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Décisions

Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.365

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Delbano

Avocat général :

M Finielz

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier

Orléans, du 21 juin 2005

21 juin 2005

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - X Jean-Pierre, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 21 juin 2005, qui, pour tromperies, l'a condamné, sur renvoi après cassation, à 25 000 euro d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation , pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Pierre X coupable de tromperie sur l'origine d'une marchandise, en répression, l'a condamné à une peine de 25 000 euro et a prononcé sur les réparations civiles ;

"aux motifs que, pour faire la preuve d'une délégation de pouvoir, Jean-Pierre X fait valoir que Paul Y "a été perçu par les agents des fraudes comme le responsable commercial sur le site de l'abattoir" et que l'intéressé a lui-même reconnu qu'il était responsable des ventes et des achats et qu'il intervenait en qualité de cadre directeur au sein des abattoirs de Cholet ; qu'en réalité, Paul Y est le salarié d'une société qui emploie douze personnes réparties sur plusieurs sites ; qu'il est responsable d'une équipe de trois personnes sur l'un des sites ; que sa position hiérarchique est donc sans rapport avec celle d'un cadre dirigeant avec laquelle le conseil du prévenu tente une assimilation en produisant une volumineuse documentation à ce sujet ; que son niveau de compétence n'est pas précisé, sa rémunération n'est pas connue, il n'est donné aucune indication sur les moyens mis à sa disposition pour l'exercice de sa mission ; qu'il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la preuve n'est pas rapportée que Paul Y disposait de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour exercer les missions dont il était prétendument délégataire ; que la preuve de la délégation de pouvoirs n'est donc pas rapportée et Jean-Pierre X ne peut échapper à la responsabilité pénale qui pèse sur lui à raison de ses pouvoirs de direction ;

"alors, d'une part, que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel ne pouvait sans contradiction écarter toute fonction de cadre dirigeant et constater que Paul Y est le "responsable d'une équipe de trois personnes sur l'un des sites" de la société X ;

"alors, d'autre part, que le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction est exonéré de sa responsabilité pénale en cas de délégation de ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; qu'il résulte des pièces de la procédure que Paul Y a déclaré "je suis employé par la société X en qualité de cadre directeur au sein des abattoirs de Cholet" et précisé : "Je suis également responsable des achats et ventes et je dirige trois employés. Je suis autonome et donc responsable de tout ce que j'entreprends" ; qu'en écartant néanmoins toute fonction dirigeante de sa part sur le site considéré, par des motifs, inopérants, tirés de sa qualité de salarié et de la taille de son équipe par rapport au nombre total de salariés répartis sur d'autres sites de la société Etablissements X et en ne recherchant pas, comme elle y était expressément invitée, si la totale autonomie que Paul Y admettait lui-même avoir dans l'exercice de ses fonctions de cadre dirigeant et responsable des achats et vente, ne suffisait pas à établir la délégation de pouvoir invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 213-1 du Code de la consommation, 121-3 du Code pénal, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Pierre X coupable de tromperie sur l'origine d'une marchandise, en répression, l'a condamné à une peine de 25 000 euro et a prononcé sur les réparations civiles ;

"aux motifs, en ce qui concerne le contrôle du 21 juillet 1998, que la reprise de la carcasse de l'animal abattu par la société X, dont elle connaissait parfaitement l'origine non française pour l'avoir importé de Belgique, et la remise d'une partie de cette carcasse à la société Charal pour découpe sans l'informer clairement qu'elle ne pouvait pas bénéficier du logo VBF, a constitué une faute dont seul le prévenu doit répondre ; que les affirmations de Paul Y, selon lesquelles il n'aurait pas remarqué que le cheptel de naissance de l'animal n'était pas renseigné, sont dépourvues de tout caractère probant et le fait qu'il n'ait pas communiqué le document d'accompagnement bovin ( ) est significatif de l'embarras qui était le sien au moment du contrôle et de sa volonté de dissimuler un document qui aurait été accablant ;

