Cass. com., 11 juillet 2006, n° 04-18.810
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Dargent (ès qual.), Assistance service automobile (Sté)
Défendeur :
Automobiles Peugeot (SA), Sofib (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Collomp
Avocat général :
M. Main
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Gatineau
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 mai 2004) rendu sur renvoi après cassation, (Chambre commerciale, financière et économique, 17 juillet 2001, pourvoi n° 98-22.841), que la société Assistance Service Automobile (société ASA) était liée à la société Automobiles Peugeot par un contrat de concession automobile expirant le 31 décembre 1990; qu'elle réglait les véhicules qui lui avaient été livrés, après les avoir elle-même revendus, à une société d'affacturage dépendant du groupe Peugeot, la société Sofira qui en avait préalablement avancé le montant au concédant, au moyen de prélèvements sur le compte courant dont elle était titulaire auprès d'une autre société du groupe, la société Financière de banque, Sofib (société Sofib) sur lequel elle bénéficiait d'une autorisation tacite de découvert de 1 200 000 F ; que, le 1er juin 1990, la société ASA dont le compte était débiteur a demandé à la société Sofib de prélever, sur deux autres comptes dont elle était titulaire dans d'autres établissements, une somme de 480 000 F, que celle-ci n'a pas donné suite à cette demande cependant, qu'invoquant un dépassement du découvert autorisé, elle a, le 8 juin 1990, rejeté quatre ordres de prélèvement de la société ASA au profit de la société Sofira pour des montants respectifs de 445 385 F, 720 392,34 F, 221 203,75 F et 216 117,50 F; que la société Sofira ayant, en suite de ce rejet, résilié la convention d'affacturage la liant à la société Automobiles Peugeot, celle-ci a, à son tour, exigé de son concessionnaire le paiement comptant des véhicules livrés puis, estimant que celui-ci ne respectait pas ces nouvelles obligations, elle a tiré sur lui, le 17 août 1990 une lettre de change qui n'était pas acceptée et restait impayée à son échéance du 22 août suivant; que se prévalant alors de la clause résolutoire contractuelle, la société Automobiles Peugeot a dénoncé le contrat de concession par anticipation, le 19 septembre 1990; que la société ASA a été déclarée en redressement puis en liquidation judiciaires les 24 septembre 1990 et 2 mai 1991 ; que les sociétés Automobiles Peugeot et Sofib ont réclamé judiciairement le paiement puis la fixation de leurs créances respectives sur la société ASA, cependant que celle-ci puis son liquidateur, dénonçant la collusion fautive des deux sociétés, ont mis en cause leur responsabilité, reprochant à l'une d'avoir rompu abusivement son crédit et à l'autre d'avoir créé de mauvaise foi les conditions lui permettant de résilier le contrat de concession aux torts de son concessionnaire;
Sur le premier moyen : - Attendu que M. Dargent, agissant en sa qualité de liquidateur de la société ASA fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Sofib n'avait pas abusivement rompu le concours accordé à sa cliente, alors, selon le moyen : 1°) que les parties s'accordaient sur l'existence " d'un découvert moyen ", " habituellement consenti ", de 1 200 000 F, sur les conséquences du dépassement duquel elles s'opposaient, la société Sofib faisant état de dépassements ponctuels, s'analysant en des concours occasionnels, laissés à sa discrétion, tandis que lui-même excipait de dépassements fréquents, s'analysant en des concours habituels, ne pouvant être réduits ou interrompus que dans les conditions prévues par l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier; qu'en se bornant à énoncer que "s'il est incontestable qu'ont pu intervenir de plus forts découverts, pour autant ceux-ci n'ont été que ponctuels ils sont demeurés, dès lors, à la discrétion de la banque, qui n'est jamais tenue de les tolérer à nouveau", cependant qu'il résulte de l'échelle d'intérêts au 31 mars 1990, qu'il produisait, que le compte courant de la société ASA avait présenté un découvert supérieur à 1 200 000 F du 13 au 26 mars 1990 et que le relevé informatique interne de la banque pour la période