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Décisions

Conseil Conc., 28 juin 2006, n° 06-D-18

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Berkani, par Mme Perrot, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Renard-Payen, M. Flichy, membres.

Conseil Conc. n° 06-D-18

28 juin 2006

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 20 septembre 2001, sous le numéro F 1338, par laquelle la société Technic Publicité a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Mediavision et Jean Mineur ; Vu la saisine d'office enregistrée le 5 octobre 2004 sous le numéro 04/0072F ; Vu la décision du 6 octobre 2004 joignant l'instruction des affaires F 1338 et 04/0072F ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Mediavision et Jean Mineur, Screenvision France et Société Européenne de Publicité et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteur générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Mediavision et Jean Mineur, Screenvision France et Société Européenne de Publicité entendus lors de la séance du 25 avril 2006 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE DE LA SOCIETE TECHNIC PUBLICITÉ ET LA PROCÉDURE

1. Par courrier enregistré le 20 septembre 2001 sous le numéro F 1338, la SARL Technic Publicité a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, de pratiques qualifiées d'anticoncurrentielles mises en œuvre par la SA Mediavision et Jean Mineur (ci-après Mediavision) dans le secteur de la publicité cinématographique. Elle a également sollicité le prononcé de mesures conservatoires suspendant la clause d'exclusivité mentionnée dans les contrats de concession publicitaire conclus par cette société avec les exploitants de cinéma.

2. La société Technic Publicité dénonçait la présence d'exclusivités dans les relations contractuelles entre Mediavision et les exploitants de cinéma. A cet égard, elle avançait que ces exclusivités permettaient à Mediavision d'empêcher les exploitants de salles de contracter avec une autre régie pour la publicité cinématographique locale, qu'elles privaient les consommateurs de publicité locale et qu'elles empêchaient la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence. Elle soutenait enfin que la société Mediavision était en position dominante et que ses pratiques portaient atteinte au libre jeu de la concurrence.

3. Par décision n° 02-D-03 du 29 janvier 2002, le Conseil de la concurrence a rejeté la demande dont il avait été saisi au fond ainsi que la demande subséquente de mesures conservatoires en observant que les faits dénoncés "tels que soumis à l'appréciation du Conseil, ne pouvaient être considérés comme suffisamment probants de l'existence de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce".

4. La SARL Technic Publicité a, le 8 mars suivant, demandé à la Cour d'appel de Paris, d'annuler et, subsidiairement, de réformer cette décision. La cour d'appel a, par arrêt du 24 septembre 2002, rejeté les conclusions aux fins d'annulation de la décision déférée et réformé cette dernière en ce qui concerne le rejet de la saisine au fond. Elle a renvoyé l'affaire devant le Conseil pour qu'il soit procédé à un complément d'instruction. Elle a, par ailleurs, rejeté la demande de mesures conservatoires formée par la SARL Technic Publicité.

5. Une notification de griefs, établie le 18 juin 2004 sur les bases des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne (traité CE), a été envoyée aux sociétés Mediavision et Jean Mineur, Circuit A/Screenvision et SEP pour des pratiques sur la période allant de septembre 1998 à septembre 2001. Postérieurement, par une décision en date du 5 octobre 2004, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office, sous le numéro n°04/0072 F, de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique. Par une décision en date du 6 octobre 2004, l'affaire 04/0072F a été jointe à l'affaire initiale, enregistrée sous le numéro F 1338. Un rapport a été notifié aux parties, le 22 novembre 2005.

B. LE SECTEUR DE LA PUBLICITÉ CINEMATOGRAPHIQUE

1. LE SERVICE CONCERNÉ ET L'ORGANISATION DU SECTEUR

6. Entre autres sources de revenus, les exploitants de cinéma disposent de la possibilité de proposer à des annonceurs l'espace publicitaire que constitue l'écran de cinéma avant la diffusion d'un film. Parmi les différents médias disponibles, le cinéma dispose d'avantages importants pour porter une campagne publicitaire : une parfaite visibilité du message, un contact privilégié avec les spectateurs placés dans des conditions de réceptivité idéale, et notamment avec un public jeune et aisé qui consomme des produits de haute technologie et de loisirs avant les autres.

7. Deux grandes catégories sont traditionnellement distinguées dans la publicité cinématographique. La publicité nationale est destinée à des annonceurs relativement importants souhaitant une communication répartie de manière homogène sur tout le territoire ou une partie importante de celui-ci, ceci dans un maximum de salles. La publicité locale est, quant à elle, destinée à un besoin de communication géographiquement plus limité, local ou départemental principalement. La publicité décentralisée, consistant à insérer à la fin de la publicité d'un annonceur national la référence de ses représentants locaux, est en général assimilée à la publicité locale.

8. Des régies publicitaires spécialisées jouent le rôle d'intermédiaire dans la vente des espaces des exploitants de cinéma à des annonceurs ou à des agences de publicité et conservent, dès lors, un pourcentage des recettes. Leur activité consiste, notamment, à convaincre les annonceurs de l'intérêt du média cinéma dans leur communication. Les régies en charge de la publicité locale assurent, par ailleurs, la réalisation des films publicitaires (films qui, pour la publicité nationale, sont créés par des agences dédiées). Les régies publicitaires sont différentes selon qu'il s'agit de publicité cinématographique nationale ou locale. Les régies nationales sont présentes sur le marché de la publicité cinématographique locale mais y sous-traitent leur activité à des opérateurs locaux.

2. LES INTERVENANTS

a) Les principales régies en activité à l'époque des faits

La société Mediavision et Jean Mineur

9. Mediavision est l'acteur pionnier et historique de la publicité cinématographique en France. Elle se trouvait en situation de monopole jusqu'en 1973, date de la création de la SA Circuit A par le groupe UGC. Mediavision était détenue, à l'époque des faits, à hauteur de 66 % par la société Medias et Régies Europe, elle-même filiale à 100 % de Publicis Groupe SA, et par la famille Jean Mineur pour les 34 % restants. Mediavision commercialisait en 2001 environ 70 % des espaces publicitaires au niveau national et réalisait environ 60 % du chiffre d'affaires de la publicité cinématographique nationale.

La société Circuit A, devenue Screenvision France

10. Créée en 1973 en réaction au monopole de Mediavision, la SA Circuit A (ci-après Circuit A/Screenvision) était à l'époque des faits la seconde régie nationale sur le marché français, détenue à 95 % par le groupe UGC, lui-même détenu à 55 % par le groupe Vivendi Universal. En 2002, la SA Circuit A a été cédée à la société Carlton Communication PLC (50 %) et à la société Thomson Multimédia devenue depuis la SA Thomson (50 %), pour devenir la SAS Screenvision France. En 2001, la SA Circuit A commercialisait la publicité cinématographique nationale sur environ 30 % des écrans au niveau national et représentait environ 40 % du chiffre d'affaires de la publicité cinématographique nationale.

La Société Européenne de Publicité

11. Fondée en 1958, la Société Européenne de Publicité (ci-après la SEP) est une régie commercialisant la publicité locale de quelques cinémas en direct et assurant, en tant que sous-traitant, la publicité locale des salles se trouvant en régie auprès de Mediavision et de Circuit A/Screenvision, à la fois pour la publicité cinématographique nationale et la publicité cinématographique locale.

La société Technic Publicité

12. La société Technic Publicité a été fondée en 1956 et était détenue par des capitaux familiaux. Son activité principale concernait "le rideau réclame" jusqu'en 2000. En raison du déclin de ce mode de publicité, la société a diversifié son offre en proposant de la publicité cinématographique locale, grâce à laquelle elle a réalisé 5,4 % de son chiffre d'affaires en 2000 et 18 % en 2001. Saisissante initiale de cette procédure devant le Conseil de la concurrence, la société a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 30 janvier 2005. Son fonds de commerce a été racheté au printemps 2003 par la société Censier Publicinex.

La société Censier Publicinex

13. Censier Publicinex est une régie publicitaire cinématographique locale dont le capital est détenu par les membres d'une famille. Fondée en 1949, elle exerçait traditionnellement l'activité de publicité sur rideaux jusqu'à sa reconversion vers 1990 dans la régie en publicité cinématographique locale. Présente sur l'ensemble du territoire français, cette société représentait en 2001 39 % du chiffre d'affaires sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

Les autres intervenants

14. A l'époque des faits et jusqu'à fin 2000, le groupe de cinéma CGR gérait en interne la publicité locale, par l'intermédiaire d'une régie intégrée, Cinelen, dédiée à cette seule activité. A compter de 2001, le groupe CGR a confié la régie de sa publicité locale à Censier Publicinex. Le groupe Socogex gère sa publicité locale en interne par l'intermédiaire d'une régie intégrée exclusive, Sococi.

15. Les sociétés Communication-Publicité-Informatique (CPI) et Mediascreen sont deux sociétés qui démarchent des annonceurs dans une zone de chalandise donnée puis cherchent à diffuser la publicité de l'annonceur. La société CPI a pu, un temps, acheter les espaces de publicité à Circuit A/Screenvision, et donc opérer dans une situation s'apparentant à une sous-régie. Ces deux sociétés doivent le plus souvent passer par l'intermédiaire de la SEP.

16. Lors de l'enquête administrative, le responsable de la société Mediascreen a déclaré : "Je ne juge pas bon de démarcher les exploitants de salles car ce serait pour ma société une perte de temps et d'énergie. En effet, je me heurterais à la clause d'exclusivité qui lie les exploitants de salles à Mediavision et Circuit A". Ces deux sociétés ont déclaré au cours de l'instruction vouloir intervenir en tant que sous-régie, à l'instar de la SEP. Elles ont contesté l'exclusivité de droit de Mediavision et l'exclusivité de fait de Circuit A, accordées à la SEP.

b) Les exploitants de salles

17. Il existe un grand nombre d'exploitants de salles, appartenant à de grands circuits ou indépendants, gérant des salles isolées ou des multiplexes, dont le développement est l'une des principales caractéristiques du secteur cinématographique depuis 1990.

18. Les principaux groupes nationaux d'exploitants sont Euro Palace (fusion entre les groupes Gaumont et Pathé), UGC, CGR et Bert-Kinepolis. Ces groupes ont ouvert des multiplexes dans la plupart des agglomérations françaises de plus de 100 000 habitants. Dans les agglomérations de moins de 100.000 habitants, des exploitants indépendants ont également ouvert des multiplexes, certains s'associant pour cela à des groupes. Les exploitants indépendants comprennent également les groupes régionaux comme la Soredic, MK2, etc.

19. Les entrées et recettes étaient, en 2000, réparties ainsi :

Source : CNC, 2000

C. LES PRATIQUES RELEVÉES

20. Il ressort des enquêtes administratives du 10 juillet 2002 et du 3 mars 2003 ainsi que de l'instruction postérieure les éléments suivants :

1. LES CONTRATS PASSÉS ENTRE LES RÉGIES ET LES EXPLOITANTS DE CINÉMA

21. Les contrats entre les régies nationales et les exploitants de cinéma communiqués au cours de l'instruction font apparaître les éléments suivants.

<emplacement tableau>

a) Les clauses d'exclusivité

22. Les contrats passés entre les régies nationales et les exploitants de cinéma prévoient tous la concession de la publicité nationale en exclusivité. La grande majorité des contrats prévoit également d'accorder aux régies nationales la concession exclusive de la publicité locale. Les contrats contenant au moment de leur conclusion une exclusivité à la fois pour la publicité nationale et pour la publicité locale représentent, d'après les chiffres communiqués par les régies au cours de l'instruction, environ 90 % des contrats et environ 80 % des écrans, les 10 % des contrats restant (20 % des écrans) ne comportant pas ce cumul d'exclusivités.

23. La clause la plus fréquemment rencontrée dans les contrats de Mediavision sur la période concernée vise la publicité sur les écrans, sans autre précision : "l'exploitant confère à Mediavision la concession exclusive sur les écrans des salles précitées, de la publicité par tout moyen audio-visuel de projection sur lesdits écrans".

24. La clause la plus fréquemment rencontrée dans les contrats de Circuit A/Screenvision distingue entre les deux types de publicité : "l'exploitant confère à Circuit A la concession exclusive de la publicité générale et de la publicité locale sur les écrans dans les complexes cinématographiques dénommés".

b) Les autres clauses présentes dans certains contrats

La durée des contrats et la clause de tacite reconduction

25. Il existe une certaine variété dans la durée des contrats de régie communiqués au cours de l'instruction. La durée initiale varie entre deux et cinq ans. Selon les parties, les contrats d'une durée supérieure à trois ans sont toujours subordonnés à l'octroi d'une avance sur recette. La majorité des contrats est conclue pour une durée initiale de trois ans et comprend une clause de tacite reconduction pour une durée identique, à défaut de dénonciation au moins six mois avant la fin de la période initiale ou d'une période renouvelée.

La rémunération

26. La redevance versée aux exploitants varie selon les contrats, dans son montant mais également dans sa forme. Il existe ainsi différentes méthodes de calcul et de rémunération des exploitants. La redevance repose en principe et dans la grande majorité des cas sur un pourcentage des recettes réalisées. A quelques exceptions près, les taux de redevance des contrats communiqués sont les mêmes s'agissant de la publicité nationale et de la publicité locale.

27. Dans un certain nombre de cas, une avance sur les recettes à venir est octroyée aux exploitants. Il arrive également que les contrats prévoient un minimum garanti, calculé par spectateur, au bénéfice des exploitants. Enfin, dans quelques contrats, la rémunération est conclue sous la forme d'une redevance forfaitaire calculée sur une base annuelle.

L'extension de l'objet du contrat

28. Les contrats des deux régies nationales prévoient que la concession s'étend de plein droit aux nouvelles salles résultant d'une transformation, d'une extension ou d'une division des salles faisant l'objet du contrat initial.

29. Certains contrats de Mediavision prévoient, en outre, que le "contrat s'étendra également automatiquement à toutes les nouvelles salles que l'exploitant serait amené à créer pendant l'exécution du présent contrat".

La clause d'information préalable dans les contrats de Mediavision

30. Dans les contrats de Mediavision ne prévoyant pas d'extension à toutes les nouvelles salles que l'exploitant sera amené à créer, il est prévu que "l'exploitant s'engage à informer Mediavision de toute acquisition ou création de salle(s) ou complexe(s) non inclus dans le présent contrat, afin de susciter une offre de la Régie Mediavision".

La clause de motivation de résiliation dans les contrats de Mediavision

31. La plupart des contrats de Mediavision prévoient que "dans les cas de résiliation par l'exploitant, celui-ci accepte d'exposer les raisons qui motivent sa décision afin d'examiner avec Mediavision les conditions d'une continuation des relations contractuelles".

La clause résolutoire dans les contrats de Mediavision

32. La plupart des contrats prévoient la clause résolutoire suivante : "Sauf les cas de force majeure (...), tout manquement de [la part de l'exploitant] à une seule des clauses et conditions ci-dessus stipulées sera considéré comme un manquement essentiel, justifiant la résiliation de plein droit du présent contrat et lui ouvrant le droit :

- soit de constater de plein droit la résiliation du contrat tout entier, un mois après réception par l'exploitant d'une mise en demeure d'exécuter la ou les clauses non respectées, restée infructueuse, et sans que soit nécessaire un recours judiciaire pour la constater ;

- soit d'obtenir du président du tribunal de commerce statuant en référé (...) l'exécution forcée, sous astreinte, du contrat dans toutes ses stipulations.

Ceci, sans préjudice du droit d'obtenir en principal des dommages et intérêts destinés à indemniser le préjudice subi par Mediavision et les annonceurs."

33. Dans certains des contrats de Mediavision communiqués, une clause intitulée "Résiliations - conséquences" est ainsi rédigée : "Le présent contrat pourra faire l'objet d'une résiliation judiciaire par anticipation à l'initiative de chacune des parties dans le cas où l'autre partie ne respecterait pas l'une quelconque de ses obligations contractuelles. La résiliation sera encourue 2 (deux) mois après première présentation d'une lettre recommandée AR de mise en demeure d'avoir à se conformer aux présentes, restée sans effet.

Cependant, et sans préjudice de toute action en payement de dommages intérêts, le présent contrat sera résilié de plein droit à tout moment, sans intervention judiciaire, si bon semble à la Partie victime de la violation contractuelle considérée, dans les cas suivants :

- à l'initiative de l'exploitant : non payement par Mediavision des redevances stipulées aux présentes ; dans ce cas, la résiliation interviendra automatiquement 1 (un) mois après première présentation d'une lettre RAR de mise en demeure de payer, mentionnant l'intention de l'exploitant de se prévaloir de la présente clause, restée sans effet.

- à l'initiative de Mediavision : violation par l'exploitant, de la clause d'exclusivité stipulée au profit de Mediavision ; dans ce cas, la résiliation interviendra automatiquement 1 (un) mois après première présentation d'une lettre RAR de mise en demeure de payer, mentionnant l'intention de l'Exploitant de se prévaloir de la présente clause, restée sans effet.

Il est toutefois précisé que, dans l'hypothèse d'un tel manquement, Mediavision aura le choix entre (i) poursuivre la résiliation du présent contrat, aux torts de l'exploitant, et (ii) exiger son exécution jusqu'à son terme, après avoir obtenu une simple Ordonnance de référé de Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Paris, faisant injonction à l'exploitant de respecter la clause d'exclusivité conventionnelle.

En outre, et dans le cas où Mediavision choisirait de mettre en œuvre la présente clause résolutoire de plein droit, les acomptes sur minima garantis pour l'année en cours seront immédiatement restitués à Mediavision, sous déduction de redevance effectivement due".

2. LE RECOURS À UN SOUS-TRAITANT POUR LA PUBLICITÉ LOCALE

34. Lorsque les exploitants de cinéma ont concédé l'exploitation de la publicité cinématographique locale aux régies nationales, l'activité de régie locale est sous-traitée par celles-ci auprès de la SEP.

a) La relation d'exclusivité de droit entre la SEP et Mediavision

35. Le contrat entre Francevision, société soeur de Mediavision, et la SEP prévoit la clause d'exclusivité suivante : "Francevision confie en exclusivité à SEP, qui accepte, la charge de prospecter, de promouvoir et recueillir la publicité cinématographique "locale". Cette publicité est diffusée sur les écrans de cinéma de l'intégralité des salles de cinéma sous contrat avec Mediavision. (...) Le présent contrat est conclu intuitu personae entre Francevision et SEP qui est détenue à 100 % par Monsieur A... H... et sa famille".

b) La relation entre la SEP et Circuit A/Screenvision

36. Les relations commerciales entre Circuit A/Screenvision et la SEP ne sont organisées par aucun contrat. Toutefois, en pratique, il ressort des éléments du dossier et des déclarations de Circuit A/Screenvision qu'elle confie, de fait, uniquement à la SEP la sous-traitance de son activité de régie locale.

3. LES DIFFÉRENDS RELEVÉS ENTRE DES RÉGIES ET DES EXPLOITANTS

37. Les pièces et les déclarations présentes au dossier font état d'un certain nombre de contestations ou de différends ayant opposé les régies nationales à des exploitants ou à des opérateurs locaux.

a) Les déclarations des régies locales

38. Les régies locales Technic Publicité (le saisissant initial) et Censier Publicinex ont contesté, lors de l'enquête administrative, l'extension à la publicité locale de l'exclusivité des régies nationales, dans la mesure où elle leur interdisait de diffuser de la publicité dans une grande partie des salles de cinéma. Elles citent un certain nombre de cas dans lesquels l'intervention d'une régie nationale les aurait empêchées de conclure un contrat de régie avec un exploitant. Ces cas ne sont confirmés par les pièces du dossier que pour les exemples ci-dessous relevés.

b) Les déclarations des exploitants de cinéma

39. Lors de l'enquête administrative, le gérant du cinéma Le Palace aux Sables d'Olonne a déclaré : "J'ai exigé que l'exclusivité pour la publicité locale de Mediavision soit limitée à 3 mois d'essai à l'issue desquels cette exclusivité pour la publicité locale de Mediavision serait devenue caduque si Mediavision n'était pas parvenu à conclure des contrats avec des annonceurs locaux par l'intermédiaire de la SEP (...)

Or, au bout de trois mois, j'ai constaté que Mediavision n'avait pas diffusé de publicité locale dans nos salles. J'ai donc refusé d'accorder à Mediavision l'exclusivité en publicité locale. Néanmoins, j'ai signé un contrat avec Mediavision en juin 2000. Toutefois, dans ce contrat, il est prévu que Mediavision a l'exclusivité de la publicité sur écrans sans préciser si cette publicité est nationale ou locale. De ce fait, ma situation est très ambiguë. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas pu signer de contrat avec Censier Publicinex. En effet, si je signais avec Censier, Mediavision me ferait un procès en revendiquant leur exclusivité. A plusieurs reprises, les responsables de Mediavision m'ont clairement exposé ce risque : je n'ai donc pas le droit de signer un contrat avec Censier (...)

Cette situation est aberrante dans la mesure où les Sables d'Olonne est une ville commerçante très active et qui plus est, une station balnéaire dotée de deux casinos, d'un centre de thalasso, un centre de congrès, deux golfs, 170 restaurants, un zoo etc. Potentiellement la publicité cinématographique locale pourrait donc être importante. Or, Mediavision, par l'intermédiaire de la SEP, ne diffuse aucune publicité locale (...). Mediavision me bloque donc et m'empêche de recourir à Censier Publicinex ou à un autre".

40. Lors de l'enquête administrative, le gérant du cinéma Le Pagnol à Aubagne a déclaré : "L'exclusivité de Mediavision nous a donc privés de recettes supplémentaires pour de la publicité locale, source de revenus non négligeable pour un cinéma de centre ville indépendant concurrencé par un multiplexe".

41. Lors de l'enquête administrative, le gérant de la société SAGCOA, qui exploite sept petits complexes de cinéma, a déclaré : "L'exclusivité de Mediavision est à mon sens aberrante dans la mesure où si je respectais vraiment le contrat, je serais privé de la publicité locale qui est une source de revenus non négligeable (...) A mon sens, l'exclusivité de Mediavision n'a pas de sens dans la mesure où ils ne sont pas capables de nous proposer des recettes publicitaires pour la publicité locale".

c) Les rappels à l'ordre de Mediavision

42. Il ressort des pièces recueillies lors de l'instruction et des déclarations de certains exploitants que Mediavision a procédé à des rappels à l'ordre écrits ou à des mises en demeure à destination des cinémas Le Rivoli à Carpentras, L'Empire à Ajaccio, Les Arcades à Boulogne sur Mer et Le Pagnol à Aubagne, qui avaient conclu des contrats avec Censier Publicinex ou Technic Publicité. Ces courriers rappellent à l'exploitant qu'une clause d'exclusivité est prévue au contrat de régie et qu'elle implique que seule la SEP est habilitée à la commercialisation de publicité locale. Mediavision a demandé à des exploitants de résilier leur contrat avec Technic Publicité et Censier Publicinex et leur a signifié le risque pour eux de s'exposer à des représailles. Mediavision a également rappelé la teneur de la clause d'exclusivité prévue dans le contrat de régie aux responsables de la société Kinépolis, à la suite de la proposition que lui avait faite la société Technic Publicité.

