laquelle la SNCF était nécessairement au courant des échanges d'informations entre les entreprises du groupement soumissionnaire, notamment en raison du fait que le marché était initialement envisagé en MSO, importe peu. En effet, le Conseil de la concurrence (décision n° 05-D-45 du 22 juillet 2005, point 36) et la Cour d'appel de Paris (arrêt du 24 mai 2005) ont considéré, en des termes similaires, que, "en déposant des offres séparées, les sociétés mises en cause ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre de chacun des appels d'offres, comme des entreprises concurrentes ; qu'elles devaient, par conséquent, respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises et s'interdire de présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ; que la connaissance des liens unissant ces sociétés, que pouvait avoir le maître d'œuvre ou le maître d'ouvrage, est inopérante au regard des développements qui précèdent".
C. SUR LES SANCTIONS
108. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
109. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos".
1. SUR LA GRAVITE DES PRATIQUES
110. Le Conseil de la concurrence rappelle régulièrement qu'un échange d'informations entre soumissionnaires d'un marché public (ou privé) constitue une pratique anticoncurrentielle d'une particulière gravité. Ainsi, dans une décision n° 03-D-10 du 20 février 2003 (point 41), le Conseil de la concurrence souligne que "s'agissant de la gravité des faits reprochés, il y a lieu de rappeler qu'une entente horizontale entre entreprises candidates à l'exécution d'un marché public mise en œuvre à l'occasion de la procédure de passation de ce contrat, notamment un échange d'informations entre les entreprises préalablement à la remise de leurs offres, est d'une particulière gravité".
111. Concernant le marché "Raquette Délivrance" passé par le SRA de Lille, il y a cependant lieu de prendre en considération le changement d'attitude de la SNCF qui a transformé en appel d'offres des travaux initialement envisagés dans le marché sur ordre.
112. Il n'en demeure pas moins qu'un maître d'ouvrage qui a des relations permanentes avec des entreprises connues en raison de leur spécialité et auxquelles il peut avoir recours de façon urgente est en droit d'attendre de leur part un comportement respectueux des règles de concurrence lors des appels d'offres nombreux et variés qu'il est amené à lancer sur l'ensemble du territoire.
2. SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE A L'ECONOMIE
113. La Cour d'appel de Paris a rappelé à plusieurs reprises qu'en matière d'entente sur les marchés publics, "le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence" (Cour d'appel de Paris, 13 janvier 1998) et que "ces pratiques anticoncurrentielles, qui caractérisent un dommage à l'économie, sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que [...] le marché a été, en définitive, attribué à une entreprise ne participant pas à la concertation" (Cour d'appel de Paris, 12 décembre 2000).
114. Concernant le marché de la ligne Bordeaux-Gazinet (SRA de Bordeaux), les entreprises mises en cause soulignent qu'elles n'ont pas été attributaires du marché et que les pratiques n'ont pu causer un quelconque dommage à l'économie. Pourtant, en l'espèce, même si les entreprises mises en cause n'ont pas été attributaires du marché, il demeure qu'en se présentant faussement comme concurrentes, elles ont perturbé le déroulement normal de l'appel d'offres qui a permis seulement une attribution partielle des lots et que par l'entrave au libre jeu de la concurrence dont elles sont responsables, elles ont causé un dommage à l'économie.
115. Concernant les marchés du SRA de Lille, selon la SNCF, les entreprises qui avaient été retenues dans le cadre du MSO pour exécuter les travaux ressortis ensuite en HMSO ont profité du fait qu'elles savaient qu'elles ne subiraient pas de réelle concurrence des autres membres du groupement pour relever le prix de leurs offres. Ainsi, le contrôleur général des marchés de la SNCF a indiqué au rapporteur que : "il est inexplicable que les prix des offres de ces entreprises soient beaucoup plus élevés que les prix objectifs de la SNCF : [...] +11,6 % pour le marché "Raquette Délivrance". Il apparaît que les entreprises qui étaient les plus à même d'obtenir ce marché (qui leur avait été attribué dans le cadre du groupement pour le MSO) en ont profité pour proposer des offres financièrement très élevées".
116. Ces propos méritent néanmoins d'être nuancés concernant le marché de "Raquette Délivrance", puisque la soumission d'une offre par le groupement des entreprises Vecchietti et Meccoli n'appartenant pas au groupement chargé des travaux du MSO a pu exercer une pression sur l'offre de l'entreprise retenue par le groupement (ETF) et ne permettait pas à cette entreprise de s'affranchir de toute contrainte pour élever son offre tarifaire.
