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Décisions

Conseil Conc., 27 juin 2006, n° 06-MC-02

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Demande de mesures conservatoires présentée par la commune de Bouc Bel Air

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Correa de Sampaio par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Pinot, MM. Bidaud, Charrière-Bournazel, Honorat, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 06-MC-02

27 juin 2006

Le Conseil de la concurrence (Section I),

Vu la lettre, enregistrée le 22 février 2006 sous les numéros 06/0014 F et 06/0015 M, par laquelle la commune de Bouc Bel Air (Bouches-du-Rhône) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de l'association Les Bouc'Choux qu'elle estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 ; Vu les observations présentées par l'association Les Bouc'Choux, la commune de Bouc Bel Air et le commissaire du Gouvernement; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la commune de Bouc Bel Air et de l'association Les Bouc'Choux entendus lors de la séance du 6 juin 2006 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 22 février 2006, la commune de Bouc Bel Air (département des Bouches-du-Rhône) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par l'association Les Bouc'Choux, actuellement gestionnaire et prestataire des trois structures d'accueil de la petite enfance dans la commune. Elle a également demandé au Conseil de prononcer des mesures conservatoires tendant à faire cesser ces pratiques.

B. LE SECTEUR ET LES PARTIES

1. LE SECTEUR

2. La France métropolitaine comptait, en 2004, 2 407 crèches collectives offrant 143 300 places à des enfants de moins de trois ans. Deux tiers de ces crèches étaient gérées par une commune ou un groupement de communes.

3. La réglementation qui concerne les crèches, comme l'exige la nature de cette activité, est extrêmement précise et exigeante. L'autorisation d'ouverture est délivrée par le président du Conseil général après avis du maire de la commune et visite des locaux par le médecin responsable du service départemental de la protection maternelle et infantile (PMI). Les locaux doivent être adaptés à la garde de très jeunes enfants, respecter les normes de sécurité, d'hygiène et de confort et être aménagés de façon à favoriser l'éveil de l'enfant. Ils doivent comporter des sections spécifiques : hall d'accueil, direction, secrétariat, vestiaires, salles de toilette, salles d'activités, de repos, box d'isolement et locaux de service. En cas de transformation ou d'extension, une visite est à nouveau effectuée par le médecin responsable de la PMI.

4. S'agissant du personnel, les crèches sont obligatoirement dirigées par une puéricultrice diplômée d'Etat ayant cinq ans d'expérience ou par un médecin. Pour les crèches d'une capacité de moins de 40 enfants, la direction peut être assurée par une personne titulaire du diplôme d'éducateur de jeunes enfants justifiant d'au moins cinq ans d'expérience auprès d'enfants de moins de trois ans et sous réserve que la crèche comporte dans son personnel une puéricultrice ou une infirmière. Un pédiatre ou, à défaut, un médecin généraliste qualifié en pédiatrie, assure les actions d'éducation et de promotion de la santé auprès du personnel. Il veille à l'application des mesures préventives d'hygiène générale et des actions en cas de maladie contagieuse ou d'épidémie. Les personnels chargés des enfants doivent, pour leur part, être titulaires du certificat d'auxiliaire de puériculture, du diplôme d'éducateur de jeunes enfants ou d'une qualification définie par le ministre chargé des affaires sociales. Au total, le personnel doit être en nombre suffisant pour qu'une personne assure la garde de cinq enfants s'ils ne marchent pas ou de huit enfants s'ils marchent. Dans les crèches de plus de 40 enfants, le personnel comprend au moins une personne titulaire du diplôme d'éducateur de jeunes enfants et autant de titulaires de ce diplôme par tranche supplémentaire de 40 enfants. Le financement des crèches collectives, hors frais d'investissement, est assuré par :

???une participation de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) sous forme de " prestation de service " versée par jour ;

???une participation complémentaire de la CAF ;

???des subventions des collectivités locales (départements, communes) ;

???une participation des familles en fonction des revenus des parents et du nombre d'enfants pris en charge selon des barèmes variables d'une municipalité à une autre.

5. En ce qui concerne le coût de ces structures, les chiffres de la CNAF disponibles au dossier indiquent qu'en 2004 une crèche collective revenait en moyenne à 74 euro par jour et par enfant, soit pour 20 jours de garde mensuelle à 1 480 euro. Pour l'année 2003, la participation de la CNAF était au maximum de 5,44 euro par heure, soit environ 38 euro par jour et par enfant gardé.

6. Les frais d'investissement, par place de crèche, sont en moyenne de 23 132 euro pour la création, montant sur lequel la CNAF accorde en moyenne une aide de 7 570 euro. Ces frais d'investissement sont pris en charge essentiellement par la CNAF, notamment dans le cadre des " contrats enfance ", les collectivités territoriales (communes, départements) ou des entreprises. Trois plans crèches se sont succédés depuis 2001, qui ont représenté une dépense d'investissement de 606,7 millions d'euro de crédits engagés, et ont permis de financer 53 900 places nouvelles.