43. Dans le cas du cinéma Le Pagnol à Aubagne, la mise en demeure envoyée fait explicitement référence à la clause résolutoire prévue au contrat de régie. Le cinéma a déféré à l'injonction de Mediavision en avril 2001, qui a néanmoins engagé une procédure en référé impliquant Technic Publicité, le cinéma Le Pagnol et Mediavision devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, qui a renvoyé l'affaire au fond pour défaut d'urgence et contestation sérieuse en juillet 2001. En juin 2001, la société Mediavision a assigné le cinéma Le Pagnol et la société Technic Publicité devant le Tribunal de commerce de Paris afin notamment de faire condamner les deux sociétés à payer des dommages et intérêts en réparation de la violation de son exclusivité.

d) Les demandes d'exploitants concernant la publicité locale

44. Il ressort des éléments de l'enquête administrative que le cinéma Le Lorrain a demandé en novembre 2000 à la société Mediavision, que l'exclusivité soit levée sur la publicité locale en cours de contrat. Cette exclusivité n'a pas été levée jusqu'à l'expiration du contrat. Le contrat en renouvellement, régularisé le 6 novembre 2001, ne comportait plus d'exclusivité pour la publicité locale.

45. Le cinéma Le Palace a demandé à la société Mediavision que l'exclusivité sur la publicité locale soit levée en cours de contrat à deux reprises, en avril et en août 2001. En septembre 2001, un an et sept mois avant la fin du contrat, Mediavision a accepté de lever l'exclusivité pour une année. Mediavision a déclaré lors de l'enquête administrative que cette limitation à un an était motivée par le fait qu'elle avait "accordé lors de la signature du contrat une avance sur redevances qui, au jour de la levée de l'exclusivité, n'était pas encore amortie. La limitation à une année de cette levée d'exclusivité nous permet donc d'espérer pouvoir rentrer dans nos fonds. Nous craignions que si nous levions l'exclusivité (...), la SEP ne puisse plus démarcher les annonceurs locaux qui seraient déjà en contrat avec Censier". Le contrat, lors de son renouvellement, ne comportait pas d'exclusivité pour la publicité locale.

46. Il ressort d'un audit des contrats communiqué par Mediavision au cours de l'instruction que celle-ci a procédé, sur la période concernée, à six levées d'exclusivité, dont cinq intervenues avec certitude en cours de contrat.

47. Le cinéma Le Royal à Lorient et le cinéma Le Griffon à Saint Brieuc ont fermé leurs salles en centre ville, dans lesquelles Censier Publicinex passait de la publicité locale, et ont ouvert des multiplexes. Les exploitants ont, alors, sollicité l'autorisation de Circuit A/ Screenvision pour diffuser les publicités de Censier dans les multiplexes. Circuit A/ Screenvision a refusé d'accorder la levée d'exclusivité et a, dans ces cas, proposé que Censier Publicinex intervienne en tant que sous-régie, d'elle-même ou de la SEP.

e) La situation des sociétés CPI et Mediascreen

48. Les sociétés CPI et Mediascreen ont déclaré contester les exclusivités octroyées par les régies nationales à la SEP et souhaiter pouvoir acheter des espaces pour la publicité locale directement aux régies nationales, Mediavision et Circuit A/Screenvision.

D. LES GRIEFS NOTIFIÉS

49. Au regard des pratiques constatées, les griefs suivants ont été notifiés.

50. Grief n°1. Un grief d'abus de position dominante a été notifié à la société Mediavision en ces termes :

"Notifie sur le fondement des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 TCE le grief d'abus de position dominante individuelle à la SA Mediavision et Jean Mineur.

Pour avoir, au cours de la période comprise entre septembre 1998 et septembre 2001, étant en position dominante sur le marché de la publicité cinématographique nationale, mis en œuvre des pratiques destinées à lui permettre d'éviter d'être confrontée à la concurrence, en conservant abusivement l'exclusivité de la majeure partie des régies qui lui ont été consenties par les exploitants de salles de cinéma sur le marché connexe de la publicité cinématographique locale, ces pratiques ayant consisté à soumettre la publicité nationale et locale au même régime d'exclusivité et ayant eu pour objet et/ou pour effet de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché de la publicité cinématographique locale en limitant la possibilité pour les régies concurrentes d'y accéder et en limitant la liberté des exploitants de salles de cinéma de choisir leur cocontractant pour ce type de publicité, étant observé que les effets anticoncurrentiels de ces pratiques peuvent se mesurer à travers le fait que malgré le développement d'une offre de régie locale concurrente, la SA Mediavision et Jean Mineur reste aujourd'hui active sur la très grande majorité des sites cinématographiques implantés sur l'ensemble du territoire national (à raison de 55 % des salles publicitaires françaises).

Cette pratique qui caractérise une exploitation abusive sur un marché connexe (celui de la publicité cinématographique locale) d'une position dominante détenue sur un marché principal (celui de la publicité cinématographique nationale) se trouve prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 TCE".

51. Griefs n° 2 et n° 2 bis. Des griefs d'abus de position dominante collective ont été notifiés à la société Mediavision et Jean Mineur, ainsi qu'à la société Circuit A/ Screenvision en ces termes :

"Notifie un grief d'abus de position dominante collective sur le fondement des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 TCE.

- A la SA Mediavision et Jean Mineur pour avoir au cours de la période comprise entre septembre 1998 et septembre 2001, sur une partie substantielle du territoire national, abusivement exploité sur le marché connexe de la publicité cinématographique locale une position dominante détenue sur le marché de la publicité cinématographique nationale avec la SA Circuit A devenue SAS Circuit A/Screenvision France, en mettant en commun une stratégie contractuelle et une politique tarifaire similaires voire quasi identiques leur permettant de structurer le marché considéré en leur faveur au point de le rigidifier à hauteur de 80 % du parc des salles de cinéma correspondant à plus de 80 % du chiffre d'affaires de la publicité nationale.

Cette pratique ayant notamment eu pour effet d'imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou d'autres conditions de transaction inéquitables ainsi que de limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs se trouve prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 TCE.

- A la SAS Circuit A/Screenvision France, pour avoir au cours de la période comprise entre septembre 1998 et septembre 2001, sur une partie substantielle du territoire national, abusivement exploité sur le marché connexe de la publicité cinématographique locale une position dominante détenue sur le marché de la publicité cinématographique nationale avec la [SA Mediavision Jean Mineur], en mettant en commun une stratégie contractuelle et une politique tarifaire similaires voire quasi identiques leur permettant de structurer le marché considéré en leur faveur au point de le rigidifier à hauteur de 80 % du parc des salles de cinéma correspondant à plus de 80 % du chiffre d'affaires de la publicité nationale.

Cette pratique ayant notamment eu pour effet d'imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou d'autres conditions de transaction inéquitables ainsi que de limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs se trouve prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 TCE".

52. Grief n° 3. Un grief d'entente entre Mediavision et la SEP a été notifié dans les termes suivants :

"Notifie sur le fondement des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TCE, le grief d'entente :

A la SA Mediavision et Jean Mineur et à la SA SEP pour avoir, au cours de la période comprise entre septembre 1998 et septembre 2001, mis en œuvre une concertation ayant eu pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la publicité cinématographique locale, cette concertation s'étant manifestée par la mise en œuvre du contrat de sous régie souscrit le 5 mai 1997 entre elles et la SA France Vision, ledit contrat étant constitutif d'une barrière à l'entrée sur le marché susvisé, le contenu des clauses de ce contrat (notamment la clause d'exclusivité) et les modalités de leur mise en application, conjugués aux clauses (combinaison d'une clause d'exclusivité comprenant à la fois la publicité nationale et la publicité locale et d'une clause de reconduction tacite, conjuguées avec des pratiques annexes telles, l'opacité de la rémunération, l'application d'une clause de préférence et l'instauration d'un délai de "viduité " ou d'épreuve et la nécessité de motiver une demande de résiliation) et modalités de mise en œuvre des contrats de régie passés entre la SA Mediavision et Jean Mineur et les exploitants de salles de cinéma disséminés sur l'ensemble du territoire national (levée discrétionnaire et discriminatoire de la clause d'exclusivité), leur ayant en effet cumulativement garanti une protection territoriale absolue sur 55 % du parc des salles publicitaires françaises, pour la prospection, la promotion et le recueil de la publicité cinématographique locale diffusée sur les écrans de salles de cinéma se trouvant sous contrat de régie exclusive avec la SA Mediavision et Jean Mineur.

Cette pratique qui a eu un objet et/ou un effet anticoncurrentiel, en opérant notamment un cloisonnement géographique du marché de la publicité locale se trouve prohibée par les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TCE".

53. Grief n° 4. Un grief d'entente entre Screenvision/Circuit A et la SEP a été notifié dans les termes suivants :

"Notifie sur le fondement des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TCE, le grief d'entente :

A la SAS Circuit A/Screenvision France et à la SA SEP, pour avoir au cours de la période comprise entre septembre 1998 et septembre 2001, mis en œuvre des pratiques concertées avec la SA SEP ayant eu pour objet ou pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la publicité cinématographique locale, ces pratiques concertées (exclusivité de fait) constitutives d'une barrière à l'entrée sur le marché susvisé, conjuguées aux clauses (exclusivité concernant les deux types de publicité et clause de reconduction tacite) et modalités de mise en œuvre des contrats de régie passés entre la SA Circuit A devenue SAS Circuit A/Screenvision France et les exploitants de salles de cinéma disséminés sur l'ensemble du territoire national (levée discriminatoire et discrétionnaire de la clause d'exclusivité), leur ayant en effet cumulativement garanti une protection territoriale absolue sur 25 % du parc des salles publicitaires françaises, pour la prospection, la promotion et le recueil de la publicité cinématographique locale diffusée sur les écrans de salles de cinéma se trouvant sous contrat de régie exclusive avec la SA Circuit A devenue SAS Circuit A/Screenvision France.

Cette pratique qui a eu un objet et/ou un effet anticoncurrentiel en opérant notamment un cloisonnement géographique du marché de la publicité locale se trouve prohibée par les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TCE".

54. Grief n° 5. Un grief d'entente ayant un effet cumulatif a été notifié aux sociétés Mediavision, Circuit A/Screenvision et SEP sous les termes suivants :

"Notifie le grief d'effet cumulatif de pratiques contractuelles sur le fondement des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TCE à la SA Mediavision et Jean Mineur, la SAS Circuit A Screenvision France, ainsi qu'à la SA SEP.

Pour avoir, au cours de la période comprise entre septembre 1998 et septembre 2001, mis en œuvre des pratiques contractuelles similaires sous la forme de relations contractuelles d'exclusivité, passées avec les exploitants de salles de cinéma au titre de la publicité cinématographique nationale et locale et combinées avec un contrat de sous régie confié à un sous régisseur commun (la SA SEP), ces pratiques tendant, par leur effet cumulatif estimé à une part de marché cumulé de 80 % (55 %+ 25 %), à entraver l'accès de nouveaux entrants, concurrents de petite taille, sur le marché connexe au marché national de la publicité cinématographique locale, dont la dimension est nécessairement limitée par le parc de salles.

Ces pratiques, qui ont eu un objet et/ou un effet anticoncurrentiel en entravant le libre exercice de la concurrence entre les régisseurs relevant du marché de la publicité cinématographique locale, se trouvent prohibées par les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TCE".

55. Dans un rapport du 22 novembre 2005, le rapporteur a estimé que les griefs n° 1, 3 et 4 devaient être abandonnés et que les griefs n° 2 et 5 ne devaient être retenus qu'en ce qu'ils concernaient les relations contractuelles entre les régies nationales et les exploitants de cinéma.

II. Discussion

A. SUR LA DEMANDE DE VALIDATION ET LES PROPOSITIONS D'ENGAGEMENTS FORMULÉES PAR LES PARTIES

56. Dans les observations qu'elle a présentées le 14 février 2006 en réponse au rapport, la société Circuit A/Screenvision relève qu'elle a mis en œuvre, à partir de septembre 2004, un nouveau contrat-type de régie ne prévoyant aucun cumul de régie et qui s'est appliqué à 381 salles en un an. Elle demande au Conseil de la concurrence de se prononcer sur l'applicabilité des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81§1 du traité CE au contrat-type du 15 septembre 2004 ainsi que, le cas échéant, sur son exemption au titre des articles L. 420-4 du Code de commerce et 81§3 du traité (premier point).

57. La société Circuit A/Screenvision propose en outre au Conseil de la concurrence, dans l'hypothèse où il retiendrait les griefs notifiés, de prendre des engagements sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, tendant à généraliser ce nouveau contrat-type, à supprimer le cumul de régies exclusives pour les publicités nationales et locales et à laisser aux exploitants, à l'occasion des renégociations ou des échéances des contrats en cours, le libre choix de leur régie pour la publicité locale, soit formellement dans un nouveau contrat type, soit par avenant aux contrats en cours. Dans les observations qu'elle a présentées le 13 février 2006 en réponse au rapport, la société Mediavision propose au Conseil de la concurrence, dans l'hypothèse où il retiendrait les griefs notifiés, de modifier son contrat-type de régie et de proposer, au fur et à mesure des renouvellements des contrats de régie en cours, aux exploitants qui souhaiteraient lui confier la régie de la publicité nationale et celle de la publicité locale, deux contrats de régie de nature exclusive distincts, l'un portant sur la seule publicité nationale, l'autre sur la seule publicité locale (second point).

58. Sur le premier point, le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour se prononcer sur la validité et l'éventuelle exemption du contrat-type mis en place par la société Circuit A/Screenvision à compter du 15 septembre 2004. L'approbation préalable de contrat-type, qui n'a jamais été pratiquée par le Conseil de la concurrence mais uniquement par la Commission européenne, a en tout état de cause pris fin avec la mise en œuvre du règlement 1/2003.

59. Sur le second point, les sociétés Circuit A/Screenvision et Mediavision ne sont pas fondées à demander, après la notification du rapport, le bénéfice de la procédure d'engagement prévue par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, qui, conformément à la pratique du Conseil consacrée par le décret du 27 décembre 2005 pris pour l'application de l'ordonnance du 4 novembre 2004, a pour objet de répondre à des préoccupations de concurrence résultant d'une "évaluation préliminaire" nécessairement antérieure à la notification des griefs.

B. SUR LA PROCÉDURE

1. SUR LA SAISINE D'OFFICE DU 5 OCTOBRE 2004

a) Sur la régularité de la saisine d'office du 5 octobre 2004

60. La société Circuit A/Screenvision soutient que la décision du Conseil de la concurrence du 5 octobre 2004 de se saisir d'office aurait été prise en contradiction avec le principe d'impartialité. Elle cite un arrêt du 27 novembre 2001 dans lequel la Cour d'appel de Paris considère que la décision par laquelle le Conseil s'est saisi d'office a "pour seul objet d'ouvrir la procédure devant le Conseil de la concurrence afin que puissent être conduites les investigations pouvant servir de base à la notification ultérieure de griefs, sans qu'à ce stade aucun fait ne puisse être qualifié ni aucune pratique anticoncurrentielle imputée à quiconque". Cet arrêt ferait, selon Circuit A/Screenvision, obstacle à ce que le Conseil se saisisse d'office après une notification des griefs. Elle avance que ce principe n'aurait pas été respecté en l'espèce, la décision de saisine d'office renvoyant au dossier enregistré sous le numéro F 1338 et aux pièces du dossier, constituées notamment d'une notification des griefs et des mémoires en réponse à celle-ci.

61. La société Circuit A/Screenvision ajoute que la décision de saisine d'office doit également être déclarée irrégulière car elle s'appuie sur une plainte du 3 août 2001, enregistrée sous le numéro M 287, relative à une demande de mesures conservatoires à l'encontre de Mediavision Jean Mineur, qui est distincte de la procédure F 1338, et même complètement étrangère à cette dernière dès lors qu'elle n'est citée dans aucun acte de la procédure et est antérieure de plus de trois ans à la décision de saisine d'office. Elle conclut en relevant que la décision de jonction du 6 octobre 2004 est également entachée de nullité, en ce qu'elle s'appuie sur une saisine d'office irrégulière.

62. Mais, selon une jurisprudence constante notamment développée dans une décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics d'Ile-de-France, "ni l'article 11 de l'ordonnance, ni le décret pris pour son application ne font obligation au Conseil de motiver ses décisions d'autosaisine ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a souligné, dans l'arrêt "Banques" du 27 novembre 2001 : "aucune disposition n'impose au Conseil de la concurrence de rendre compte des circonstances dans lesquelles il a estimé opportun d'exercer le pouvoir de se saisir d'office que la loi lui reconnaît afin, notamment, de le mettre en mesure de donner sa propre orientation à la politique de la concurrence". Le Conseil de la concurrence est souverain dans l'appréciation de l'opportunité de se saisir d'office et n'a pas à rendre compte des circonstances dans lesquelles il décide d'exercer ce pouvoir. Le Conseil n'a donc pas à justifier son auto-saisine, ni à produire les éléments factuels au vu desquels il a pris sa décision".

63. En l'espèce, le fait que le Conseil ait pu s'appuyer sur des faits relevés par l'une des pièces du dossier F 1338 n'entraîne pas de conséquence quant à son impartialité dès lors qu'il n'est pas tenu de motiver son auto-saisine et, qu'en tout état de cause, la procédure visée n'avait pas encore donné lieu de sa part à une décision au fond définitive. De même, le moyen tiré de la référence erronée, dans cette décision, à une demande de mesures conservatoires déposée par la société saisissante le 3 août 2001 qui n'était pas l'accessoire d'une demande au fond, ne saurait entacher cette décision de nullité.

64. Le Conseil n'ayant pas à motiver une décision d'auto-saisine, il ne peut donc être soutenu que la saisine d'office du 5 octobre 2004 est irrégulière et qu'elle entraîne la nullité de la décision de jonction des affaires F 1338 et 04/0072F.

65. Les moyens concernant la régularité des décisions de saisine d'office et de jonction doivent donc être écartés.

b) Sur la procédure consécutive à la saisine d'office du 5 octobre 2004

66. La société SEP soutient que le Conseil de la concurrence ne peut valablement se prononcer sur la saisine d'office du 5 octobre 2004 (procédure 04/0072 F), celle-ci n'ayant donné lieu à aucune notification des griefs antérieurement à la notification du rapport le 22 novembre 2005, comme le requiert l'article L. 463-2 du Code de commerce. Elle prétend qu'ayant été destinataire de demandes d'informations, après cette saisine d'office, sur le seul fondement de la procédure ouverte sous le numéro F 1338, elle a été trompée sur l'objet de l'enquête.

67. Mais aucun acte de procédure n'a été accompli en vertu de la saisine d'office du 5 octobre 2004. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de répondre au moyen soulevé sur son déroulement ou encore sur celui concernant les demandes d'informations intervenues après son adoption, celle-ci peut être écartée des débats et l'affaire examinée au regard de la seule procédure initiée par la saisine du 19 septembre 2001, enregistrée le 20 septembre 2001 sous le numéro F 1338.

2. SUR LES CONSÉQUENCES DE LA RADIATION DE LA SOCIÉTÉ TECHNIC PUBLICITÉ

68. La société Circuit A/Screenvision avance que la société Technic Publicité, la saisissante, ayant fait l'objet d'une dissolution anticipée à compter du 17 mars 2004 puis d'une radiation le 31 janvier 2005, la procédure F 1338 qu'elle a initiée serait désormais sans objet.

69. Mais, ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a rappelé dans un arrêt du 8 septembre 1998, "la décision du Conseil de la concurrence, même si elle a le caractère d'une punition, est une décision administrative non juridictionnelle ; (...), rendue par un organisme qui remplit une mission ayant pour finalité la défense d'un ordre public économique, elle n'intervient pas pour satisfaire à la demande d'une partie, mais sanctionne les pratiques anticoncurrentielles dont le Conseil, régulateur du marché, a pu établir l'existence (...). [La] saisine du Conseil par une personne habilitée a pour effet de porter à la connaissance de celui-ci des pratiques susceptibles d'être contraires aux règles de la concurrence, mais (...) une fois cette saisine déposée, son auteur n'a pas la maîtrise de la procédure ainsi engagée". Les affaires portées à la connaissance du Conseil de la concurrence relèvent donc d'un contentieux objectif, visant à protéger l'ordre public économique, et ne sont donc pas contraintes par les demandes des parties.

70. En l'espèce, la disparition de la société Technic Publicité, qui avait régulièrement saisi le Conseil au regard des conditions de recevabilité posées par l'article L. 462-8 du Code de commerce, n'a donc pas pour effet de dessaisir le Conseil de l'affaire qui avait été portée à sa connaissance.

71. Le moyen doit donc être écarté.

3. SUR LES COMPÉTENCES D'INSTRUCTION DU CONSEIL

72. Les parties soutiennent que le Conseil de la concurrence ne pouvait instruire l'affaire F 1338 qu'à l'encontre de la société Mediavision et Jean Mineur et que la procédure ayant abouti à la notification de griefs à deux autres entreprises serait irrégulière.

73. Elles soulignent en effet que la saisine initiale ne mettait en cause que la seule société Mediavision et Jean Mineur, pour abus de position dominante et entente avec les exploitants de cinéma et que le Conseil de la concurrence, dans sa décision n° 02-D-03 du 29 janvier 2002, a rendu une décision définitive épuisant sa compétence. Elles notent ensuite que la Cour d'appel de Paris a strictement encadré le renvoi de l'affaire devant le Conseil et ne lui a demandé de compléter son instruction qu'en ce qui concerne "l'incidence éventuelle, sur le marché de la régie publicitaire locale, des pratiques reprochées à la société Mediavision". Le champ de l'instruction doit donc, selon la SEP, être interprété restrictivement, le Conseil se trouvant, après l'arrêt de la cour d'appel, dans la même situation qu'un juge de renvoi après cassation, tenu de reprendre l'instruction en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. Cette "saisine de renvoi" limiterait selon la société Mediavision et Jean Mineur la compétence du Conseil au complément d'instruction ordonné par la Cour d'appel, tant sur les pratiques concernées que sur le marché pertinent.

