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Décisions

Conseil Conc., 22 juin 2006, n° 06-D-17

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans le secteur du transport du béton prêt à l'emploi dans l'Oise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Ferrero, par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Mader-Saussaye, MM. Honorat, Bidaud, Piot, Charrière-Bournazel, Combe, membres.

Conseil Conc. n° 06-D-17

22 juin 2006

Le Conseil de la concurrence (Section I),

Vu la lettre du 25 octobre 1996 enregistrée le 29 octobre 1996 sous le n° F 914, par laquelle la société Transport Location Béton (TLB) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport du béton prêt à l'emploi par les cinq bétonniers Orsa Bétons Nord, Béton de France, Beauvais Béton pris en location-gérance en septembre 1996 par Béton Chantiers de Normandie, Béton de Creil devenu Béton du Valois et RB Engineering division MJ Béton ; Vu la décision n° 01-D-25 du 4 mai 2001, enregistrée sous le numéro F 1306, par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre sur le marché du transport du béton prêt à l'emploi ; Vu la décision du 31 octobre 2003 de jonction de l'instruction des saisines F 914 et F 1306 ; Vu le livre IV du Code de commerce, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la société Transport Location Béton (TLB) et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Transport Location Béton (TLB) entendus lors de la séance du mardi 16 mai 2006 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LES SAISINES

1. Par lettre du 25 octobre 1996 enregistrée le 29 octobre 1996 sous le n° F 914 au Conseil de la concurrence, Maître Gondouin agissant pour le compte de sa cliente la SA Transport Location Béton (TLB) sise à Compiègne (60), a saisi le Conseil. La saisine dénonce le refus opposé à la société TLB par les fabricants de béton prêt à l'emploi (ci-après BPE), bétonniers qui sont ses donneurs d'ordre, de facturer les temps d'attente de ses camions toupies au-delà de 30 minutes. Ces temps d'attente interviennent tant au niveau des centrales à béton, lieu de chargement des camions-toupies, que sur les chantiers, lieu de livraison du BPE chez les clients des bétonniers.

2. Les fabricants de béton sont le plus souvent adossés à un groupe cimentier mais peuvent aussi être des exploitants de carrières. Etaient cités dans la plainte les bétonniers donneurs d'ordre suivants :

• Orsa Bétons Nord filiale du groupe cimentier Origny-Holcim ;

• Béton de France filiale du groupe carrier Ready Mixed Concrete (RMC) ;

• Beauvais Béton, société prise en location-gérance en septembre 1996 par Béton Chantiers de Normandie et Béton de Creil devenu Béton du Valois, tous filiales du groupe cimentier Lafarge ;

• RB Engineering division MJ Béton, carrier.

3. Par courrier du 20 janvier 2000 enregistré le 7 février 2000, la plaignante se désistait partiellement de son action en renonçant à poursuivre les sociétés Orsa Bétons Nord et Orsa Bétons Services du groupe Origny-Holcim. Ce désistement était la conséquence d'un protocole d'accord, pour solde de tout compte, conclu le 16 mars 1999 entre les trois sociétés aux termes duquel TLB recevait une somme forfaitaire de 2 MF et voyait ses factures régularisées à partir du 1er janvier 1999, conformément au contrat "Lecieux" de 1991 aux obligations duquel venaient les sociétés Orsa.

4. Par décision n° 01-D-25 du 4 mai 2001, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport du BPE, saisine enregistrée sous le numéro F 1306.

L'entreprise saisissante : la SA TLB

5. Créée le 6 mai 1991 et mise en sommeil depuis le 28 février 2001, la vie sociale de la SA Transport Location Béton a été affectée par de nombreux incidents provoqués par sa situation financière. Par ailleurs, du fait de ses relations conflictuelles avec les entreprises de production de BPE, la société s'est engagée simultanément dans de multiples procédures judiciaires.

6. On retiendra notamment que, par arrêt du 27 juin 2004, la Cour d'appel de Paris a considéré qu'en précisant ou complétant les fondements juridiques sur lesquels reposaient ses prétentions à l'endroit des quatre sociétés Béton de France Nord (RMC), Beauvais Béton (Lafarge), Béton Chantiers de Normandie (Lafarge), et RB Engineering, la SA TLB n'avait pas modifié l'objet du litige et par conséquent la cour a infirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 1er octobre 2001 et a sursis à statuer jusqu'à l'issue des procédures F 914 et F 1306 engagées devant le Conseil de la concurrence, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. On relève toutefois que le contentieux commercial concerne également, outre les entreprises sus visées, une filiale du groupe Lafarge qui n'a pas été mise en cause devant le Conseil de la concurrence.

7. La société TLB disposait, au 30 juin 1993, d'un parc de onze camions-toupies, dont six acquis auprès de la société Lecieux, trois autres obtenus auprès de Béton Rhône Alpes (Vicat), un dixième camion auprès de Béton de France (RMC) et le onzième acheté en propre.

8. A partir du 1er octobre 1995, TLB décidait unilatéralement de facturer des temps d'attente en sus du prix contractuel au tour ou au m3 à l'endroit de trois de ses quatre clients : Béton de France (RMC), Beauvais Béton (Lafarge) et RB Engineering. Elle procédait en mai 1996 à une autre revalorisation tarifaire vis-à-vis de son quatrième client, Orsa Bétons Nord (Holcim).

9. Aussi, les relations commerciales furent-elles formellement interrompues par Béton de France (RMC) le 1er août 1996 puis par Beauvais Béton (Lafarge) le 15 octobre 1996. De son côté, RB Engineering n'a plus recouru aux services de TLB à partir d'août 1996.

10. Seule la société Orsa Bétons Nord (Holcim), venant explicitement aux obligations du contrat Lecieux, a poursuivi ses relations commerciales avec TLB pour conclure une transaction en mars 1999.

11. On peut noter que l'exercice précédant ces décisions unilatérales, clos le 28 février 1995, avait enregistré un chiffre d'affaires de 4,5 millions de F contre 3 millions de F constatés au cours des deux exercices précédents, soit une hausse de 52 %. Après les pertes enregistrées lors des trois premiers exercices, l'exercice clos en 1995 s'était ainsi soldé par un bénéfice de 1,2 million de F soit 28 % du chiffre d'affaires. Ce redressement avait évité, en instance d'appel, la liquidation judiciaire de TLB.

12. Pour les six exercices qui suivront, de 1996 à 2001, la société TLB ne réussira qu'à maintenir l'équilibre de ses comptes pour cesser son exploitation, le 28 février 2001, en raison de difficultés à trouver des débouchés.

B. LES SECTEURS CONCERNÉS

1. LE SECTEUR DU BÉTON PRÊT À L'EMPLOI

a) Le produit

13. Matériau de construction essentiel qualifié couramment de "pierre reconstituée" ou de "pierre artificielle", le béton est un mélange de granulats, de ciment, d'eau et d'adjuvants qui peut être fabriqué hors chantier sous forme prêt à l'emploi au moyen d'une centrale fixe. L'essor de cette dernière technique de fabrication en France n'a véritablement débuté qu'en 1963 (18 entreprises et 24 centrales) pour atteindre aujourd'hui une production de plus de 35 millions de m3 assurée par 1 600 centrales environ.

14. Les atouts de cette modalité de fabrication du béton sont indéniables notamment grâce à :

• la réduction des nuisances sur chantier en termes d'encombrement, de livraison et de stockage des matières premières, de poussières, de bruit, d'affectation des salariés, de gestion de la production ;

• la palette de combinaisons des granulats, ciments et adjuvants stockés en centrale dans des conditions rigoureuses ;

• la souplesse de livraison en fonction des besoins du client.

