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Décisions

Cass. crim., 10 janvier 2006, n° 04-87.603

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Guihal

Avocat général :

M Charpenel

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel, SCP Boulloche, SCP Parmentier, Didier, Me Bouthors

Bordeaux, du 22 oct. 2004

22 octobre 2004

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - X Vincent, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 2004, qui, dans la procédure suivie contre lui pour tromperie et apposition d'une appellation d'origine inexacte, a, sur renvoi après cassation, prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Bernard X a commercialisé, en 1996 et 1997, environ 26 tonnes de miel, sous la dénomination, "Fleurs des Vosges" ; qu'à la suite d'analyses d'échantillons révélant la présence dominante de pollens de châtaignier incompatible avec les caractéristiques d'un miel provenant des Vosges, Vincent X, dirigeant de la société du même nom, a été poursuivi du chef de tromperie ainsi que pour apposition de l'appellation d'origine contrôlée "miel de sapin des Vosges" qu'il savait inexacte ;

Attendu que, sur le seul pourvoi de quatre des parties civiles, la fédération départementale des syndicats apicoles des Vosges, dite syndicat API Vosges, le syndicat de l'appellation d'origine contrôlée "miel de sapin des Vosges", l'Institut national des appellations d'origine (INAO) et l'union nationale de l'apiculture française, la cour de cassation, par arrêt du 21 janvier 2003, a cassé en ses seules dispositions civiles la décision confirmative de relaxe prononcée le 30 janvier 2002 par la Cour d'appel de Pau et a renvoyé la cause et les parties devant celle de Bordeaux, qui, après avoir constaté l'existence des éléments constitutifs des infractions visées à la prévention, a alloué des réparations civiles ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 121-3 du Code pénal, L. 213-1 et suivants du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel, statuant sur les seuls intérêts civils et sur renvoi de cassation, a déclaré Vincent X coupable d'avoir commis le délit de tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'occurrence un miel commercialisé sous l'appellation " Miel Fleurs des Vosges " ;

"aux motifs que les analyses effectuées par le CNVEA révèlent que la présence de 72 à 88 % de pollens de châtaignier dans les prélèvements réalisés ne permet pas de considérer que le miel vendu sous l'appellation " Miel Fleurs des Vosges " par Vincent X provient des Vosges, région qui ne produit que rarement des miels comportant plus de 15 % de pollens de cette provenance ;

Qu'en l'absence de vérification de l'origine des miels acquis et de la composition de ceux vendus sous la dénomination sus-mentionnée, le prévenu ne peut invoquer sa bonne foi ; qu'en sa qualité de dirigeant d'une entreprise leader au niveau national dans sa spécialité, disposant d'un laboratoire d'analyses dont il met en avant l'efficacité, Vincent X était en mesure de vérifier que le miel commercialisé sous l'appellation " Fleurs des Vosges " comportait un taux de pollen de châtaigniers incompatible avec les miels produits dans les Vosges, de sorte que les éléments constitutifs du délit de tromperie sont établis ;

"alors que l'absence de vérification de la composition de la marchandise vendue, constitutive d'une faute de négligence, ne peut caractériser l'élément moral du délit de tromperie incriminé à l'article L. 213-1 du Code de la consommation qu'à l'égard d'un contrevenant qui a la qualité de fabricant ou d'importateur ; qu'en dehors de ces hypothèses, le délit de tromperie demeure une infraction intentionnelle, qui exige que soit rapportée la preuve que le revendeur a sciemment trompé l'acquéreur ; qu'en énonçant que Vincent X était en mesure de vérifier que le miel précédemment acheté à des récoltants vosgiens, qu'il commercialisait, comportait un taux de pollen de châtaignier incompatible avec les miels produits dans les Vosges, pour conclure ensuite à sa culpabilité, la cour d'appel a violé les articles 121-3 du Code pénal et de L. 213-1 du Code de la consommation" ;

Attendu que, pour constater l'existence de l'élément moral du délit de tromperie, l'arrêt retient que, dirigeant une entreprise "leader" au niveau national dans sa spécialité et disposant d'un laboratoire d'analyse dont il met en avant l'efficacité, Vincent X n'a pas procédé aux vérifications de l'origine des miels qu'il commercialisait sous la dénomination "Fleurs des Vosges" et qui contenaient un taux de pollens de châtaignier incompatible avec les miels produits dans les Vosges ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, le contrôle de la conformité des produits aux indications portées sur l'emballage s'exerce à tous les stades de la commercialisation ;