74. Mais le Conseil de la concurrence a, dans sa décision n° 02-D-03 du 29 janvier 2002, rejeté la saisine au fond de Technic Publicité en raison de l'absence d'éléments suffisamment probants : cette décision, rendue en l'état du dossier, n'a pas l'autorité de la chose décidée. La cour d'appel, dans son arrêt du 24 septembre 2002, a rejeté la demande de mesures conservatoires ainsi que la demande d'annulation de cette décision. Elle l'a, par contre, réformée en ce qu'elle avait rejeté la saisine au fond. La cause était donc renvoyée en l'état devant le Conseil qui peut, étant saisi in rem, retenir les pratiques qui, quoique non visées dans la saisine initiale, ont été révélées au cours des investigations et ont le même objet ou le même effet que celles dénoncées (Cour d'appel de Paris, 22 février 2005, Decaux). La circonstance que la cour d'appel ait, par ailleurs, ordonné un complément d'instruction "sur l'incidence éventuelle, sur le marché de la régie publicitaire locale, des pratiques reprochées à la société Mediavision" ne peut avoir pour effet de limiter la compétence d'instruction du Conseil de la concurrence, cette mesure n'énonçant que les mesures d'instruction minimales auxquelles le Conseil devra procéder. La décision de rejet au fond ayant été réformée, l'instruction du Conseil de la concurrence pouvait porter sur tous les éléments compris dans le champ initial de sa saisine in rem.

75. Le moyen doit donc être écarté.

4. SUR LA LOYAUTÉ ET LE DROIT DE NE PAS S'AUTO-INCRIMINER

a) Sur l'utilisation, dans la procédure, d'enquêtes d'initiative de la DGCCRF

76. Les parties, et notamment la SEP, avancent que les deux rapports d'enquête de la DGCCRF et les procès-verbaux qui y sont annexés ont été recueillis en violation du principe de loyauté dans la recherche des preuves car ils n'avaient pas le même objet que la saisine. La SEP soutient ainsi que de tels rapports ne peuvent être transmis sur le fondement de l'article 18 du décret du 30 avril 2002 que lorsque leur objet coïncide exactement avec celui de l'affaire en cours.

77. Mais l'article 18 du décret du 30 avril 2002 prévoit que "lorsque le rapporteur juge utile, pour l'instruction des saisines mentionnées à l'article L. 462-5 du Code de commerce et des demandes de mesures conservatoires prévues à l'article L. 464-1 du même Code dont il a la charge, et notamment en cas d'urgence, de demander à la DGCCRF communication des éléments dont elle dispose déjà, sa demande est transmise par le rapporteur général, selon les mêmes modalités que celles qui sont prévues au premier alinéa de l'article L. 450-6 de ce Code". Cet article ne limite pas le champ de la communication, dès lors que les documents (rapports d'enquête, procès-verbaux...) présentent un lien avec la saisine du Conseil et ont été recueillis loyalement.

78. En l'espèce, ces enquêtes portaient sur le secteur de la publicité cinématographique, qui faisait l'objet de la saisine du Conseil. Cet objet a clairement été indiqué aux sociétés entendues, tant dans les courriers fixant les rencontres entre l'agent chargé de l'enquête et les représentants des sociétés concernées qui ont donné lieu aux procès-verbaux annexés au rapport d'enquête du 10 juillet 2002, que sur les procès-verbaux concernés, qui visent dans les deux cas les articles L. 450-1 et suivants du livre IV du Code de commerce. Les parties ne pouvaient donc se méprendre sur la portée de leurs déclarations.

79. Ce moyen doit donc être écarté.

b) Sur les procès-verbaux d'audition de Circuit A/Screenvision et de la SEP réalisés durant l'instruction

80. Les parties soutiennent que l'intégralité des pièces communiquées par les sociétés Circuit A/Screenvision et SEP aux deux rapporteures successives lors de l'instruction précédant la notification des griefs et les procès-verbaux des auditions de ces deux entreprises réalisées les 17 décembre 2003 et 2 février 2004 doit être retirée du dossier, au motif que ces auditions et pièces auraient été recueillies dans des conditions contraires au principe de loyauté. Elles relèvent que la première demande de renseignements effectuée antérieurement à la décision n° 02-D-03 du 29 janvier 2002 mentionnait explicitement que celles-ci n'étaient pas mises en cause, qu'elles ont été entendues dans le cadre de l'affaire consécutive à la plainte de Technic Publicité contre Mediavision, dans le cadre d'une enquête qui ne les concernait pas ; elles ignoraient donc que leurs déclarations pouvaient éventuellement leur faire grief (premier point).

La SEP prétend en outre que l'une des questions qui lui a été posée le 17 décembre 2003, ainsi formulée : "les conditions de travail avec Circuit A et Mediavision sont-elles les mêmes ?", l'a conduite à s'auto-incriminer (second point).

81. Mais, sur le premier point, le fait que le demandeur de mesures conservatoires n'ait visé qu'une entreprise n'interdisait pas aux services d'instruction du Conseil, saisi in rem, d'instruire plus largement sur la base de déclarations recueillies auprès d'autres entreprises, dès lors que ces déclarations ont été recueillies loyalement et que les pratiques qui lui sont reprochées entrent dans le champ matériel et temporel de la saisine du Conseil.. Le seul fait de ne pas avoir été explicitement cité par le saisissant ne peut évidemment pas protéger une entreprise de poursuites éventuelles, si l'instruction révèle des pratiques anticoncurrentielles ayant un lien avec le secteur et le champ concerné. Or, en l'espèce, les pièces recueillies pendant l'instruction répondent aux impératifs de loyauté dans la recherche des preuves et de non auto-incrimination.

82. S'agissant des conséquences à tirer des courriers de la première rapporteure, en date du 30 octobre 2001, il convient tout d'abord de relever que ce courrier a été envoyé dans le cadre de l'instruction d'une demande de mesures conservatoires. La saisine ne visait que la société Mediavision, cette circonstance expliquant la formulation utilisée par la rapporteure. En revanche, l'objet de l'enquête et le secteur concerné étaient explicitement mentionnés dans ce premier courrier (et donc dès le début de la procédure) aux entreprises ("pratiques constatées dans le secteur de la publicité dans les cinémas"). Les informations demandées par ce courrier concernaient, en outre, des données objectives, telles que les parts de marchés en volume et la ventilation des chiffres d'affaires, de sorte qu'en y répondant les entreprises n'ont pas été conduites à admettre l'existence d'infractions dont il appartient au Conseil de la concurrence d'établir la preuve. Les pièces communiquées à la suite de ce premier courrier n'ont d'ailleurs pas été utilisées à charge dans la procédure. Au contraire, la société Circuit A/Screenvision reprend pour sa défense un élément chiffré mentionné dans sa réponse.

83. S'agissant des pièces et des auditions réalisées postérieurement à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris renvoyant l'affaire à l'instruction, et notamment des procès-verbaux de la SEP du 17 décembre 2003 et de Circuit A/Screenvision du 2 février 2004, il convient principalement de noter que les convocations et les procès-verbaux des auditions des sociétés SEP et Circuit A/Screenvision sont réguliers. Ils précisaient en effet le cadre légal ainsi que l'objet de l'instruction menée, à savoir le secteur de la publicité cinématographique, secteur dans lequel les entreprises SEP et Circuit A/Screenvision opèrent. Les entreprises Circuit A/Screenvision et SEP ayant été préalablement informées de l'objet de la saisine initiale, du secteur d'activité concerné et du stade de la procédure auquel l'audition intervenait, elles ont été entendues en connaissance de cause et dans le respect du principe de loyauté.

84. Sur le second point, il est inexact de considérer, comme le fait la SEP, que la formulation de la question dénoncée serait en soi constitutive d'une violation du principe de non auto-incrimination. Celle-ci ne visait, en effet, qu'à comparer les relations commerciales que la SEP entretenait avec ses deux commettants. L'utilisation de la réponse donnée dans la notification des griefs ne suffit pas à démontrer la violation du principe de non auto-incrimination.

85. Le moyen doit donc être écarté.

5. SUR L'ÉGALITÉ DES ARMES ET LE RESPECT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

a) Sur le délai supplémentaire accordé à certaines entreprises pour déposer leurs observations après la notification des griefs

86. La société Mediavision estime que le principe d'égalité des armes entre les parties n'a pas été respecté, compte tenu du report dans le dépôt des mémoires obtenu par les sociétés SEP et Circuit A/Screenvision, alors qu'elle-même n'en a pas bénéficié.

87. Mais, le Conseil de la concurrence a rappelé, dans sa décision n° 06-D-03 du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie, climatisation, que "les dispositions de l'article L. 463-2 alinéa 4 du Code de commerce, qui prévoit que l'octroi d'un délai supplémentaire par le président dépend de la démonstration par chaque partie de l'existence de circonstances exceptionnelles le justifiant, impliquent nécessairement de traiter les parties de manière individuelle et donc, le cas échéant, de manière différente selon leur situation". Or, en l'espèce, la société Mediavision n'a pas sollicité de délai supplémentaire.

88. Le moyen doit donc être écarté.

b) Sur l'accès au dossier et le contenu des différents CD-ROM communiqués

89. La société Circuit A/Screenvision soutient que la procédure suivie dans la présente affaire est contraire au principe du procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, car le dossier qui lui a été communiqué ne contenait pas les pièces issues de l'instruction des mesures conservatoires ayant abouti à la décision du 29 janvier 2002 et les observations présentées ultérieurement devant la Cour d'appel de Paris. La société Circuit A/ Screenvision en conclut que le principe d'égalité des armes n'a pas été respecté, notamment vis-à-vis de la rapporteure, du commissaire du Gouvernement et de la société Mediavision. Elle note en outre que des pièces de la première procédure lui auraient été communiquées avec le rapport dans le seul but de régulariser une procédure à laquelle elle était étrangère. Elle relève enfin qu'une partie essentielle des pièces de la première procédure au Conseil ne figurait pas dans le CD-ROM transmis avec le rapport, notamment la plainte du 3 août 2001 enregistrée sous le numéro M.287, les pièces annexées au mémoire de Mediavision du 5 novembre 2001 et les cinq premières pièces annexées à la lettre du 30 octobre 2003. Sur cette question, la société Mediavision souligne que le premier CD-ROM remis avec la notification des griefs s'est avéré incomplet et que, s'agissant de celui envoyé avec le rapport, plusieurs CD-ROM ont été adressés aux parties pour régulariser des erreurs matérielles.

90. Mais, conformément à une jurisprudence constante, notamment rappelée dans la décision n° 06-D-04 du 13 mars 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe, "la confection et l'envoi d'un CD Rom au stade de la notification de griefs ne sont qu'une facilité supplémentaire offerte aux entreprises par le Conseil", qui peuvent venir consulter le dossier au Conseil, ce qu'elles ont fait dans la présente procédure, sans qu'aucune, et notamment pas Circuit A/Screenvision, ne fasse état, durant la période de consultation et avant le dépôt des observations, de l'absence de pièces dans le dossier ouvert à la consultation. Par ailleurs, l'article L. 463-2 du Code de commerce prévoit, au moment de l'envoi du rapport, la communication en annexe de ce dernier de l'ensemble des documents sur lesquels se fonde le rapporteur pour étayer les griefs notifiés.

Or, en l'espèce, les pièces concernées, c'est-à-dire les pièces sur lesquelles se fonde le rapporteur pour étayer les griefs notifiés, ont été effectivement communiquées par CD-ROM en annexe du rapport notifié le 25 novembre 2005.

91. Les pièces issues de la procédure devant la Cour d'appel de Paris, effectivement absentes du dossier consultable au Conseil après la notification des griefs, sont étrangères à la société Circuit A/Screenvision, qui n'était pas partie à l'instance, à la différence de la société Mediavision. L'objet de ce recours contentieux contre une décision de rejet pour défaut d'éléments suffisamment probants ne présentait pas d'intérêt pour la défense de Circuit A/Screenvision relativement à l'accusation portée devant elle dans l'affaire instruite par le Conseil. Enfin, ces pièces n'ont pas été utilisées pour fonder les griefs à son encontre. Il en résulte que le Conseil n'avait pas à communiquer ces éléments aux parties. Le moyen manque donc en droit, mais aussi en fait dès lors que ces éléments ont été intégrés, au stade du rapport, au CD-ROM transmis aux parties avec le rapport et figuraient au dossier que les parties ont, une nouvelle fois, consulté après la notification de ce rapport, pour leur information. La circonstance que certaines erreurs matérielles dans le CD-ROM aient été signalées puis corrigées est à cet égard sans influence sur la régularité de la procédure.

92. Le moyen doit donc être écarté tant en ce qu'il concerne l'accès au dossier qu'en ce qu'il concerne le principe d'égalité des armes.

c) Sur le non respect du principe d'instruction à charge et à décharge

93. La société Mediavision avance que le principe d'instruction à charge et à décharge n'a pas été respecté au cours de l'instruction comme dans la notification des griefs, cette dernière omettant de prendre en compte les pièces favorables à Mediavision figurant au dossier et présentant de manière partiale certains éléments.

94. Mais il est de jurisprudence constante que le rapporteur fonde la notification de griefs sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé. Ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a rappelé dans un arrêt en date du 27 février 2003, "le fait que la notification de griefs puis le rapport n'aient pas cité tous les faits et documents qui n'ont pas été retenus comme indices des pratiques anticoncurrentielles ne peut faire grief aux entreprises précitées, celles-ci ayant eu accès à l'ensemble de la procédure ; (...) l'argument selon lequel le rapporteur aurait dénaturé les documents et les déclarations figurant au dossier est dépourvu de portée, dès lors que les requérantes reconnaissent dans le même temps que ceux-ci sont sujets à interprétation et qu'il n'est pas contesté qu'elles ont pu faire valoir, tout au long de la procédure, leurs moyens de défense sur l'interprétation qui en était donnée par le rapporteur, le Conseil puis la cour ayant été mis en mesure par la suite de faire un nouvel examen des éléments de preuve ainsi produits".

95. Il convient dès lors d'écarter ce moyen.

d) Sur les informations dont disposait la société Censier Publicinex

96. La société Circuit A/Screenvision soutient qu'une atteinte au principe d'égalité des armes résulterait du fait qu'un courrier de demande d'informations envoyé à Censier Publicinex, tiers à la procédure, ferait référence à la procédure d'auto-saisine du 5 octobre 2004, alors que les courriers adressées à la SEP ne la mentionneraient pas.

97. Le moyen manque en fait car le courrier en question ne fait pas explicitement référence à une auto-saisine du Conseil, mais aux affaires jointes 01/1338F et 04/0072F, sans plus de précision. Ensuite et surtout, l'égalité des armes, dont on ne voit pas en l'espèce ce qui aurait pu y porter atteinte, ne peut s'apprécier que par comparaison avec la situation d'une partie adverse, ce qui n'est pas le cas de la société Censier Publicinex.

98. Le moyen ne peut dès lors qu'être rejeté.

6. SUR L'IMPRÉCISION ET LA MODIFICATION ALLÉGUÉES DES GRIEFS NOTIFIÉS

a) Sur le caractère prétendument abstrait des griefs

99. La société Mediavision soutient que les griefs qui lui ont été notifiés étaient à la fois abstraits, ne lui permettant ainsi pas de se défendre convenablement, et incomplets, notamment dans la description des objets et des effets anticoncurrentiels (premier point). Elle avance en outre que la définition du marché pertinent a fluctué tout au long de la procédure, étant différente dans la décision du Conseil de la concurrence du 29 janvier 2002, dans l'arrêt de la cour d'appel du 24 septembre 2002 et dans la notification des griefs. Elle note de plus sur ce point que la définition retenue dans le rapport serait en contradiction avec celle du complément d'instruction ordonné par la Cour d'appel de Paris (deuxième point). Enfin, elle avance que les positions, selon elles contradictoires, de la notification des griefs, du rapport, où une partie des griefs notifiés est abandonnée, et du commissaire du Gouvernement qui aurait développé des conclusions exactement inverses de celles du rapport, créent pour elle une confusion et une insécurité juridique préjudiciables (troisième point).

100. Sur le premier point, l'importance de la notification de griefs a été rappelée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 29 mars 2005 (Filmdis Cinésogar) : "Les garanties fondamentales de la procédure devant être impérativement respectées, la notification des griefs doit informer précisément les entreprises poursuivies des pratiques reprochées et le Conseil ne saurait -sauf notification de griefs complémentaires à laquelle il lui est loisible de procéder- sanctionner une pratique qui n'a pas été visée dans la notification des griefs, peu important à cet égard qu'elle ait été dénoncée dans le rapport et que les parties s'en soient expliquées devant lui". Il s'agit d'un document synthétique qui doit décrire les faits reprochés, leur qualification juridique et leur imputabilité aux entreprises destinataires.

101. Or, la notification de griefs du 18 juin 2004 décrit les pratiques reprochées, leur qualification juridique et leur imputabilité qui sont récapitulées à la fin du document. De nombreux passages décrivent, en outre, les objets et effets anticoncurrentiels dénoncés, tant dans les conclusions partielles afférentes à chaque pratique que dans la conclusion générale. Dès lors que les informations nécessaires ont été communiquées aux parties, rien n'impose qu'une subdivision formelle de la notification des griefs soit spécialement consacrée à l'étude des objets ou des effets anticoncurrentiels des pratiques dénoncées. Dès lors, il ne peut être soutenu que les informations nécessaires à l'exercice des droits de la défense n'ont pas été communiquées aux parties dans la notification des griefs.

102. Sur le deuxième point, tout d'abord, le marché pertinent à prendre en compte est celui retenu dans la notification des griefs, dont la définition et la justification ont été précisées au stade du rapport, compte tenu des observations des parties et conformément au principe du contradictoire.

103. Les formulations utilisées dans la notification des griefs sont celles du "marché de la publicité cinématographique nationale" et du "marché de la publicité cinématographique locale". On trouve ces formulations, pour la délimitation du marché pertinent, page 59, ainsi que pour l'énoncé des griefs, de la page 86 à la page 89. Dans l'énoncé des griefs, la référence au marché pertinent de la publicité cinématographique nationale est faite à cinq reprises et la référence au marché pertinent de la publicité cinématographique locale, connexe au premier, est faite à onze reprises. La société Mediavision n'est donc pas fondée à soutenir qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier la portée des griefs notifiés.

104. Le marché pertinent défini au stade du rapport est le même que celui défini dans la notification des griefs. Le rapport fait en effet explicitement référence, tout d'abord au "marché de la régie publicitaire cinématographique nationale" et ensuite à celui de la "régie publicitaire cinématographique locale". En effet, malgré l'absence de référence explicite à la régie dans la formulation du marché pertinent, il n'existe aucun doute sur la réalité du marché qui était examiné dans la notification des griefs : les développements sur la délimitation des marchés reposent sur les différences d'activité des régisseurs entre le marché de la publicité cinématographique nationale et le marché de la publicité cinématographique locale ; par ailleurs, la présentation des entreprises, des pratiques et des parts de marché constituent une référence claire au marché concerné, relatif au service de régies.

105. Dans les deux cas, la référence au marché de la publicité cinématographique dans la notification des griefs renvoie à la publicité faite par l'intermédiaire du média cinéma, c'est-à-dire via des films projetés sur des écrans. A cet égard, la notification des griefs entendait, dès ses premières pages, la notion de publicité cinématographique de cette manière. Ainsi, page 7, dans une section nommée "Données fondamentales du secteur de la publicité cinématographique", une sous-section nommée "Délimitation matérielle du secteur : définition" débute ainsi : "La plupart des exploitants de salles de cinéma confient à des régies la gestion de leur espace publicitaire, lequel est constitué par les écrans". Ces questions ont été débattues et précisées au stade du rapport, dans le respect du principe du contradictoire.

106. Ni le marché pertinent retenu dans la décision du Conseil de la concurrence du 29 janvier 2002, décision rendue en matière de mesures conservatoires réformée par la Cour d'appel de Paris, ni celui auquel la cour d'appel fait référence dans son arrêt du 24 septembre 2002 n'ont d'autorité de chose décidée quant aux griefs notifiés le 18 juin 2004. En tout état de cause, il convient de relever que le marché auquel la cour d'appel fait référence dans son arrêt du 24 septembre 2002 est le même que celui auquel la notification des griefs et le rapport font référence, et ce malgré des différences de formulation dans certaines occurrences, soulignées par la société Mediavision. En effet, si le complément d'instruction vise le marché de la régie publicitaire locale, l'intégralité de l'arrêt se réfère au marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

107. Sur le troisième point, il convient de rappeler la place respective des différents actes et des différents intervenants dans la procédure. Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 463-2 du Code de commerce, la notification des griefs marque l'ouverture de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 463-1. L'article 36 du décret du 30 avril 2002 précise que "le rapport soumet à la décision du Conseil de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés".

108. La notification de griefs ouvre la phase contradictoire de la procédure et fixe le cadre définitif de l'instance devant le Conseil, imposant à ce dernier de se prononcer sur tous les griefs retenus par le rapporteur, sans pouvoir requalifier d'office les faits qui lui sont soumis, ni ajouter de nouveaux griefs, ni poursuivre de nouvelles entreprises (sauf à devoir surseoir à statuer), et le rapport propose donc une analyse qui n'a pas pour effet de modifier la nature des griefs reprochés aux parties. A chaque étape de la procédure, le commissaire du Gouvernement, qui n'est pas une instance de poursuite dans la procédure, a la possibilité de donner son avis, qui peut différer en tout ou partie de celui soutenue dans la notification des griefs ou de celui soutenu au stade du rapport. Dès lors, des points de divergence entre d'une part la position adoptée dans la notification des griefs et précisée dans le rapport, d'autre part les observations émises par le commissaire du Gouvernement sont tout à fait possibles et tiennent à la nature même de la procédure devant le Conseil de la concurrence.

109. Le moyen doit donc être écarté.

b) Sur la modification alléguée des griefs notifiés

110. Les parties soutiennent que, dans ses développements, le rapport modifie les pratiques qui leur ont été reprochées dans la notification de griefs. La société Mediavision avance en effet qu'en visant une pratique de couplage d'exclusivités, notion juridique précise, le rapport opère un revirement par rapport aux éléments antérieurs qui visaient le champ d'application de la clause d'exclusivité des contrats conclus avec les exploitants et couvrant à la fois la publicité nationale et la publicité locale (premier point). La société Circuit A/Screenvision prétend qu'en décrivant l'effet cumulatif des pratiques contractuelles sur les seules relations entre les exploitants de cinéma et Circuit A/ Screenvision d'une part et Mediavision d'autre part, à l'exclusion des relations de ces régies nationales avec la SEP, le rapport en aurait modifié les éléments constitutifs cumulatifs (second point).