15. Mais son principal inconvénient reste la durée de maniabilité du béton, limitée à un maximum de deux heures, qui oblige à contenir le délai de transport entre le lieu de fabrication et le lieu d'utilisation dans une fourchette entre 45 et 90 minutes selon les conditions climatiques et l'application ou non de traitements spéciaux (adjuvants retardateurs ou plastifiants). C'est donc un produit non stockable.

16. Il en résulte une prolifération des centrales fixes de BPE sur le territoire national afin que pratiquement tout chantier dispose d'une centrale fixe dans un rayon de 30 à 50 km. Pour la livraison du béton, ces centrales font appel à des prestataires de transport ou de location de véhicules spécialisés.

17. Destinée principalement au gros-œuvre, à savoir la construction des logements collectifs ou de bâtiments non résidentiels et d'ouvrages d'art, la demande de BPE se trouve tributaire de l'activité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

18. En outre, tout entrepreneur peut à tout moment décider de fabriquer lui-même son béton dans une centrale mobile de chantier, notamment pour limiter le coût du transport qui peut représenter jusqu'à 20 % du prix du produit livré.

19. L'irrégularité de la demande et le souci des entreprises de faire face aux pointes quotidiennes ou hebdomadaires induisent une situation chronique de surcapacité de production sur ce marché y compris au niveau du transport du béton.

20. Selon les indications du Syndicat National du BPE (ci-après SNBPE), sur la période commencée en 1990 jusqu'à aujourd'hui, on dénombre sur le territoire national près de 1 600 centrales exploitées par environ 550 entreprises pour une production annuelle maximale de 35 millions de m3.

21. Les cinq grands groupes leaders mondiaux du ciment sont présents dans la fabrication du BPE qui constitue un débouché essentiel pour cette industrie :

• Lafarge (France) notamment au travers de Lafarge Béton, Béton Chantier avec les moyens de l'ex-groupe Redland ;

• Ready Mixed Concrete Group (Grande-Bretagne) au travers de Béton de France ;

• Holderbank (Suisse) au travers de Holcim Bétons avec les moyens des ex-groupes Cedest, Origny et Orsa ;

• Italcementi (Italie) au travers de Ciments Français et Unibéton ;

• Heidelberger Cement (Allemagne) au travers de Vicat, Béton Rhône Alpes et Béton-Granulats.

22. Les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence Alpes Côte d'Azur constituent le trio de tête en termes d'implantation de centrales et de production en totalisant 26 % des centrales et 34 % de la production nationale. En Picardie, région d'implantation de la société plaignante TLB, on dénombrait 40 centrales avant 2000 (45 aujourd'hui) ne représentant que 2,5 % des centrales et 2,3 % de la production nationale.

b) La commercialisation du BPE dans l'Oise

Les centrales et les entreprises

23. Entre 1998 et 2000, treize centrales exploitées par cinq entreprises différentes appartenant aux quatre groupes, Lafarge, Holcim, RMC et Eiffage (constructeur) ont été identifiées dans le département :

<emplacement tableau>

24. La succession de reprises d'entreprises et le mouvement de concentration engagé à la fin des années 80 et au début des années 90 ont conduit à démanteler certaines centrales. Toutefois, le cadre juridique d'exploitation des centrales de l'Oise paraît avoir été stabilisé à compter du milieu des années 90.

Les marchés de commercialisation

25. Par une décision n° 93-D-54 du 30 novembre 1993 relative à des pratiques mises en œuvre par le Syndicat régional du BPE de Bourgogne Franche-Comté, le Conseil de la concurrence a considéré que "les caractéristiques du produit (BPE) donnent à l'activité de transport une importance déterminante : le produit doit être livré rapidement et la distance de livraison ne peut excéder une zone comprise dans un rayon de 20 à 30 kilomètres... Dans ce secteur (BPE), il n'existe que des marchés de proximité en raison du caractère onéreux des transports qui réduit la zone d'achalandage à une distance courte au-delà de laquelle le coût du transport devient supérieur à la valeur du produit. Ainsi, est-on en présence d'une multitude de marchés locaux, correspondant schématiquement à des zones d'un rayon d'une trentaine de kilomètres, représentant environ une demi-heure de transport".

26. Interrogée lors de son audition du 20 février 2004, la plaignante TLB n'a retenu, comme véritables marchés de commercialisation du BPE dans l'Oise, que ceux qui gravitent autour des trois grandes agglomérations de Beauvais, Creil et Compiègne : "Sur les marchés de l'Oise : je considère que le département de l'Oise présentait trois marchés : Compiègne, Creil et Beauvais.

Le marché de Noyon est marginal pour l'Oise, la centrale implantée ayant une production modeste.

La centrale d'Agnetz près de Clermont est seule à réaliser un béton désactivé.

Les centrales de Seine-Maritime, Eure, Val d'Oise, Seine-et-Marne, Aisne et Somme ne fournissent que très peu les marges du département de l'Oise.

Les transporteurs de ces mêmes départements n'interviennent que marginalement pour des livraisons dans l'Oise".

27. D'ailleurs, le rapport d'enquête conclut à l'existence des seuls trois marchés principaux de Beauvais, Creil-Nogent-Senlis et Compiègne, les deux centres de Clermont et de Noyon étant considérés comme de simples "satellites" de ces trois marchés principaux.

28. Les parts de chacun des quatre groupes précités dans les ventes de BPE en volume, selon les zones d'achalandage entre 1997 et 2000, ont évolué comme suit :

<emplacement tableau>

29. Dans la zone de commercialisation de Beauvais, le groupe RMC détient une part de marché qui a pu monter jusqu'à 38,3 % en 1998 devant Lafarge et Holcim dont les parts de marché ont pu monter respectivement jusqu'à 33,5 % en 2000 et 31,3 % en 1997.

30. Dans la zone de Creil-Nogent-Senlis, le groupe Lafarge détient une part de marché qui a pu s'élever jusqu'à 47,7 % en 1997 devant Holcim et RMC dont les parts de marché ont pu se chiffrer respectivement jusqu'à 38,4 % en 2000 et 19,1 % en 1999.

31. Dans la zone de Compiègne, le groupe Holcim détient une part de marché qui a pu s'élever jusqu'à 38,6 % en 1999 devant Lafarge et RMC dont les parts de marché ont pu monter respectivement jusqu'à 37,4 % en 2000 et 35,3 % en 1999.

32. Dans le département de l'Oise, les débouchés du groupe Lafarge ont pu représenter jusqu'à 45,3 % en 2000 devant ceux respectifs de Holcim à 37,2 % en 1999 et RMC à 24,8 % en 1998.

33. En outre, l'agrégation des ventes de BPE sur l'Oise montre le développement de la part des ventes du groupe Lafarge de 42,9 à 45,3 %, soit de plus de deux points, malgré un repli en 1999 à 39 % en faveur d'Holcim et du nouvel entrant Eiffage dont les ventes sont toutefois restées modestes. Le développement des ventes de Lafarge s'effectue au détriment de celles de RMC qui baissent corrélativement de plus de deux points passant de 22,2 à 19,9 % alors que celles de Holcim se maintiennent aux alentours de 34 %.

2. LE SECTEUR DU TRANSPORT DU BPE

a) Les entreprises

34. Des données, issues d'une enquête nationale réalisée au début des années 2000 par le SNBPE et à laquelle ont répondu 1 680 entreprises représentant 3 779 véhicules, peuvent être synthétisées ainsi :

• 6 000 camions-toupies pour assurer le transport de la production de 1 570 centrales de BPE ;

• 2 500 entreprises de transport dont :

- 1 500 entreprises sous forme sociale avec une moyenne de 2,7 camions-toupies par société ;

- 1 000 entreprises sous forme artisanale avec une moyenne de 1,6 camion toupie par artisan dont :

- 700 entreprises artisanales à un seul camion toupie ;

- 300 entreprises artisanales à deux camions au moins.

