Cass. crim., 22 juin 1981, n° 80-91.557
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pucheus (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Escande
Avocat général :
M. Méfort
Avocat :
Me Foussard de Chaisemartin
LA COUR : - Statuant sur les pourvois de : 1° X Camille 2° le directeur général des impôts contre un arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 6 février 1980, qui, statuant sur renvoi après cassation, a déclaré X coupable de fabrication de 134 hl 50 de dilution alcoolique, l'a condamné à une amende de 100 francs, l'a relaxé du chef d'expédition et de mise en vente de dilution alcoolique, et n'a pas fait droit à l'intégralité des demandes de l'administration des impôts ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense;
I - Sur le pourvoi de X Camille : Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 312, 404, 1791, 1796, 1810-3°, 1792 et 1799 a du Code général des impôts, de l'article 1er du décret du 22 décembre 1962 et de l'article 593 du Code de procédure pénale et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs, manque de base légale;
En ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de fabrication de 134 hl 50 de dilution alcoolique;
Aux motifs qu'en faisant procéder à une analyse préalable du vin à traiter au ferrocyanure, et à une analyse de contrôle après traitement par un oenologue éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres, qui n'a pas lui-même effectué les prélèvements ou n'a pu vérifier si ces prélèvements étaient correctement faits, si le traitement prescrit était bien appliqué, le prévenu n'a pas observé les prescriptions de la loi du 22 septembre 1962 et a en conséquence effectué une manipulation illicite;
Alors que le décret du 22 septembre 1962 qui a autorisé et règlementé l'emploi de ferrocyanure de potassium pour le traitement des vins blancs et rosés ne prévoit pas que l'oenologue doive lui-même et personnellement prélever les échantillons à analyser, mais impose seulement le recours à ce spécialiste pour procéder à l'analyse des vins contenus dans les fûts à traiter, déterminer les doses à employer et vérifier que les vins ne contiennent plus de ferrocyanure ou de dérivés de ferrocyanure après traitement avant de délivrer le bulletin prévu, que dès lors, en l'espèce, où il n'a pas été contesté que le vin litigieux avait bien fait l'objet d'un traitement effectué dans les conditions prévues par le décret précité, la cour a violé ce texte en prétendant que le prévenu avait méconnu une obligation qu'il ne prévoit pas;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaque que X, marchand de vin en gros, a fait procéder par l'oenologue Y à l'analyse d'un vin ayant, selon lui, fait l'objet d'un traitement au ferrocyanure de potassium à concurrence de 125 hl selon les propres directives dudit Y, que malgré l'analyse de ce dernier selon laquelle il n'y avait plus de trace de ferrocyanure dans l'échantillon qui lui avait été soumis après traitement, un prélèvement du service de la répression des fraudes portant sur une cuve de 134 hl 50 de vin dans laquelle, aux dires de X, avaient été versés les 125 hl traites, aboutissait à établir la présence dans cette boisson d'une petite quantité de ferrocyanure ferrique et des traces de ferrocyanure libre, que X, à qui les résultats de cette analyse ont été notifiés, a déclaré alors aux agents de la répression des fraudes que les 134 hl 50 litigieux avaient été eux-mêmes utilisés depuis lors pour procéder à un coupage avec 480 hl 50 d'un vin afin d'obtenir ainsi 615 hl de vin dont une partie avait déjà été vendue, qu'un nouveau prélèvement opéré dans la cuve contenant le reliquat obtenu par le nouveau coupage avec la boisson originairement traitée au ferrocyanure révélait cependant que ce reliquat était de bonne qualité;
Attendu que pour déclarer X coupable de fabrication de dilution alcoolique et d'expédition sans titre applicable sous la qualification de vin d'une telle dilution, la cour d'appel répondant aux conclusions de ce prévenu, après avoir constaté que ce dernier avait fait effectuer l'analyse préalable et l'analyse de contrôle après traitement par un oenologue éloigne de plusieurs dizaines de kilomètres, qui n'a pas effectué lui-même les prélèvements, ni pu vérifier si ces prélèvements étaient correctement faits, n'avait pas observé les prescriptions du décret du 22 septembre 1962, et avait ainsi opéré une manipulation illicite transformant ce vin en une dilution alcoolique dont la détention et le transport l'avaient amené à commettre les infractions fiscales reprochées;
Attendu qu'abstraction faite de tout motif surabondant, la cour d'appel a justifié en son principe la condamnation du prévenu pour les contraventions fiscales qu'elle relève, que la seule présence matérielle de ferrocyanure de potassium dans les vins traités établit que le traitement de ceux-ci n'avait pas obéi aux exigences du décret du 22 septembre 1962 et que le prévenu s'était rendu, dès lors, coupable de fabrication de dilution alcoolique et d'expédition des mêmes dilutions sous le couvert de titres de mouvement inapplicables, qu'une infraction aux lois sur les contributions indirectes est, au surplus, purement matérielle, et se trouve punissable par la seule perpétration qui lui a donné naissance, qu'elle est indépendante de la bonne foi de son auteur et qu'elle ne peut être excusée qu'en cas de force majeure, non établie en l'espèce; Que, dès lors, le moyen doit être rejeté;