111. Le Conseil a rappelé, dans une décision n° 05-D-64 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché des palaces parisiens, qu'un "grief au sens de la procédure devant le Conseil de la concurrence est un ensemble de faits, qualifiés juridiquement et imputés à une ou plusieurs entreprises. La notification de griefs doit donc informer les parties des pratiques reprochées, de leur qualification juridique au regard du droit applicable - national ou communautaire- et des personnes auxquelles sont imputées ces pratiques, afin de les mettre en mesure de contester utilement, au cours de la procédure contradictoire, soit la réalité des faits, soit leur qualification, soit leur imputation. La notification des griefs n'a donc pas pour objet d'anticiper ou d'épuiser dès l'origine le débat contradictoire ultérieur, ni de retirer à la formation du Conseil appelée à prendre la décision son pouvoir de motiver librement celle-ci, dès lors qu'elle s'en tient au grief notifié et fonde sa décision sur des éléments soumis au contradictoire. Le principe même de la séparation des fonctions d'instruction et de décision fait obstacle à ce que cette formation soit réduite à une simple "chambre d'enregistrement" des raisonnements du rapporteur". Dès lors, tant que le rapport ne vise pas des pratiques différentes de celles évoquées dans la notification des griefs et ne modifie pas leur qualification, il est possible d'y affiner l'analyse concurrentielle, d'étayer ou de préciser l'un des griefs notifiés.

112. Sur le premier point, la société Mediavision ne peut soutenir qu'il existe une différence entre la référence à une exclusivité couvrant à la fois la publicité nationale et la publicité locale, c'est-à-dire deux prestations réalisées sur des marchés pertinents différents, et la référence à un couplage des exclusivités des prestations réalisées sur chacun des deux marchés pertinents différents. Les deux expressions font en effet référence au même mécanisme concurrentiel et aux mêmes conséquences dans l'économie des contrats ainsi que dans les interactions entre les prestations sur les deux marchés pertinents concernés.

113. Il n'existe pas davantage de contradiction entre les pratiques décrites au stade du rapport et celles visées antérieurement dans la procédure du seul fait que le principe d'une exclusivité du contrat de régie est plusieurs fois admis dans le rapport, à défaut de l'idée d'un couplage d'exclusivité. Une telle distinction a, en effet, été opérée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 24 septembre 2002 qui, si elle considère que "l'exclusivité consentie à la société Mediavision pour son activité de régie publicitaire nationale n'est pas en elle-même répréhensible", notamment par référence à un avis de la Commission de la concurrence de 1984, précise que "la clause d'exclusivité stipulée dans le contrat-type versé aux débats ne distingue pas entre la publicité nationale et la publicité locale, qui sont ainsi, de fait, liées l'une à l'autre ; que la clause, mentionnée à l'article 1er de ce contrat, selon laquelle ''l'exploitant s'engage à informer Mediavision de toute acquisition ou création de salle(s) ou complexe(s) non inclus dans le présent contrat, afin de susciter une offre de la régie Mediavision", ne fait que renforcer cet état de fait; qu'il convient dès lors que le Conseil procède à un complément d'instruction en ce qui concerne l'incidence des clauses d'exclusivité contestées sur le marché connexe de la régie de publicité locale", point qui motive la réformation de la décision de rejet du Conseil et le complément d'instruction demandé.

114. Il découle de ce qui précède qu'en mentionnant un couplage d'exclusivités, le rapport renvoie aux mêmes pratiques et à la même qualification que celles dénoncées dans la notification des griefs. Le rapport utilise d'ailleurs tant l'expression de couplage des exclusivités que l'expression de double exclusivité, qu'il oppose à l'exclusivité pour l'une seulement des prestations de régie. Il ne fait que préciser, par la référence au couplage, le type de problématique concurrentielle et les outils d'analyse qu'il juge les plus appropriés pour étudier les faits décrits dans la notification des griefs. Ces précisions sont donc destinées à nourrir le débat contradictoire, auquel les parties ont pu participer par leurs observations écrites et orales.

115. Sur le second point, le grief n° 5 rappelé au paragraphe 54 visait un certain nombre de faits, qu'il qualifiait au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE et qu'il imputait à trois entreprises. C'est sur ce grief notamment, qu'afin de vider sa saisine, le Conseil doit se prononcer. Dans son analyse sur les faits et les griefs, le rapport, en réponse aux arguments des parties, observe que, compte tenu du fonctionnement du marché, l'élément qui fonde l'effet cumulatif est la similarité des relations contractuelles d'exclusivité entre les deux régies nationales et les exploitants de cinéma. Partant, il constate que la relation de chacune des régies avec la SEP n'est pas l'élément pertinent du grief et ne permet pas d'imputer ce grief à la SEP. De sorte que les développements du rapport n'ont pas ajouté de faits au grief notifié ni imputé ces faits à une nouvelle entreprise, mais ont précisé la partie des faits à l'origine du problème de concurrence. Ces développements ont, dès lors, soutenu le grief notifié, en étayant la partie de ce grief relatif aux pratiques similaires des régies nationales avec les exploitants de cinéma. Comme rappelé plus haut, ces développements ne lient pas le Conseil qui doit seulement s'en tenir au grief notifié et fonder sa décision sur des éléments soumis au contradictoire.

116. Au vu de ces éléments, il y a lieu d'écarter les moyens tirés d'une prétendue modification des griefs au stade du rapport.

C. SUR L'AFFECTATION DU COMMERCE INTRACOMMUNAUTAIRE ET LE DROIT APPLICABLE

117. Les parties contestent que le commerce intracommunautaire puisse être affecté par les pratiques concernées et que le droit communautaire soit, dès lors, applicable à l'espèce.

118. La société Circuit A/Screenvision soutient tout d'abord que l'affectation du commerce intracommunautaire ne peut résulter que d'un échange transfrontalier et qu'elle est en l'espèce exclue en raison du caractère purement national des activités en cause. Elle ajoute que l'infraction alléguée ne fait pas partie des pratiques susceptibles, par leur nature même, d'affecter le commerce intracommunautaire.

119. La société Mediavision et Jean Mineur soutient en outre qu'elle n'exploite plus aujourd'hui à l'étranger que sa filiale hollandaise, créée à la demande de Pathé en 2000, la régie portugaise dans laquelle Mediavision avait des participations depuis juillet 1997, ayant été liquidée en février 2004.

120. Les parties relèvent, par ailleurs, que la nature du service en cause rend impossible une affectation du commerce intracommunautaire. Elles soutiennent que les différences culturelles (faible interchangeabilité des publicités du fait de différences de goûts et de perception des clients,...), linguistiques, législatives et économiques (faible rentabilité du marché,...) liées à la publicité sont des barrières fortes à l'entrée d'opérateurs non français. Elles ajoutent que la publicité cinématographique locale n'existe pas dans tous les pays européens et qu'elle a un objet strictement limité aux villes où sont situés les exploitants, ce qui réduit les probabilités d'attirer de nouveaux entrants étrangers. Elles notent dès lors la difficulté et surtout l'absence d'intérêt pour des concurrents étrangers d'entrer sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

121. Les parties avancent enfin, qu'à supposer que l'affectation du commerce entre Etats membres soit établie, celle-ci ne saurait être sensible. La société Circuit A/Screenvision indique ainsi que le marché concerné est de petite taille. La société Mediavision avance de même que, si la présomption négative d'absence d'incidence sensible sur le commerce ("règle AISC", paragraphe 52 de la communication de la Commission, Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JOCE n° C 101, 27 avril 2004) ne s'applique pas, cela ne signifie pas pour autant que la pratique est susceptible d'affecter de manière sensible le commerce intracommunautaire (paragraphe 51 de la communication précitée) et qu'en l'espèce il n'y a pas d'affectation car l'entreprise qui risque d'être éliminée n'opère que dans un État membre (par référence au paragraphe 94) et pas d'affectation sensible car la pratique alléguée n'affecte qu'une partie insignifiante de ses ventes (par référence au paragraphe 96).

122. Mais, la question de l'affectation du commerce intracommunautaire est une question distincte et préalable de celle de la restriction de concurrence (paragraphe 4 de la communication précitée), abordée par les décisions Brasserie de Haecht et Delimitis auxquelles les parties font référence. Elle est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause car le commerce entre États membres peut être affecté même dans des cas où le marché est national ou subnational (paragraphe 22).

123. Par ailleurs, c'est l'accord concerné ou la stratégie générale examinée qui doit être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, peu important que les différentes parties de l'accord, et notamment les restrictions du jeu de la concurrence pouvant en découler, soient susceptibles ou non de le faire isolément (paragraphes 14 et 17).

124. Enfin, s'agissant des accords ou pratiques couvrant un seul État membre, la communication expose que "la nature de l'infraction alléguée, et notamment sa propension à interdire l'accès au marché national, renseigne bien sur la capacité de l'accord ou de la pratique d'affecter le commerce entre États membres" (paragraphe 77). S'agissant d'accords verticaux, elle précise que "les accords verticaux couvrant l'ensemble d'un État membre sont notamment susceptibles d'affecter les courants d'échanges entre États membres dès lors qu'ils rendent plus difficiles aux entreprises d'autres États membres la pénétration du marché national en cause, soit au moyen d'exportations, soit au moyen de l'établissement (effet d'éviction). Lorsque des accords verticaux produisent ce genre d'effet d'éviction, ils contribuent à un cloisonnement de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration voulue par le traité" (paragraphe 86). S'agissant de pratiques abusives, elle note que "toute pratique abusive qui rend plus difficile l'entrée sur le marché national doit donc être considérée comme affectant sensiblement le commerce" (paragraphe 96).

125. En l'espèce, les pratiques examinées le sont à la fois au titre d'ententes et d'abus de position dominante. Elles concernent des accords relatifs à la fois à la prestation de régie cinématographique publicitaire nationale et à la prestation de régie publicitaire cinématographique locale, couvrant l'intégralité du territoire français et prévoyant des exclusivités à l'égard des régies, de telle sorte qu'elles sont susceptibles de rendre plus difficile l'entrée sur l'intégralité du marché français.

126. S'agissant des barrières à l'entrée, la communication précise que "si des barrières absolues, extérieures à l'accord ou à la pratique, s'opposent au commerce transfrontalier, celui-ci ne risquera d'être affecté que si ces barrières sont susceptibles de disparaître dans un avenir prévisible. En revanche, si les barrières ne sont pas absolues mais rendent simplement les activités transfrontalières plus difficiles, il est extrêmement important d'assurer que les accords et les pratiques n'entraveront pas davantage ces activités, faute de quoi ils pourront affecter le commerce entre États membres" (paragraphe 32).

127. Le fait que Mediavision ait été capable, à l'époque des faits, de proposer les services objets de l'accord dans d'autres pays de la Communauté, qui plus est non francophones, montre que les barrières énoncées, pour sérieuses qu'elles soient, n'en sont pas pour autant absolues. Ainsi, si Mediavision a cessé, depuis l'époque des faits, son activité au Portugal, les éléments du dossier, notamment les procès-verbaux des conseils d'administration de Mediavision pour la période concernée, font état d'activités, certes parfois limitées ou déficitaires, de ses filiales dans plusieurs autres pays tels que l'Espagne, l'Italie, la Suisse, ou la Pologne. De même, il convient de noter que Circuit A/Screenvision a développé après 2002 des services à destination de neuf pays en Europe. S'il est sans doute difficile d'entrer sur un marché étranger de la régie publicitaire cinématographique, les accords et pratiques examinés sont susceptibles de rendre encore plus difficile cette entrée, et dès lors d'affecter le commerce intracommunautaire.

128. S'agissant de l'application de la règle "AISC", il convient de constater que les accords en cause génèrent un chiffre d'affaires de plus de 40 millions d'euro et couvrent largement plus de 5 % des parts de marché de chacun des marchés concernés. La présomption négative de non affectation n'est donc pas applicable. Au contraire, s'agissant d'accords susceptibles par leur nature d'affecter le commerce intracommunautaire, le paragraphe 53 de la communication instaure une présomption positive d'affectation sensible. Par ailleurs, les accords concernant une grande part des ventes des entreprises en cause, le paragraphe 96 cité par Mediavision ne peut s'appliquer.

129. Il résulte de ce qui précède que le commerce entre États membres est susceptible d'être affecté de manière significative et que le droit communautaire est, dès lors, applicable.

D. SUR LE BIEN FONDÉ DES GRIEFS NOTIFIÉS

1. SUR LES MARCHÉS PERTINENTS

a) Sur les marchés de produits

130. La notification des griefs et le rapport définissent deux marchés pertinents : le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale et le marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

131. Le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale n'est pas contesté par les parties. Il comprend la rencontre de l'offre de services de régies publicitaires spécialisées dans le média cinéma et la demande des exploitants de cinéma. Ce marché est un "marché à deux faces" (two sided market), les régies ayant par ailleurs pour activité de démarcher des annonceurs et de les convaincre d'utiliser l'espace publicitaire que représente l'écran de cinéma. Dès lors, l'étude des supports de publicité pour ces annonceurs ne peut pas être exclue de l'analyse.

132. De ce point de vue, le Conseil a rappelé dans son avis n° 05-A-18 du 11 octobre 2005, relatif à l'acquisition du Pôle Ouest de la société Socpresse et de fonds de commerce de la SEMIF par la société SIPA, que "s'agissant de la publicité, les espaces publicitaires offerts par les différents médias ont été considérés dans plusieurs avis et décisions du Conseil comme constituant des marchés distincts du point de vue des annonceurs, notamment parce qu'ils présentent des spécificités techniques, lesquelles permettent de décliner différents modes de perception et de mémorisation des messages, visuel ou auditif (cf. en ce sens, la décision n° 96-D-44 du 18 juin 1996, les décisions n° 02-D-03 du 29 janvier 2002 pour la publicité dans les cinémas, n° 00-D-67 du 13 février 2000 pour la publicité à la télévision, n° 98-D-52 du 7 juillet 1998 pour l'affichage extérieur, l'avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 pour les marchés publicitaires de la presse et l'avis n° 03-A-03 précité pour la presse gratuite)" et que "les annonceurs utilisent souvent plusieurs supports dans le cadre de leurs campagnes publicitaires, un seul support ne leur permettant pas de couvrir la totalité de leur cible. L'élaboration d'un plan médias repose précisément sur l'idée qu'une campagne de publicité doit impliquer différents médias suivant le type de cible visée ; même si plusieurs médias peuvent concourir à toucher une même cible, les plans médias font apparaître plus de complémentarité que de substituabilité entre les différents supports de publicité".

133. Les parties ne contestent pas non plus la différenciation entre un marché relatif à la régie publicitaire nationale et un marché relatif à la régie publicitaire locale. Du point de vue des annonceurs, les objectifs de communication, la teneur du message, la zone géographique couverte par une campagne (quelques départements au plus), la durée des annonces et des campagnes ainsi que les coûts d'une campagne diffèrent en effet selon qu'il s'agit de publicité cinématographique nationale ou locale. Les offres sont en outre différentes : la prestation des régies publicitaires cinématographiques diffère sensiblement selon qu'il s'agit de publicité nationale ou locale. Les régies opèrent un travail de promotion du média cinéma et de démarchage dans les deux cas. Toutefois, l'activité de régie locale diffère de celle de régie nationale en ce que le démarchage doit être fait sur le terrain auprès d'annonceurs potentiels dispersés sur une zone de chalandise donnée et que les régies locales doivent le plus souvent réaliser les films publicitaires des annonceurs locaux. La régie locale doit, par conséquent, réunir une force commerciale de démarcheurs sur le terrain et des aptitudes techniques de réalisation des films particulières. En pratique, cette distinction se matérialise par le fait que les entreprises véritablement présentes sur le marché de la publicité nationale sont différentes de celles opérant sur le marché de la publicité locale. La publicité décentralisée, comprise comme l'adjonction, à la fin d'une publicité nationale, des coordonnées du représentant local de la marque, est communément comprise comme relevant de la publicité locale.

134. S'agissant du marché de la régie publicitaire cinématographique locale, les parties en contestent l'existence au motif que la substituabilité entre les médias et beaucoup plus forte que celle décrite au cours de l'instruction.

135. Mais, dans sa décision n° 96-D-44 du 18 juin 1996 relative au secteur de la publicité, le Conseil a, en se fondant principalement sur la combinaison des trois critères que sont l'importance du budget, la nature du message et la cible visée, considéré que "chaque média possède des qualités propres de nature à le rendre imparfaitement substituable à un autre média pour un annonceur désireux de procéder à une campagne publicitaire, soit que cet annonceur décide d'investir son budget sur un seul média, soit au contraire qu'il décide de le répartir entre différents médias pour moduler son message et diversifier ou élargir ses cibles". Dans son avis n° 05-A-18 précité, le Conseil a fait application des jurisprudences concernant la segmentation des marchés pertinents par médias à différents médias locaux, dont la presse quotidienne régionale.

136. La publicité cinématographique, même locale, possède des caractères spécifiques par rapport aux autres médias. Il est vrai que les différents médias présents à l'intérieur d'un cinéma sont tous destinés à une clientèle particulière. Cette cible et le taux de couverture de la population concernée font partie des caractéristiques du média cinéma. Toutefois, la publicité cinématographique présente d'autres spécificités notables, validées uniquement par les films projetés en salle. Elle présente ainsi des caractères techniques particuliers, liés à la spécificité de son support, l'écran de cinéma, ainsi qu'aux contraintes de mise en œuvre que représente la création d'un film, plus ou moins scénarisé, étape pour laquelle les régies locales sont mises à contribution. Cette mise en œuvre, techniquement lourde, se fait à des tarifs spécifiques. La société Mediavision note d'ailleurs elle-même que les annonceurs locaux peuvent être séduits par des médias moins coûteux, et relève ainsi les différences de tarifs entre les médias locaux. L'utilisation d'un autre média que le cinéma pour faire passer un message publicitaire aura, donc, des conséquences en termes de coûts pour l'annonceur et en termes de recettes pour l'exploitant de cinéma et la régie.

137. La publicité cinématographique présente en outre une durée de passage relativement limitée ; malgré cela, elle assure une identification de la marque, du produit ou du service et une mémorisation du message exceptionnelles. Ce taux de mémorisation exceptionnel (de l'ordre de 75 %, alors que le second média de ce point de vue, la télévision, n'atteint que 15 %) est d'ailleurs l'un des arguments commerciaux du média cinéma. Il est atteint compte tenu des conditions de réception et de perception (visuelle et auditive) du cinéma. Le message est en effet délivré à un public captif, disponible, détendu et réagissant collectivement au message adressé dans un environnement particulier, une salle plongée dans le noir, où l'écran de grande taille est le seul objet d'attention. Une telle situation n'est pas comparable, en termes d'attention du public et d'impact, aux prospectus distribués dans un cinéma, à la publicité sur les tickets ou même aux publicités passées en continu sur des écrans plasmas dans les halls des cinémas.

138. De même, si la cible visée par les différents médias dans un cinéma est identique et figure parmi les éléments de définition du marché pertinent concerné, ce point n'est pas suffisant pour démontrer qu'ils appartiennent au même média ou au même marché pertinent. Le Conseil a déjà considéré, dans sa décision n° 96-D-44 précitée, que les différents supports à l'intérieur d'un même média appartiennent au même marché pertinent, "même si les supports 'généralistes' tendent à se différencier de ceux s'adressant à une population plus ciblée". De même, dans sa décision n° 05-D-11 du 16 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'affichage publicitaire au sein du réseau ferroviaire et dans le secteur du transport de personnes sur la route Paris-Londres, il a estimé que "pour choisir une voie d'affichage, les annonceurs arbitrent entre les différents supports selon le niveau d'audience que ce support lui permet de toucher, son affinité avec la cible que l'annonceur souhaite atteindre". Dès lors et par analogie, les différents médias présents dans un cinéma sont autant de supports différents du média dont ils ont les caractéristiques techniques et tarifaires (presse gratuite, affichage,...). De même, si certains médias ont des points communs avec la publicité cinématographique (télévision pour le cumul entre son et image animée), ne font partie du même marché pertinent que les supports de publicité cumulant l'ensemble des mêmes caractéristiques pertinentes.

139. Par ailleurs, le fait que les exploitants de cinéma soient intéressés par tous les types de publicité pouvant leur apporter des recettes ne signifie pas que ces différentes catégories appartiennent au même marché pertinent. Cela induit, à l'inverse, que l'exploitant peut les cumuler et n'a pas à réaliser d'arbitrage entre l'un ou l'autre. Les parties relèvent, d'ailleurs, explicitement dans leurs observations que les autres médias publicitaires sont proposés par les mêmes cinémas que ceux qui proposent les écrans. A cet égard, les éléments du dossier démontrent notamment que des cinémas proposaient simultanément de la publicité sur écrans et des rideaux publicitaires, médias dont les parties ont soutenu au cours de l'instruction la particulière substituabilité, mais pour lesquels des différences notables existent (en terme de coût, de techniques de production, de nature du message, de temps d'exposition, d'impact ou du nombre d'annonceurs présentés). L'affirmation de la SEP selon laquelle le groupe Majestic privilégie la publicité sur les programmes papier à celle réalisée sur les écrans pour des raisons de maîtrise de la qualité du produit et de la commercialisation n'infirme pas l'analyse. Elle démontre que ce groupe de cinéma attend certains caractères du média utilisé et des prestations qui lui sont proposées et ignore les médias qui ne répondent pas aux exigences voulues.

140. Enfin, le fait que les régies locales proposent des services concernant d'autres médias n'implique pas que tous ces services font partie du même marché pertinent, notamment car cette caractéristique de l'offre n'influe pas sur le comportement de la demande. Il ne peut être déduit du fait que ces régies diversifient leur activité vers l'un ou l'autre des médias présents dans les cinémas l'existence d'un marché global, dès lors que cela ne favorise pas pour autant la substituabilité entre la publicité cinématographique et les autres médias, ni pour les exploitants de cinéma, ni pour les annonceurs et dès lors qu'il existe des différences techniques notables dans l'activité de régie sur chacun de ces médias (la régie cinématographique devant par exemple s'occuper de la production et du montage).