du 2 avril au 31 août 1990, produit par la société Sofib, révèle également que le compte de la société ASA avait été constamment débiteur de plus de 1 200 000 F entre le 5 et le 12 avril, puis entre le 11 et le 15 mai et entre le 22 et le 28 mai, sans indiquer les éléments de preuve dont aurait résulté le caractère simplement ponctuel de ces dépassements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 313-12 du Code monétaire et financier ; 2°) qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que le relevé de compte établi à la date du 1er juin 1990 qui avait été adressé à la société ASA par la société Sofib était erroné, en ce qu'il faisait état d'un solde débiteur, à cette date, de 101 671,88 F, ce solde débiteur s'élevant en réalité à 665 529,74 F, trois ordres de prélèvement, d'un montant total de 544 857,86 F intervenus les 25, 27 et 31 mai n'ayant pas été pris en considération ; qu'observant que ces trois écritures de débit avaient cependant parallèlement été enregistrées, à leur date, par la société Sofib sur son propre relevé informatique interne qu'elle avait été amenée à verser aux débats, il dénonçait une véritable manipulation de ce compte et faisait valoir que si le relevé de compte qui avait été adressé à la société ASA avait fait apparaître, ainsi qu'il l'aurait dû, le véritable solde débiteur de 646 529,74 F, celle-ci aurait pu donner les ordres nécessaires pour créditer son compte ou retarder les demandes de prélèvement; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'erreur dont elle constatait l'existence n'était pas constitutive d'une manipulation de compte de la société ASA, et, en toute hypothèse, si la circonstance que le relevé de compte qui lui avait été adressé le 1er juin 1990, ne mentionnait pas la totalité des opérations de débit enregistrées sur le compte de la société ASA à cette date n'avait pas induit celle-ci en erreur et n'était pas à l'origine du processus qui avait abouti à la rupture des concours financiers, aux motifs, inopérants, le titulaire d'un compte devant pouvoir se fier au relevé qui lui est adressé par la banque, que "s'agissant d'ordres donnés par la société ASA, qui ne les a pas contestés et se borne à déplorer qu'ils ne figurent pas sur son relevé, celle-ci en connaissait nécessairement l'existence et l'importance", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 3°) qu'il incombe au défendeur de rapporter la preuve des faits qu'il invoque à titre d'exception ; que dès lors qu'il avait établi que la société Sofib s'était abstenue d'exécuter les ordres de prélèvement que la société ASA lui avait donnés, le 1er juin 1990, pour une somme totale de 480 000 F, il incombait à la société Sofib, qui soutenait que ces ordres de prélèvement n'auraient, de toute façon, pas pu être honorés, d'en rapporter la preuve; qu'en considérant qu'il lui appartenait de rapporter la preuve que ces ordres de prélèvement auraient pu être honorés, ce qu'il ne faisait pas, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ; 4°) qu'un ordre de virement donné sans contrepartie disponible doit être exécuté dès que l'état du compte le permet ; qu'il incombait à la cour d'appel de procéder, ainsi qu'elle y était invitée, à une analyse "jour après jour" de la situation du compte bancaire de la société ASA, de façon à rechercher si les ordres litigieux n'auraient pas pu être honorés après le jour de leur émission; qu'en considérant " qu'il ne saurait être exigé de la banque, à laquelle est passé un ordre de virement, qu'elle attende l'éventualité d'une situation plus favorable du compte à débiter pour tenter de les passer " et qu'il convenait dès lors d'analyser les pièces comptables en se plaçant uniquement aux dates auxquelles les ordres litigieux avaient été donnés, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1991 du Code civil ; 5°) que chacun des trois derniers ordres devait, en toute hypothèse, s'apprécier seul; qu'en raisonnant à chaque date, 1er juin, 6 juin et 8 juin, à partir du montant cumulé des ordres litigieux, cependant qu'il lui incombait de rechercher si indépendamment du rejet de l'ordre du 29 mai celui du 1er juin ne pouvait être satisfait, puis si, à défaut, indépendamment