• 20 000 à 25 000 km parcourus par an et par véhicule dans un rayon d'environ 25 km ;

• un chiffre d'affaires moyen par artisan mono-camion de l'ordre de 510 000 F soit, selon la méthode de calcul du Comité National Routier (ci-après CNR), un revenu annuel après charges sociales mais avant impôt sur le revenu de l'ordre de 180 000 F, supérieur à celui d'un chauffeur salarié dans le transport courte distance qui s'établirait à 100 000 F. Pour arriver au même revenu qu'un salarié, il faudrait un chiffre d'affaires de 400 000 F par an, seuil dépassé par 85 % des artisans à camion unique.

35. Initialement, l'activité de transport du BPE paraît avoir été assurée essentiellement par les entreprises exploitantes de centrales. Cependant, face à une réduction de l'activité de production à la fin des années 80, les bétonniers et notamment les grands groupes internationaux fabricants de ciment qui ont investi le secteur par intégration de ce débouché, ont choisi d'externaliser tout ou partie de leur fonction transport, entraînant ainsi la création, notamment par leurs anciens chauffeurs, de multiples entreprises de taille artisanale (un ou deux camions) destinées au transport de BPE au moyen, le cas échéant, de camions cédés par les entreprises exploitantes de centrales ou acquis grâce à un engagement de caution de ces entreprises.

b) Les véhicules

36. Le transport du BPE est assuré au moyen de véhicules industriels spécialisés dénommés camions-toupies ou camions-malaxeurs ou bétonnières portées, d'un poids total autorisé en charge égal ou supérieur à 26 tonnes. La rotation permanente de la cuve assure le malaxage du béton afin d'en parfaire l'homogénéité, aucun ajout n'étant autorisé en phase de transport à l'exception éventuelle de l'incorporation d'un superplastifiant avant le déchargement.

37. Le chargement s'opère sous centrale et les livraisons sont réalisées sur chantiers désignés par le bétonnier, ce qui implique des temps d'attente variables, tant sous centrales que sur chantiers. Ce sont ces temps d'attente qui sont à l'origine du conflit entre la plaignante et ses donneurs d'ordre et qui font l'objet de récriminations de la part des transporteurs, loueurs de véhicules.

38. Dans le cadre d'un procès-verbal d'audition en date du 20 février 2004, le dirigeant de la SA TLB a expliqué que :

"Pour acquérir ce type de véhicules, il y a plusieurs solutions :

• se rendre chez un concessionnaire poids lourds et passer commande d'un porteur nu, passer commande d'une toupie chez Stetter ou Liebher ou BPF (produits Stetter), prendre livraison chez le concessionnaire poids lourds. Dans ce cas là, le problème réside dans l'impossibilité de financer car une telle situation suppose l'absence de contrat avec les bétonniers. Donc, personne ne choisit cette solution.

• se rendre chez l'un des bétonniers qui détermine l'organisme de financement, détermine le concessionnaire vendeur, détermine le prix d'acquisition du véhicule, fixe le taux de financement et se porte le cas échéant caution.

En pratique, un camion est utilisé sept ans, soit la durée du plan de financement. Au terme des sept ans, le bétonnier demande à l'entrepreneur de transports de changer son véhicule".

39. Ainsi, les caractéristiques techniques et financières des camions-toupies - unicité du produit transporté, coût et modalité du financement du camion -, confirment que le transport de BPE constitue une activité dérivée de sa commercialisation.

c) Les tarifs de location à la journée et les coûts de revient du transport

40. Les coûts d'exploitation globaux de la location journalière d'un camion-toupie avec chauffeur sont évalués, de la façon suivante, selon les sources :

• par le Comité national routier (CNR) pour la plaignante TLB, dans l'hypothèse du remplacement sur une période de quinze ans par crédit-bail de huit camions : 2 250 F/j en 1996 ;

• par un organisme de formation, pour un camion de 6 m3 : 2 300 F/j en 1998 ;

• par le Syndicat national patronal autonome routiers des PME (SAPMEF), pour un artisan transporteur qui disposerait d'une flotte de cinq à six camions : 2 250 F/j en 1998 ;

• par le transporteur Segalas en 2000 : 1 900 F/j ou 2 200 F/j pour un camion de 6 m3 ou 8 m3 ;

• par le bétonnier RMC, pour un camion de 8 m3 : 2 300 F/j en 1998 ;

• par le bétonnier Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim), pour un camion de 8 m3 : 1 700 F/j en 2000.

41. Les tarifs de location de l'ordre de 1 900 F/j des entreprises de transport, notamment mono-camion, s'avèrent inférieurs au coût moyen journalier théorique de 2 250 F exposé par TLB, dès 1996, sur la base de l'étude précitée du CNR et par les autres études précitées. Pour sa part, la plaignante fait état de locations ponctuelles de camion en 1994-1996 à Béton de France (RMC) au prix de 2 500 F la journée.

42. En ce qui concerne les bétonniers, le transport est un élément significatif du prix du BPE facturé aux clients. A titre d'exemple, chez Béton de France Nord Alsace (RMC) en 2000, le coût du transport en zone A est fixé à 414 F HT le tour, ce qui représente 15 % du prix du béton pour une cuve de 6 m3 , soit 2 706 F (451 F HT/m3 ).

43. Le tarif précité retenu par Béton de France Nord Alsace (RMC) de 414 F le tour en zone A pour la livraison par toupie de 6 m3 est supérieur de 14 % au prix de location de 363,6 F le tour payé au loueur Soriano pour la même capacité. Pour sa part, la société Béton du Valois (Lafarge) retient un tarif de 95 F/m3 pour un coût d'achat de 73 F/m3, soit un coût de transport de 30 % pour le client sous l'hypothèse de livraison de cuves pleines.

d) Le cadre juridique de la rémunération

44. Le domaine des transports ressortit à la loi modifiée n° 82-1153 du 30 décembre 1982 dite loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI).

45. Ce sont les bétonniers et rarement leurs clients qui procèdent au transport du BPE entre la centrale de production et le chantier d'utilisation. Lorsqu'elle est externalisée, l'opération de transport du BPE peut s'effectuer soit par contrat de transport de marchandise, soit par contrat de location de véhicule avec conducteur. La distinction entre un contrat de transport et un contrat de location de véhicule industriel avec conducteur repose sur la maîtrise du déplacement et donc de la garde et de la responsabilité des marchandises qui reviennent au transporteur dans le cadre d'un contrat de transport et au locataire dans celui d'un contrat de location de véhicule industriel avec conducteur.

46. Que ce soit dans le cadre d'un contrat de transport ou de location de véhicule avec chauffeur, la LOTI prévoit qu'est puni d'une amende de 600 000 F le fait d'offrir ou de pratiquer un prix inférieur au coût de la prestation permettant de couvrir les charges entraînées par les obligations légales et réglementaires.

47. Concernant la rémunération et le règlement du transport de marchandise, le contrat type établi en 1988 retenait le principe d'une facturation distincte des prestations supplémentaires et, notamment, les frais d'immobilisation du véhicule. Le prix de location était payable au plus tard à réception de la facture.

48. Le nouveau contrat-type de 1999 prévoit que le prix du transport est établi en fonction de la mise à disposition du véhicule et de l'équipage, et que toute prestation annexe ou complémentaire est rémunérée au prix convenu : il s'agit notamment des opérations de chargement et de déchargement. Le transporteur peut consentir au locataire des délais de paiement mais, alors, la facture mentionne la date à laquelle le paiement doit intervenir.