141. Il résulte de ce qui précède que, bien qu'il puisse être envisagé que la substituabilité partielle entre les médias soit plus forte au niveau local qu'au niveau national, le marché pertinent à retenir est celui de la régie publicitaire cinématographique locale, à l'exclusion des autres médias disponibles à l'intérieur ou à l'extérieur des cinémas.

b) Sur la délimitation géographique des marchés

142. Les marchés de la régie publicitaire cinématographique nationale et de la régie publicitaire cinématographique locale ont été tous deux définis, dans le rapport comme dans la notification des griefs, comme de dimension nationale. S'agissant de la publicité nationale, cette délimitation tient à la taille des offreurs, à leur prospection sur l'ensemble du territoire, au mode de gestion du portefeuille de salles en régie, à la taille des annonceurs, au mode de négociation et à la zone de diffusion des campagnes.

143. S'agissant du marché de la régie publicitaire cinématographique locale, si les sociétés Mediavision et SEP n'en contestent pas la dimension nationale, la société Circuit A/ Screenvision avance que, conformément à l'avis n° 05-A-18 du 11 octobre 2005 précité, selon lequel "selon une jurisprudence constante, la dimension géographique des marchés des médias et de la publicité sur ces médias correspondent à leur zone de diffusion", le marché géographique doit être segmenté par ville, voire par arrondissement dans les grandes villes.

144. Mais, la délimitation d'un marché de produit s'entend sur une zone géographique définie, soit parce que l'analyse faite du comportement de la demande n'est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu'il s'agit de la zone géographique à l'intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou service en question. Il s'agit de la zone géographique sur laquelle un pouvoir de monopole pourrait effectivement être exercé, sans être exposé à la concurrence d'autres offreurs situés dans d'autres zones géographiques ou à celle d'autres biens ou services. Un marché géographique pertinent comprend, dès lors, le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et ne comprend pas les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.

145. En l'espèce, l'offre de services de régie publicitaire cinématographique locale est en très large majorité offerte par des sociétés de dimension nationale, capables de répondre aux demandes d'exploitants de salles de cinéma disséminées sur l'ensemble du territoire français, mais également d'exploitants possédant un réseau de salles de dimension locale, régionale ou nationale, et y répondant de manière uniforme et continue sur l'ensemble du territoire. Le fait que la prestation de démarchage de la régie soit par la suite destinée, sur l'autre face du marché, à des annonceurs situés dans la zone de chalandise de chacune des salles opérées n'a pas pour effet de changer la dimension géographique du marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

146. Il résulte de ce qui précède que les marchés concernés sont les marchés de la régie publicitaire cinématographique nationale et le marché de la régie publicitaire cinématographique locale, tous deux de dimension nationale.

2. SUR LA POSITION DES ENTREPRISES MISES EN CAUSE SUR LES MARCHÉS PERTINENTS

a) En ce qui concerne les parts de marché

Sur les critères à prendre en compte pour le calcul des parts de marché

147. La société Mediavision et la SEP relèvent que le règlement d'exemption n° 2790-1999 sur les restrictions verticales et les lignes directrices de la DGCCRF sur les concentrations citent le chiffre d'affaires comme critère de référence et, qu'en l'espèce, plusieurs intervenants interrogés ont répondu en faisant référence au chiffre d'affaires. Dès lors, les parties contestent l'utilisation, dans la notification des griefs et le rapport, du nombre d'écrans gérés comme mode de calcul des parts de marché complémentaire du chiffre d'affaires. Elles critiquent la pertinence d'un tel critère, compte tenu du fait que les contrats sont passés par site et non par écran, que le chiffre d'affaires engendré est plus important pour les régies que le nombre d'écrans, que les écrans ne sont pas équivalents en terme de chiffre d'affaires à coût de prospection identique et enfin que les chiffres en terme d'écrans sont approximatifs.

148. Le calcul des parts de marché a pour objectif de déterminer les rapports de force sur un marché pertinent donné, et il est traditionnel de considérer le chiffre d'affaires comme le critère de référence pour les déterminer. Cela ressort des textes et de la jurisprudence interne et communautaire. Toutefois, d'autres éléments peuvent également être utiles pour apprécier le pouvoir de marché, ainsi que l'indique la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JOCE n° C 372, 9 décembre 1997). Celle-ci indique que "si les ventes sont généralement la référence pour calculer des parts de marché, il y a néanmoins d'autres références, selon les produits ou l'industrie spécifiques en question, qui peuvent offrir l'information utile, telles que, notamment, la capacité, le nombre d'opérateurs dans l'offre des marchés, les unités de flottes dans le cas de l'aérospatiale ou des réserves tenues dans le cas des secteurs tels que l'exploitation minière. Par expérience, on sait que les ventes en volume et en valeur sont une information utile. En présence de produits différenciés, on considère souvent que les ventes en valeur et la part de marché correspondante donnent une meilleure idée de la position et de la puissance relatives de chaque fournisseur" (paragraphes 54 et 55). Ceci n'est pas contradictoire avec l'article 9 du règlement d'exemption n° 2790-99, qui, afin d'assurer un maximum de sécurité juridique aux entreprises dans l'évaluation de leur possibilité de bénéficier d'une exemption, établit une hiérarchie dans les critères qui seront utilisés pour son application.

149. En l'espèce, le chiffre d'affaires est un bon outil pour apprécier le rapport de force sur les marchés de la régie publicitaire cinématographique, comme cela ressort des éléments du dossier, des actes de la procédure et des précédents jurisprudentiels sur la publicité en général et sur la publicité cinématographique en particulier.

150. Il ne peut toutefois être soutenu que le nombre d'écrans en régie soit un indice non pertinent du pouvoir des régies sur les marchés concernés. En effet, l'écran est le support de l'activité de la régie publicitaire cinématographique. Obtenir la concession d'un ou plusieurs écrans est un préalable indispensable à toute activité vis-à-vis des annonceurs, pour lesquels un écran représente le support sur lequel seront diffusés leurs messages publicitaires. Dès lors, le nombre et la part d'écrans en régie est un indice du niveau de sa couverture du marché.

151. L'appréciation par Mediavision de l'absence de pertinence du nombre de salles par rapport au nombre des contrats ou des sites n'est pas fondée. Tout d'abord, les contrats ne sont pas systématiquement passés par sites, et peuvent l'être pour un circuit, ou une portion de circuit. Le nombre d'écrans exploitables et le chiffre d'affaires potentiel peut donc sensiblement varier d'un contrat à l'autre. En outre, les contrats énumèrent toujours précisément les salles (c'est-à-dire les écrans) dont est composé le site ou le circuit concerné (et chiffrent le nombre de fauteuils) et, dans les contrats concernant tout ou partie d'un circuit, l'annexe précisant l'objet de la concession est appelée "liste des salles" (et non "liste des sites").

152. De même, les bons de commande aux annonceurs précisent le nombre de salles concernées par l'opération publicitaire et l'argumentaire commercial des régies à leur égard s'appuie très largement sur le nombre des salles. Ainsi, la plaquette commerciale de la société Mediavision présente au dossier met fréquemment en avant le nombre de salles en régie (parfois complété du nombre d'entrées), notamment dans la comparaison avec son concurrent Circuit A/Screenvision. Il en est de même pour la présentation de l'implantation de Mediavision sur le territoire (section dénommée "le parc des salles publicitaires").

Enfin, les différents "produits" proposés aux annonceurs, variant par leur cible ou leur diffusion, sont présentés en fonction du nombre de salles et non du nombre de sites. Ainsi, dans la communication vis-à-vis des annonceurs, le nombre d'écrans en régie est un argument important. La plaquette et les produits de Circuit A/Screenvision, de même que les sites Internet des régies, mettent également largement en avant le réseau de salles disponibles. Ceci est particulièrement vrai pour le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale où la demande vise pour partie la diffusion la plus large possible, alors que, sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale, les annonceurs sont plus intéressés par la proximité. Le nombre d'écrans servis par chaque opérateur constitue donc un indice pertinent du pouvoir économique des régies sur les marchés concernés, et particulièrement sur celui de la régie publicitaire cinématographique nationale, même s'il est vrai que toutes les salles ne sont pas comparables.

Sur la part d'autoconsommation dans le chiffre d'affaires de Circuit A/ Screenvision

153. En réponse au rapport, la société Circuit A/Screenvision soutient, contrairement à ses développements antérieurs, qu'étant jusqu'en 2002 filiale à 95 % d'UGC, une grande partie de son chiffre d'affaires doit être retirée de l'appréciation des parts de marché. Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, Mediavision serait alors largement prédominant en terme de parts de marché.

154. Dans son rapport annuel 2001, le Conseil relève que "si les biens et services ne sont pas offerts, il n'y a pas de marché. Ainsi, les biens et services produits par une entreprise pour sa propre consommation ne font pas partie du marché". Il se réfère à un arrêt de la cour d'appel du 19 mai 1998, Transpac, selon lequel : "L'autoproduction n'est pas, selon la jurisprudence communautaire, un service offert sur le marché de sorte qu'il ne présente pas une alternative pour le client ; que tel est en effet, le sens de la décision de la Commission des Communautés du 8 avril 1992 (ACCOR/ Wagon-lit) et de celle du 21 février 1973 (Continental Can) qui a réformé la décision de la Commission, non pas parce qu'il aurait fallu prendre en compte l'autoproduction, mais seulement parce qu'avait été relevée sur le marché la présence d'excédents dont il devait être tenu compte". Ainsi, l'autoconsommation est traditionnellement écartée dans le calcul des parts de marché. Les lignes directrices de la DGCCRF sur les concentrations excluent également le chiffre d'affaires correspondant aux transactions intra-groupe (paragraphe 142). C'est le cas, a priori, qu'il s'agisse de biens intermédiaires, de services connexes ou de support et qu'il s'agisse d'une intégration verticale pure ou d'une filiale.

155. Toutefois, l'analyse du pouvoir de marché des entreprises ne se réduit pas au simple constat d'une part de marché, et les autorités de concurrence prennent parfois en compte l'autoconsommation pour apprécier le pouvoir de marché des entreprises sur un marché. Dans son avis n° 05-A-05 du 16 février 2005, le Conseil, bien qu'ayant exclu l'autoconsommation entre Wanadoo et France Télécom du calcul des parts de marché, s'appuie sur l'apport, qualitativement apprécié, que cette part d'autoconsommation apporte à France Télécom sur le marché. Les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales vont dans le même sens et précisent que si, dans le calcul de la part de marché pour l'application du règlement d'exemption par catégorie, la production interne (entendue comme la fabrication par une entreprise d'un bien intermédiaire au vu de sa propre production) n'est pas prise en considération, elle "peut revêtir une très grande importance dans une analyse de la concurrence en tant que contrainte concurrentielle ou en tant que facteur qui renforce la position d'une entreprise sur le marché" (paragraphe 98). Enfin, dans l'arrêt Schneider/ Legrand du 22 octobre 2002, le Tribunal de première instance des communautés européennes a reproché à la Commission d'avoir refusé de comptabiliser, dans les parts de marché d'ABB et Siemens, leurs ventes intégrées de composants pour tableaux électriques, alors que, compte tenu du fonctionnement des marchés de grands projets de construction (organisés autour d'appels d'offres pour lesquels les producteurs intégrés sont en concurrence avec leurs homologues non intégrés, directement ou indirectement, selon que ces derniers s'associent aux tableautiers ou ne font que leur vendre des composants), elle avait de ce fait surestimé la puissance de l'entité issue de la fusion et sous-estimé celle de deux importants concurrents.

156. Comme on l'a vu, les marchés de la régie publicitaire cinématographique sont des "marchés à deux faces" (two sided markets). Les régies publicitaires, spécialisées, y jouent le rôle d'intermédiaires dans la vente des espaces des exploitants de cinéma à des annonceurs ou à des agences de publicité et conservent dès lors un pourcentage des recettes. Sur ce marché, Circuit A/Screenvision gère la régie des salles UGC, sa maison mère à l'époque des faits, mais assure également la régie d'un certain nombre de circuits ou de cinémas tiers au groupe, services pour lesquels elle est en concurrence avec la société Mediavision.

157. Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, il existe un effet de réseau. L'intérêt de la demande finale, celle des annonceurs, est de pouvoir accéder à un réseau de salles le plus important possible. Il existe, dès lors, une externalité indirecte de réseau : chaque exploitant a un intérêt indirect à ce que le réseau de cinémas auquel il adhère soit le plus grand possible, afin qu'un maximum d'annonceurs importants soit attiré par celui-ci. La part de salles UGC opérée par Circuit A/Screenvision est donc un avantage direct dans la concurrence avec la société Mediavision, même dans sa relation avec les cinémas. Un nouvel entrant doit avoir une taille critique minimale pour espérer intéresser des annonceurs et être utile aux exploitants (et donc attractif). Le nombre de salles détenues est, par suite, un argument dans la concurrence que se livrent les régies nationales concernant les salles de cinémas. Les salles appartenant à UGC en régie dans le parc de Circuit A/Screenvision renforcent également sa position propre dans sa relation de concurrence avec Mediavision ; elles lui apportent, en effet, une garantie financière, une garantie d'activité minimale ainsi qu'une attractivité minimale constante pour les annonceurs. Par ailleurs, et de manière plus classique, la taille du réseau détenu peut créer des économies de coûts, d'échelle ou des effets d'apprentissage. Dès lors, le nombre de salles appartenant à UGC et le chiffre d'affaires réalisé avec ces salles ne peuvent être exclus d'une analyse du pouvoir de marché et des rapports de force sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale.

158. Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale, le phénomène d'effet de réseau n'existe pas. Un annonceur, de taille bien plus modeste que les annonceurs de la publicité cinématographique nationale, est intéressé par l'adéquation entre sa zone de chalandise et l'aire d'influence du cinéma ainsi que par la proximité, le nombre d'entrées ou le niveau de recettes de ce dernier. La taille du réseau et le nombre d'annonceurs peuvent cependant permettre d'amortir les différents coûts, et notamment ceux liés à l'amélioration des services de production qu'une régie locale rend à ses annonceurs. Mais Circuit A/Screenvision utilise sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale un sous-traitant, la SEP, dont l'activité engendre les recettes publicitaires sur lesquelles se fondent ses parts de marché. Les flux financiers de recettes publicitaires ne restent donc pas internes et ne peuvent dès lors être considérés comme de l'autoconsommation à part entière. Il convient de relever sur ce point que les régies dont l'activité a été exclue des parts du marché de la régie publicitaire cinématographique locale sont des régies totalement intégrées, réalisant elles-mêmes une activité à destination exclusive de sociétés de leur groupe.

159. Il résulte de ce qui précède que, bien que les parts de marchés intra-groupes soient traditionnellement exclues du calcul des parts de marché, celles de Circuit A/Screenvision ne peuvent en l'espèce être ignorées dans l'analyse du pouvoir de marché des entreprises, notamment sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale. Les parts de marché faciales n'étant en l'espèce pas révélatrices du pouvoir de marché des entreprises, les chiffres ci-dessous présentés incluent donc, pour plus de clarté, le chiffre d'affaires réalisé par Circuit A/Screenvision sur les salles du circuit UGC, pour le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale comme pour le marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

Sur le calcul des parts de marché en chiffre d'affaires

160. Les parties ont relevé certaines erreurs matérielles dans les chiffres présentés au rapport concernant la part de marché (en chiffre d'affaires) de Circuit A/Screenvision sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale pour l'année 2000 et, sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale, concernant celui de Technic Publicité pour 2001 et ceux de la SEP pour 1999 et 2001. Elles sont corrigées dans les chiffres présentés ci-dessous et n'affectent les résultats que de manière très marginale. Le chiffre d'affaires de Technic Publicité, pour 2001, comprend les sommes effectivement perçues jusqu'en septembre 2001 et le chiffre d'affaires prévisionnel indiqué par la société pour les trois derniers mois et communiqué lors de l'enquête administrative.

Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale

161. La société Mediavision conteste les chiffres d'affaires qui lui sont attribués sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale pour 2000 et 2001. Elle avance en effet que ceux-ci sont en contradiction avec des chiffres certifiés par son commissaire aux comptes, joints à ses observations.

162. Sur ce point, il est vrai que le chiffre d'affaires utilisé dans le calcul des parts de marché est généralement le chiffre d'affaires hors taxes et que les chiffres communiqués par Mediavision dans ses observations à la notification des griefs puis au rapport, pour 2000 et 2001, sont des chiffres d'affaires publicitaires nets, certifiés par le commissaire aux comptes de la société. Toutefois, l'essentiel, pour apprécier le rapport de force sur un marché et son évolution, est de pouvoir comparer des données similaires sur l'ensemble de la période.

163. En l'espèce, les chiffres d'affaires utilisés dans la procédure sont des chiffres qui ont été communiqués par Mediavision elle-même sur demande d'un enquêteur de la DGCCRF, provenant de ses comptes d'exploitation et concernant les années 1998 à 2001. Sur ces chiffres, la précision suivante avait été apportée : "Les chiffres d'affaires communiqués ci-dessus sont des CA avant remises professionnelles et cumul de mandat pour la publicité nationale". L'utilisation simultanée des parts de marché initialement communiquées par Mediavision pour les années 1998 et 1999 et des chiffres certifiés présentés pour 2000 et 2001 aurait pour effet de fausser l'analyse, car la baisse des parts de marché de Mediavision entre 1999 et 2000 qui en résulte provient vraisemblablement du changement de méthode dans le calcul des chiffres et non d'une réalité du marché. En tout état de cause, l'ordre de grandeur des parts de marché de Mediavision, quels que soient les chiffres utilisés, n'est pas remis en cause et se situe aux alentours de 60 % (pour 2001, selon les sources, elle est de 62,8 % ou de 58 %). Cela confirme les déclarations faites par les représentants de Mediavision en audition ("Nous représentons environ 60 % du CA de la publicité nationale") et l'appréciation faite dans les rapports de gestion de Circuit A/Screenvision, qui font état, en ce qui concerne celui-ci, d'une part de 40 %. Les chiffres montrent en outre une grande stabilité des parts de marché, sur les quatre années pour les chiffres initialement communiqués, comme sur les deux années concernées pour les chiffres certifiés communiqués.

164. Les données, collectées en ce qui concerne les chiffres d'affaires sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, sont présentées ci-dessous :

<emplacement tableau>

Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale

165. La société Mediavision conteste les chiffres d'affaires attribués à Censier Publicinex et à Technic Publicité sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale. Elle avance que tous les chiffres communiqués pendant la procédure par Censier Publicinex sont différents et contradictoires. Elle se demande, en outre, pourquoi l'activité "rideaux" est exclue du calcul des parts de marché de Technic Publicité et l'activité DVD incluse.

166. Mais les chiffres communiqués par Censier Publicinex au fil de la procédure ne sont pas contradictoires. Les différences relevées par Mediavision tiennent à ce que les chiffres pertinents retenus et leur présentation ont été affinés au fil des demandes. Ainsi, sur l'ensemble de la procédure, Censier Publicinex a communiqué, dans un procès-verbal d'audition, la valeur des sommes acquises en matière de publicité 35mm, dans une réponse à une demande d'information de 2001, son chiffre d'affaires global et ses répartitions en pourcentage (dont la partie consacrée au 35mm) et dans une réponse à une demande d'information de 2005, la ventilation (dans la partie consacrée au 35mm), entre production et diffusion. Les références au chiffre d'affaires global, ainsi qu'au chiffre d'affaire concernant l'ensemble des activités relatives à la publicité 35mm y sont les mêmes, dans leur ordre de grandeur.

167. Quant au prix de l'espace, il convient de relever que, sur les quatre années, la part de la vente d'espace dans le total est similaire et tourne autour de 60 %. Cette proportion est relativement comparable à celle de 2/3 de la SEP, que relève le rapport et que les parties confirment. Dans le détail, et contrairement à ce qu'affirment les parties, cette part ne diminue pas sur la période, car elle était de 58 % en 1998, de 57 % en 1999, de 63 % en 2000 et de 59 % en 2001.

168. S'agissant des chiffres pris en compte pour Technic Publicité, l'activité DVD constitue, compte tenu du choix technologique effectué par cette société pour diffuser de la publicité sur les écrans de cinéma, le chiffre d'affaires pertinent sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale. A l'inverse, les rideaux publicitaires constituant un autre média et ne se situant pas sur le marché pertinent, il convient de les exclure du calcul des parts de marché.

169. Les données utilisées pour le calcul des chiffres d'affaires sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale sont présentées ci-dessous :

<emplacement tableau>

Sur le nombre d'écrans

170. Il ressort de ce qui précède que le nombre d'écrans peut être un indice supplémentaire du pouvoir des régies sur les marchés concernés, particulièrement sur celui de la régie publicitaire cinématographique nationale.

Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale

171. La société Mediavision conteste les chiffres utilisés dans la procédure pour l'année 2001, en ce qu'ils seraient, en fait, relatifs à l'année 2002. Elle présente ses propres chiffres pour les années 1998 à 2001.

172. Sur ce point, les chiffres de l'enquête ont effectivement été recueillis en avril 2002. Il faut noter que le rapport du 22 novembre 2005 précisait, à propos de la répartition en termes d'écrans, que "les grandes lignes de répartition ne sont pas contestées". Les chiffres de Mediavision, dont on relèvera qu'ils appliquent à l'année 2001 des données recueillies fin janvier 2002, n'infirment pas le ratio mis en avant par le rapport (69,2 % pour Mediavision et 30,8 % pour Circuit A/Screenvision) et attestent sa très grande stabilité :

<emplacement tableau>

Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale

173. La société Mediavision et la SEP contestent l'agrégation des parts de marché des salles en régie chez Mediavision et Circuit A/Screenvision sur la tête de leur mandataire commun, la SEP. La société Mediavision critique, en outre, la distinction faite entre salles actives et salles inactives.

174. Effectivement, les différents écrans sont à l'origine en régie avec l'une ou l'autre des deux régies nationales, ce qui justifie de les comptabiliser séparément. A cet égard, le document joint au rapport dénommé "Décompte des salles opérables par la SEP fin 2001" précise la ventilation entre salles provenant de Mediavision et celles provenant de Circuit A/Screenvision. S'agissant de la quantification de salles "inactives", elles sont le résultat de la déduction du nombre de salles opérables par la SEP en 2001 (3516) des salles déclarées effectivement en activité en 2001 (2500), les autres (1016) étant dès lors considérées comme non exploitées par la SEP.

175. Les données recueillies sur le nombre d'écrans sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale sont présentées ci-dessous. Le cumul des salles théoriquement exploitables par chacune des régies locales dépasse le nombre de salles acceptant de la publicité, ce qui induit nécessairement que certaines salles sont liées à deux régies. Ceci signifie que ces salles, soit n'ont pas signé de contrat d'exclusivité avec l'une ou l'autre des deux régies nationales pour leur publicité locale, soit dérogent à ces contrats. Le nombre de salles exploitées par Technic Publicité (20) et par la SEP de façon directe (relativement faible, une grande part de son chiffre d'affaires de régie directe provenant du cinéma Parc de la Villette) est marginal dans la répartition et n'est donc pas pris en compte.