7. La conférence sur la famille de 2003 ayant décidé d'étendre l'octroi des subventions de la CAF aux crèches collectives privées (d'entreprise ou autres), le secteur est caractérisé depuis cette date par l'arrivée de sociétés de petite ou moyenne taille qui viennent désormais faire concurrence aux établissements d'origine associative, majoritaires jusqu'alors dans l'activité de gestion des crèches collectives.

C. LES PARTIES

1. LA COMMUNE DE BOUC BEL AIR

8. Bouc Bel Air se situe entre les communes d'Aix en Provence et de Marseille dans le département des Bouches du Rhône. Elle compte aujourd'hui près de 12 500 habitants. Depuis 1993, Bouc Bel Air fait partie de la communauté du pays d'Aix (CPA).

9. Son budget de fonctionnement, voté en mars 2005, s'établissait à 13 millions d'euro. Par rapport au budget " Service petite enfance et enseignement ", la subvention de 570 000 euro versée par la commune à l'association Les Bouc'Choux gestionnaire des crèches de la commune représentait, en 2005, 26 % de ce budget. En 2006, avec l'entrée en fonctionnement de la 3e crèche, ce pourcentage s'élève à 28,7 % du budget municipal précité selon le tableau ci-après transmis par le saisissant.

<emplacement tableau>

2. L'ASSOCIATION LES BOUC'CHOUX

10. Ainsi que l'a déclaré son président lors de son audition le 2 mai 2006, l'association Les Bouc'Choux, régie par la loi de 1901, a été créée en 2001 par fusion d'une association communale, " l'Arbre de vie ", et d'une association parentale : " Les Boucanous ", à l'initiative de la mairie de Bouc Bel Air. Jusqu'au 12 mai 2005, la majorité du conseil d'administration de l'association était composée de membres du conseil municipal. Depuis cette date, il n'existe plus aucun représentant de la mairie dans l'association en raison de leur retrait le 12 mai 2005 ; en font désormais partie huit parents disposant d'une voie délibérative, des délégués du personnel ainsi que les directrices de crèches siégeant avec voie consultative.

11. En application d'une convention d'objectifs conclue avec la mairie, dont la dernière version a été signée le 29 avril 2004, l'association Les Bouc'Choux est gestionnaire des crèches " l'Arbre de vie " et " les Boucanous " ; elle est également prestataire pour la gestion de la troisième structure d'accueil " les Terres Blanches ", depuis son ouverture le 3 avril 2006.

12. En 2005, soit avant l'ouverture de la troisième crèche, l'association employait 44 personnes dont certaines à temps partiel ; aujourd'hui, après avoir procédé aux recrutements nécessaires à la gestion des Terres blanches, elle emploie 49 salariés.

13. Les ressources de l'association proviennent environ à 40 % d'une subvention de la mairie et pour les 60 % restants de la participation de la caisse d'allocations familiales (CAF) et des parents des enfants pour les deux premières structures d'accueil. Pour les Terres Blanches, l'association reçoit une prestation de la mairie par jour et par enfant. En 2005, le chiffre d'affaires de l'association Les Bouc'Choux s'élevait 1,3 million d'euro. Sur cette somme, plus de 80 % étaient consacrés au paiement des salaires, l'entretien des locaux étant assuré par la commune qui en est propriétaire.

D. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

14. Lors de l'assemblée générale de l'association Les Bouc'Choux tenue le 12 mai 2005, les représentants de la mairie ont indiqué les motifs juridiques qui conduisaient la commune à ouvrir à la concurrence le marché de service " de la gestion des trois structures multi-accueil de la petite enfance " et les raisons pour lesquelles la commune écartait la reprise en régie municipale ou la signature d'une délégation de service public afin de gérer l'activité en question. De fait, le nouveau Code des marchés publics, dans son article 30, qualifie désormais de marchés publics les contrats relevant notamment des services éducatifs ; en outre, la nomenclature issue du règlement communautaire n° 2195-202 du 5 novembre 2002 précise que les services de la petite enfance doivent relever d'une procédure d'appel d'offres. Afin que l'association puisse se présenter à cet appel d'offres sans être suspectée de favoritisme de la part de la mairie, les représentants de la commune se sont retirés des instances dirigeantes de l'association Les Bouc'Choux.

15. Invoquant l'inquiétude des salariés " pour leur poste et conditions de travail ", le conseil d'administration de l'association, réuni le 22 juin 2005, a décidé, sur proposition d'un administrateur, l'adoption d'un avenant au contrat de travail des 38 salariés que comptait alors l'association. Cet avenant prévoit, d'une part une compensation de 100 000 euro à chacun des salariés dès lors que l'effectif de son employeur dépasse 60 personnes et, d'autre part, une clause limitant aux structures de l'association implantées sur la seule commune de Bouc Bel Air la mobilité de son personnel, selon les termes suivants :

" Les Parties conviennent que le lieu géographique de l'emploi du Salarié sur la commune de Bouc-Bel-Air constitue une condition essentielle du contrat de travail auquel il est porté avenant par la présente. (....)

D'autre part, l'Employeur s'engage à verser au Salarié, à titre de compensation, une indemnité forfaitaire de 100 000 euro (cent mille euro) si l'Effectif de l'Employeur devait dépasser le seuil de 60 (soixante) salariés en poste, attendu que l'Effectif à la date de signature de la présente est inférieur à 40. (...)