Que, dès lors, le moyen, ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 115-1 et suivants du Code de la consommation, L. 721-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, L. 641-2, alinéa 4, et suivants du Code rural, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel, statuant sur les seuls intérêts civils et sur renvoi de cassation, a déclaré Vincent X coupable d'avoir commis le délit d'apposition d'une appellation inexacte sur des produits mis en vente, en l'espèce un miel commercialisé sous l'appellation " Miel Fleurs des Vosges " ;

"aux motifs que l'appellation d'origine contrôlée " Miel de sapin des Vosges " bénéficie de la protection accordée par l'article L.115-5 du Code de la consommation dans sa version au moment des faits, qui interdit l'emploi du nom géographique pour les produits similaires et ne l'autorise pour les autres produits que lorsque cette utilisation ne détourne, ni n'affaiblit la notoriété de l'appellation d'origine ; qu'en l'espèce, le prévenu ne pouvait utiliser le nom géographique " Vosges " sur le produit vendu tandis que celui-ci ne provenait pas de la région concernée, puisque si le miel de miellat qui bénéficie de l'AOC et le miel de nectar, commercialisé par le prévenu, ont une provenance distincte, il s'agit néanmoins de deux produits similaires car dans les deux cas il s'agit de miel ; que, par ailleurs, il existe un risque de confusion certain entre l'appellation " Miel de sapin des Vosges " et la dénomination "fleurs des Vosges " puisque dans les deux circonstances, c'est du miel dont il est question, et que dans les deux cas, il est fait référence à la même région de production ; qu'ainsi les éléments constitutifs du délit d'apposition d'appellation d'origine inexacte sont réunis ;

"alors que le délit d'apposition d'appellation d'origine inexacte prévu à l'article L.115-1 du Code de la consommation interdit l'emploi du nom géographique pour les seuls produits similaires et ne l'autorise pour les autres produits que lorsque cette utilisation ne détourne ni n'affaiblit la notoriété de l'appellation d'origine ; que l'appellation AOC " Miel de Sapin des Vosges ", issue de l'article 3 du décret du 2 août 1996 et réservée aux miellats butinés par les abeilles sur les excréments des pucerons vivant sur les sapins de la région vosgienne, démontre que ce produit est totalement différent du miel récolté par les abeilles à partir du nectar de fleurs et que ces deux produits naturels ne peuvent être confondus ; qu'en énonçant que si le miel de miellat bénéficiaire de l'AOC et le miel de nectar commercialisé par Vincent X ont une provenance distincte, ce sont néanmoins deux produits similaires, puisque dans les deux circonstances c'est de miel dont il est question, la cour d'appel a faussement appliqué les textes susvisés"

Attendu que, pour estimer réunis les éléments constitutifs du délit d'apposition d'appellation d'origine inexacte, l'arrêt constate que, si le miel de miellat, bénéficiaire de l'appellation "miel de sapin des Vosges", et le miel de nectar, c'est-à-dire du miel de fleurs, commercialisé par Vincent X, ont des provenances distinctes, il s'agit cependant de produits similaires ; que les juges en concluent que le prévenu ne pouvait faire figurer le nom géographique "Vosges" sur le produit vendu, alors que le "miel de sapin des Vosges" bénéficie de la protection accordée par l'article L. 115-5 du Code de la consommation, qui interdit l'emploi d'un nom géographique pour les produits similaires à ceux protégés ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 115-1 du Code de la consommation, des articles 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur les seuls intérêts civils, sur renvoi après cassation, en l'occurrence sur l'infraction de d'apposition d'une appellation d'origine inexacte, a déclaré recevables les constitutions de partie civile de la Fédération départementale des syndicats apicoles des Vosges et de la Fédération départementale des syndicats des exploitants agricoles des Vosges (FDSEA) et a condamné Vincent X à leur verser une somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs que l'utilisation frauduleuse de la dénomination " Fleurs des Vosges " porte atteinte aux droits représentés par le syndicat de l'AOC " Miel de sapin des Vosges " et par l'INAO dans la mesure où il a été fait usage, s'agissant de la vente de miel, du nom géographique " Vosges " qui figure dans l'appellation qu'ils sont chargés de défendre, de sorte que ces constitutions de parties civiles sont recevables ; que par ailleurs le préjudice subi par le syndicat de l'AOC " Miel de sapin des Vosges ", par la Fédération départementale des syndicats Apicoles des Vosges et par la FDSEA des Vosges et par l'INAO est constitué par l'atteinte portée à l'appellation d'origine qu'ils défendent et par les craintes, tracas et actions diverses qui en sont résultés ; que par ailleurs les membres des trois premiers syndicats ont dû subir la concurrence directe du produit commercialisé par Vincent X sous la dénomination "Fleurs des Vosges", tandis que le prévenu ne pouvait prétendre utiliser le nom géographique Vosges ; que compte tenu du volume de miel commercialisé, supérieur à 26 tonnes, il sera alloué, à titre de dommages-intérêts une indemnité de 15 000 euro aux syndicats susvisés ;