49. Concernant la rémunération et le règlement de location d'un véhicule industriel avec conducteur, le contrat-type en annexe au décret du 14 mars 1986 prévoyait que le prix devait assurer la couverture des coûts réels du service rendu par le loueur dans les conditions normales d'organisation et de productivité mais que la rémunération du loueur n'était pas établie sur la base des quantités transportées ou du nombre de voyages effectués par le locataire. Le prix de location était payable à réception de la facture.

50. Le nouveau contrat-type en annexe au décret du 17 avril 2002, qui abroge le précédent, prévoit que le prix de location est toujours établi de façon à assurer la couverture des coûts réels du service rendu par le loueur dans des conditions normales d'organisation et de productivité mais, à présent, les contractants établissent la façon dont il est déterminé en tenant compte de la distance kilométrique parcourue et de la durée de mise à disposition du véhicule et du conducteur. A titre complémentaire, la rémunération du loueur peut tenir compte des quantités transportées ou du nombre de voyages effectués. Lorsque le prix est forfaitaire il convient d'en préciser les éléments, ainsi que les conditions de rémunération des dépassements éventuels. Le loueur peut consentir au locataire des délais de paiement mais, alors, la facture mentionne la date à laquelle le paiement doit intervenir.

51. En pratique, quel que soit le type de lien commercial entre exploitants de centrales et entreprises chargées du transport, les modalités de détermination de la rémunération de la prestation diffèrent en fonction du caractère, occasionnel ou de longue durée, de ce lien contractuel.

52. En ce qui concerne les besoins ponctuels, la rémunération fondée sur la capacité du malaxeur peut être calculée sur la base d'un forfait à la demi-journée ou à la journée.

53. S'agissant des besoins de longue durée qui donnent lieu à la conclusion de contrats d'une durée minimale d'un an renouvelable, la rémunération peut être soit au m3, soit au tour, notion correspondant à l'ensemble des opérations réalisées afin d'assurer une livraison : chargement en centrale, conduite jusqu'au lieu de livraison, déchargement, conduite de retour à la centrale.

54. La rémunération au m3 ou au tour comporte les points communs suivants :

• la détermination d'une centrale de rattachement ou de plusieurs centrales susceptibles de constituer un lieu de chargement ;

• une prise en compte de la capacité théorique du malaxeur (6 m3, 7 m3, 8 m3) ;

• l'élaboration d'un zonage géographique circulaire, généralement calculé à vol d'oiseau à partir de la centrale de rattachement, qui correspond à une succession d'un nombre variable de zones de rayon plus ou moins large (2,5 km, 5 km, 10 km) ;

• la garantie éventuelle d'un chiffre d'affaires annuel minimum sous réserve de l'engagement d'une mise à disposition du camion-toupie pour environ 240 jours par an ;

55. A l'inverse, les deux modes de rémunération au m3 et au tour diffèrent comme suit : dans le cadre d'une rémunération au m3, la prestation :

• peut conduire à un chargement incomplet du malaxeur et donc à une rémunération de la prestation financièrement peu avantageuse pour le prestataire ;

• peut aussi conduire à une surcharge non rémunérée du malaxeur faisant, en outre, courir des risques réels au conducteur et à l'ensemble des usagers de la voie publique et laissant entières des questions de responsabilité ;

En revanche, dans le cadre d'une rémunération au tour, la prestation est théoriquement indépendante du volume transporté, assurant ainsi une rémunération minimale au prestataire dans la mesure où elle correspond à un volume minimum transporté de l'ordre de 4/6, 5/6, 6/7, 7/8 de la capacité théorique du malaxeur.

56. S'agissant de la rémunération au tour, le SNBPE indiquait dans une plaquette de 2002 que "dans le transport du BPE, le paiement de la prestation au tour et par zone de transport correspond aux objectifs recherchés par le législateur et est admis comme un mode de rémunération répondant aux critères du décret du 17 avril 2002".

57. En tout état de cause, la réglementation en matière de transport public de marchandises s'avère particulièrement dense et la plaignante a pu souligner en séance les difficultés que soulève son application : ces textes posent, en effet, la nécessité d'octroyer une rémunération permettant de couvrir les charges et assurant une rentabilité minimale aux entreprises prestataires, sans aller cependant jusqu'à prévoir que les charges propres à chaque transporteur soient couvertes puisque le service doit être rendu dans "des conditions normales d'organisation et de productivité".

58. Dans la présente espèce, on retiendra que les parties en litige sont convenues de porter leur différend devant les tribunaux dans le cadre de la location de véhicule avec chauffeur qui ne prévoit pas explicitement la rémunération des temps de chargement et de déchargement.

e) Le transport du BPE dans l'Oise

59. L'enquête a permis de recenser 19 entreprises de transport dans l'Oise qui présentent les caractéristiques suivantes en termes de nombre de camions, de m3 moyen annuel transporté, de chiffre d'affaires et de résultats :

<emplacement tableau>

60. Parmi ces dix-neuf entreprises de transport de BPE, treize sont des artisans mono-camion, deux utilisent deux camions et les quatre dernières exploitent entre quatre et onze camions, la plaignante TLB s'avérant un temps la plus importante entreprise de transport de BPE avec onze camions.

61. Les cinq sociétés ou EURL, y compris la plaignante TLB, ont pu équilibrer leurs comptes mais la SA TLB n'a pu rémunérer son dirigeant.

62. Par ailleurs, le chiffre d'affaires moyen des huit entrepreneurs individuels mono-camion, Lefebvre, Franchart, Touzet, Liot, Regnault, Boucher, Descloitres et Charlet, s'élevait entre 1996 et 1999 à 416 468 F pour dégager un revenu annuel moyen de 164 270 F. Si ce chiffre d'affaires moyen se révèle inférieur de 18,3 % à celui de 510 000 F enregistré par l'enquête nationale précitée du SNBPE réalisée en 2000 auprès de 141 artisans mono-camion, il leur permet toutefois de dégager un revenu moyen qui n'était inférieur que de 8,7 % au revenu de 180 000 F dudit échantillon national.

63. S'agissant du niveau moyen d'activité d'un camion, la plaignante a déclaré par procès-verbal du 29 septembre 1999 : "en général, un camion transporte en moyenne 450 à 500 m3 par mois, toutes zones confondues. En nombre de tours, cela représente environ 80 à 85 tours. Par conséquent, si nous sommes rémunérés au tour et si nous prenons un montant de 420 F qui correspond à une moyenne entre une zone 1 et 3, nous obtenons un chiffre d'affaires mensuel de 35 700 F...".

64. Il résulte du propos de la plaignante que le nombre de tours est compris entre 960 et 1 020 par an pour un volume compris entre 5 000 et 6 000 m3, représentant un chiffre d'affaires annuel moyen d'environ 430 000 F en 1999. N'utilisant plus que trois camions en 1999, son chiffre d'affaires était effectivement de 1 329 494 F en 1999-2000, soit 443 000 F/camion.

65. Les volumes de BPE transportés par les treize entreprises Segalas, Lefebvre, Boucher, Franchart, Rigaux, Sudan, Touzet, Liot, TLB, Regnault, Delacroix, Guesnet et Charlet se chiffrent en moyenne à près de 5 000 m3, soit la fourchette basse de l'estimation de la plaignante.

66. De son côté, la SARL Guesnet déclare que le nombre annuel de tours de ses quatre camions a oscillé, en 1999, entre 804 et 1 006, pour une moyenne par camion de 900 tours et un volume compris entre 4 188 et 6 335 m3, pour une moyenne par camion de 5 430 m3. L'artisan mono-camion Rigaux indique, pour sa part, ne transporter que 4 000 m3 en 800 tours, en moyenne par an. Son chiffre d'affaires hors contrat de 343 242 F, dégagé en 1997-1998, s'avère à cet égard le moins élevé de l'échantillon des entreprises mono-camion recensées.