<emplacement tableau>

176. On remarquera qu'il existe des différences non négligeables entre la répartition en chiffre d'affaires (tableau : paragraphe 180, page 45) et celle en nombre d'écrans sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale (ci-dessus). Ainsi, la part de chiffre d'affaires générée par Mediavision est inférieure de 5,5 points à la part de salles en régie. A l'inverse, la part de chiffre d'affaires générée par Censier Publicinex est supérieure de 4 points à la part de salles en régie. Cela peut être expliqué, soit par le fait que toutes les salles en régie ne sont pas similaires du point de vue du chiffre d'affaires généré et que celles de Censier Publicinex sont en elles-mêmes plus génératrices de recettes que celles de Mediavision (qui assure pourtant la régie de plusieurs grands circuits), soit par le fait que Censier Publicinex est, sur l'ensemble de son parc ou sur une grande partie de ses salles en régie, plus efficace que ne l'est Mediavision sur son parc de salles par l'intermédiaire de la SEP.

b) En ce qui concerne la situation de dominance

Sur l'existence d'une position dominante collective

Sur l'utilisation des critères de la jurisprudence Airtours

177. La société Mediavision conteste la possibilité d'utiliser le raisonnement et les critères issus de l'arrêt Airtours du Tribunal de première instance des communautés européennes du 6 juin 2002 pour apprécier une position dominante collective dans le cadre d'un contentieux relatif à un abus de position dominante. Elle relève que cet arrêt a été rendu en matière de contrôle des concentrations et que la méthode employée y est prospective, alors qu'il conviendrait, en matière de pratique anticoncurrentielle, de procéder à une analyse historique. Elle ajoute qu'utiliser une telle méthode aboutirait à se contenter de la caractérisation non d'une position dominante collective mais d'une probabilité de position dominante collective, ainsi qu'à adopter une analyse contraire au droit des ententes, selon lequel un simple parallélisme de comportement ne peut caractériser une entente.

178. Mais, pour démontrer l'existence d'une position dominante collective, il faut établir que les entreprises "ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs" (CJCE, 31 mars 1998, aff. jointes C-68-94 et C-30-95, Kali & Saltz, pt. 221; TPICE, 25 mars 1999, aff. T-102-96, Gencor, pt. 163), ce qui peut ressortir de l'examen même des liens ou facteurs de corrélation juridiques existant entre les entreprises ou de l'examen de la structure du marché selon les critères dégagés par le Tribunal de première instance des Communautés dans l'arrêt Airtours.

179. L'existence de liens structurels entre des entreprises d'une part, tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre elles, et l'adoption d'une ligne commune d'action sur le marché d'autre part, suffisent à démontrer l'existence d'une position de dominance collective (CJCE, 16 mars 2000, Compagnie maritime belge ; TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar ; Cour de cassation, 5 mars 1996, Total Réunion Comores ; Cour d'appel de Paris, 30 octobre 2001, OMVESA ; Cour d'appel de Paris, 4 juin 2002, CFDT Radio Télé).

180. En l'absence de tels liens, la seule structure du marché peut permettre de mettre en évidence une position dominante collective, si les critères cumulatifs dégagés par le Tribunal de première instance dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342-99) sont réunis, à savoir la structure oligopolistique et la transparence du marché concerné, la possibilité d'exercer des représailles sur les entreprises déviant de la ligne d'action commune et enfin la non contestabilité du marché ou l'absence de compétition potentielle.

181. Une telle position a été clairement énoncée dans la décision n° 06-D-02 du 20 février 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur des travaux routiers liées à la fabrication d'enrobés bitumineux dans le département des Ardennes, qui fait une application conjointe des deux types d'analyse. L'utilisation des critères de la jurisprudence Airtours pour l'appréciation d'une pratique au titre des abus de position dominante collective est, de même, parfaitement admise par les instances communautaires, le Tribunal de première instance des Communautés européennes y ayant fait explicitement référence dans son arrêt Piau/ Commission du 26 janvier 2005 (affaire T-193-02, paragraphe 111).

182. Contrairement à ce que soutient Mediavision, cette approche n'a pas pour effet nécessaire de substituer une analyse prospective à l'analyse propre aux pratiques anticoncurrentielles. En effet, comme pour les marchés pertinents, des critères identiques peuvent être appliqués dans des approches différentes, soit pour l'avenir, dans le cas du contrôle des concentrations, soit pour le passé ou le présent, dans le cas de l'examen de pratiques anticoncurrentielles. De même, l'utilisation des critères Airtours ne remet pas en cause l'appréciation du parallélisme de comportement par le droit des ententes, dès lors que la position dominante collective d'entreprises autonomes qui pourrait en être déduite n'est pas en elle-même répréhensible au titre des règles de concurrence, seul l'abus de cette position l'étant.

Sur l'existence de liens structurels et d'une stratégie commune

183. Les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision relèvent que le recours à la SEP comme sous-régisseur commun ne caractérise pas un lien structurel suffisant pour établir l'existence d'une position dominante collective.

184. Mais l'utilisation commune de la SEP par les deux régies nationales constitue un indice structurel utile à cette démonstration. Dans sa décision n° 97-D-21 du 25 mars 1997 relative à des pratiques relevées sur les marchés des appareils de détection des métaux et de la presse spécialisée dans l'information portant sur la prospection de métaux et trésors, le Conseil a, en effet, considéré le recours à un prestataire commun (en l'occurrence une imprimerie, la place de la SEP dans les activités des régies nationales étant bien plus importante) comme participant à l'identification d'une position dominante collective.

185. Ce lien commercial est, en outre, un élément de convergence entre les deux régies nationales. Il stabilise les positions des régies nationales sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale ou, à tout le moins, les empêche de se concurrencer l'une l'autre. En effet, la SEP opère son démarchage en renvoyant vers l'une ou l'autre des régies commerciales selon le cinéma concerné : une telle situation limite les risques de reprise de la publicité locale pour un cinéma déjà géré par l'une des deux régies en matière de publicité nationale. Il a également comme conséquence de ne faire apparaître qu'un seul opérateur aux annonceurs sur le marché de la publicité locale, les deux régies ayant par son intermédiaire une ligne d'action commune sur ce marché. L'utilisation conjointe de la SEP peut enfin se prêter à des conséquences indirectes, notamment en matière de transparence des informations, dans le cadre de l'étude des critères issus de la jurisprudence Airtours précitée.

Sur la transparence et les autres caractéristiques du marché de la régie publicitaire cinématographique nationale

186. La jurisprudence Airtours précise, pour caractériser une dominance collective, que "chaque membre de l'oligopole dominant doit pouvoir connaître le comportement des autres membres, afin de vérifier s'ils adoptent ou non la même ligne d'action. (...) Il ne suffit pas que chaque membre de l'oligopole dominant soit conscient que tous peuvent tirer profit d'un comportement interdépendant sur le marché, mais il doit aussi disposer d'un moyen de savoir si les autres opérateurs adoptent la même stratégie et s'ils la maintiennent. La transparence sur le marché devrait, dès lors, être suffisante pour permettre à chaque membre de l'oligopole dominant de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement sur le marché de chacun des autres membres".

Le critère de transparence ne suppose pas une connaissance parfaite de l'ensemble des agissements de son concurrent mais une connaissance suffisante des données de marché stratégiques et la possibilité d'une surveillance de la ligne d'action suivie par le concurrent.

187. Le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale présente une structure oligopolistique restreinte et une offre très concentrée, dans laquelle deux entreprises représentent la totalité du chiffre d'affaires du marché. Dans un duopole, lorsque le produit est homogène et le parc de clients aisément identifiable, l'existence d'interactions répétées sur le marché concerné voire sur des marchés connexes ou similaires permet aux membres de l'oligopole d'observer le comportement des autres et notamment de vérifier s'ils adoptent ou non la même ligne d'action.

- Sur l'homogénéité des services proposés

188. La société Mediavision conteste que les services proposés par les régies nationales puissent être considérés comme homogènes. Elle considère à cet égard, s'agissant des exploitants de cinéma, que le fait que le circuit CGR ait recouru, simultanément aux deux régies sur la période concernée, n'est pas une preuve de la similitude des services proposés, mais de l'intérêt financier qu'en tire cet exploitant. Elle relève en outre des différences de stratégie commerciale, notamment dans l'octroi de minima garantis que Mediavision aurait cessé d'accorder depuis 2001, qui distingueraient les services proposés.

189. S'agissant des annonceurs, la société Mediavision avance que les services rendus sont différents, Circuit A/Screenvision ne proposant par exemple pas de "bassins d'attraction cinématographiques" (qui sont des zones géographiques découpées en fonction des zones d'attraction des cinémas et des trajets des spectateurs), que les annonceurs diffusent la plupart du temps leurs films via les deux régies, tandis que les annonceurs confiant leurs films en exclusivité sont plus rares.

190. Mais, s'agissant des exploitants, le service proposé est homogène : il consiste, dans tous les cas, à exploiter le support que représente l'écran d'un cinéma, en démarchant des annonceurs. Les prestations offertes par chacune des régies sont donc comparables, nonobstant le fait que les conditions tarifaires des accords avec les exploitants, dans leur forme (pourcentage des recettes uniquement, avances sur recettes ou minima garantis) comme dans leur montant, pour chacun des exploitants, puissent varier. Sur ce point, le dossier contient des contrats de régie passés par Mediavision pour une période de trois ans à compter du 1er janvier 2001 et prévoyant le versement d'un minimum garanti par spectateur. Le fait que le circuit CGR s'adressait jusqu'en 2006 simultanément aux deux régies et surtout si, comme l'avance Mediavision, ce choix était motivé par des considérations pécuniaires, confirme que le service rendu aux exploitants est similaire ou proche.

191. S'agissant des annonceurs, la différence principale dans le service d'achats d'espace publicitaire cinématographique proposé par chacune des régies tient principalement aux cinémas proposés, différents pour chacune des régies, ce qui explique qu'un annonceur ciblant la plus large diffusion possible ou le plus de cinémas répondant à des critères définis puisse recourir simultanément aux deux régies. Cela réduit d'ailleurs, pour partie, la concurrence directe entre les deux régies vis-à-vis des annonceurs, celles-ci ayant un intérêt commun à promouvoir les qualités du média cinéma par rapport aux autres médias, point sur lequel les plaquettes commerciales et sites Internet des deux régies reviennent fréquemment.

192. Contrairement à ce que soutient Mediavision, les différences entre les produits proposés par elle et ceux de Circuit A/Screenvision ne permettent pas véritablement de conclure à une hétérogénéité du service. En effet, les principes généraux des offres proposées par Circuit A/Screenvision et Mediavision sont identiques et deux grandes catégories de formules peuvent être distinguées. Elles proposent tout d'abord une série de groupements de salles, en fonction de la taille des villes concernées (Paris et villes de plus de 200 000 habitants,...) ou en fonction d'une thématique (exemple des formules "Campus", visant Paris et les agglomérations universitaires). Elles offrent également des ciblages personnalisés, par établissement, agglomération ou en fonction d'une cible déterminée. Les régies ont des offres principales similaires, mais il existe effectivement certains éléments de différenciation horizontale, non suffisants cependant pour contrarier l'homogénéité des services : ainsi, pour les achats d'espace à la carte et hormis l'achat par établissement ou par agglomération, Mediavision propose plus de 300 "bassins d'attraction cinématographiques". Mais pour toutes ces offres, des tarifs sont présentés de manière similaire, en fonction de la formule choisie, du nombre de salles concernées et des contacts hebdomadaires moyens et sont affinés par différentes minorations (remise professionnelle, cumul de mandats,...) et majorations (fin de bande,...) dont les principes sont les mêmes pour les deux régies.

193. Il résulte de ce qui précède que les services proposés par les régies nationales, aux exploitants de cinéma comme aux annonceurs, peuvent être considérés comme homogènes. Les différences qui existent dans les services proposés ne diminuent pas par ailleurs les capacités de chaque régie nationale à connaître le comportement de l'autre, compte tenu notamment de la transparence du marché.

- Sur la transparence des informations sur le marché

194. La société Mediavision conteste que le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale soit transparent. Elle avance en effet que les informations sur les conditions financières proposées aux exploitants, par lesquelles les régies se font concurrence, ne sont pas connues. Elle ajoute que, 20 % des salles françaises ne passant pas de publicité, il n'est pas possible, lorsqu'une salle est perdue, de considérer qu'elle est passée au concurrent. Elle relève enfin que les produits proposés aux annonceurs étant différents, les tarifs ne peuvent être comparés.

195. Mais beaucoup d'éléments permettent de considérer que le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale est transparent. S'agissant des écrans en régie chez chacun des concurrents, et bien que certaines salles n'acceptent effectivement pas de passer de la publicité, il convient de relever que la société Mediavision a communiqué, avec ses observations au rapport, un relevé précis, pour les années concernées, du nombre d'écrans en régie chez chacun des concurrents, détaillé par taille d'agglomération, ainsi que des changements de régie par salle. Cela démontre qu'il est possible d'avoir une vision très précise de la répartition des salles de ce point de vue. De même, Mediavision a présenté les offres tarifaires de Circuit A/Screenvision aux annonceurs sur la période concernée, offres qui, présentées sous forme de plaquettes commerciales, sont accessibles au concurrent. Sur ce point, et contrairement à ce qu'affirme Mediavision, la ressemblance, sur plusieurs points des offres et des modes de tarification, permet d'établir des comparaisons.

196. S'agissant des taux de redevance ou avances accordées aux exploitants par les régies, on relèvera tout d'abord qu'une situation de position dominante collective est par définition examinée entre entreprises autonomes et n'exclut pas toute concurrence. Entre entreprises indépendantes, il est donc normal et sans conséquence que certaines informations stratégiques ne soient pas connues, dès lors que d'autres informations sont transparentes et suffisantes pour que chaque concurrent puisse contrôler le comportement de l'autre et infléchir le sien propre. On notera toutefois, sur ce point, qu'un mémorandum de la direction de l'exploitation de Mediavision joint à son mémoire en réponse au rapport faisant référence à l'appel d'offres lancé en 2005 par le circuit CGR fait état du type de condition financière proposé par Circuit A/Screenvision (une garantie forfaitaire annuelle), et d'informations obtenues sur son montant, de 4,5 millions d'euro par an. Ceci montre qu'il est possible d'obtenir certaines informations sur les offres du concurrent, notamment quand l'attribution prend la forme d'un appel d'offres ou de négociations au mieux-disant.

197. En outre, l'homogénéité du service de base, le fait qu'il n'y ait qu'un seul concurrent à surveiller, la circonstance que le volume global du marché soit connu et que la régie publicitaire cinématographique nationale soit l'activité principale et quasi-exclusive des deux duopoleurs permettent de conclure qu'il est possible de connaître les grandes lignes des revenus du concurrent et de ses offres tarifaires.

198. En tout état de cause, un grand nombre d'autres informations peut être obtenu, directement ou indirectement, sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale. Le parc de salles détenues par le concurrent, les entrées hebdomadaires moyennes, les circuits et annonceurs en relation avec l'autre régie, les recettes peuvent être connus, soit grâce aux informations diffusées par les régies nationales elles-mêmes afin d'attirer les annonceurs (sur leur site Internet ou sur différents prospectus), soit via les diverses autres sources d'informations générales sur le cinéma ou sur la publicité disponibles par ailleurs, telles les études de marché ou les statistiques et données diffusées, particulièrement par le CNC mais aussi par des organismes tels que YACAST (à partir duquel Mediavision fournit, dans ses observations, la liste des annonceurs passant exclusivement par Circuit A/Screenvision). De même, certaines données légales permettent de se renseigner sur les caractéristiques du second duopoleur.

199. Certaines clauses contractuelles des régies sont, en outre, susceptibles d'accroître la transparence de certaines informations. Ainsi, l'extension de la concession prévue dans les contrats des deux régies nationales en cas d'agrandissement du complexe objet du contrat, les clauses d'information préalable et de motivation de la résiliation contenues dans le contrat de Mediavision rendent plus transparentes une partie des variations du parc de salles adressables ou les raisons du départ de l'exploitant. Enfin, l'utilisation d'une sous-régie commune sur le marché connexe de la régie publicitaire cinématographique locale est susceptible de faire remonter un nombre important et précis d'informations aux deux entreprises, notamment sur la principale pratique examinée dans cette affaire, le couplage des exclusivités sur la publicité cinématographique nationale et locale.

200. De manière générale, les observations des parties font apparaître que ces dernières ont accès à un grand nombre d'informations importantes sur leur concurrent et les évolutions du secteur. Le marché de la régie publicitaire cinématographique est donc suffisamment transparent pour que chaque membre de l'oligopole puisse apprécier le comportement de son concurrent, situation que les caractéristiques de la demande viennent renforcer.

- Sur les caractéristiques de la demande et les parts de marché

201. Les sociétés Circuit A/Screenvision et Mediavision contestent que l'on puisse considérer les caractéristiques de la demande comme favorisant l'établissement d'une position dominante collective. La société Circuit A/Screenvision avance ainsi que la demande sur le marché a connu de grandes évolutions (augmentation du nombre des salles, création des multiplexes,...). Si la société Mediavision ne conteste pas la stabilité et la fidélité des exploitants à leur régie nationale, avec laquelle ils entretiennent des liens historiques, elle note par ailleurs que, sur la période concernée, 151 salles ont changé de régie, parmi lesquels des exploitants de toute taille et non seulement des petits. Elle en déduit que les parts de marché ne sont pas restées stables.

202. Concernant la demande, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a précisé dans son arrêt Airtours précité que "la théorie économique considère que la volatilité de la demande rend plus difficile la création d'une position dominante collective. Au contraire, une demande stable et, donc, présentant une faible volatilité constitue un élément pertinent dans la caractérisation d'une position dominante collective, dans la mesure où elle rend plus aisément détectables les déviations par rapport à la ligne d'action commune (c'est-à-dire les tricheries) en permettant de les distinguer des adaptations de la capacité destinées à répondre à la croissance ou à la décroissance du marché volatile".

203. En l'espèce, les éléments du dossier démontrent que le nombre de salles acceptant de la publicité a augmenté de manière régulière et stable sur la période. Il est exact que, pendant la période concernée, le développement des multiplexes et l'accroissement du nombre de salles adressables, auraient pu rendre plus difficile le contrôle du comportement du concurrent ou modifier le rapport de force. Toutefois, il ressort notamment des observations de Circuit A/Screenvision que les informations concernant ces variations ont été à la disposition des régies nationales qui pouvaient dès lors distinguer, dans l'éventuelle évolution du nombre de salles ou du chiffre d'affaires du concurrent, si celle-ci était liée aux variations de la demande ou à un changement de stratégie. Certaines clauses contractuelles réduisent enfin l'incertitude concernant ces évolutions : en effet, les multiplexes issus de l'agrandissement d'un complexe existant restent liés par le contrat de régie existant, et la clause d'information préalable dans les contrats de Mediavision permet d'être tenu informé des complexes à venir.

204. S'agissant de la volatilité de la demande, les éléments du dossier et les déclarations des parties indiquent une très grande fidélité des exploitants à leur régie et, dès lors, une volatilité relativement faible. Les données présentées par Mediavision dans ses observations confirment largement ce constat. Il en ressort en effet que 41 salles en 1998 (soit 1,2 % des 3 453 salles), 75 salles en 1999 (soit 2,1 % des 3 628 salles), 27 salles en 2000 (soit 0,7 % des 3 770) et 8 salles en 2001 (soit 0,2 % des 3 824 salles) ont changé de régie, soit une moyenne de 1 % de changement de régie par an. De tels chiffres ne traduisent ni une volatilité de la demande ni une vive concurrence entre les régies nationales. On notera que, dans les chiffres légèrement plus élevés de changement de régie de la période suivant la période concernée (259 salles ayant changé de régie sur la période 2002-2005), le changement de politique du circuit CGR occupe une place importante (plus de 80 % des salles ayant changé de régie appartiennent à ce circuit).

205. Or, le cas des salles CGR n'infirme pas l'analyse. Il est exact que la part des salles du circuit CGR en régie chez Circuit A/Screenvision a régulièrement augmenté sur la période concernée et jusqu'en 2005. Toutefois, cette évolution ne s'est faite, durant la période concernée, qu'une seule fois (Mega CGR Tarbes), du fait d'un changement de régie. Ce changement est pris en compte dans les données analysées ci-dessus. Il convient en outre de citer un courrier de Circuit A/Screenvision à CGR à propos d'une demande de CGR d'abandonner avant l'heure l'exploitation de certaines salles, afin qu'elle puisse rendre un service à Mediavision et revenant sur le Mega CGR de Tarbes : "j'ai été surprise que vous citiez le contrat de Tarbes pour lequel nous n'avons jamais été demandeurs, ayant toujours privilégié les sites dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants. Mais dans le cadre du réaménagement des contrats que vous organisiez entre les deux régies, vous avez effectué, à la demande de Mediavision encore, une répartition nous demandant de prendre aussi des petites villes comme Tarbes". Ce passage montre que le changement de régie du CGR de Tarbes n'est révélateur ni de la volatilité de la demande, ni d'une concurrence particulière sur ce cinéma entre les deux régies.

206. Pour le reste, la plus grande partie de la croissance de la part de salles CGR en régie chez Circuit A/Screenvision s'est faite sur des nouvelles salles mises en place par CGR. Il convient de relever que le circuit CGR, à la différence de la plupart des autres circuits, ne concluait, jusqu'à une date récente, pas de contrat pour l'intégralité de son réseau mais des contrats par salle ou par agglomération. Le "débauchage" massif de salles CGR de Mediavision par Circuit A/ Screenvision, en 2005, postérieur à la période concernée, est le résultat d'un changement de politique sur ce point de la direction de CGR et de la volonté de confier tout son parc à une seule régie.