3. SUR LA SITUATION PARTICULIERE DES ENTREPRISES
117. La société ETF doit répondre des pratiques mises en œuvre dans le cadre du marché de la ligne Bordeaux-Gazinet (SRA de Bordeaux). Concernant les marchés du SRA de Lille, le 3 janvier 2000, la société Cogifer (devenue Vossloh Infrastructure Services après un changement de dénomination sociale le 29 avril 2003) a cédé l'intégralité de ses activités entretien de voies ferrées à la société ETF qui s'est donc substituée à Cogifer au sein du groupement MSO du SRA de Lille. Dès lors, les pratiques mises en œuvre pour le marché de Raquette Délivrance ont été mises en œuvre et sont imputables à la société ETF. La société Européenne de travaux ferroviaires (ETF) a commis une pratique prohibée concernant les deux marchés retenus et si son comportement anticoncurrentiel a pu être déjoué sur le marché "d'amélioration de capacité Bordeaux-Gazinet", il lui a permis d'obtenir le marché "Raquette délivrance" pour un montant de 2 026 893 francs. Cette société en raison de sa spécialité et de son envergure est un acteur incontournable du secteur qui a mis à profit cette situation pour s'affranchir des règles de concurrence et s'imposer auprès d'entreprises moins puissantes. Pour l'exercice clos au 31 décembre 2005, elle a réalisé un chiffre d'affaires d'un montant de 109 953 207 euro. En fonction des éléments généraux et individuels précédemment exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 1 000 000 euro.
118. La société Vecchietti est un acteur modeste du secteur mais sa présence devrait permettre de renforcer la vivacité de la concurrence sur ces marchés de l'entretien des voies ferrées face aux entreprises plus puissantes. Ainsi, le contrôleur général des marchés de la SNCF a déclaré lors de l'instruction que : "les petites entreprises de travaux de voie sont importantes pour nous. D'une part, implantées localement, elles permettent une réponse rapide et flexible pour faire face à des situations d'urgence. D'autre part, ces petites entreprises assurent une pression concurrentielle sur les grands acteurs du secteur, notamment sur les marchés de tâches standards n'exigeant pas nécessairement de moyens extraordinaires".
119. Cette utilité ne s'est pas vérifiée en l'espèce puisqu'une pratique anticoncurrentielle a été mise en œuvre concernant le marché de la ligne Bordeaux-Gazinet (SRA Bordeaux). Pour l'exercice clos au 31 décembre 2005, la société R.Vecchietti (SAS) a réalisé un chiffre d'affaires de 15 522 100 euro. En fonction des éléments généraux et individuels précédemment exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 75 000 euro.
120. La société Lamblin existe toujours mais est en cours de liquidation. Elle est en sommeil depuis le mois de mai 2002. Elle n'a pas réalisé de chiffre d'affaires en 2005. Il n'y a donc pas lieu de lui infliger de sanction pécuniaire.
121. La société Seco-DGC a, depuis les faits, changé de dénomination sociale, une première fois, en DG Construction puis, une seconde fois, en DG Entreprise, mais demeure immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro B 786 550 350. Elle répond de la pratique mise en œuvre dans le marché "Raquette Délivrance" (SRA de Lille). Si elle réalisait en 1999 un chiffre d'affaires d'un montant de 400 millions de francs pour l'activité de pose et d'entretien de voies de chemin de fer, elle n'a plus réalisé pour l'exercice clos au 31 décembre 2005 qu'un chiffre d'affaires d'un montant de 36 612 euro. En fonction des éléments généraux et individuels précédemment exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 300 euro.
122. Par acte sous seing privé en date du 19 octobre 2001 approuvé par des assemblées générales extraordinaires du 31 novembre 2001, les sociétés STPV Nord et STPV Littoral ont fusionné par voie d'absorption de la société STPV Littoral. La société STPV Nord a changé sa dénomination sociale pour adopter celle de "STPV". La pratique, concernant le marché "Raquette Délivrance", est imputable à la société STPV. La société STPV a réalisé pour l'exercice clos au 31 décembre 2005 un chiffre d'affaires de 50 246 461 euro. En fonction des éléments généraux et individuels précédemment exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 250 000 euro.
Décision
Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés DG Entreprise, TSO, Amec Spie Rail et Vossloh Infrastructure Services ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion du marché "Tunnel de St Igest" passé par le Service régional des achats SNCF de Toulouse en septembre 1998.
Article 2 : Il n'est pas établi que la société Angelo Meccoli & Cie a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion du marché "Bordeaux-Gazinet" passé par le Service régional des achats de Bordeaux en août 2000.
Article 3 : Il n'est pas établi que les sociétés Vossloh Infrastructure Services, STPV, Entreprise Lamblin et DG Entreprise ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion de la passation des marchés "TCO Dunkerque" et "Assainissement Gare d'Aulnoye" par le Service régional des achats de Lille à l'été 1999.
Article 4 : Il est établi que les sociétés R.Vecchietti et Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF) ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion de la passation du marché "Bordeaux-Gazinet" par le Service régional des achats de Bordeaux en août 2000.
Article 5 : Il est établi que les sociétés Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF), STPV, Entreprise Lamblin SA et DG Entreprise ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion de la passation du marché dit "Raquette Délivrance" par le Service régional des achats de Lille au début de l'année 2000.
Article 6 : Aucune sanction pécuniaire n'est prononcée à l'encontre de la société Lamblin en liquidation dont le chiffre d'affaires est inexistant.
Article 7 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF) une sanction de 1 000 000 euro ;
à la société R.Vecchietti une sanction de 75 000 euro ;
à la société DG Entreprise une sanction de 300 euro ;
à la société STPV une sanction de 250 000 euro.