C. LES PRATIQUES RELEVÉES

a) Les contrats collectés

67. L'enquête a permis de recueillir les 33 contrats suivants qui furent conclus sur une période de 13 ans, de 1987 à 2000, entre treize entreprises exploitantes de centrales et 17 entreprises transportant du BPE :

<emplacement tableau>

68. Sur les trente-trois contrats collationnés, huit d'entre eux furent signés avec des exploitants de centrales indépendantes avant leur rachat, entre 1991 et 1997, par les grands groupes actuels du BPE (Socimat contrats n°1, Gobitta n° 3, Mouret n° 4, Lecieux n° 5, Redland Granulats Nord n° 9 à 11).

69. Les vingt-cinq autres contrats ont été conclus d'emblée avec des sociétés filiales de quatre grands groupes bétonniers : Béton de France et Béton de France Nord Alsace Groupe RMC (contrats n° 2, 6, 8, 17 à 24), Orsa Bétons IdF et Orsa Bétons Picardie Normandie groupe Origny Holcim (contrats n° 5, 12, 25 à 32), Béton Chantiers de Normandie et Béton du Valois groupe Lafarge (contrats n° 13, 14, 15), Unibéton groupe Italcimenti sans centrale dans l'Oise (contrats n° 15 et 33).

70. Ces conventions ont pour objet d'affecter en exclusivité un camion à la centrale du bétonnier co-contractant mais son déplacement peut être également prévu dans une autre centrale appartenant au donneur d'ordre ou à l'intérieur du département concerné ou dans un département voisin, voire plus éloigné.

71. A cet égard, les transporteurs de l'Oise travaillent généralement avec une centrale de leur département mais leur contrat stipule, le plus souvent, que leur camion peut être affecté à une centrale du même département ou d'un département voisin (Aisne, Somme, Seine-Maritime) voire dans l'Eure ou en région parisienne.

72. On note que deux transporteurs, de l'Aisne et de Haute-Vienne, ont mis à disposition un camion en exclusivité auprès d'une centrale de l'Oise : SCTT (02) et Deluchat (87) avec Redland Granulats Nord (contrats n° 10 et 11). De même, un transporteur de l'Oise a mis son camion en exclusivité auprès d'un bétonnier qui n'exploite pas de centrale dans l'Oise : Boucher avec Unibéton (Italcimenti) en Île-de-France (contrats n° 15 et 33).

73. D'ailleurs, la plaignante TLB a pu faire travailler sans contrat quatre camions entre 1991 et 1995 avec RB Engineering en Seine-St-Denis et dans les Hauts-de-Seine ou encore dans la région Rhône-Alpes entre 1992 et 1994 avec le bétonnier Béton Rhône-Alpes du groupe Vicat.

74. L'enquête a révélé une forte asymétrie dans les relations contractuelles à l'avantage des bétonniers donneurs d'ordre qui arrêtent unilatéralement les conditions de la rémunération du transport et de la livraison du BPE à leurs clients alors que les transporteurs, souvent de petits artisans mono-camion, ne peuvent qu'y adhérer.

75. Sur les trente-trois contrats, vingt-six relèvent de la location de véhicule industriel (contrats n° 1, 2, 5, 10, 12 à 33), quatre procèdent également de la location mais avec une clause apparemment non conforme de responsabilité du transport (contrats n° 3, 4, 6, 8) et trois ressortissent explicitement au transport de marchandises dont deux avec vérification de la capacité professionnelle du transporteur (contrats n° 7, 9 et 11).

76. Ces contrats ont une durée de un et cinq ans, ou indéterminée (contrat n° 8). Quand elle est prévue, la reconduction est le plus souvent tacite et annuelle.

77. La plupart des contrats prévoient que le camion ou la livrée du chauffeur devront être aux couleurs du bétonnier.

78. La rémunération au m3 n'est stipulée que pour quatre contrats parmi les plus anciens, alors que les vingt-neuf autres ont retenu une rémunération à la tournée, dont onze sur la base d'un tour garanti augmenté d'une rétribution au m3 pour des capacités supplémentaires.

79. Les contrats des sociétés des quatre grands groupes Orsa (Holcim), Bétons Chantiers de Normandie ou Béton du Valois (Lafarge), Unibéton (Italcimenti), Béton de France et Béton de France Nord Alsace (RMC) ont tous été conclus sur la base d'une rémunération au tour assortie ou non d'un complément en m3 à l'exception d'un ancien contrat de 1988 Béton de France (RMC) avec Franchart qui prévoyait une rétribution au m3 (contrat n° 2).

80. Par ailleurs, les trente-trois contrats prévoient des zonages divers entre quatre et douze périmètres avec des distances également diverses, entre 2,5 et 10 km.

81. La rémunération au m3 ou au tour selon les zones présente également une certaine diversité entre les bétonniers : pour un camion de 8 m3 en 1998-1999, la rémunération au tour pour la première zone est ainsi de 406,1 F ou 446 F pour Béton de France Nord Alsace (RMC, contrats n° 22 et 20), contre 490 F pour Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim, contrat n° 28), soit 83,6 F ou 20,6 % de plus, ou 509,8 F ou 510 F pour Béton du Valois (Lafarge, contrats n° 16 et 14) soit 103,6 F ou 25,5 % de plus.

82. Des clauses garantissant un chiffre d'affaires annuel minimum peuvent être incluses dans les contrats. Toutefois, leur montant compris entre 330 000 F et 360 000 F ne représente pas une garantie réelle au vu du chiffre d'affaires moyen de 416 468 F dégagé, entre 1996 et 2000, par les huit entreprises individuelles des artisans mono-camion. La société Béton du Valois (Lafarge) indique à cet égard que "la rémunération minimum garantie prévue dans quelques contrats de loueurs exclusifs est toujours dépassée".

83. D'ailleurs, la SARL Segalas qui bénéficie d'un minimum garanti de 380 000 F pour ses deux camions de 7 m3 loués à Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim) a pu faire remarquer que "le minimum garanti prévu dans la plupart des contrats est ridicule et ne se situe même pas au niveau du seuil de rentabilité que M. X... fixe globalement de la manière suivante, compte tenu d'une interruption de 5 semaines de congés durant lesquelles le personnel de conduite n'est pas remplacé : 6 m3 : 440 000 FHT, 8 m3 : 500 000 FHT".

84. Par ailleurs, la société Béton de France Nord Alsace (RMC) ne prévoit plus ce type de clause dans ses contrats conclus depuis 1992 (contrats n° 6, 17 à 24).

85. Toutefois, le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé entre 1996 et 1999 par les six artisans mono-camion sous contrat avec ce dernier bétonnier s'élève à 417 663 F permettant de dégager un revenu annuel moyen de 176 181 F, soit un montant proche du revenu annuel moyen calculé à 180 000 F lors de l'enquête du SNBPE effectuée auprès de 141 artisans mono-camion sur la France entière en 2000.

86. Quand elles sont prévues dans les contrats de plus d'un an, les modalités de révision des prix sont également diverses, allant d'une référence à l'indice Insee à une formule faisant appel à divers indices.

87. L'enquête a montré, cependant, que ces clauses de révision de prix n'ont pas joué au cours des trois exercices 1997-1998-1999 de la part des trois bétonniers, Béton de France (RMC), Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim) et Béton du Valois (Lafarge) exerçant dans l'Oise mais aussi de la part de Unibéton (Italcimenti) exploitant en région parisienne. Quand il y a eu des hausses en 2000, elles ont été comprises entre 1 et 2 %, ce qui apparaît faible en considération de l'absence de toute augmentation depuis trois ans.