207. En tout état de cause, la croissance du nombre de salles, l'apparition des multiplexes, comme les changements de régie n'ont pas eu d'effet sur la répartition des chiffres d'affaires ou celle des écrans. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes relève à cet égard dans l'arrêt Airtours que "dans le cadre de la caractérisation d'une position dominante collective, la stabilité des parts de marché historiques constitue un élément favorable au développement d'une collusion tacite, dans la mesure où elle facilite la division du marché au lieu d'une concurrence acharnée". En l'espèce, la stabilité des parts de marché est assez spectaculaire puisque la répartition est la même depuis les années 1980, date à laquelle les autorités de concurrence s'étaient déjà intéressées au secteur. La répartition, en terme de chiffre d'affaires, est en effet d'environ 60 % pour Mediavision et d'environ 40 % pour Circuit A. Il convient de rappeler le contexte dans lequel ces chiffres d'affaires se sont stabilisés : ils résultent d'une entente reconnue par les autorités de concurrence en 1985. Cette entente avait pour objectif de répartir le marché et fixer les prix après l'entrée en 1972 du seul concurrent qu'ait connu Mediavision sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, Circuit A, suite à sa pénétration rapide et importante sur le marché. Elle avait eu pour effet d'interrompre la période de concurrence intense qu'a connue le secteur après cette entrée. Depuis, et jusqu'en 2001, force est de constater que le rapport de force n'a pas varié.

208. Il résulte de ce qui précède que, sur le marché de la régie cinématographique nationale, la demande peut être considérée comme stable et peu volatile.

- Sur l'existence d'une concurrence entre les régies

209. Les deux régies soulignent leur très vive concurrence, dont résulteraient notamment les changements de régies des salles, et qui se traduit par les investissements réalisés ainsi que par un conflit judiciaire ayant donné lieu à une ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Paris, qui exclurait toute idée de coordination tacite.

210. Mais, sur ce point, il convient tout d'abord de rappeler qu'ainsi que l'a énoncé le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans l'arrêt Airtours, une position dominante collective n'exclut pas toute concurrence entre les entreprises la composant : "si la possibilité, pour une entreprise, d'aligner son comportement sur celui d'un ou plusieurs concurrents implique nécessairement que la concurrence entre eux se trouve restreinte d'une manière sensible, une telle possibilité d'alignement du comportement concurrentiel n'implique, en revanche, nullement que la concurrence entre les entreprises concernées soit totalement éliminée. Au demeurant, il convient de rappeler que l'existence d'une position dominante collective au sens de l'article 86 du traité suppose l'existence de liens économiques entre deux ou plusieurs entités économiques, par définition, indépendantes et, dès lors, capables d'entrer en concurrence les unes avec les autres, et non l'existence entre les entreprises concernées de liens institutionnels analogues à ceux qui existent entre une société mère et ses filiales".

211. En l'espèce, les indices mis en avant par les parties sont insuffisants pour caractériser une vive concurrence entre les parties. Le conflit judiciaire cité par les parties est une action en référé exercée en 1998 pour l'exécution d'un contrat, et reflète davantage le souci d'assurer une application exacte des contrats qu'une concurrence exacerbée. Les changements de régie ont déjà été commentés et sont peu significatifs. Enfin, les importants investissements réalisés ne constituent pas en eux-mêmes une preuve de vive concurrence mais plutôt le résultat du fonctionnement actuel du marché.

- Sur l'existence d'une ligne d'action commune entre les régies

212. La société Circuit A/Screenvision conteste l'existence d'une ligne d'action commune en raison de l'absence de comportement similaire des régies à l'égard des exploitants. De manière générale, les parties reprochent au rapport de ne pas avoir déterminé la ligne d'action commune que les parties auraient suivie, de laquelle elles auraient été dissuadées de dévier et que les consommateurs ou concurrents ne pourraient pas remettre en cause.

213. Mais, tout d'abord, l'étude d'une position dominante collective au regard des critères de la jurisprudence Airtours vise à apprécier l'interdépendance entre des entreprises en oligopole que peuvent créer les caractéristiques d'un marché. Ces critères remplis, la plausibilité d'une ligne d'action commune et, partant, l'interdépendance entre les entreprises concernées, sont démontrées.

214. En outre, en l'espèce, l'existence d'une ligne d'action commune peut être présumée, compte tenu de la spectaculaire stabilité des parts de marché sur la durée et du faible taux de changement de régie sur la période concernée.

215. Enfin et au surplus, contrairement à ce que soutient Circuit A/Screenvision, le comportement des régies nationales à l'égard des exploitants est similaire en ce qu'elles proposent toutes deux des contrats similaires aux exploitants de salles, nonobstant les différences qui peuvent par ailleurs exister sur d'autres points.

216. Il résulte de ce qui précède que l'analyse de la transparence et des autres caractéristiques du marché de la régie publicitaire cinématographique nationale caractérise la première condition d'une position dominante collective, sous réserve que l'incitation à dévier de la ligne commune soit limitée et que rien ne puisse mettre en cause l'interdépendance des entreprises sur le marché.

Sur l'incitation à dévier et les mesures de représailles

217. Sur ce point, la jurisprudence Airtours énonce que "Pour qu'une situation de position dominante collective soit viable, il faut qu'il y ait suffisamment de facteurs de dissuasion pour assurer durablement une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune, ce qui revient à dire qu'il faut que chaque membre de l'oligopole dominant sache qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative".

- Sur les facteurs pouvant inciter ou non à dévier

218. La société Circuit A/Screenvision conteste que les régies aient peu d'intérêt à dévier d'une ligne d'action commune du fait des liens historiques de certains grands circuits à l'une des régies. Elle souligne à ce propos que le groupe Pathé a lancé un appel d'offres en 2000 pour la régie de ces salles, ce qui tendrait à prouver que l'un des grands groupes envisageait de recourir à une autre régie.

219. Mais, sur ce point, le fait que Pathé ait lancé un appel d'offres, auquel Circuit A/Screenvision ne démontre pas avoir répondu, ne permet pas de conclure que les grands circuits peuvent être facilement démarchés avec succès par une autre régie. En effet, tout d'abord, les circonstances de l'appel d'offres transmis n'indiquent pas une véritable volonté de changer de régie (l'appel d'offres ayant été faxé à Circuit A par Pathé au milieu du mois de juillet pour une réponse en août). Ensuite, bien que des appels d'offres aient été envoyés, les faits montrent que Pathé a toujours recouru exclusivement à Mediavision. Ceci est d'autant plus notable qu'il ressort du dossier et des déclarations de Mediavision que celle-ci a étendu en 2000 son activité en Hollande à la demande de Pathé. Il ressort, en outre, des procès-verbaux d'assemblée de Mediavision que des négociations étaient en cours à l'époque avec Pathé pour un contrat de régie couvrant toute l'Europe. Enfin, de nombreux éléments de dossier et les observations de Mediavision confirment la grande fidélité des exploitants, notamment ceux historiquement liés à l'une des régies. Ainsi, l'élément apporté par Circuit A/Screenvision n'est pas suffisant pour infirmer la rigidité des parts de marché, par ailleurs, confirmée par les faibles taux de changement de régie.

220. Dès lors, en l'espèce, dans un marché très fortement transparent et dans lequel une déviation peut être facilement repérée, l'incitation à ne pas dévier est caractérisée par les possibilités importantes pour l'autre membre du duopole de réagir, de répliquer rapidement à une politique agressive et d'engager une guerre des prix.

221. La demande étant peu volatile et relativement stable, les deux régies ont une faible incertitude sur l'évolution du marché et, partant, une incitation limitée à se faire concurrence pour capter une plus grande part de la demande future. En outre, la principale évolution, résultant de la création des multiplexes, n'a pas modifié l'équilibre du marché. Par ailleurs, étant donné l'absence de date précise de renouvellement de l'ensemble des contrats, une politique agressive ne peut produire qu'assez lentement ses effets, à mesure que certains des contrats arrivent à expiration. Ceci est renforcé par le fait que, les grands circuits étant le plus souvent historiquement liés à l'une ou l'autre des régies, les exploitants dits "indépendants" pouvant faire le plus facilement l'objet d'une concurrence sont disséminés sur toute la France et représentent des nombres d'écrans assez faibles, de sorte qu'une régie ne pourrait pas débaucher d'un coup un grand nombre de salles. Ainsi, sur la période concernée, le plus grand changement de régie a concerné Socogex, représentant 58 écrans (soit environ 1,5 % du nombre d'écrans total).

222. Dès lors, une politique agressive ne permettrait pas, du fait de la dispersion temporelle de l'échéance des contrats et de la dispersion spatiale des exploitants à débaucher, de donner un avantage concurrentiel important à l'acteur la mettant en œuvre, avant des représailles qui pourraient, compte tenu du lissage dans le temps des renouvellements, intervenir sans délai important. Le marché ne présentant pas de saisonnalité ou de période de changement de tarifs, comme c'était le cas par exemple dans la jurisprudence Airtours, ce dernier pourra réagir rapidement et engager une lutte notamment tarifaire. Cette réaction vraisemblable et rapide aurait pour effet de provoquer une guerre des prix.

223. Sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, les entreprises membres du duopole apparaissaient donc, sur la période concernée, peu incitées à dévier de leur ligne d'action tacite en raison de l'incertitude de gains rapides (avant une réaction de l'autre) et du risque d'identification rapide du déviant, provoquant une réaction de l'autre entreprise.

- Sur la soutenabilité d'une collusion tacite

224. La société Mediavision conteste qu'une éventuelle collusion tacite puisse être maintenue dans le temps et souligne que Circuit A/Screenvision a pu prendre, en 2005, 138 salles du réseau CGR à Mediavision pour la publicité nationale.

225. Mais, en premier lieu, ce débauchage massif est plus tributaire du changement de politique de CGR que d'une action agressive de l'une des régies. Il concerne, en outre, un circuit qui n'a jamais eu l'habitude de confier l'intégralité de son réseau à une seule régie : le transfert de régie était donc une conséquence automatique de ce changement de politique. Il est enfin largement postérieur à la période concernée.

226. Or, de ce point de vue et en second lieu, un changement important est survenu sur le marché entre la période concernée et l'année 2005, avec le rachat de Circuit A par Screenvision début 2002. Il ne peut être exclu que cette concentration ait modifié l'équilibre qui était celui du marché antérieurement, tant du point de vue du rapport de force que du point de vue de la stratégie des dirigeants de Circuit A/Screenvision. Les événements postérieurs à la période concernée et notamment au rachat, évoqué ci-dessus ne peuvent donc qu'imparfaitement éclairer l'équilibre de marché jusqu'en 2002.

Sur la remise en cause potentielle de la domination collective

227. La domination collective peut être remise en cause par des concurrents actuels en mesure de réagir efficacement et rapidement, des concurrents potentiels pouvant pénétrer sur le marché et enfin des consommateurs susceptibles de chercher d'autres alternatives.

228. En l'espèce, aucun concurrent n'existait à l'époque des faits et n'existe actuellement sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, les deux opérateurs représentant à eux deux la totalité du marché. Aucun concurrent, français ou étranger, n'a tenté de pénétrer le marché ni avant, ni lors des années concernées. De sorte qu'il n'existait pas de "francs-tireurs" potentiels susceptibles de déstabiliser l'équilibre de marché.

229. Enfin, s'agissant de la réaction des clients, le dossier fait apparaître une stabilité telle qu'aucune réaction ou évolution n'est perceptible chez les exploitants. Cela s'explique, tout d'abord, par le fait que la position occupée par les deux opérateurs couvre la totalité de l'offre, de telle sorte que les clients sont captifs du duopole, en l'absence de toute entrée sur le marché. Cela s'explique ensuite, par les caractéristiques de la demande, qui est pour une partie historiquement liée à l'un ou l'autre des membres du duopole et pour une autre partie atomistique et assez passive s'agissant du suivi de son contrat de régie.

230. Dès lors, le marché ne présentait à l'époque des faits aucun signe de la présence d'acteurs capables de remettre en cause une stratégie mise en place par les membres du duopole. Il en résulte que la troisième condition de la jurisprudence Airtours est remplie.

231. Il résulte de l'analyse qui précède qu'une position dominante collective au sens de la jurisprudence Airtours est établie entre la société Circuit A/Screenvision et la société Mediavision sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale. Une telle situation de marché ne présentant pas en soi un caractère illicite, il convient d'examiner si les membres du duopole ont individuellement ou collectivement abusé de leur position dominante collective.

Sur l'existence d'une position dominante individuelle de Mediavision

232. La position dominante est la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s'abstraire des conditions du marché et d'agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents. Compte tenu des développements précédents sur l'existence d'une position dominante collective, la société Mediavision n'était, à l'époque des faits, pas en mesure de s'abstraire de la concurrence de la société Circuit A/Screenvision et d'agir librement par rapport à elle. Elle ne pouvait donc pas être considérée comme en position dominante.

233. Faute de remplir cette condition, elle ne peut se voir reprocher le grief n° 1 qui lui a été notifié.

3. SUR LES ABUS DE POSITION DOMINANTE COLLECTIVE

234. S'agissant d'abus de position dominante collective, la jurisprudence indique que "si l'existence d'une position dominante collective se déduit de la position que détiennent ensemble les entités économiques concernées sur le marché en cause, l'abus ne doit pas nécessairement être le fait de toutes les entreprises en question. Il doit seulement pouvoir être identifié comme l'une des manifestations de la détention d'une telle position dominante collective. Par conséquent, des entreprises occupant une position dominante collective peuvent avoir des comportements abusifs communs ou individuels. Il suffit que ces comportements abusifs se rapportent à l'exploitation de la position dominante collective que les entreprises détiennent sur le marché" (TPICE, 7 octobre 1999, aff. T-228-97, Irish Sugar).

a) En ce qui concerne les abus relatifs aux pratiques contractuelles des régies nationales dans leurs contrats avec les exploitants

Sur le nombre de salles et de contrats concernés

235. La société Mediavision conteste que, comme l'indique le rapport, le nombre d'écrans puisse avoir un intérêt du point de vue de l'analyse des effets des pratiques car un tel effet ne pourrait être apprécié que du point de vue des contrats concernés. Elle conteste, en outre, les chiffres énoncés en termes de contrats.

236. Mais, en sus du chiffre d'affaires, le nombre d'écrans liés par un cumul d'exclusivité et, à l'opposé, le nombre d'écrans librement accessibles aux régies concurrentes sont des éléments pertinents d'analyse. L'écran est le support de l'activité d'une régie, dans la zone de chalandise au sein de laquelle une régie locale peut démarcher des annonceurs. Dès lors, l'accès préalable à ce support est un enjeu important pour les entreprises voulant opérer sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

237. S'agissant des chiffres d'écrans et de contrats concernés, ils ressortent des réponses et des observations des parties au long de la procédure. Ainsi, les éléments du dossier, et notamment les déclarations de Mediavision, démontrent qu'environ 90 % de ses contrats concernant 80 % de ses écrans comprenaient une exclusivité à la fois sur les publicités nationale et locale au moment de leur conclusion. De même, il ressort des données communiquées par Circuit A/Screenvision à la DGCCRF, qu'environ 90 % de ses contrats concernant un peu plus de 80 % de ses écrans comprenaient une exclusivité à la fois sur les publicités nationale et locale au moment de leur conclusion. De sorte qu'il est établi qu'environ 90 % de l'ensemble des contrats, concernant 80 % de l'ensemble des écrans, étaient liés à la fois pour la publicité nationale et la publicité locale.

238. On précisera que sur les 20 % d'écrans non soumis à une exclusivité pour la publicité locale, environ 60 % (c'est-à-dire 12 % du nombre total d'écrans) concernent des écrans dont, au moment de la conclusion du contrat, les exploitants assuraient la publicité locale via une régie intégrée dédiée.

Sur l'existence d'une pratique abusive

239. La pratique concernée dans la présente affaire consiste dans l'insertion, par les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision, d'une exclusivité portant à la fois sur la prestation de régie publicitaire cinématographique nationale et sur celle de régie publicitaire cinématographique locale dans une grande majorité de leurs contrats avec les exploitants de cinéma. Les prestations concernées font partie de deux marchés pertinents différents. Elles sont rendues par des entreprises différentes, au moins pour partie : des exploitants recourent en effet, pour assurer la prestation de régie publicitaire cinématographique locale, à des entreprises ne rendant pas les deux services. Les demandes, de même que les offres, pour les deux services sont indépendantes, et ceux-ci sont donc distincts.

240. Les autorités de concurrence françaises et communautaires ont, dans certaines circonstances, considéré que le fait d'insérer une ou des clauses d'exclusivité dans un contrat-type pouvait avoir pour effet de priver le cocontractant de sa liberté de choix, ainsi qu'il ressort notamment de l'arrêt Hoffmann La Roche de la CJCE (13 février 1979, aff. 85-76), selon lequel "pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier - fût-ce à leur demande - des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise, constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité, soit que l'obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais (...)", de la décision n° 05-D-49 du Conseil de la concurrence du 28 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location entretien des machines d'affranchissement postal ou encore de la décision n° 06-D-06 du 17 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'hébergement touristique en gîtes ruraux et en chambres d'hôtes.

241. Toutefois, en l'espèce et à la différence des affaires précitées, le principe d'une relation d'exclusivité entre les régies et les exploitants sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, de même que la durée des contrats concernés, ne sont pas remis en cause, ainsi que l'a relevé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 24 septembre 2002 : "l'exclusivité consentie à la société Mediavision pour son activité de régie publicitaire nationale n'est pas en elle-même répréhensible, dès lors qu'elle paraît nécessaire à l'exercice de cette activité et qu'elle est conclue, comme en l'espèce, pour une durée limitée conformément à l'injonction ministérielle du 16 avril 1985 et à l'avis de la commission de la concurrence du 14 décembre 1984". C'est l'extension, dans les mêmes contrats que ceux concernant l'activité de régie publicitaire cinématographique nationale, de cette exclusivité à l'activité de régie publicitaire cinématographique locale, et le couplage entre les deux clauses d'exclusivités qui sont à l'examen dans la présente affaire.

242. Une pratique de couplage est une pratique consistant à lier la fourniture de deux produits distincts ou de deux prestations distinctes. Ce lien peut être réalisé de manière contractuelle, technique ou résulter d'une incitation, du fait par exemple d'un avantage tarifaire octroyé en cas d'achat conjoint de deux produits distincts. Le potentiel anticoncurrentiel d'une telle pratique provient notamment de ce qu'elle peut permettre, dans certains cas, de transférer le pouvoir d'un marché sur un autre pour y obtenir un avantage dans la concurrence à un moindre coût et sans rapport direct avec les mérites.

243. La position dominante collective, occupée à l'époque des faits par les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale, ne saurait cependant justifier que leur soit, a priori et par principe, interdit de proposer dans leurs contrats avec les exploitants de cinéma une offre de régie publicitaire cinématographique nationale et une offre de régie cinématographique locale, même si ces offres comportent une clause d'exclusivité. Il convient donc de rechercher, en l'espèce et compte tenu des éléments du dossier, si ces pratiques revêtent un objet ou présentent des effets anticoncurrentiels.

244. Des entreprises en position dominante peuvent se défendre d'une pratique susceptible d'être considérée comme abusive en démontrant qu'elle est objectivement justifiée ou qu'elle est source d'efficience et qu'elle ne relève dès lors pas d'une stratégie d'exclusion des concurrents mais de maximisation du profit. Il incombe alors à l'entreprise qui invoque une telle défense d'en prouver la réalité et la nécessité. A cet égard, l'entreprise doit notamment apporter la preuve que le résultat invoqué dépend précisément de la pratique concernée et qu'il n'existe pas de moyen aussi efficace mais moins restrictif de concurrence d'y parvenir.

245. Dans le cas où des clauses liant deux prestations à titre exclusif ne sont pas objectivement justifiées, leur caractère anticoncurrentiel peut être établi, soit lorsqu'elles sont imposées, par des pressions ou menaces exercées au moment de la signature du contrat, par des remises ou par toute autre forme d'incitation financière ou technique, soit lorsqu'un ensemble d'éléments convergents permet d'établir que les clauses concernées s'inscrivent dans une stratégie anticoncurrentielle ou conduisent nécessairement à une restriction de concurrence. En l'absence d'objet anticoncurrentiel, l'examen des effets des pratiques contestées est nécessaire.

Sur les justifications objectives avancées par les parties

246. La société Mediavision avance que l'offre contractuelle des exclusivités pour la régie publicitaire cinématographique nationale et la régie publicitaire cinématographique locale est objectivement justifiée par le fait qu'il permet de contribuer au financement des avances sur redevances, de contrôler la qualité du service, de financer le passage au numérique et qu'il est dû à des contraintes techniques.

247. De même, la société Circuit A/Screenvision soutient que son activité sur le segment de la publicité locale est justifiée par la possibilité d'offrir des sources de revenus complémentaires aux exploitants, de permettre, dans le cas des avances sur recettes, de garantir à l'exploitant un financement supplémentaire pour l'amélioration des services offerts aux consommateurs, d'améliorer la qualité du service et de répondre au souhait des annonceurs nationaux que la publicité locale soit coordonnée avec leurs propres films ainsi qu'à celui des exploitants d'avoir des films d'une qualité équivalente pour les deux catégories d'annonceurs.

- Sur les justifications financières

248. S'agissant des justifications financières, Mediavision avance que la double exclusivité permet d'accorder une avance plus importante et un amortissement plus rapide que si le contrat ne portait que sur la régie publicitaire cinématographique nationale.

249. Mais aucune partie ne démontre que le cumul d'exclusivités est toujours subordonné à l'octroi d'une avance sur recette. Des déclarations de Circuit A/Screenvision indiquent à l'inverse que les avances concernent le plus souvent les multiplexes. Les parties ne démontrent pas en particulier que la partie des avances qu'elles versent ne pourrait pas être versée par un opérateur tiers ou par elles dans le cadre d'un contrat distinct portant uniquement sur la publicité cinématographique locale. De même, elles n'apportent aucun élément de nature à démontrer que le montant de l'avance accordée lors d'un cumul d'exclusivités est supérieur au total de celui qui pourrait être accordé distinctement pour chacune des prestations, induisant ainsi des synergies ou des efficiences. De fait, le cumul d'exclusivités n'est pas assorti d'une remise de couplage.

250. A cet égard, on relèvera que l'avantage financier que représenterait l'octroi d'avances sur recettes plus élevées pour les exploitants acceptant un cumul d'exclusivités, qui n'est pas avéré en l'espèce, pourrait être, au contraire, susceptible de constituer un indice de la volonté d'exclure des concurrents s'il ne correspondait à aucun gain d'efficacité lié à ce cumul.

251. Enfin, la société Mediavision n'apporte aucun élément démontrant que le numérique est une question distincte des avances généralement consenties ou que le cumul des exclusivités participerait de manière indispensable à son développement. Aucun exemple contemporain ou postérieur aux faits concernés ne témoigne d'ailleurs de sa participation au développement du numérique.