Que les manœuvres des personnes qui ont agi, sous l'autorité du prévenu et pour le compte de la société X ont eu l'effet recherché d'obtenir l'apposition indue, par la société Charal, du logo "VBF" sur la viande vendue ( ), l'infraction de tromperie ayant été définitivement consommée lorsque la société X a livré la viande sachant qu'elle comportait une indication mensongère de son origine ;

"et aux motifs, sur les faits du 19 juin 1998, que, dans son procès-verbal, le fonctionnaire (de la DCCRF) a constaté que, sur la copie du DAB accompagnant cette livraison, avait été jointe une fiche d'identification de la carcasse remplie par la société X sur laquelle figurait également le logo "Viande Bovine Française" ; que l'examen de la pièce numéro 12 figurant au dossier de la procédure montre que le "montage" ayant eu pour effet d'inclure sur une même feuille de papier le document d'accompagnement bovin et le logo "viande bovine d'origine française" est indiscutablement le fait de la société X dont émane ce document ; qu'en effet, une même main a porté le numéro de carcasse (8087) en haut et en bas de la feuille, soit sur le document d'accompagnement bovin et sous le logo "viande bovine d'origine française" ; que, pour avoir livré et facturé cette viande, respectivement les 16 et 19 juin 1998, le prévenu a commis l'infraction poursuivie ( ) ;

"alors que le délit de tromperie est une infraction intentionnelle qui ne peut engager la responsabilité pénale du dirigeant qui n'a pas matériellement commis les faits reprochés que s'il a donné des instructions en ce sens à son préposé ou s'est volontairement abstenu de procéder aux contrôles qui lui incombaient ; que l'arrêt, qui constate que les faits de tromperie de juillet 1998 ont été le fait, matériel et volontaire, d'un préposé de la société, et se borne à imputer ceux du 19 juin 1998, de manière indéterminée, à la société X, mais ne constate nulle part que le prévenu, dirigeant de la société, aurait donné des instructions en ce sens ou se serait volontairement abstenu de procéder aux contrôles qui lui incombaient, n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation du principe de la présomption d'innocence, des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Pierre X coupable de tromperie sur l'origine d'une marchandise, en répression, l'a condamné à une peine de 25 000 euro et a prononcé sur les réparations civiles ;

"aux motifs, s'agissant des faits résultant du contrôle du 21 juillet 1998, que le responsable de la société Charal affirme que la procédure de traçabilité consistant à apposer des macarons bleus a été respectée mais que sa bonne foi a été surprise par la suppression des marques ; que les éléments de la procédure ne lui apportent aucun démenti alors qu'en faveur des déclarations du représentant de la société Charal sur la vigilance dont elle a fait preuve, il convient de noter que l'animal avait été inscrit sur un "registre d'anomalie entrée bouverie" en raison de l'absence du numéro de cheptel de naissance sur le DAB ; que la reprise de la carcasse de l'animal abattu par la société X, dont elle connaissait parfaitement l'origine non française pour l'avoir importé de Belgique, et la remise d'une partie de cette carcasse à la société Charal pour découpe sans l'informer clairement qu'elle ne pouvait pas bénéficier du logo VBF a constitué une faute dont seul le prévenu doit répondre ; que le silence sur l'origine de l'animal a procédé à l'évidence d'une manœuvre volontaire puisque la société X a reçu une carcasse comportant des macarons bleus dont la signification ne pouvait lui échapper ; que, dans ce contexte, les affirmations de Paul Y, selon lesquelles il n'aurait pas remarqué que le cheptel de naissance de l'animal n'était pas renseigné, sont dépourvues de tout caractère probant et le fait qu'il n'ait pas communiqué le Document d'Accompagnement Bovin ( ) est significatif de l'embarras qui était le sien au moment du contrôle et de sa volonté de dissimuler un document qui aurait été accablant ;