88. Les heures d'attente en centrale ou sur le chantier ne sont généralement pas rémunérées. Le tarif présenté en annexe n° 2 au contrat Béton du Valois (Lafarge) et Liot de 1999 prévoit une rémunération des attentes, seulement sur chantier, sur la base de 236 F l'heure. La perception de cette rémunération est subordonnée à l'accord du responsable de chantier et à l'approbation du responsable donneur d'ordre de sorte que dans les faits, cette double autorisation rend d'une portée très limitée, voire quasi-nulle cette disposition.

89. Le rapport d'enquête souligne surtout que la structure tarifaire, au m3 ou au tour, ne satisfaisait pas alors les termes du contrat type en annexe au décret du 14 mars 1986 qui avait prévu "une rémunération du loueur distinguant la mise à disposition du véhicule, la mise à disposition du personnel de conduite et le kilométrage effectué" et que cette rémunération "n'est pas établie sur la base des quantités transportées ou du nombre de voyages effectués par le locataire". Il en allait de même des délais de paiement qui étaient contractuellement de 60 jours payables le 10 ou fin de mois, alors que le contrat-type du décret de mars 1986 prévoyait le règlement du transport de BPE à réception des factures.

b) Les ruptures de relations commerciales avec TLB

90. La société TLB s'est prévalue du respect de la loi du 1er février 1995, notamment de son article 24 selon lequel "la rémunération du transport doit comprendre, notamment, les durées pendant lesquelles le véhicule et son équipage sont à disposition en vue du chargement et du déchargement", en calculant et facturant des temps d'attente en centrale et sur chantier au-delà d'une demi-heure, dès son entrée en vigueur le 1er octobre 1995.

RB Engineering

91. Le rapport d'enquête relate que les relations commerciales entre RB Engineering et TLB ont débuté sans contrat, en août 1995, par l'utilisation de deux camions rémunérés au m3 et exploités en région parisienne, et que par courrier du 2 novembre 1995, avec effet rétroactif au 1er octobre 1995, des temps d'attente ont été facturés.

92. La société RB Engineering a refusé dès réception desdites factures, soit le 10 décembre 1995, de payer ces temps d'attente tels qu'enregistrés et facturés par TLB puis s'est décidée à interrompre, sans préavis, tout chargement des camions en août 1996.

93. La société RB Engineering n'a pas de centrale dans l'Oise. Elle a été mise en règlement judiciaire en mars 1998.

Béton de France - Béton de France Nord Alsace (RMC)

94. La plaignante TLB a pu louer à Béton de France ou Béton de France Picardie Champagne les trois camions acquis en Rhône Alpes, entre 1994 et 1995, et détachés sur la centrale de Beauvais sur la base de durées journalières ou mensuelles sans soulever par conséquent de problèmes de temps d'attente.

95. C'est pour le camion repris au transporteur Dupuille en 1992 et sans contrat depuis 1994, que TLB facture à Béton de France, le 2 novembre 1995 avec effet rétroactif au 1er octobre 1995, des temps d'attente de 205 F/H en ajout à la rémunération au tour de 6 m3. Ces factures ne seront pas honorées par le bétonnier lors de leur réception.

96. Par courrier du 21 mars 1996, Béton de France Nord réitère son refus de se voir facturer des temps d'attente au motif que ces temps sont déjà pris en compte dans le tarif en cours et se déclare "... disposée à examiner avec vous tout changement de tarif que vous souhaiteriez nous proposer et qui, s'il était accepté par nous, pourrait nous permettre de poursuivre notre partenariat...".

97. Par courrier du 19 juillet 1996, le donneur d'ordre avertit TLB de la cessation de toute relation commerciale à compter du 1er août 1996, soit avec un préavis de 10 jours, et le 2 septembre 1996, le camion de TLB ne sera pas chargé à la centrale de Mercières (Compiègne) alors que les sociétés étaient en relation depuis 1992. La SAS Béton de France Nord Alsace est attraite dans les procédures judiciaires en cours pour avoir absorbé, en 1997, la société Béton de France du même groupe RMC.

Béton Chantiers de Normandie (Lafarge)

98. La société TLB a travaillé sur la base du contrat conclu le 2 mai 1991, pour quatre ans, avec la société Lecieux SA (contrat n° 7) auprès de la centrale de St-Maximin (Creil) dans l'Oise qui avait d'abord été reprise, le 30 novembre 1993, par Béton Prêt Nord (groupe Origny-Holcim) pour être cédée le 29 juin 1995 à Béton de Creil (groupe Origny Holcim) puis le 28 septembre 1995 à Beauvais Béton du groupe Lafarge. Le 1er septembre 1996, Beauvais Béton sera prise en location gérance par Béton Chantiers de Normandie du même groupe Lafarge avant sa radiation en mars 1997.

99. A l'instar de ce qui a prévalu à l'endroit des autres donneurs d'ordre, la société TLB a notifié, le 2 novembre 1995, la facturation des temps d'attente enregistrés par ses camions sur la base de 205 F l'heure, avec effet rétroactif au 1er octobre 1995.

100. Par courrier du 9 juillet 1996, la société Beauvais Béton signifiera à TLB l'arrêt des relations commerciales pour le 15 octobre 1996, soit avec un préavis de plus de 3 mois.

101. Par ailleurs, un autre contentieux résultera de la transmission à partir du 1er octobre 1995 du contrat Lecieux de la société Béton de Creil (groupe Origny) à Beauvais Béton et TLB exigera tant pour 1996 (jusqu'au 31 octobre) que pour 1995 et 1994, le paiement du minimum de facturation annuelle revalorisé de 276 000 F à 475 000 F en contrepartie de l'exclusivité de six camions en 1994, cinq camions jusqu'au 1er septembre 1995 puis trois camions jusqu'au 31 octobre 1996. Le rapport d'enquête signale qu'à partir de 1995, trois camions seulement au lieu de six initialement, ont été mis à la disposition du groupe Lafarge, et parmi eux deux camions seulement étaient utilisés, très partiellement.

102. Pour sa part, la société Béton Chantiers de Normandie conteste la transmission du contrat Lecieux.

Béton Prêt Nord - Orsa BétonsNord - Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim)

103. Commencées le 2 mai 1991 avec le contrat Lecieux-Béton Prêt Nord, les relations commerciales de TLB se sont poursuivies en 1996 avec Orsa Bétons Nord puis à partir de 1999 avec Orsa Bétons Picardie Normandie.

104. Le rapport d'enquête signale les deux courriers de TLB de février 1996, l'un à Béton Prêt Nord, l'autre à Orsa Bétons mentionnant l'exploitation en exclusivité de trois camions, depuis octobre 1993, auprès des centrales de Béton Prêt Nord, et dont l'exploitation s'avère en deçà du minimum contractuel de 312 000 F, revalorisé unilatéralement à 475 000 F (contrat n° 7 Lecieux).

105. Le 23 mai 1996, la société TLB décide unilatéralement que la prestation de ses trois camions auprès des centrales d'Orsa Bétons seront dorénavant facturées 2 800 F la journée de 9 heures et 368,75 F l'heure supplémentaire.

106. A la différence des trois bétonniers RB Engineering, Béton de France et Beauvais Béton, les relations commerciales ne seront pas interrompues.

107. Le 16 mars 1999, un protocole d'accord interviendra entre les deux parties selon lequel "Orsa Bétons Picardie Normandie s'engage à régulariser sa facturation vis-à-vis d'Orsa Bétons Picardie Normandie telle qu'émise depuis le 1er janvier 1999, conformément aux termes et clauses contractuelles du contrat Lecieux signé le 2 mai 1991... et à verser une somme de 2 000 000 F... le présent protocole constitue un solde définitif de tout compte entre les parties".