Cette indemnité sera due de plein droit et automatiquement dès que ledit seuil sera atteint de quelque manière que ce soit (...). L'Employeur devra verser la somme sus mentionnée dès la première demande du Salarié, de plein droit et sans autre sommation. (...)

Le présent avenant est valable jusqu'au 20 décembre 2008, date à laquelle il sera déclaré caduc. "

16. Selon les informations transmises par l'association au Conseil, 36 salariés ont signé l'avenant dès le 24 juin 2005 et un autre l'a fait le 4 octobre 2005, soit au total 37 salariés. Ce chiffre est passé postérieurement à 33, 4 salariés ayant, depuis la signature, quitté l'association. En outre, selon les déclarations du président de l'association Les Bouc'Choux, lors de son audition le 2 mai 2006, " les nouveaux salariés embauchés pour la nouvelle structure (des Terres blanches) ne se sont pas vu proposer cet avenant dans leur contrat de travail. "

17. Lors de la signature de l'avenant, l'association Les Bouc'Choux ne comptait que 39 salariés. Il n'existait pas de perspectives sérieuses que ces effectifs atteignent le niveau déclenchant la mise en œuvre de l'avenant d'ici 2008, de sorte que cet avenant ne concerne, en réalité, qu'un éventuel successeur de l'association Les Bouc'Choux pour la gestion des crèches de la ville. En effet, si le marché de la gestion des crèches est remporté par un concurrent, celui-ci devra, en application de l'article L. 122-12 du Code du travail, reprendre l'intégralité des contrats de travail de l'association Les Bouc'Choux. Dans l'hypothèse où le nouveau gestionnaire dépasserait le seuil de 60 salariés après intégration des salariés de l'association Les Bouc'Choux, ce qui est fort probable puisque tous les candidats ont déjà une activité de gestion de crèches dans des communes de la région, le successeur de l'association Les Bouc'Choux devrait verser à chacun des 33 salariés signataires de l'avenant la somme de 100 000 euro, soit un coût total de 3,3 Meuro, ce qui peut dissuader un nouvel entrant de se porter candidat à l'appel d'offre.

18. En outre, la clause de mobilité fait obstacle à l'emploi des salariés bénéficiant de l'avenant en cause en dehors du territoire de la commune de Bouc Bel Air, ce qui interdit à un éventuel successeur de l'association Les Bouc'Choux de réorganiser sur ce point ses effectifs. Le cumul des effets de ces deux clauses constitue un risque financier dont les effets dissuasifs doivent être examinés.

19. Lors de la procédure d'appel d'offres organisée à l'été 2005, 15 entreprises ont retiré un dossier et 8 offres ont été déposées, dont celle de l'association Les Bouc'Choux. S'appuyant sur une jurisprudence " SARL Autocars Mariani " du Tribunal administratif de Bastia en date du 6 février 2003, selon laquelle une administration qui a engagé une procédure de mise en concurrence pour la passation d'un marché ne saurait retenir une entreprise dès lors que ce choix avaliserait une pratique anticoncurrentielle, et se fondant sur le courrier du 9 août 2005 du Directeur Régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes jugeant la clause financière de l'avenant précité " éminemment anticoncurrentielle ", la commune a décidé de rejeter, sans l'examiner, l'offre de l'association Les Bouc'Choux.

20. Avant l'attribution du marché, la mairie avait porté à la connaissance des candidats l'existence de l'avenant litigieux. La découverte des risques financiers liés à la reprise des salariés a conduit deux candidats à se retirer, dont l'association Léo Lagrange de Marseille. Le 17 octobre 2005, une délibération du conseil municipal autorisait le maire à signer le marché avec l'association des crèches d'Aix en Provence.

21. Ainsi qu'elle l'a déclaré lors de son audition le 5 mai 2005, l'association des crèches d'Aix en Provence a tenté de convaincre les salariés de l'association Les Bouc'Choux du bien fondé de son projet et des avantages de sa candidature pour les salariés, qui ont été interrogés sur la possibilité de renoncer à l'avenant. Cependant, cette ouverture aurait fait l'objet d'un " rejet total (...) tant de la part des salariés que des parents de l'association Les Bouc'Choux". En conséquence, et constatant par ailleurs que les démarches engagées par la commune de Bouc Bel Air pour obtenir la suppression de l'avenant n'aboutissaient pas, l'association des crèches d'Aix en Provence a décidé " à regret ", le 14 décembre 2005, de résilier le contrat passé avec la commune en considérant qu'" un conflit portant sur l'application de ces avenants aurait assurément des conséquences difficiles à apprécier au plan financier, au plan organisationnel ainsi que sur l'image de l'Association et déstabiliserait certainement celle-ci ".