du rejet de l'ordre du 1er juin, celui du 6 juin ne pouvait pas être satisfait, et, enfin, si, à défaut indépendamment du rejet de l'ordre du 6 juin, celui du 8 juin ne pouvait pas être satisfait, en tenant compte, à chaque fois, d'un crédit de 480 000 F, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil; 6°) qu'en raisonnant, à chaque date, 1er juin, 6 juin et 8 juin, à partir du montant cumulé des ordres, après avoir indiqué qu'il n'y avait pas lieu de procéder à une analyse " jour après jour " et qu'il convenait "bien plutôt d'analyser les pièces comptables (uniquement) aux dates où les ordres litigieux ont été donnés ", la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences qui s'en évinçaient nécessairement au regard de l'article 1134 du Code civil;
Mais attendu, en premier lieu, que les parties ayant elles-mêmes admis que le montant du découvert tacitement autorisé à la société ASA s'était établi à 1 200 000 F, il s'en déduisait nécessairement, sans qu'il y ait lieu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que les dépassements tolérés au cours du fonctionnement du compte de l'intéressée n'avaient jamais pu constituer que des concours occasionnels que la société Sofib était libre d'interrompre à tout moment;
Attendu, en deuxième lieu, que M. Dargent, qui s'était borné à des allégations, n'a jamais fait état d'aucune pièce susceptible d'établir, par comparaison avec les pratiques habituelles de la société Sofib, que l'absence de mention, sur le relevé du 1er juin 1990, des trois prélèvements intervenus à l'initiative de la société ASA les 25, 27 et 31 mai précédents, aurait été anormale et révélatrice d'une volonté délibérée de manipulation du compte de sorte qu'en l'absence de manquement avéré de la société Sofib, la recherche prétendument omise selon la deuxième branche était inopérante;
Attendu, en troisième lieu, que, pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel a recherché quelle aurait été la situation du compte de la société ASA et son évolution si le prélèvement de 480 000 F ordonné par la société ASA le 1er juin 1990 avait été effectivement porté au crédit de son compte; que, dès lors, le grief articulé par la troisième branche critique des motifs surabondants;
Attendu, encore, que sauf convention contraire des parties, non alléguée en l'espèce, un établissement de crédit n'est tenu d'exécuter un ordre de virement que si, à la date de cet ordre, il existe sur le compte des fonds disponibles, soit en raison de l'état créditeur du compte, soit en raison de l'existence d'un découvert autorisé; qu'ayant constaté qu'aucun des ordres de virement litigieux n'aurait, à la date où il avait été donné, pu être exécuté sans dépassement du montant du découvert autorisé bénéficiant à la société ASA, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche, que cette constatation rendait inopérante, évoquée par la quatrième branche, n'encourt pas le grief articulé par celle-ci ;
Attendu, enfin, qu'il résultait des propres écritures de M. Dargent et, notamment, du tableau retraçant l'évolution du compte de la société ASA qu'il y avait lui-même dressé, que, même en tenant compte du crédit de 480 000 F qui aurait pu y figurer postérieurement au 1er juin, le solde de ce compte n'aurait, à aucun moment, permis, sans dépassement du seuil du découvert autorisé, d'honorer l'intégralité des quatre ordres de virement litigieux avant le 8 juin 1990, date des rejets, en sorte qu'en tout état de cause, des impayés étant inévitables, la situation de la société ASA n'aurait pu avoir été différente ; que la cour d'appel a donc exactement décidé que la société Sofib, qui était libre de ne pas laisser s'aggraver le déficit du compte au delà du montant autorisé, n'avait, en rejetant les ordres de virement litigieux, commis aucune faute en relation de cause à effet avec le préjudice allégué; d'où il suit que le moyen qui ne peut être accueilli en sa troisième branche, est mal fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen : - Attendu que M. Dargent fait encore grief à l'arrêt d'avoir dit que la résiliation du contrat de concession n'avait pas été fautive, alors, selon le moyen : 1°) que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation