Cass. crim., 13 mai 1975, n° 74-92.213
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cénac
Rapporteur :
M. Pucheus
Avocat général :
M. Aymond
Avocats :
Mes Calon, Jolly Célice
LA COUR : - Cassation sur les pourvois de : 1° X (Jean), contre un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre des appels correctionnels, en date du 12 juin 1974 qui, pour infractions à la loi du 1er août 1905 et infractions fiscales, l'a condamné à 15 000 francs d'amende, à des amendes et confiscations fiscales, et à des réparations civiles envers la fédération nationale des producteurs de vins de consommation courante ; 2° la direction générale des impôts, contre le même arrêt qui a relaxé le prévenu du chef de la contravention fiscale de refus d'exercice et qui n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes ; - Vu la connexité, joint les pourvois ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation de X, reproduit par la première branche de son deuxième moyen, et pris de la violation des articles 3, 4 et 7 du Code du vin, 102 du décret du 20 juillet 1972 et 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, "en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur l'action pénale et l'action civile, a condamné X, pour fraude par remise en fermentation irrégulière de vins, à une amende de 15 000 francs et à 3 000 francs de dommages-intérêts pour chacune des parties civiles ;
"au motif que X avait provoqué par réchauffement une nouvelle fermentation du vin, procédé autorisé pour les moûts mais irrégulier pour les vins ;
"alors que le réchauffement d'un vin, que nul texte n'interdit, ne saurait être tenu pour une manipulation prohibée dès lors qu'il n'a d'autre objet et d'autre conséquence que d'achever la fermentation du produit, qui demeure ainsi, conformément à sa définition légale, un jus de raisin fermenté" ;
Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué et de celles des procès-verbaux basés des poursuites que X, propriétaire viticulteur et marchand de vins en gros, a procédé à l'enrichissement en alcool de certaines quantités de vins en les soumettant, notamment, à un réchauffement destiné à provoquer artificiellement une nouvelle fermentation ;
Attendu que pour déclarer le prévenu coupable, à raison de ces faits, de falsifications de vins et des infractions fiscales corrélatives de fabrication et de détention illicites de dilutions alcooliques, les juges du fond, rejetant les conclusions reprises au moyen, énoncent que ces infractions sont établies, le réchauffement des vins ne figurant pas au nombre des traitements que l'article 4 du Code du vin autorise, ce traitement n'étant admis par ledit article que pour les moûts ;
Attendu que cette décision est justifiée; Qu'en effet, d'une part, le texte précité énumère de façon limitative les manipulations qui, par exception au principe général contenu dans l'article 7 du même Code, ne sont pas considérées comme frauduleuses ; Que, d'autre part, toute manipulation non autorisée d'un vin constitue la fabrication illicite d'une dilution alcoolique ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation de X, pris de la violation des articles 3, 7, 323 et 345 du Code du vin, 1791 du Code général des impôts, 102 du décret du 20 juillet 1972, et 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et manque de base légale, "en ce que l'arrêt attaqué a condamné X à une amende de 100 francs et à la valeur des quantités litigieuses saisies pour détention de 341 hectolitres de vins impropres à la consommation par excès d'acidité volatile ;
"au motif que X n'apportait pas la preuve qu'au moment des contrôles le vin ait été déjà vendu à une vinaigrerie ;
"alors qu'à côté de ce moyen, purement subsidiaire, X faisait, à titre principal, valoir que la détention, d'ailleurs accidentelle, de vin atteint d'acescence ne constituait pas un délit au stade de la production et qu'il appartenait donc à l'administration de prouver que le vin était détenu en vue de sa mise en vente et que, dès lors, en ne s'expliquant pas sur ce moyen principal et en ne constatant pas la détention en vue de la vente, la cour d'appel n'a ni répondu aux conclusions dont elle était saisie ni légalement justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte des constatations des juges du fond et de celles d'un procès-verbal du 2 septembre 1968, base de la poursuite, qu'à cette date, X détenait dans ses chais une quantité de 341 hectolitres de vin qui, en raison d'un excès d'acidité, étaient impropres à la consommation et ne pouvaient, dès lors, selon les termes de l'article 323 du Code du vin, être utilisés qu'en distillerie ou en vinaigrerie ; Que si le prévenu a tenté de soutenir que ces vins avaient déjà été vendus à une vinaigrerie avant l'intervention des agents du service de la répression des fraudes, les factures qu'il a