22. A la suite du retrait de l'association des crèches d'Aix en Provence, la commune de Bouc Bel Air n'avait d'autre choix que de prolonger la convention d'objectifs la liant à l'association Les Bouc'Choux pour la gestion des deux crèches des Boucanous et de l'Arbre de vie pour 2006, afin d'assurer la continuité du service rendu aux enfants. Elle décidait, par ailleurs, de lancer un appel d'offres, publié au BOAMP le 18 janvier 2006, pour la gestion de la troisième nouvelle structure d'accueil à partir de son ouverture jusqu'au 31 décembre 2006. Parmi les 5 candidats ayant présenté des offres, la mairie décidait, le 21 février 2006, d'attribuer le marché à l'association Les Bouc'Choux dont l'offre était la moins disante.

23. Deux contentieux ont été introduits : le premier, le 19 octobre 2005, devant le Tribunal administratif de Marseille par l'association Les Bouc'Choux qui contestait les conditions d'attribution du marché de l'été 2005 et le second, le 7 mars 2006, par la commune devant le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Aix en Provence. Par ordonnance du 7 novembre 2005, le juge administratif a déclaré irrecevable la demande de l'association Les Bouc'Choux. Par ordonnance de référé du 9 mai 2006, le TGI d'Aix en Provence a débouté la commune en considérant qu'étant un tiers, elle " ne peut solliciter la suspension de la clause d'un contrat alors que l'un des contractants, en l'espèce chacun des salariés, n'est pas partie à l'instance. "

24. La chronologie de ces faits est résumée dans le tableau ci-après :

Chronologie des faits

<emplacement tableau>

25. Peu de temps après la résiliation, en décembre 2005, par les crèches d'Aix en Provence de leur marché avec la commune, le maire de Bouc bel Air a fait connaître son intention de procéder à un nouvel appel d'offres en juin 2006 pour la gestion des trois structures d'accueil de la petite enfance de la commune, le début de l'exécution de ce nouveau marché étant prévu à partir du 1er janvier 2007. C'est pour assurer le bon déroulement de cette nouvelle procédure que la commune a saisi le Conseil de la concurrence de la question du caractère éventuellement anticoncurrentiel des avenants aux contrats de travail.

II. Discussion

26. L'article 42 du décret du 30 avril 2002 énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas déclarée irrecevable ou ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

A. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA SAISINE

27. L'article L. 410-1 du Code de commerce soumet au droit de la concurrence toute " activité économique ", quel qu'en soit le statut ou le mode de financement. Il mentionne, en outre, expressément les personnes publiques, " notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ".

28. Par ailleurs, la compétence du Conseil pour appliquer le titre II du Code de commerce est indépendante de celle des autres autorités ou juridictions pour contrôler le respect des règles posées par les autres textes de loi sur les marchés publics, comme le Conseil l'a souligné dans sa décision n° 95-D-76 du 29 novembre 1995 relative à des pratiques constatées à l'occasion de marchés de grands travaux dans le secteur du génie civil (TGV Nord) dans laquelle il considère que " la qualification de pratiques au regard des droits national et communautaire de la concurrence est indépendante de leur conformité, ou non conformité, à d'autres règles de droit ".

29. Lors de l'audition du président de l'association Les Bouc'Choux le 2 mai 2006 et lors de la séance du 6 juin 2006, l'association a considéré que, la délibération du conseil municipal autorisant le maire à saisir le Conseil de la concurrence étant postérieure à la saisine du Conseil, cette dernière serait irrecevable. C'est, en effet, par une délibération du conseil municipal du 27 février 2006 que la commune a autorisé le maire à saisir le Conseil alors que la saisine de la commune a été enregistrée au Conseil le 22 février 2006.

30. Cependant, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la saisine doit être écarté. La délibération du conseil municipal du 27 février 2006 a, en effet, régularisé la saisine par le maire, enregistrée le 22 février 2006.

31. De plus, en cas d'urgence, l'article L. 2132-3 du Code général des collectivités territoriales dispose que le maire peut, à titre exceptionnel, sans autorisation préalable du conseil municipal, faire tous actes conservatoires ou interruptifs des déchéances. Par exemple, le maire peut introduire une action en référé sans autorisation du conseil municipal si cette procédure ne préjudicie pas au principal (cf. Conseil d'Etat, 28 novembre 1980, ville de Paris c/ Ets Roth).

32. Enfin, il convient de rappeler que l'article 30 du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et du commerce dispose qu'une demande de régularisation d'une saisine du Conseil peut être adressée au demandeur ou à son représentant " dans un délai de deux mois ", ce qui signifie que le représentant d'une collectivité locale peut saisir le Conseil et obtenir la régularisation de cette saisine par délibération de son conseil dans les deux mois suivant la saisine.

B. SUR LES PRATIQUES

1. LE MARCHÉ PERTINENT

33. Il existe un marché national des services de gestion des crèches où peuvent se rencontrer des offreurs - associations, entreprises publiques ou privées - proposant à des demandeurs - des collectivités locales dans leur grande majorité - leurs services de gestion de ces structures. Dans ce cadre, on pourrait théoriquement examiner les parts de marché des offreurs au plan national, mais ce marché est naissant de sorte que la plupart des opérateurs n'ont encore qu'une dimension réduite et une activité locale pour des raisons historiques tenant à l'importance des liens que cette activité de gestion de crèches entretient, traditionnellement, avec la politique des communes en faveur de la petite enfance.