n'est pas limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation au cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il y a dépendance nécessaire entre deux dispositions du même arrêt dans le cas où l'un des motifs de la décision, dont le caractère erroné a entraîné la cassation d'une disposition dont il était le support, constitue également le soutien indispensable d'une autre disposition de l'arrêt; que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation aura donc pour conséquence l'annulation du chef de l'arrêt ici attaqué ; 2°) qu'il appartenait à la société Automobiles Peugeot, qui fondait la mise en œuvre de la clause résolutoire à laquelle elle avait procédé sur l'existence d'une traite protestée, d'établir que cette traite était causée, de justifier du rapport fondamental qui avait conduit à sa création; qu'en considérant qu'il lui incombait de rapporter la preuve contraire, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ; 3°) que par arrêt du 9 août 1990, la Cour d'appel de Reims avait débouté la société Automobiles Peugeot de ses demandes de mesures conservatoires et dit "que le contrat de concession devra être conduit à son terme sans obstacle de la part du concédant", en stigmatisant notamment "l'existence d'une collusion entre la société Automobiles Peugeot et les organismes financiers dépendant du groupe Peugeot afin de contraindre la société ASA à cesser toute activité avant l'issue normale du contrat en la mettant dans l'impossibilité de faire face à ses obligations" ; que cette décision, qui était assortie de l'autorité de chose jugée en référé, était exécutoire à titre provisoire; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que la confection de la lettre de change qu'elle a utilisée à cette fin, en réitérant un raisonnement qui venait d'être clairement condamné par cette juridiction, constituait une inexécution de cet arrêt, la cour d'appel a violé les articles 488 et 489 du nouveau Code procédure civile, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout ; 4°) qu'une clause résolutoire n'est acquise que si elle a été mise en œuvre de bonne foi; qu'en se bornant à énoncer "qu'eu égard à l'importance de la dette, l'attitude de la société Automobiles Peugeot, qui a émis une traite en contrepartie des livraisons de véhicules ci-dessus rappelées, n'est pas entachée de mauvaise foi" sans tenir aucunement compte, ainsi qu'elle y était invitée, des circonstances dans lesquelles la résiliation du contrat de concession avait été prononcée, en considération de l'absence de paiement d'une lettre de change non acceptée, qui avait été tirée par la société Automobiles Peugeot le 17 août 1990, soit aussitôt après qu'ait été rendu l'arrêt en date du 9 août 1990 par lequel la Cour d'appel de Reims avait " dit que le contrat de concession devra être conduit à son terme sans obstacle de la part du concédant " la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 alinéa 3 et 1184 du Code civil;
Mais attendu, d'une part, que le premier moyen étant rejeté, la première branche ne saurait être accueillie ;
Attendu, d'autre part, que c'était à M. Dargent, qui n'exerçait pas une action cambiaire, mais soutenait que la lettre de change restée impayée à son échéance du 22 août 1990, avait été émise de mauvaise foi, de rapporter la preuve de ses allégations;
Attendu, encore, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions, que M. Dargent ait soutenu, devant les juges du fond que l'émission, par la société Automobiles Peugeot, le 17 août 1990, de la lettre de change à l'origine de la résiliation du contrat de concession aurait constitué une inexécution de l'arrêt rendu en référé, le 9 août précédent, par la Cour d'appel de Reims ;
Attendu, enfin, que la mise en œuvre de la clause résolutoire contractuelle ayant été fondée sur un manquement commis postérieurement à l'arrêt rendu en référé le 9 août 1990, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche, que cette considération rendait inopérante, prétendument omise selon la quatrième branche ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa troisième branche, est mal fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.