- Sur les justifications liées à la qualité

252. S'agissant des justifications liées à la qualité constante des films publicitaires, les parties soutiennent que la qualité globale du media cinéma est une condition nécessaire à son succès et que le cumul d'exclusivités est justifié par l'obligation de s'assurer de cette qualité, de l'ordre de passage de chaque publicité ou du respect de la loi. La société Mediavision illustre ce point en faisant état de ce que Censier Publicinex, qui n'est présent que sur l'offre de régie locale, diffuserait des messages contrevenant à la loi Evin.

253. Sur un marché concurrentiel, il appartient au client de décider si la qualité du service offert est satisfaisante. Les régisseurs locaux, comme les exploitants de cinéma, ont tout autant intérêt que les régisseurs nationaux à assurer une bonne image de marque au média cinéma et une qualité satisfaisante à leurs prestations ou aux films diffusés sur leurs écrans. Les régisseurs nationaux ne peuvent donc avoir pour objectif de contrôler totalement le marché local et de juger à la place des clients ou des exploitants de cinéma des mérites des différents régisseurs et justifier ainsi le cumul des exclusivités. La Commission de la concurrence avait déjà répondu, en 1984, à un argument similaire en vue d'une exemption : "S'agissant des normes de qualité des films publicitaires et de leur diffusion ainsi que des contrôles exercés sur celles-ci, les progrès réalisés ne sauraient, pour l'essentiel, être attribués à l'entente. Toute société de régie publicitaire serait écartée du marché par le seul jeu normal de la concurrence si elle ne s'attachait pas à obtenir de tels résultats".

254. Il en va de même pour le respect de dispositions légales : il n'appartient pas aux régies nationales de prendre prétexte d'éventuelles contraventions à des obligations telles que celles découlant de la loi Evin et de se substituer aux autorités dans le contrôle des bonnes pratiques du secteur. La Cour de justice des communautés européennes a déjà eu l'occasion de rejeter ce type d'argumentation présentée en vue de justifier une pratique de couplage. Elle a ainsi considéré, dans l'affaire Hilti du 12 décembre 1991 (Aff. T-30-89), qu'il n'incombait pas à une firme privée de s'ériger en juge de la sécurité des produits.

255. En outre, les parties n'apportent aucun élément de nature à démontrer qu'une mauvaise qualité d'un ou de plusieurs films, leur ordre de passage inadapté ou le non respect de dispositions légales leur auraient fait subir un effet externe négatif (de réputation par exemple).

256. Enfin, le caractère indispensable a une importance particulière pour apprécier ce type d'arguments. Or, les éléments apportés par Mediavision ne démontrent ni le caractère indispensable de la pratique alléguée ni le fait que les mêmes objectifs ne pourraient être atteints par d'autres voies contractuelles.

- Sur les justifications techniques

257. La société Mediavision avance que des contraintes techniques justifient le cumul d'exclusivités compte tenu du fait que, le temps de publicité étant limité, les films publicitaires cohabitent sur une même bande. Elle souligne que l'exclusivité lui permet de vérifier l'ordre de passage des annonces, de vérifier qu'il n'y a pas de conflit d'intérêt entre le passage d'annonces concurrentes et de contrôler la qualité des films de publicité locale.

258. Mais, sur ce point, Mediavision admet que, d'un point de vue technique, la durée de la publicité n'empêche pas de recourir à deux régies, le projectionniste de la salle pouvant coller les deux bandes. Les arguments développés sont, par conséquent, davantage liés à la qualité, examinés ci-avant, qu'à des contraintes techniques.

259. Pour le surplus, s'agissant du risque de conflit d'annonceurs entre concurrents pour lequel Mediavision pourrait être tenue pour responsable, il ressort des conditions générales de vente de Mediavision, et particulièrement de leur article 3.6 que "Mediavision pourra être amenée à monter plusieurs produits ou annonceurs concurrents dans un même programme. Aucune exclusivité ne peut être garantie dans aucun programme, ce que le Client accepte". Un risque de responsabilité de ce chef est dès lors inexistant. Mediavision reconnaît en outre que le cumul n'est pas systématique, ce qui va à l'encontre du caractère indispensable relatif aux justifications objectives.

260. En résumé, aucune des justifications objectives avancées par les parties n'emporte la conviction. Il convient donc de rechercher si le caractère anticoncurrentiel des pratiques peut être établi au regard de leur objet ou de leurs effets.

Sur l'objet des pratiques

- Sur l'existence de pressions ou d'incitations des régies nationales à accepter le cumul d'exclusivités

261. Les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision avancent dans leurs observations que leurs contrats ne prévoient pas systématiquement de cumul des exclusivités, qu'elles ne l'imposent ni aux petits exploitants ni aux exploitants importants et que ces exclusivités sont la contrepartie d'avances sur recettes comprenant également les recettes attendues pour la publicité locale. Elles ont de nouveau soutenu en séance que les exploitants étaient libres, lors de la négociation et au moment de la signature du contrat, de ne pas leur concéder la publicité locale ou de la concéder sans exclusivité.

262. En l'espèce, les contrats de la société Mediavision, comme ceux de la société Circuit A/Screenvision, prévoient, dans une très large majorité, un cumul des exclusivités. Les taux se montent sur la période concernée dans les deux cas à environ 90 % des contrats passés, représentant plus de 80 % des écrans opérés, plus de la moitié des écrans non liés concernant des exploitants qui se chargent eux-mêmes de la publicité locale.

263. Bien que ces taux soient élevés, le dossier fait apparaître qu'environ 10 % des contrats ont pu être signés sans qu'y soit inclus un cumul d'exclusivités. Aucun élément ne permet à cet égard d'établir que, malgré le taux élevé de contrats prévoyant un cumul des exclusivités, ces exclusivités soient imposées par des pressions des régies nationales. Aucun élément au dossier n'atteste en effet de ce que le refus par un exploitant de s'engager sur la publicité locale aurait été sanctionné par le refus des régies nationales de servir cet exploitant sur le marché de la publicité nationale, les exploitants ayant choisi un opérateur différent sur le marché de la publicité locale ayant été libres de le faire.

264. Les éléments du dossier ne permettent pas non plus d'établir que les régies nationales ont mis en place des remises de couplages ou d'autres mécanismes tarifaires incitant les exploitants à accepter d'être liés par une exclusivité portant à la fois sur la publicité cinématographique nationale et sur la publicité cinématographique locale.

265. Ainsi, il ressort des déclarations des régies nationales que les avances sur recettes sont calculées à la fois sur la publicité nationale et la publicité locale. Par ailleurs, rien n'indique que le montant de l'avance accordée lors d'un cumul serait supérieur à celui qui serait accordé pour chacune des deux prestations prises isolément. Aucun avantage n'est donc offert aux exploitants pour les inciter à accorder l'exclusivité pour les deux prestations. En outre, et comme précisé plus haut, les parties indiquent que des avances sur recettes ne sont pas systématiquement octroyées aux exploitants de cinéma.

266. De même, s'il n'existe pas de taux de redevance général et si les taux octroyés, identiques, dans la grande majorité des cas, pour un cinéma donné, selon qu'il s'agisse de la publicité nationale ou de la publicité locale, varient en fonction du cinéma concerné, les éléments du dossier ne permettent pas d'affirmer que ceux-ci sont utilisés comme moyen de pression sur les exploitants de cinéma ou qu'ils sont, dans les faits, moins élevés lorsque l'exploitant de cinéma n'accorde l'exclusivité que pour la seule publicité nationale que lorsqu'il accepte un cumul des exclusivités pour les deux prestations.

267. Il résulte donc de ce qui précède que les pratiques reprochées se limitaient à proposer une offre qui n'était assortie d'aucun mécanisme forçant, par quelque façon que ce soit, ou incitant, par des moyens de nature tarifaire, les exploitants de cinémas à accepter un cumul des exclusivités dans leurs contrats de régie.

- Sur l'existence d'autres éléments pouvant caractériser un objet anticoncurrentiel

268. Les parties avancent que le marché de la régie publicitaire cinématographique locale a un intérêt très limité pour elles, compte tenu du fait qu'il représente une part marginale de leur chiffre d'affaires. Mediavision avance ainsi qu'il représenterait 1,22 % de son chiffre d'affaires et Circuit A/Screenvision 2,18 % du sien (premier point). Les parties ont, en outre, soutenu dans leurs observations et en séance qu'elles acceptaient de lever l'exclusivité sur la publicité locale en cours de contrat quand un exploitant le leur demandait (second point).

269. Sur le premier point, les chiffres présentés par les parties ne sont pas pertinents. Le chiffre présenté par Mediavision (1,22 %) est le rapport entre la marge avant frais techniques pour la publicité locale (chiffre d'affaires sur la publicité cinématographique locale moins redevance versée aux exploitants et rémunération versée à la SEP) et le chiffre d'affaires total de la société (publicité cinématographique et autres activités) avant redevance. De tels chiffres ne peuvent être comparés. Le chiffre présenté par Circuit A/Screenvision (2,18 %) n'est, quant à lui, pas justifié. Il ressort des éléments du dossier que, selon les chiffres utilisés, la part de la publicité locale est comprise entre 5,5 et 6,5 % dans le chiffre d'affaire de Circuit A/Screenvision et entre 5 et 9 % dans le chiffre d'affaires de Mediavision. Ces chiffres, bien que supérieurs à ceux avancés par les parties, restent faibles relativement à ceux concernant l'activité de régie pour la publicité nationale.

270. Sur le second point, il ressort du dossier que les régies nationales ont accepté, sur demande de certains exploitants, de lever l'exclusivité, en cours de contrat ou au moment de son renouvellement, pour la prestation de régie publicitaire cinématographique locale, notamment lorsque celle-ci générait un faible niveau de recettes. Des demandes explicites de levée d'exclusivité étaient cependant, d'après les parties et au vu des éléments recueillis, peu fréquentes.

271. Compte tenu de ce qui précède, il ne peut être établi que la clause proposée dans les contrats des régies nationales aurait été utilisée dans un autre but que celui d'augmenter leur profit sur chaque salle en régie. Il n'existe à cet égard aucun élément démontrant que les pratiques contractuelles des régies nationales s'inscrivent dans une stratégie anticoncurrentielle, notamment d'éviction des concurrents sur le marché de la régie publicitaire locale. Il résulte ainsi des déclarations de l'ensemble des parties que les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision ne peuvent redouter une entrée sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale à partir d'une position forte acquise par un opérateur sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale, circonstance qui aurait pu expliquer leur volonté d'évincer tout concurrent présent sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale, compte tenu des importantes barrières à l'entrée sur le marché de la régie publicitaire cinématographique nationale.

272. Il résulte donc de tout ce qui précède, qu'en l'espèce, les éléments du dossier ne permettent pas d'établir que les pratiques examinées relèvent d'une stratégie anticoncurrentielle ou conduisent nécessairement à une restriction de concurrence. Il n'est donc pas démontré qu'elles ont un objet anticoncurrentiel.

Sur les effets des pratiques

273. La société Mediavision avance que la croissance de la société Censier Publicinex démontre l'absence d'effet réel des pratiques examinées, relève que cette entreprise a pris le rang de leader et qu'elle a pu obtenir des salles car aucun couplage n'est imposé aux exploitants. Elle soutient en outre que les pratiques n'ont eu aucun effet à l'égard des exploitants de cinéma, auxquels elle n'impose jamais de cumul d'exclusivités, à la signature du contrat initial ou au moment de son renouvellement, et qui n'ont aucun coût de sortie à subir. Les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision ont toutes deux déclaré en séance qu'elles acceptaient de lever les exclusivités en cours de contrat lorsque cela leur était demandé.

274. Le fait de confier à un même opérateur la régie pour la publicité nationale et la publicité locale permet aux exploitants de salles de réaliser des économies de coûts de transaction. L'arbitrage entre des conditions plus favorables sur la publicité locale offertes par un opérateur alternatif et l'économie de coûts de transaction réalisée en choisissant un seul opérateur s'exerce différemment suivant l'exploitant considéré. Cet arbitrage a abouti à ce qu'en 2001, plus de 35 % des salles, représentant plus de 39 % du chiffre d'affaires du marché de la régie publicitaire cinématographique locale, confient leur publicité locale, au moment de la conclusion du contrat ou pendant son exécution, à une autre entreprise que les régies nationales.

275. Il ressort des éléments du dossier et des chiffres présentés ci-avant, que, sur la période concernée, la société Censier Publicinex a gagné 12 % de parts de marché et qu'elle est leader du marché à partir de 2001, date à laquelle elle devance Mediavision de 0,9 % de parts de marché. Ceci démontre que les pratiques examinées n'ont pas eu d'effet de verrouillage du marché.

276. En outre, s'il n'est pas démontré que les régies nationales acceptent systématiquement de lever l'exclusivité quand cela leur est demandé, le nombre total des salles en régie chez Censier Publicinex dépasse le nombre de salles laissées théoriquement libres par l'absence d'un cumul contractuel des exclusivités avec l'une ou l'autre des régies nationales. Des exploitants ont donc contracté avec Censier Publicinex, alors même qu'ils étaient contractuellement liés par une exclusivité avec l'une des deux régies nationales pour la prestation de régie publicitaire cinématographique locale, ce qui est confirmé par des déclarations de Censier Publicinex. De fait, les clauses prévoyant un cumul d'exclusivités n'ont donc, dans un grand nombre de cas, pas eu d'effet concret.

277. Il n'est donc pas démontré que les pratiques contractuelles des deux régies aient eu des effets anticoncurrentiels.

278. En l'absence d'objet ou d'effets anticoncurrentiels, les pratiques notifiées sous les griefs n° 2-A et 2-B ne sont donc pas établies en ce qu'elles concernent les pratiques contractuelles des deux régies nationales.

b) Sur les abus relatifs à des pratiques tarifaires

279. Les éléments du dossier n'établissent pas l'existence de pratiques tarifaires anticoncurrentielles de la part des sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision visant à entraver la baisse des prix et à imposer des prix minima.

280. Les pratiques notifiées sous les griefs n° 2-A et 2-B ne sont donc pas établies en ce qu'elles concernent des pratiques tarifaires.

4. SUR LES GRIEFS D'ENTENTE

a) Sur le grief d'entente entre Mediavision et la SEP

281. Compte tenu des éléments du dossier, il n'est pas établi que le contrat entre la SEP et Mediavision ait un objet concurrentiel ou des effets ayant un lien direct avec l'exclusivité concédée sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale.

282. En conséquence, la pratique notifiée sous le grief n° 3 n'est pas établie.

b) Sur le grief d'entente entre Circuit A/Screenvision et la SEP

283. Aucun des éléments du dossier ne vient étayer l'existence d'un accord de volonté sur une exclusivité ayant un objet ou des effets anticoncurrentiels.

284. En conséquence, la pratique notifiée sous le grief n° 4 n'est pas établie.

c) Sur les ententes ayant un effet cumulatif

Sur l'application des règles concernant les ententes à la relation entre les régies et les exploitants de cinéma

285. Les sociétés Mediavision et Circuit A/Screenvision avancent que leurs contrats avec les exploitants de cinéma ne relèvent pas du droit des ententes, dès lors qu'il s'agit de contrats d'agences dans lesquels les régies publicitaires ne prennent aucun risque financier et dès lors qu'elles forment avec les exploitants une unité économique excluant l'applicabilité des articles 81§1 du traité CE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

286. Sur ce point, il ressort des lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales que "dans le cas de vrais contrats d'agence, les obligations imposées à l'agent quant aux contrats qu'il négocie et/ou conclut pour le compte du commettant ne relèvent pas de l'article 81, paragraphe 1. Le facteur déterminant pour apprécier si l'article 81, paragraphe 1, est applicable est le risque commercial et financier que supporte l'agent en ce qui concerne les activités pour lesquelles le commettant l'a désigné" (JOCE n° C 291, 13 octobre 2000, paragraphe 13). Il y est précisé que ce dernier risque peut être constitué par "les risques directement liés aux contrats conclus par l'agent pour le compte du commettant" et "les risque liés aux investissements spécifiques du marché" (paragraphe 14).

287. Cette position est celle retenue par la jurisprudence communautaire, et notamment par le Tribunal de première instance des communautés européennes dans un arrêt du 15 septembre 2005, Daimler Chrysler. Le Tribunal y relève "que les agents ne sont susceptibles de perdre leur qualité d'opérateur économique indépendant que lorsqu'ils ne supportent aucun des risques résultant des contrats négociés pour le commettant et opèrent comme auxiliaires intégrés à l'entreprise du commettant (...) Dès lors, lorsqu'un agent, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique les instructions qui lui sont imparties par son commettant, les interdictions édictées par l'article 81, paragraphe 1, CE sont inapplicables dans les rapports entre l'agent et son commettant, avec lequel il forme une unité économique" (paragraphes 87 et 88). L'appréciation de l'applicabilité du droit des ententes à des contrats d'agence se fait donc au regard des risques supportés par l'agent et de son autonomie dans la détermination de sa stratégie commerciale.

288. En l'espèce, les contrats passés entre les régies nationales et les exploitants de cinéma sont des contrats de concession publicitaire, qui ont pour objet la concession de l'exploitation publicitaire des écrans, moyennant redevance. Nonobstant leur formulation, il s'agit de contrats de représentation commerciale, à partir desquels les régies vont mettre à la disposition des annonceurs l'espace publicitaire que constitue l'écran de cinéma, en leur nom et pour le compte des exploitants.

289. Mais il ressort des éléments du dossier que les régies subissent une partie non négligeable des risques financiers générés par leur activité, dont elles déterminent librement la stratégie commerciale.

290. En effet, les régies ont la maîtrise et la responsabilité du service fourni aux annonceurs sur la base des écrans dont l'exploitation leur a été concédée. Ce service est plus sophistiqué que la seule mise en relation des annonceurs avec un ou plusieurs exploitants : les régies proposent en effet aux annonceurs des "lots" de cinéma constitués en fonction de la taille ou du type de population, de la ville où ils sont situés, de leur localisation géographique, de leur audience ou d'autres critères. Elles déterminent, de manière autonome, le contenu de ces différents produits et leur tarif, ainsi que la stratégie publicitaire ou de démarchage. Elles prennent, en outre, elles-mêmes la décision d'accepter ou de refuser un annonceur et planifient les passages des publicités. Les exploitants n'ont pas de droit de regard sur le contenu des annonces qu'ils ont l'obligation contractuelle de diffuser sans modification.

291. Les exploitants assument peu de coûts et de responsabilité du fait de l'activité de publicité cinématographique. Les frais liés au démarchage des annonceurs, ceux de promotion du support et de publicité, de montage des bandes ainsi que les dépenses liées à l'envoi et au retour des bandes sont en effet à la charge des régies nationales. Certains contrats prévoient de plus que les éventuels appareils spéciaux mis en place pour la projection de la publicité dans les salles sont installés aux frais de la régie et restent sa propriété. Tous ces frais sont spécifiques à l'activité de publicité cinématographique.

292. Par ailleurs, le document dénommé "Fiche technique - Conditions d'exécution du contrat de concession publicitaire écrans", annexé à certains des contrats communiqués par Mediavision lors de l'instruction (notamment ceux passés avec Pathé et avec le cinéma Les 3 Palmes), comporte les mentions suivantes : "Mediavision assurera la commercialisation des Espaces Publicitaires auprès des annonceurs et assumera les risques liés à cette commercialisation" et "En sa qualité de régie, Mediavision assumera l'entière responsabilité des films publicitaires diffusés dans les Espaces Publicitaires et garantit l'exploitant contre tout recours de tiers de ce fait".

293. Les exploitants sont toutefois soumis à un risque de dédommagement dans les cas de non respect de leurs obligations de diffusion (sauf force majeure). Cela est expressément prévu dans certains contrats de Circuit A/Screenvision et résulte de la clause résolutoire insérée dans certains contrats de Mediavision. De même, l'exploitant subit nécessairement des coûts liés à la projection du film (bien que certains contrats de Circuit A/Screenvision prévoient la possibilité d'une gratification au personnel de cabine). Toutefois, ces éléments apparaissent comme inhérents à l'exploitation d'une activité cinématographique et n'effacent pas les risques commerciaux subis par les régies.

294. D'un point de vue strictement financier enfin, les régies subissent dans certains cas des charges et des risques plus importants que ceux liés aux prestations traditionnelles de services d'agences. Il en est ainsi dans les cas où les régies versent une redevance forfaitaire sur une base annuelle pour l'ensemble du complexe cinématographique, dès lors indépendante des recettes qui seront effectivement réalisées. Les régies subissent également un risque financier dans les cas où elles garantissent à l'exploitant un minimum garanti, fixé par spectateur. De même, dans les cas où les régies octroient des avances sur recette aux exploitants, si ces avances sont par la suite compensées par les recettes effectivement perçues, les régies subissent, sinon un risque, du moins une charge financière importante d'un point de vue financier en débloquant à l'avance des sommes parfois importantes à destination des exploitants. Les droits d'auteur (et dans certains cas les éventuels droits de timbre) sont en outre réglés directement par les régies à la SACEM.

On relèvera enfin que Mediavision a déclaré, dans ses observations, que son activité de publicité locale était déficitaire sur certaines salles, compte tenu des frais à engager et de l'absence de retour sur investissement. Ceci confirme que les régies prennent des risques dans leur activité et peuvent réaliser des pertes.

295. Il résulte de ce qui précède que les régies supportent, dans leur relation avec les exploitants en vue du démarchage des annonceurs, des risques commerciaux et financiers non négligeables et qu'elles déterminent leur stratégie commerciale de manière indépendante des exploitants. Elles ont donc une activité indépendante des exploitants de salles, avec lesquels elles ne forment pas une unité économique. Le droit des ententes est donc applicable à leurs relations contractuelles.

Sur l'application à l'espèce des critères de l'effet cumulatif

296. Au vu des éléments du dossier, il n'est pas établi que le faisceau des contrats passés par Mediavision et Circuit A/Screenvision avec les exploitants de cinéma soient constitutifs d'ententes ayant produit un effet cumulatif sur le marché de la régie publicitaire cinématographique locale. L'augmentation de 12 % des parts de marché de Censier Publicinex sur le marché de la régie publicitaire locale démontre qu'il était possible, pour un opérateur tiers, sur la période concernée, de se développer sur ce marché, nonobstant les contrats passés par les deux régies nationales.

297. En conséquence, la pratique notifiée sous le grief n° 5 n'est pas établie.

Décision

Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés Mediavision, Circuit A/Screenvision et SEP aient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et des articles 81 et 82 du traité CE.

Article 2 : La saisine enregistrée sous le numéro 04/0072 F est close.