"alors qu' après avoir relevé que l'utilisation frauduleuse de la dénomination " Fleurs de Vosges " avait directement porté atteinte aux droits représentés par le syndicat de l'AOC " Miel de sapin des Vosges " et par l'INAO dans la mesure où il avait été fait usage du nom géographique Vosges, lequel figure dans l'appellation d'origine qu'ils sont chargés de défendre, et avoir déclaré recevables les constitutions de partie civile de ces deux personnes morales, la cour d'appel n'a pu, sans se contredire, énoncer ensuite que le préjudice de la Fédération départementale des syndicats apicoles des Vosges et celui de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Vosges (FDSEA) était constitué - au même titre que pour le syndicat de l'AOC " Miel de sapin des Vosges " et pour l'INAO - par l'atteinte portée à l'appellation d'origine qu'ils défendent ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires, équivalents à un défaut de motifs" ;

Attendu que, pour allouer des dommages- intérêts au syndicat de l'appellation d'origine contrôlée "miel de sapin des Vosges", à la fédération départementale des syndicats apicoles des Vosges et à l'INAO, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que des atteintes ont été portées aux intérêts collectifs, directs ou indirects, que les trois parties civiles concernées sont chargées de défendre, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 593, 609 et 612-1 du Code de procédure pénale, excès de pouvoirs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur les seuls intérêts civils sur renvoi après cassation, en l'occurrence sur l'infraction d'apposition d'une appellation d'origine inexacte, a condamné Vincent X à verser à la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) des Vosges une somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"alors que la juridiction pénale saisie sur renvoi après cassation ne peut statuer qu'à l'égard des seules parties à la procédure qui se sont pourvues en cassation contre la décision censurée, sauf application de l'article 612-1 du Code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel de Pau, par arrêt du 30 janvier 2002, a relaxé Vincent X des chefs de la poursuite et a débouté les parties civiles présentes, dont la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) ; que sur les seuls pourvois de la Fédération départementale des syndicats agricoles des Vosges (FDSAV), du syndicat de l'AOC " Miel de sapin des Vosges " et de l'INAO, la cour de cassation, par arrêt du 21 janvier 2003, a cassé et annulé l'arrêt précité et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux ; que la cassation prononcée ne peut s'appliquer qu'aux seules parties civiles ayant soutenu le pourvoi ; qu'ainsi la Cour d'appel de Bordeaux ne pouvait statuer sur les intérêts civils de la Fédération départementale des syndicats des exploitants agricoles (FDSEA), laquelle n'avait pas formé de pourvoi ; qu'elle a donc excédé ses pouvoirs" ;

Vu les articles 593, 609, 612 et 612-1 du Code de procédure pénale ;

Attendu que, sauf dans les cas prévus à l'article 612-1 susvisé, la juridiction pénale saisie sur renvoi après cassation ne peut statuer qu'à l'égard des seules parties à la procédure s'étant pourvues contre la décision censurée ;

Attendu que l'arrêt attaqué condamne Vincent X à payer à la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Vosges 15 000 euro de dommages-intérêts ainsi que 2 000 euro en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que cette partie civile ne s'était pas pourvue contre l'arrêt du 30 juin 2002 qui a été cassé, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs : Casse et annule, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel Bordeaux, en date du 22 octobre 2004, en ses seules dispositions relatives à la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Vosges, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Fixe à 2 500 euro la somme que Vincent X devra payer à l'Institut national des appellations d'origine au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale et à 3 000 euro celle qu'il devra payer, au même titre, indivisément, au syndicat de l'appellation d'origine contrôlée "miel de sapin des Vosges" et au syndicat API Vosges ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.