CE, 27 avril 1988, n° 63772
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bernard Carant (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coudurier
Commissaire du gouvernement :
M. Van Ruymbeke
Rapporteur :
M. Fougier
LE CONSEIL : - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 5 novembre 1984 et 4 mars 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Bernard Carant et Compagnie, dont le siège social est 52, boulevard des Batignolles à Paris (75008), représentée par son gérant M. Bernard, Marcel Carant et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 31 août 1984 par lequel le ministre de l'économie, des finances et du budget, le ministre du redéploiement industriel et du commerce extérieur, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé de la consommation et le secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale, chargé de la santé ont suspendu pour un an la fabrication, l'exportation, l'importation et la mise sur le marché des gommes à effacer rappelant par leur forme, leur présentation ou leur odeur des denrées alimentaires et pouvant être facilement ingérées ; Vu les autres pièces du dossier ; - Vu la loi °n 79-587 du 11 juillet 1979 ; - Vu la loi °n 83-660 du 21 juillet 1983 ; Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; - Vu la loi du 30 décembre 1977 ; Après avoir entendu : - le rapport de M. Fougier, Conseiller d'Etat, - les observations de la SCP Waquet, Farge, avocat de la société Bernard Carant et Compagnie, société à responsabilité limitée, - les conclusions de M. Van Ruymbeke, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs et modifiant diverses dispositions de la loi du 1er août 1905, "les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes" ; que si ces produits ne satisfont pas à l'obligation générale de sécurité mentionnée ci-dessus, les dispositions de l'article 2 prévoient que "des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission de sécurité des consommateurs ... fixent, en tant que de besoin, par produits ou catégories de produits, les conditions dans lesquelles ... l'importation ... l'offre, la vente ... de ces produits sont interdits ou réglementés" ; que l'article 3 de la loi prévoit enfin "qu'en cas de danger grave ou immédiat, le ministre chargé de la consommation et le ou les ministres intéressés peuvent suspendre par arrêté conjoint, pour une durée n'excédant pas un an ... l'importation ... la mise sur le marché ... d'un produit et faire procéder à son retrait en tous lieux où il se trouve ou à sa destruction lorsque celle-ci constitue le seul moyen de faire cesser le danger ..." ;
Considérant que, par arrêté interministériel du 31 août 1984, ont été suspendues pour une période d'un an la fabrication, l'importation et la mise sur le marché des gommes à effacer qui par leur forme, leur présentation ou leur odeur, rappellent des denrées alimentaires et qui peuvent être facilement ingérées ; qu'il a été procédé également au retrait et à la destruction desdits produits ;
Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué : - Considérant que la société Bernard Carant et Compagnie, importateur-grossiste de ces produits, soutient tout d'abord que la mesure ainsi décidée ne pouvait l'être que par décret en Conseil d'Etat et que l'arrêté attaqué aurait ainsi été pris par des autorités incompétentes ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, s'il n'est pas contesté que les gommes à effacer rappelant des denrées alimentaires ne présentaient pas de risques pour les enfants en raison de leur composition chimique, les risques d'étouffement que peut provoquer leur éventuelle ingestion sont établis ; que des quantités croissantes de ces objets étaient offertes sur le marché ; que leur imitation des denrées alimentaires était de plus en plus fidèle alors que leurs dimensions allaient se réduisant, les rendant plus aisément ingérables ; que, dans ces conditions, l'administration n'a pas fait une appréciation inexacte de la gravité du danger qu'elles présentaient pour la santé publique des enfants ni du caractère immédiat de ce danger ; que, dès lors, le recours à la procédure de l'arrêté interministériel prévu à l'article 3 de la loi du 21 juillet 1983 n'était pas entaché d'illégalité ni les autorités signataires de l'arrêté attaqué incompétentes pour décider la mesure de suspension contestée ;
Considérant, en second lieu, que l'arrêté du 31 août 1984 ne concerne pas un seul produit ou une seule entreprise mais une catégorie d'objets de fabrication et d'origine différentes et constitue par suite un acte de nature réglementaire dont la motivation n'est pas obligatoire ;
Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la consultation des professionnels concernés et celle des associations nationales de consommateurs agréées prévues à l'article 3 de la loi du 21 juillet 1983 n'auraient pas eu lieu dans les conditions de délai prévues audit article est sans conséquence sur la légalité de l'arrêté interministériel susmentionné ; qu'au demeurant l'administration a procédé à ces consultations dans les quinze jours de la publication de l'arrêté et que le gérant de la société requérante a été lui-même entendu séparément par l'administration auprès de qui il a pu faire valoir ses observations ;
Sur la légalité interne : - Considérant, en premier lieu, qu'en décidant de suspendre pour un an la fabrication, l'importation et la mise sur le marché des gommes à effacer rappelant des produits alimentaires et facilement ingérables et en prévoyant le retrait et la destruction de ces produits en tous lieux où ils se trouvaient, les auteurs de l'arrêté attaqué n'ont pas adopté une mesure excessive et disproportionnée au regard des risques pour la santé des jeunes enfants que présentaient les objets en cause et n'ont donc nullement violé les dispositions des articles 3 et 9 de la loi du 21 juillet 1983 ; que la circonstance que les gommes concernées soient principalement fabriquées à l'étranger alors qu'aucune distinction n'est opérée par l'arrêté attaqué selon l'origine géographique des produits en cause ne suffit pas à établir que la mesure critiquée aurait été adoptée essentiellement pour protéger les fabricants français et serait ainsi entachée de détournement de pouvoir ;
Considérant, enfin, que la société requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions des articles 30 et 34 du Traité de Rome dès lors qu'il a été pris sur le fondement de la loi précitée du 21 juillet 1983 qui est postérieure à l'entrée en vigueur dudit traité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Bernard Carant et Compagnie n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté interministériel du 31 août 1984 ;
Décide :
Article 1er : La requête de la société Bernard Carant et Compagnie est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Bernard Carant et Compagnie, au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, au ministre de l'industrie, des P. et T. et du tourisme et au ministre délégué auprès du ministre des affaires sociales et de l'emploi, chargé de la santé et de la famille.