34. En pratique, la rencontre de l'offre et de la demande s'effectue lors de mises en concurrence des opérateurs dans le cadre de marchés publics, de concessions ou de délégations de service public, selon le choix des collectivités locales, qui peuvent également décider de gérer ces équipements en régie directe. Dans le cas de l'espèce, la commune de Bouc Bel Air a choisi la procédure d'appel d'offres pour l'attribution de la gestion des deux premières crèches en 2005, puis de la troisième en 2006.

35. Conformément à une jurisprudence constante, ces marchés publics successifs constituent autant de marchés pertinents sur lesquels des comportements anticoncurrentiels peuvent être constatés.

2. EN CE QUI CONCERNE UNE ÉVENTUELLE ENTENTE

36. La commune de Bouc Bel Air a estimé, dans sa saisine, que l'avenant précité du 22 juin 2005 signé entre l'association Les Bouc'Choux et ses salariés est une pratique constitutive d'une entente ayant eu pour objet et pour effet d'éliminer les concurrents de l'association. Elle fait valoir qu'une entente peut être constatée dès qu'une des parties concernées est une entreprise au sens du droit de la concurrence, ce qui est le cas de l'association Les Bouc'Choux.

37. Plusieurs éléments du dossier relatent les circonstances de l'adoption de l'avenant, qui montrent la part prise par les salariés dans sa rédaction et les motivations qui la justifiaient. Ainsi, dans son procès-verbal précité, le président de l'association a déclaré que, devant l'inquiétude générale des salariés, " le conseil d'administration du 22 juin 2005 a décidé, pour rassurer les salariés sur la continuation de l'activité de l'association dans " l'esprit Bouc Choux " (dimension humaine), d'adopter " ledit avenant et a reconnu qu' " à ce moment, les salariés et le conseil d'administration étaient convaincus que le marché des crèches de Bouc Bel Air allait être attribué à l'association des crèches d'Aix (...). Une dizaine de salariés avaient déclaré qu'ils étaient prêts à démissionner si l'association ne conservait par sa taille humaine.(...) Dans notre état d'esprit, le dépassement de 60 salariés affecte la qualité de l'accueil des enfants et il fallait donc s'en protéger ".

38. L'objet réel de l'avenant n'est pas douteux, puisqu'il s'agissait, quels que soient les motifs de protection des salariés invoqués par l'association, de s'opposer à la mise en concurrence du service de gestion des crèches en créant une " barrière à l'entrée " pour les futurs candidats par le moyen d'un renchérissement dissuasif du coût de reprise des salariés. Ainsi, lors du conseil d'administration du 18 mai 2005 de l'association, un représentant de parent a déclaré avoir " été choqué par la notion d'ouverture à la concurrence du service des crèches ".

39. En outre, on observe que les nouveaux salariés engagés au début de l'année 2006 pour l'ouverture de la troisième crèche ne bénéficient pas de l'avenant litigieux. On ne peut donc soutenir qu'il vise à donner un avantage à l'ensemble des salariés de l'entreprise. En toute hypothèse, le mécanisme instauré par l'avenant ne fait pas peser le coût du versement de la prime de 100 000 euro et celui des rigidités dans l'emploi des salariés dues à la clause de mobilité sur l'actuel employeur signataire de l'avenant, mais sur celui qui lui succèderait en cas d'obtention du marché et qui, en application de l'article 122-12 du Code du travail, devrait reprendre tous les salariés.

40. Il faut, en outre, relever que l'avantage financier, présenté comme un élément du contrat de travail, est très élevé en comparaison des salaires moyens pratiqués dans le secteur (à titre indicatif, il représente environ 7 ans de SMIC brut) et qu'il est accordé sans aucune contrepartie du côté des salariés qui ne s'engagent ni sur une prestation particulière, ni sur une amélioration de l'organisation du travail de nature à justifier cet avantage financier.

41. Cependant, même si tout contrat peut être le support d'une entente au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il est difficile de qualifier ainsi une relation qui lie un employeur à son salarié, plaçant ce dernier dans une position de subordination qui rend incertaine l'application de la notion d'accord de volonté au sens du droit des ententes. En conséquence, et à ce stade de l'instruction, il n'y a pas lieu de rechercher si l'avenant au contrat de travail en cause pourrait révéler l'existence d'une entente susceptible d'être qualifiée au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

3. EN CE QUI CONCERNE UN ÉVENTUEL ABUS DE POSITION DOMINANTE

42. Le Conseil a condamné à de nombreuses reprises les ententes anticoncurrentielles préalables à l'attribution de marchés publics, notamment entre les soumissionnaires à l'appel d'offres, mais il a également considéré qu'un des soumissionnaires pouvait abuser de sa position dominante pour fausser la concurrence pour l'attribution du marché.