II - Sur le pourvoi de l'administration des impôts :
A Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi en ce que celui-ci vise Y Pierre;
B En ce qui concerne X : Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 312, 401, 434, 1791, 1804 b du Code général des impôts, des articles 7 du Code du vin et 46-1 du règlement CEE n° 337-79 du 5 février 1979, ensemble violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
En ce que l'arrêt attaqué a reconnu X coupable de fabrication sans déclaration de 134 hl 50 seulement de dilutions alcooliques;
Aux motifs qu'il n'est pas établi que cette infraction ait porté sur la quantité de 615 hl - obtenue après mélange des 134 hl 50 reconnus falsifiés avec d'autres vins de qualité non contestée - l'analyse de l'échantillon prélevé le 20 mars 1975 dans la cuve n° 35, sur un reliquat des 615 hl, n'ayant fait apparaître aucune anomalie;
Alors que le mélange de vins impropres à la consommation avec des vins loyaux et marchands étant prohibé, c'est la totalité de la boisson obtenue par un tel mélange qui doit être tenue pour une dilution alcoolique fabriquée sans déclaration, quand bien même la composition finale du mélange répondrait aux normes règlementaires;
Vu lesdits articles;
Attendu que toute fabrication d'une dilution alcoolique, quand bien même la composition définitive du mélange de cette dilution avec un autre vin de qualité loyale et marchande correspondrait aux normes règlementaires, enlevé à la boisson ainsi obtenue sa dénomination de vin;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que X a reconnu avoir utilisé les vins traités par lui au ferrocyanure de potassium pour obtenir un mélange portant sur un stock global de 615 hl dont une partie a été vendue, que cependant pour ne faire porter les pénalités que sur la quantité des 134 hl 50 reconnus défectueux par l'analyse du service de la répression des fraudes, la cour d'appel se borne à constater qu'une nouvelle analyse portant sur un échantillon de ce mélange n'a pas relevé de contravention, la marchandise apparaissant, à l'issue de cette nouvelle analyse, comme de qualité satisfaisante;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé; Que la cassation est encourue de ce chef;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 443, 445, 446, 1791, 1804 b du Code général des impôts, 428, 485, 591 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
En ce que l'arrêt attaque a renvoyé X des fins de la poursuite fiscale pour expédition de 615 hl de dilutions alcooliques sous le couvert de titres de mouvement inapplicables;
Aux motifs que cette contravention ne résulte d'aucune constatation du service de la répression des fraudes et qu'il n'a pas été établi que du vin impropre à la consommation ait été vendu;
Alors que le prévenu avait lui-même reconnu que les 615 hl de vin incriminés - qui, par suite des conditions dans lesquelles ils avaient été obtenus, constituaient des dilutions alcooliques avaient été expédiés sous la dénomination de vin à divers destinataires, que les juges d'appel ne pouvaient, sans s'en expliquer, ignorer un tel aveu, duquel il résultait nécessairement que la boisson avait circule sous le couvert de titres de mouvement inapplicables comme comportant une fausse désignation de qualité;
Attendu que les boissons détenues dans ses chais par un marchand de vin en gros sont présumées mises à la vente, sauf preuve contraire;
Attendu que pour débouter l'administration fiscale d'une partie de ses conclusions tendant a la condamnation de X pour fabrication et expédition de 615 hl de dilution alcoolique sous le couvert d'acquits a caution inapplicables, la cour d'appel se borne a énoncer : "qu'il n'est pas établi que le vin impropre a la consommation ait été vendu";
Mais attendu que par ce seul motif, alors qu'il résultait des constatations de l'arrêt que selon les propres aveux de X, celui-ci, marchand de vin en gros, avait détenu dans ses chais 615 hl de boissons obtenues a l'aide d'un mélange dans lequel on trouvait du ferrocyanure de potassium et en avait vendu une partie, la cour d'appel n'a pas justifie sa décision; Que la cassation est également encourue de ce chef;
Par ces motifs : 1° Sur le pourvoi de X;
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur par corps à l'amende et aux dépens, fixe au minimum édicté par la loi la durée de la contrainte par corps;
2° Sur le pourvoi de l'administration des impôts;
Rejette le pourvoi en ce qu'il vise Y Pierre;
Casse et annule pour le surplus l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier du 6 février 1980 en celles de ses dispositions qui ont prononcé la relaxe partielle de X du chef de fabrication sans déclaration de dilution alcoolique et sa relaxe du chef d'expédition de dilution alcoolique sans titre applicable, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et, pour être jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.