108. Les relations commerciales se poursuivront, en 1999-2000, sur la base de la location de trois véhicules, référencés 321, 322 et 323 au tarif à la tournée de 390 F pour une zone 1 dans l'Oise (à l'instar du contrat Lefebvre n° 29) payable à 20 jours et assorti d'un minimum garanti dont le montant n'a pas été communiqué. Au cours de l'exercice 1999-2000 clos le 29 février 2000, le chiffre d'affaires de TLB ne s'élèvera toutefois qu'à 1 329 494 F, soit au plus 443 164 F par camion. Les relations commerciales entre les parties cesseront à l'amiable en juin 2000. Par ailleurs, il n'y a pas eu facturation du paiement de temps d'attente.

109. La société TLB arrêtera toute activité le 28 février 2001, ne subsistant que pour mener à bien les contentieux en cours.

D. PROPOSITION DE NON-LIEU

110. Sur la base de ces constatations, une proposition de non-lieu à poursuivre la procédure a été notifiée, le 1er février 2006, à la société TLB.

II. Discussion

111. L'article L. 464-6 du Code de commerce énonce que "lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure".

1. SUR LE MARCHÉ PERTINENT

112. Les comportements dénoncés par la saisissante mettent principalement en cause les bétonniers de l'Oise appartenant à trois grands groupes cimentiers producteurs de BPE, en tant que donneurs d'ordre pour le transport du béton depuis leurs centrales vers les chantiers de leurs clients. Leur demande de transport porte majoritairement sur leurs centrales de l'Oise mais leurs contrats de location de camions-toupies prévoient également la possibilité de déplacements dans les départements voisins.

113. L'offre potentielle est celle de tous les opérateurs disposant de camions-toupies mais, en pratique, la demande des bétonniers de l'Oise est principalement satisfaite par l'offre des loueurs résidant dans l'Oise, même si des entreprises extérieures à ce département ont pu y répondre et si, inversement, des transporteurs installés dans ce département trouvent profitable de travailler en dehors de l'Oise, à l'instar d'ailleurs de la plaignante TLB.

114. Les caractéristiques du BPE, produit non stockable et susceptible de se dégrader avec le temps, confèrent à son transport une importance déterminante et il serait possible de considérer comme marchés pertinents des marchés dont la dimension serait infra-départementale. A cet égard, l'enquête distingue trois marchés principaux de commercialisation de BPE : les bassins d'activité de Beauvais, Compiègne et Creil-Nogent-Senlis, considérant que les deux centres de Clermont et de Noyon sont de simples "satellites" de ces trois marchés principaux.

115. L'offre consiste en la mise à disposition de camions-toupies spécialisés dans le seul transport du BPE. Leurs caractéristiques techniques en font des véhicules totalement dédiés, excluant toute diversification pour le transport d'autres produits. Les camions-toupies peuvent toutefois se déplacer d'une centrale à une autre à l'intérieur du département de l'Oise, voire vers des départements voisins et leur activité n'est pas limitée à la zone de chalandise d'une centrale à béton donnée.

116. Le croisement de la demande avec l'offre permet ainsi de circonscrire le marché pertinent du transport du BPE soit aux trois principales zones de commercialisation du BPE de Beauvais, Compiègne et Creil-Nogent-Senlis, soit à l'ensemble du territoire de l'Oise en raison de la présence généralisée des centrales des trois donneurs d'ordre qui peuvent faire déplacer sans difficulté les camions-toupies au moins d'une centrale à une autre sur ledit territoire départemental.

2. SUR LA POSITION DOMINANTE

117. Le poids économique de la demande en transport de ces donneurs d'ordre peut se mesurer par leurs ventes de BPE dans chacune des zones de commercialisation de Beauvais, Compiègne et Creil-Nogent-Senlis. Il faut noter qu'un test par zone infra-départementale est susceptible de faire apparaître plus aisément une situation de dominance qu'un test sur le marché géographique plus large du département dans son entier. Il est donc plus favorable à la position du plaignant.

118. Or, sur la zone de commercialisation de Creil-Nogent-Senlis, le groupe Lafarge détient une part de marché qui n'a pas dépassé 47,7 % entre 1997 et 2000, devant Holcim et RMC dont les parts de marché ont pu se chiffrer respectivement jusqu'à 38,4 % en 2000 et 19,1 % en 1999. Cette structure de marché, notamment la taille du second opérateur, et la nature du produit qui est peu, voire pas du tout, différencié entre les bétonniers, ne permet pas de définir une dominance du groupe Lafarge sur cette zone.

119. De même, si le groupe RMC paraît détenir une position légèrement prépondérante sur la zone d'achalandage de Beauvais, il ne contrôle toutefois qu'un peu plus du tiers du marché contre un peu moins du tiers pour les deux autres donneurs d'ordre, Lafarge et Holcim et, sur l'autre zone de Compiègne, si le groupe Holcim paraît également détenir une position légèrement prépondérante, elle équivaut là aussi au mieux qu'à un peu plus du tiers du marché, soit un montant sensiblement équivalent aux deux autres donneurs d'ordre Holcim et RMC.

120. Au cours de la période 1997-2000 et sur l'ensemble du département de l'Oise, on assiste au développement de la part des ventes du groupe Lafarge de plus de deux points, malgré un repli en 1999 en faveur d'Holcim et du nouvel entrant Eiffage dont les ventes sont toutefois très limitées. Le développement des ventes de Lafarge s'effectue au détriment de celles de RMC qui baissent corrélativement de plus de deux points alors que celles de Holcim se maintiennent.

121. Ainsi, eu égard à leur poids économique dans la commercialisation du BPE dans l'Oise, aucun des trois grands bétonniers ne se trouve en position de pouvoir s'abstraire du comportement des deux autres, tant sur chacun des trois grands marchés identifiés de commercialisation du BPE et notamment de son transport dans l'Oise autour de Beauvais, Creil-Nogent-Senlis et Compiègne, que sur l'ensemble du territoire de l'Oise.

3. SUR LA POSITION DOMINANTE COLLECTIVE

122. La plaignante met en avant le fait que le rapport d'enquête soutient que les trois groupes bétonniers de l'Oise pourraient détenir une position dominante collective sur les marchés identifiés de Beauvais, Compiègne et Creil-Nogent-Senlis du fait de leur puissance économique et financière, de l'importance et la stabilité de leur part de marché dans la commercialisation du BPE ainsi que de leur coordination en matière de transport.

123. Mais, pour qu'une position dominante collective existe, il faut que les entreprises concernées aient "ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs" (CJCE, 31 mars 1998, aff. jointes C-68/94 et C-30/95, Kali & Saltz, pt. 221; TPICE, 25 mars 1999, aff. T-102/96, Gencor, pt. 163), ce qui peut ressortir de l'examen même des liens ou facteurs de corrélation juridiques existant entre les entreprises ou de l'examen de la structure du marché selon les critères dégagés par le Tribunal de première instance des communautés dans l'arrêt Airtours. (cf. décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-02 du 20 février 2006, points 107 et suivants).

124. Au cas de l'espèce, les éléments de l'enquête ne montrent, en l'absence de liens structurels entre les bétonniers, aucune ligne d'action commune sur le marché puisqu'on ne constate ni de parallélisme des variations des prix de transport, qui se révèlent diversifiés, ni de véritable stabilité des parts de marché de commercialisation du BPE sur les zones de commercialisation, qui ont varié entre 1997 et 2000. De plus, une entrée sur le marché semble possible à un coût raisonnable (il existe plus de 1500 centrales à béton en France dont 45 en Picardie, cf. point 22 supra), comme le montre le cas d'Eiffage, en 1999 et 2000, qui a pu immédiatement prendre 4 % du volume de BPE vendu sur le bassin d'activité de Compiègne dès sa première année d'activité (cf . points 28 et 33 supra).