43. Ainsi, dans sa décision n° 05-D-58 du 3 novembre 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'eau potable en Ile-de-France, le Conseil a constaté que la Lyonnaise des Eaux est en monopole de fait "sur le marché de la production d'eau dans le bassin du sud de l'Essonne qui permet aux communes de la zone d'obtenir de l'eau " entrée de ville " avant de la faire distribuer par le délégataire de leur choix ", cette situation conduisant les candidats à la gestion de la distribution de l'eau à acquérir de l'eau en gros à un certain prix auprès de l'entreprise en monopole. Constatant que cet opérateur en monopole proposait un prix discriminatoire de l'eau selon qu'il assurait lui-même la distribution ou que celle-ci était confiée à un concurrent, il a considéré que " la pratique de la Lyonnaise des Eaux de proposer une discrimination à son avantage sur le prix de la fourniture d'eau dans le cadre de son offre globale par rapport à celui de son offre dissociée de vente en gros avait un objet et pouvait avoir un effet anticoncurrentiel car elle visait à handicaper l'offre concurrente sur la partie distribution, pratique prohibée par l'article L. 420-2 du Code du commerce ".

44. Dans ce premier cas, l'abus qui a eu pour objet et pour effet de fausser la concurrence pour l'attribution d'un marché est rendu possible par la position de monopole détenue sur un marché de gros connexe et différent de celui sur lequel les compétiteurs s'affrontaient.

45. Dans sa décision n° 04-D-32 du 8 juillet 2004, More Group/JC Decaux, le Conseil a condamné la société JC Decaux, dominante sur le marché national du mobilier urbain, pour avoir commis des pratiques anticoncurrentielles après l'attribution du marché de la ville de Rennes à son concurrent. Le Conseil a considéré " qu'en démontant et exploitant son mobilier au-delà de l'échéance du contrat, en offrant à certains annonceurs la gratuité des campagnes publicitaires en 8 m2 et la prise en charge de frais de fabrication des affiches 8 m2 à Rennes, ainsi qu'en introduisant dans ses tarifs 1999 et 2000, des dispositions spécifiques pour la ville de Rennes, la société JC Decaux SA a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché national de la fourniture du mobilier urbain publicitaire en augmentant artificiellement le coût du changement supporté par la collectivité de Rennes, sur ce marché, et a gêné artificiellement l'exploitation commerciale, par son concurrent, du marché connexe de l'affichage dans cette ville. "

46. Dans ce second cas, l'abus était rendu possible par la position dominante détenue sur un marché national mais également par la situation de titulaire sortant du marché de la ville de Rennes, cette position lui donnant un pouvoir d'entrave particulier envers son successeur en pesant sur l'exécution du marché qu'il avait emporté.

47. Au-delà de ces deux exemples, le Conseil ne s'est pas encore prononcé sur la possibilité pour une entreprise de commettre un abus anticoncurrentiel à l'occasion du renouvellement d'un marché, du seul fait de sa position de titulaire sortant sur le marché en fin d'exécution. Cette possibilité doit, néanmoins, être admise puisqu'un abus de position dominante peut être commis sur un marché connexe à celui sur lequel la dominance est détenue et que deux marchés publics successifs portant sur la même prestation peuvent être considérés comme des marchés connexes.

48. De manière générale, s'agissant des procédures d'appel public à la concurrence, si des entreprises sont en concurrence avant l'attribution d'un marché, aucune d'entre elles ne détenant de position privilégiée, une fois le marché attribué, l'opérateur qui a remporté le marché est par définition en situation de monopole pour son exécution. Si la possibilité, pour lui, d'abuser de cette position dans le cadre de l'exécution de la prestation est peu probable, on ne peut exclure qu'il puisse le faire à l'occasion du renouvellement du marché, dès lors qu'il se trouve dans une situation différente des autres soumissionnaires, en particulier du fait de l'information privilégiée qu'il a acquise sur le fonctionnement du marché et qu'il pourrait, dans certains cas, influer sur les conditions dans lesquelles sera exécutée la prestation future.

49. Au cas d'espèce, l'association Les Bouc'Choux est l'opérateur en place, dominant car unique, sur l'activité de gestion des crèches de Bouc Bel Air. A l'inverse, l'association est en concurrence sur les marchés nouveaux ouverts par appel d'offres. Le lien entre le marché ancien et les marchés nouveaux résulte de l'application automatique de l'article L. 122-12 du Code du travail qui oblige le nouvel attributaire à reprendre les contrats de travail en cours. Ainsi, seule parmi les compétiteurs aux futurs appels d'offres, l'association Les Bouc'Choux avait pouvoir de proposer à ses salariés des modifications à leur contrat de travail, en tant que monopoleur sur l'activité en cours de gestion des crèches. Mais l'article 122-12 du Code du travail transfère automatiquement au futur employeur de ses salariés les conséquences de ces modifications. Or, dans le cas d'une prestation de service pour laquelle les coûts salariaux sont la charge d'exploitation principale, cette particularité donne à l'employeur " sortant " la possibilité de modifier les conditions économiques des offres de ses concurrents, en surenchérissant artificiellement leurs coûts, créant une barrière à l'entrée des concurrents sur les marchés soumis à appels d'offres.