produites à l'appui de ses allégations n'apportaient aucunement la preuve de la véracité de celles-ci ; Qu'il devait, dès lors, être déclaré coupable de détention sans motifs légitimes, en vue de la vente, de vins impropres à la consommation ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui relèvent du pouvoir souverain d'appréciation, par les juges du fait, de la valeur des éléments de preuve soumis aux débats contradictoires, la cour d'appel a justifié sa décision ; Qu'en effet, les boissons détenues dans ses chais par un marchand de vins en gros sont présumées mises en vente sauf preuve contraire qui, en l'espèce, n'a pas été rapportée ; Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation de l'administration des impôts, pris de la violation des articles 492 et 1791 du Code général des impôts, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, "en ce que l'arrêt attaqué a relaxé X (Jean) des fins de la poursuite du chef de refus d'exercice, aux motifs que la preuve n'était pas rapportée que son épouse qui, en son absence, s'est essentiellement opposée à la visite d'une installation de chauffage située dans les locaux d'habitation, avait agi sur ses instructions, et qu'on ne pouvait pas la considérer comme sa préposée, alors que l'infraction, purement matérielle, était en l'occurrence caractérisée indépendamment des instructions que le prévenu avait pu donner à son épouse et de la qualité de cette dernière, dès lors que, faute d'avoir pris des dispositions pour se faire utilement suppléer en son absence, par une personne qualifiée, il n'avait pas été en mesure de déférer immédiatement aux réquisitions des agents, tant en ce qui concerne la visite de l'installation de chauffage que l'inventaire des boissons" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'en matière de contributions indirectes, la citation qui se réfère aux faits constatés dans le procès-verbal saisit le juge de toutes les infractions qui paraissent résulter dudit procès-verbal ; Que, d'autre part, aux termes de l'article 492 du Code général des impôts, les marchands de vin en gros doivent toujours être en mesure, soit par eux-mêmes, soit par leurs préposes, s'ils sont absents, de déférer immédiatement aux réquisitions des agents auxquels doivent être déclarés les espèces et quantités de boissons existant dans les fûts, vaisseaux, foudres et autres récipients, ainsi que le degré des alcools ;
Attendu que pour relaxer X du chef d'opposition à l'exercice du contrôle des agents habilités à cet effet, infraction fiscale prévue et réprimée par les articles 492 et 1737 du Code général des impôts, la cour d'appel énonce que la dame X "s'est essentiellement opposée à la visite de l'installation de chauffage située dans les locaux d'habitation" ; Qu'en outre, " la preuve n'est pas rapportée qu'elle ait agi sur les instructions de son mari dont on ne peut pas considérer qu'elle soit la préposée" ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, les juges ont, d'une part, omis de statuer sur l'ensemble des faits relatés dans le procès-verbal du 19 janvier 1973, base de la poursuite, qui font ressortir que, le 31 janvier 1970, non seulement, la dame X s'est refusée à permettre aux agents de l'administration de visiter l'installation de chauffage mais qu'elle s'est également opposée à la réalisation de l'inventaire des boissons détenues en se déclarant incompétente pour déclarer à ces mêmes agents les espèces, les quantités de boissons et le degré des alcools qui s'y trouvaient ; Que les juges ont ainsi méconnu le premier principe rappelé ci-dessus ;
Que, d'autre part, en fondant la relaxe de X sur le fait qu'il n'avait donné aucune instruction à sa femme et que celle-ci ne pouvait être considérée comme sa préposée pour répondre à l'inventaire des boissons, la cour d'appel a, par ces motifs qui tendraient, au contraire, à établir la culpabilité du prévenu, violé les dispositions de l'article 492 précité du Code général des impôts ;
Que l'arrêt encourt la cassation de ce chef ;
Sur le deuxième moyen de cassation de X en sa seconde branche et le second moyen de l'administration des impôts réunis et pris : le deuxième moyen de X, de la violation des articles 3, 4 et 7 du Code du vin, 312, 434 et 1791 du Code général des impôts, 102 du décret du 20 juillet 1972 et 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs, et manque de base légale, "en ce que, statuant sur l'action fiscale, l'arrêt attaqué a condamné X a une amende de 100 francs, au décuplé des droits compromis et au paiement, à titre de confiscation, de la valeur des quantités en cause, pour fabrication sans déclaration préalable par traitements illicites de vins de 7021 hectolitres de dilution alcoolique ;