125. Le dossier ne permet donc pas de caractériser une position dominante collective des trois groupes bétonniers, en ce qui concerne la commercialisation du BPE et notamment de son transport ni dans l'Oise autour de Beauvais, Creil-Nogent-Senlis et Compiègne ni, a fortiori sur l'ensemble du territoire de l'Oise.

4. SUR L'ENTENTE ENTRE BÉTONNIERS DE L'OISE

126. Pour caractériser une entente, il convient, en l'absence de preuve matérielle directe, de rassembler un faisceau d'indices graves, précis et concordants.

127. L'enquête administrative a révélé une forte asymétrie dans les relations contractuelles à l'avantage des bétonniers donneurs d'ordre qui arrêtent unilatéralement les conditions de la rémunération du transport de la livraison du BPE à leurs clients alors que les transporteurs, souvent de petits artisans mono-camion, ne peuvent qu'y adhérer.

128. Par exemple les clauses de révision de prix n'ont pas joué au cours des trois exercices 1997-1998-1999 de la part des trois bétonniers, Béton de France (RMC), Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim) et Béton du Valois (Lafarge) exerçant dans l'Oise mais aussi de la part de Unibéton (Italcimenti) exploitant en région parisienne. Quand il y a eu des hausses en 2000, elles ont été comprises entre 1 et 2 %, ce qui est faible en considération de l'absence de toute augmentation durant les trois années précédentes.

129. Le rapport d'enquête souligne surtout que la structure tarifaire, au m3 ou au tour, ne satisfaisait pas les termes du contrat-type en annexe au décret du 14 mars 1986 qui avait prévu "une rémunération du loueur distinguant la mise à disposition du véhicule, la mise à disposition du personnel de conduite et le kilométrage effectué" et que cette rémunération "n'est pas établie sur la base des quantités transportées ou du nombre de voyages effectués par le locataire".

130. Mais, le passage de la rémunération par zone selon les m3 transportés à celle à la tournée n'est pas propre aux trois principaux bétonniers de l'Oise comme l'indiquent d'une part, les exemples de RB Engineering ou Unibéton (Italcimenti) dont les centrales se trouvent en région parisienne et surtout comme l'indique le propos du SNBPE qui considère que cette forme de rémunération correspond aux objectifs recherchés par le législateur depuis le nouveau contrat-type prévu par le décret d'avril 2002 qui abroge le précédent du 14 mars 1986.

131. L'instruction a également montré que la rentabilité des entreprises mono-camion basées dans l'Oise était sensiblement équivalente à celle dégagée par l'étude du SNBPE pour un échantillon national de 141 entreprises. Par ailleurs, les tarifs de location à la journée des artisans mono-camions s'avèrent inférieurs aux études sur les coûts d'exploitation et notamment celle réalisée par le CNR pour TLB.

132. En tout état de cause, les éléments d'information recueillis montrent des comportements plutôt diversifiés de la part des trois principaux bétonniers de l'Oise vis-à-vis de leurs sous-traitants transporteurs de BPE tant en matière de niveaux de prix que de distances retenues pour le zonage.

133. La saisissante ajoute que l'entente serait démontrée dès lors que le tarif du transport du BPE des bétonniers serait augmenté d'une marge uniforme d'environ 35 %, laquelle n'est pas reversée aux transporteurs.

134. Mais, d'une part, le transport ne constitue pas plus de 20 % du tarif de vente du BPE et, d'autre part, la saisissante reconnaît que le transport du BPE présente une part de risque liée au caractère périssable du produit, risque qu'assume le bétonnier et non son client. Il n'est donc pas anormal que la facturation du BPE soit grevée d'une marge prise sur la prestation des transporteurs sous-traitants, marge dont le rapport d'enquête ne montre d'ailleurs pas qu'elle ait été systématiquement de 35 %.

135. La plaignante considère, enfin, que la preuve de l'entente est établie au moins quant à la résiliation abusive des contrats par la concomitance de ces ruptures.

136. Mais, devant la facturation unilatérale par TLB, soit de journées de location, soit de temps d'attente, le donneur d'ordre Orsa Bétons Nord, repris par Orsa Bétons Picardie Normandie (Holcim), a continué de travailler avec la plaignante et a même conclu avec elle un protocole d'accord en mars 1999 alors que les deux autres donneurs d'ordre, Béton de France (RMC) et Béton chantiers de Normandie (Lafarge) ont cessé toute relation commerciale, le premier par courrier du 19 juillet 1996, le second par courrier du 9 juillet 1996 à l'instar du refus de charger les camions de TLB par RB Engineering en août 1996.

137. En l'absence de parallélisme de comportement entre les quatre principaux bétonniers de l'Oise vis-à-vis de leurs sous-traitants transporteurs de BPE et d'autres éléments de preuve, l'existence d'une entente entre les bétonniers de l'Oise à l'endroit de leurs transporteurs n'est pas établie.

5. SUR LA DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE DE TLB

138. La dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2 alinéa 2, résulte de plusieurs critères définis par la jurisprudence : la notoriété de la marque du donneur d'ordre, l'importance de la part prise par son activité dans le chiffre d'affaires de l'entreprise prestataire, à condition que cette part ne résulte pas d'un choix délibéré de politique commerciale de l'entreprise prestataire, enfin, la difficulté pour le prestataire de trouver une solution de substitution équivalente ; ces conditions doivent être simultanément vérifiées pour entraîner cette qualification.

139. Or, depuis sa création en mai 1991, la société TLB a pu faire travailler onze camions avec au moins cinq donneurs d'ordre bétonniers, à savoir Lecieux puis Béton Prêt Nord, Béton de Creil, Orsa Bétons Nord et Orsa Bétons Picardie Normandie toutes quatre du groupe Origny Holcim, Béton Rhône Alpes du groupe Vicat, Béton de France et Béton de France Nord Alsace du groupe RMC, Bétons Chantiers de Normandie du groupe Lafarge, enfin RB Engineering.

140. Les relations commerciales de TLB avec les différents donneurs d'ordre portent ainsi sur un territoire que l'on ne peut circonscrire au seul département de l'Oise et qui ne révèle pas une dépendance économique avec un donneur d'ordre particulier.

141. La plaignante souligne que sa situation financière n'a été rétablie qu'à partir de 1999 grâce à l'accord transactionnel avec Orsa Bétons Nord.

142. Mais le Conseil relève que TLB a réussi néanmoins à équilibrer les comptes de son exploitation sans accuser de perte entre février 1997 et février 1999 alors qu'elle ne travaillait plus qu'avec Orsa Bétons Nord, reprise par Orsa Bétons Picardie Normandie.

143. Dans ces conditions, le dossier ne permet pas de caractériser la dépendance économique de TLB à l'endroit des bétonniers de l'Oise.

144. Enfin, la saisissante allègue un non-respect des dispositions de la loi sur les transports intérieurs, notamment sur le principe de juste rémunération du coût du transport, qui constituerait une exploitation abusive de la puissance économique des donneurs d'ordre vis-à-vis de TLB. Elle dénonce une autre exploitation de cette puissance économique que constitue à ses yeux la rupture abusive des contrats qui liaient les donneurs d'ordre à TLB.

145. Mais ces prétentions qui doivent être soutenues devant le juge judiciaire, ne relèvent pas de la compétence du Conseil de la concurrence qui n'a pas qualité pour apprécier le comportement d'entreprises au regard des dispositions de la réglementation des transports, ni pour qualifier les conditions d'une rupture de contrat.

146. Au total, sans préjudice du contentieux en responsabilité pendant devant la Cour d'appel de Paris, qui échappe à la compétence du Conseil de la concurrence, les pratiques dénoncées par la société TLB dans ses relations avec les groupes bétonniers de l'Oise n'entrent pas dans les prévisions de l'article L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce.

147. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décision

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.