"alors que le prévenu faisait valoir qu'aucun élément du dossier ne rapportait la preuve matérielle de ce que des macarons bleus auraient été effectivement apposés par la société Charal lors de l'abattage du bovin, que la société Charal avait reconnu devant le contrôleur, qu'elle n'était pas à l'abri d'une erreur, et que, de fait, la société Charal commettait régulièrement des erreurs, ce que le prévenu offrait de prouver en versant aux débats divers justificatifs ;

qu'en ne s'expliquant pas sur ces éléments, de nature à établir qu'une erreur avait pu être commise par la société Charal et, en tous les cas, qu'elle ne pouvait être tout à fait exclue, ce qui, en application du principe selon lequel le doute bénéficie à l'accusé, pouvait suffire à entraîner la relaxe, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale" ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Pierre X coupable de tromperie sur l'origine d'une marchandise, en répression, l'a condamné à une peine de 25 000 euro et a prononcé sur les réparations civiles ;

"aux motifs, s'agissant des faits du 19 juin 1998, que, dans son procès-verbal, le fonctionnaire (de la DCCRF) a constaté que, sur la copie du DAB accompagnant cette livraison, avait été jointe une fiche d'identification de la carcasse remplie par la société X sur laquelle figurait également le logo "Viande Bovine Française" ; que l'examen de la pièce numéro 12 figurant au dossier de la procédure montre que le "montage" ayant eu pour effet d'inclure sur une même feuille de papier le document d'accompagnement bovin et le logo "viande bovine d'origine française" est indiscutablement le fait de la société X dont émane ce document ; qu'en effet, une même main a porté le numéro de carcasse (8087) en haut et en bas de la feuille, soit sur le document d'accompagnement bovin et sous le logo "viande bovine d'origine française" ; que, pour avoir livré et facturé cette viande, respectivement les 16 et 19 juin 1998, le prévenu a commis l'infraction poursuivie ( ) ;

"alors que le prévenu avait fait valoir, dans ses conclusions régulièrement déposées, que la traçabilité de la viande abattue et conditionnée par la viande Charal étant assurée et facturée par elle, que la société Charal avait seule rempli la fiche d'identification accompagnant la livraison au magasin Ecomarché accompagnée du logo VBF, à l'exclusion de la société X ;

Qu'en se bornant, pour écarter ce moyen péremptoire, à constater qu'une même main avait porté le numéro de carcasse sur le DAB et sous le logo VBF, ce dont il ne résultait nullement, faute d'avoir déterminé à qui appartenait cette main, que la société X était l'auteur de cette mention et donc, du document objet d'un photomontage, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré recevable l'action civile et condamné Jean-Pierre X à payer à l'association Interbev une somme de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

"aux motifs que la constitution de partie civile est recevable ( ) ; que l'association Interbev fait justement valoir que les infractions poursuivies lui ont causé un dommage direct, distinct de celui des différents organismes professionnels qu'elle représente puisque ces infractions ont eu pour conséquence directe de discréditer l'importante campagne publicitaire qu'elle a développée en matière de traçabilité des viandes bovines et a remis en cause l'efficacité de l'investissement financier qu'elle a effectué ;

"alors, d'une part, que le droit d'exercer l'action civile devant la juridiction pénale n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que l'association inter-professionnelle Interbev n'est pas la victime directe des prétendus faits de tromperie commis au préjudice de la société Charal et de la société Ecomarché ;

"alors, d'autre part, que le prétendu discrédit jeté sur la campagne publicitaire développée en matière de traçabilité des viandes bovines et la prétendue remise en cause l'efficacité de l'investissement financier effectué ne constituent pas un préjudice direct ;

"alors, enfin, qu'en laissant sans réponse les conclusions du prévenu qui faisait valoir "qu'aucun élément du débat ne permettait d'établir que l'affaire aurait été connue du public et aurait terni l'image du logo VBF", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que, pour déclarer recevable l'association Interbev en sa constitution de partie civile, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'ainsi, et dès lors que l'atteinte portée par le délit retenu aux intérêts communs des professions de la filière des viandes bovines que l'association Interbev, organisation interprofessionnelle agricole régie par la loi du 10 juillet 1975 modifiée a pour mission de défendre, notamment, en application de l'article L. 551-1 du Code rural, en ce qui concerne la traçabilité des produits, caractérise, pour cette association, un préjudice personnel découlant directement des faits poursuivis, distinct du trouble social, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.