"aux motifs que la mise en refermentation du vin par réchauffement constitue une manipulation non autorisée donc illicite, les pénalités devant s'appliquer au volume des vins sur lesquels avaient porté les constatations matérielles et les prélèvements soit 7021 hectolitres ;
"alors que d'une part le réchauffement d'un vin, que nul texte n'interdit, ne saurait être tenu pour une manipulation prohibée dès lors qu'il n'a d'autre objet et d'autre conséquence que d'achever la fermentation du produit, qui demeure ainsi, conformément à sa définition légale, un jus de raisin fermenté ;
"et alors d'autre part et en tous cas que l'administration avait demandé à la cour d'appel de faire porter les pénalités d'une part sur le volume résultant à la fois des "aveux" de X (soit 38000 hl) et des prélèvements opérés (soit 2339 hl plus 1994 hl) que la cour d'appel a écarté les "aveux" de X et, par conséquent, exclu du calcul des pénalités les 38 000 hectolitres ;
Qu'elle ne pouvait dès lors, sans statuer ultra petita, calculer les pénalités sur 7021 hectolitres, l'administration n'en ayant, en dehors des 38000 hectolitres, retenu que 4333 hectolitres ;
Que, de toutes façons et comme le proposait l'administration, les pénalités ne pouvaient être calculées que sur les quantités dont le réchauffement avait été constaté et non sur la totalité des volumes soumis à contrôle et à prélèvement ainsi que l'a fait la cour d'appel" ;
Le second moyen de l'administration des impôts, de la violation des articles 312, 434 et 1791 du Code général des impôts, des règles de la preuve en matière correctionnelle, de la foi due au procès-verbal, ensemble violation des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance et défaut de motifs, manque de base légale, "en ce que l'arrêt attaqué a limité les condamnations prononcées contre X, du chef de fabrication sans déclaration préalable de dilutions alcooliques, au volume de vins sur lesquels ont porté des constatations matérielles des agents et les prélèvements à l'exclusion des quantités évaluées par l'administration sur la base des propres déclarations du prévenu, au seul motif que celui-ci est revenu sur ses aveux, alors qu'il appartenait aux juges d'appel de déduire avec précision les motifs qui leur paraissaient de nature à ébranler la foi due au procès-verbal qui constatait ces aveux ainsi que le caractère probant de la déclaration que les premiers juges avaient retenu à la charge du prévenu" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; Que l'insuffisance et la contradiction des motifs équivalents à leur absence ;
Attendu que pour calculer les pénalités fiscales applicables au prévenu en fonction des quantités de vins qui ont été falsifiées par réchauffement et qui ont été ainsi transformées en dilution alcooliques non déclarées, la cour d'appel énoncé que l'on ne saurait retenir pour base de ces calculs, le chiffre de 42333 hectolitres auquel s'est référée l'administration des impôts dans ses conclusions ;
Qu'en effet, ce chiffre comprend une quantité de 38000 hectolitres qui ne résulte que des aveux qui ont été faits par X, dans une déclaration signée par lui le 3 avril 1968, aveux qui sont, en outre, consignés dans un procès-verbal du 2 septembre 1968 ;
Que le prévenu a rétracté ses déclarations "en prétendant" avoir été amené à les souscrire alors qu'après un contrôle qui avait duré douze heures, il n'était plus en possession de tous ses moyens ;
Que, dans ces conditions concluent les juges, "il apparaît normal de limiter les pénalités au volume des vins sur lesquels ont porté les constatations matérielles et les prélèvements, soit, au total, 7021 hectolitres" ;
Mais attendu que, d'une part, ces énonciations se bornent à relever les déclarations du prévenu quant à la valeur de ses aveux sans les apprécier ni les discuter ;
Qu'elles ne font pas ressortir, d'autre part, les éléments sur lesquels la cour d'appel s'est fondée pour retenir le chiffre précité de 7021 hectolitres qui ne correspond pas aux quantités retenues par l'administration elle-même, laquelle, abstraction faite des 38000 hectolitres résultant des aveux de X, n'a évalué qu'à 4333 hectolitres le volume total ressortant des constatations matérielles faites par les agents verbalisateurs dans les cuves trouvées par eux en fermentation ;
Que l'arrêt qui a méconnu le principe ci-dessus rappelé, encourt également la cassation de ce chef ;
Et attendu qu'en raison de l'indivisibilité entre les dispositions de l'arrêt concernant la culpabilité des chefs de détention de vins impropres à la consommation, de falsifications de vins et de fabrication illicite de dilutions alcooliques et celles fixant les pénalités, la cassation doit être totale de ces chefs ;
Par ces motifs : Casse et annule l'arrêt précité de la Cour d'appel de Bordeaux, en date du 12 juin 1974 en toutes ses dispositions, et pour être statué à nouveau, conformément à la loi : renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Toulouse.