50. En effet, cet avenant n'a pas vocation à s'appliquer à l'association car elle peut répondre à l'appel d'offres avec un effectif inférieur à 60 salariés et les rigidités à l'emploi ne la concernent pas puisqu'elle exerce ses activités sur la seule commune de Bouc Bel Air. L'avenant a donc pour objet de pénaliser l'offre de ses concurrents répondant aux appels d'offre de la commune en introduisant le risque d'une hausse très importante de leurs coûts s'ils remportaient ces marchés, cette hausse étant indépendante de leurs mérites ou de l'efficacité de leur gestion. Face à ce risque, plusieurs des compétiteurs se sont retirés. La situation créée est donc celle d'une discrimination commise par un opérateur en position dominante, l'abus étant permis par cette domination et étant commis sur un marché connexe à celui sur lequel le pouvoir de monopole est détenu.

51. Ainsi, comme dans l'affaire de la Lyonnaise des Eaux " la preuve d'une discrimination anticoncurrentielle est rapportée s'il est établi que l'entreprise (...) s'applique à elle-même un prix d'acquisition du produit amont, moins élevé que celui qu'elle impose à ses concurrents. " (décision n° 05-D-58 du 3 novembre 2005 susvisée, point 103).

52. Le fait que le support de cette pratique anticoncurrentielle soit un avenant aux contrats de travail et résulte de l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail ne fait pas obstacle à ce que l'association, qui est à l'origine de cette initiative, puisse se voir imputer cette pratique anticoncurrentielle.

53. Ainsi, le Conseil d'État dans sa décision du 30 avril 2003, annulant l'arrêté du ministre de l'emploi et de la solidarité portant extension de la convention collective des entreprises des services d'eau et d'assainissement et rendue après avoir consulté le Conseil de la concurrence (avis n° 00-A-30 du 4 décembre 2000), a tout d'abord relevé, au sujet de cette convention, que " les stipulations du point 2 ont pour objet d'imposer à l'employeur entrant, sous certaines réserves, la reprise des contrats de travail même lorsque les conditions d'application du second alinéa de l'article L. 122-12 ne sont pas réunies ". Cet avantage accordé aux salariés des entreprises du secteur pouvait, selon le résultat des appels d'offres, peser sur un employeur entrant non soumis à cet accord collectif. Dans ces conditions, le Conseil d'Etat a jugé " qu'en raison notamment du poids des dépenses de personnel pour les entreprises de ces secteurs, la généralisation des obligations définies au point 2 de l'article 2-5 de la convention, en obligeant les nouveaux titulaires d'un marché public ou d'une délégation de service public relatifs aux services d'eau ou d'assainissement, y compris ceux de ces titulaires qui n'adhèrent pas à l'organisation patronale signataire de la convention, à reprendre le personnel en place auquel l'employeur sortant n'aura pas proposé une autre affectation, est de nature à dissuader les concurrents de présenter leur candidature et à aggraver les distorsions de concurrence entre les concessionnaires sortants et les soumissionnaires " et a annulé l'arrêté ministériel d'extension.

54. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'avenant précité, adopté le 22 juin 2005 par le conseil d'administration de l'association Les Bouc'Choux avant d'être proposé à la signature de ses salariés est, en l'état de l'instruction, susceptible d'être qualifié de pratique anticoncurrentielle au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

C. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

En ce qui concerne l'atteinte grave et immédiate

55. Les effets de l'adoption de l'avenant précité sur la procédure de mise en concurrence ont été manifestes lors de la mise en échec de l'appel d'offres de l'été 2005. Son maintien hypothèque donc sérieusement l'exercice d'une concurrence effective et non faussée lors du prochain appel d'offres lancé par la commune de Bouc Bel Air pendant l'été 2006, pour la gestion de ses crèches en 2007.

56. Le retrait et la résiliation du marché par les concurrents de l'association Les Bouc'Choux, qui trouvent leur origine dans la découverte de l'avenant précité, ont contraint la commune de Bouc Bel Air, dans l'attente d'une décision de justice et de la décision du Conseil, à maintenir en vigueur la convention d'objectifs qui la lie depuis 2001 à l'association Les Bouc'Choux pour les deux premières crèches, les Boucanous et de l'Arbre de vie, et à passer un marché applicable jusqu'au 31 décembre 2006 pour la troisième structure des Terres Blanches. Un échec du nouvel appel d'offres aurait donc des conséquences graves pour cette collectivité locale et pour les familles.

57. Or, l'instruction a mis en évidence des risques sérieux de défaillance des candidats potentiels à ce marché. Les responsables de l'association des crèches d'Aix en Provence et de l'association Léo Lagrange ont, lors de leurs auditions des 5 et 11 mai 2006, tous deux déclaré que le maintien de l'avenant litigieux les dissuadera de présenter leur candidature au futur marché de gestion des trois crèches de Bouc Bel Air. A l'inverse, ces entreprises présenteront une offre si l'avenant précité n'est plus applicable lors du lancement de la procédure.

58. D'autres concurrents, lors de l'appel d'offres de l'été 2005, ont fait part d'une position identique lorsqu'il leur a été demandé s'ils déposeraient leur candidature au lancement prochain du nouvel appel d'offres par la commune de Bouc Bel Air :

• People et baby (33 salariés, basé à Paris) a déclaré dans son courrier électronique du 16 mai 2006 qu'il " présentera sa candidature au mois de juin uniquement si l'avenant au contrat de travail de l'association Les Bouc'Choux est supprimé " ;

• Arpège (SAS de 74 salariés basée à St Sébastien sur Loire), dans sa télécopie du 19 mai 2006, a déclaré qu'il " ne présentera pas sa candidature (...) si l'avenant au contrat de travail est maintenu " ;

• Les Petits chaperons rouges (SAS d'une centaine de salariés basée à Clichy) a déclaré, dans son courrier électronique du 24 mai 2006, qu'ils seraient " prêts à concourir lors du prochain appel d'offre si et seulement si cet avenant n'est plus en vigueur et que les salariés et l'association Les Bouc'Choux se sont engagés par écrit à ne pas attaquer le repreneur aux prud'hommes ou devant une juridiction civile ou pénale au titre de l'annulation de cet avenant " ;

• Le gérant des Crèches de France (SARL de plus de 11 salariés basée à Paris) a déclaré, dans sa télécopie du 24 mai 2006, que compte tenu de leur effectif, ils ne présenteront pas leur candidature car l'indemnité de 100 000 euro, prévue dans l'avenant jusqu'à la fin de l'année 2008, les " empêche sérieusement de (se) développer. "

• La PDG des Crèches du soleil (SARL de plus de 20 salariés) a déclaré ne pas pouvoir " embarquer (sa) structure existante des Crèches du soleil dans cette galère ", sauf à créer une association ou une société ad hoc.

59. Ces témoignages démontrent la réalité des risques que l'avenant litigieux fait peser sur la mise en œuvre de la procédure de mise en concurrence et sur l'exécution de la prestation de garde des enfants.

60. L'atteinte grave et immédiate au marché public de la gestion des trois crèches de Bouc Bel Air pour 2007 ainsi qu'aux intérêts de la commune et des familles est donc établie.

En ce qui concerne le lien de causalité entre la pratique et cette atteinte

61. L'ensemble des éléments ci-dessus montre à suffisance que l'échec de l'appel d'offres de 2005 et le risque d'échec pesant sur celui de 2006 résultent de l'existence de l'avenant litigieux. La pratique potentiellement prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce est donc bien la cause directe de l'atteinte grave et immédiate au marché, aux consommateurs et au saisissant.

En ce qui concerne les mesures conservatoires

62. L'association Les Bouc'Choux a fait valoir lors de la séance qu'elle avait, par lettre adressée le 24 mai 2006 au Conseil, indiqué qu'elle avait dénoncé unilatéralement la clause financière de l'avenant litigieux (mais pas la clause de mobilité) et que la demande de mesures conservatoires n'avait, dès lors, plus d'objet.

63. Mais contrairement à ce qu'elle soutient dans cette lettre et à ce que son président a déclaré lors de la séance, cette dénonciation unilatérale ne met pas fin à l'application de ladite clause ou, plus généralement, aux clauses de l'avenant dans la mesure où il est impératif, pour y mettre fin, que chaque salarié soit, dans les formes exigées notamment par les articles L. 321-1, L. 321-1-2 et L. 321-1-3 du Code du travail, saisi individuellement d'une lettre de l'association annonçant son intention de supprimer la clause financière ou l'avenant dans sa totalité et demandant à chaque salarié de lui faire part, dans le délai d'un mois, de son refus ou de son acceptation. On ne peut donc considérer que les éléments au dossier établissent que l'avenant litigieux a été supprimé.

64. Néanmoins, le Conseil prend acte de la démarche entamée par l'association Les Bouc'Choux et ne peut que l'inviter à le tenir informé des suites qui lui seront données et des résultats obtenus. Eu égard au calendrier annoncé par la commune pour le lancement de la procédure d'appel d'offres et des déclarations de l'association Les Bouc'Choux en séance, il apparaît utile d'enjoindre à cette dernière de rendre compte au Conseil, dans un délai d'un mois, de la situation des contrats de travail de ses salariés.

65. Nonobstant cette information du Conseil, il y lieu de constater que l'atteinte grave et immédiate établie ci-dessus ne peut être prévenue que par la suspension de l'application de cet avenant. Cette suspension doit courir jusqu'à la décision par laquelle le Conseil statuera au fond sur les pratiques. Mais elle pourra cesser plus tôt si la dénonciation unilatérale des contrats de travail engagée par l'association, poursuivie selon la procédure légalement applicable, conduit à rendre caducs les avenants du fait de l'acceptation individuelle de tous les salariés

Décision

Article 1er : Il est enjoint à l'association Les Bouc'Choux de suspendre, à titre conservatoire, l'application de l'avenant au contrat de travail, contenant une clause de localisation et une clause financière d'un montant de 100 000 euro, signé à compter du mois de juin 2005 avec une partie de ses salariés et d'en informer individuellement chacun des salariés concernés, jusqu'à la notification de la décision que le Conseil rendra au fond ou jusqu'au constat de la caducité de ces avenants résultant de l'acceptation, par tous les salariés concernés, saisis dans le respect de la procédure légalement applicable, de la dénonciation unilatérale engagée par l'association.

Article 2 : Il est enjoint à l'association Les Bouc'Choux de rendre compte au Conseil, dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, de la situation des avenants, évoqués ci-dessus, aux contrats de travail de ses salariés.