Livv
Décisions

CJCE, 2 février 1988, n° 293-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Belgique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

MM. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Due, Moitinho de Almeida

Avocat général :

Sir Slynn

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, Schockweiler

CJCE n° 293-85

2 février 1988

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 octobre 1985, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le Royaume de Belgique a manqué à certaines obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 7 du traité CEE.

2 La Commission reproche plus précisément au Royaume de Belgique : a) d'avoir omis, dans l'article 16, paragraphe 1, de la loi du 21 juin 1985 concernant l'enseignement (Moniteur belge du 6.7.1985), d'exempter du droit d'inscription complémentaire (ci-après "minerval") les ressortissants des autres Etats membres venus en Belgique dans le seul but d'y faire des études dans les institutions universitaires belges; b) d'avoir donné, par l'article 16, paragraphe 2, de la loi précitée, aux recteurs de ces institutions universitaires le droit de refuser d'inscrire de tels étudiants; c) d'avoir rendu, par l'article 59, paragraphe 2, de ladite loi, impossible, en pratique, le bénéfice de l'exemption du minerval pour les ressortissants d'autres Etats membres venus en Belgique dans le seul but d'y suivre l'enseignement supérieur non universitaire, technique et professionnel et secondaire spécialisé, en raison du lien établi avec l'octroi du droit de séjour, et d'avoir impose, pour l'obtention de l'exemption dudit minerval par les étudiants d'autres Etats membres, la condition supplémentaire de prouver qu'ils disposent de moyens de subsistance suffisants, ainsi qu'il résulte de l'article 59, paragraphe 2, de la loi précitée, et, enfin, d) d'avoir limité les possibilités d'obtenir le remboursement des minervals, indûment verses au regard du droit communautaire, aux seuls ressortissants communautaires ayant introduit une action en justice avant le 13 février 1985, date du prononce de l'arrêt Gravier (193-83, Rec. p. 606).

3 Il ressort du dossier que, selon la législation belge en vigueur relative à l'enseignement universitaire, les dépenses ordinaires de fonctionnement des institutions universitaires sont couvertes par l'Etat belge en fonction du nombre des étudiants des nationalités belge et luxembourgeoise, des étudiants de nationalité étrangère appartenant a quelques groupes restreints ainsi que des étudiants étrangers en général sans que leur nombre puisse dépasser 2 % du nombre total des étudiants belges qui ont été régulièrement pris en considération l'année académique précédente dans une orientation d'études. Les étudiants de nationalité étrangère autres que ceux appartenant aux groupes susmentionnés contribuent aux dépenses ordinaires de fonctionnement des institutions universitaires. Il s'ensuit que les étudiants ressortissants d'un Etat membre venant en Belgique dans le seul but d'y suivre des études universitaires demeurent, en général, soumis au minerval. Ladite législation prévoit, en outre, que le recteur de l'institution universitaire peut refuser l'inscription d'étudiants qui n'entrent pas en ligne de compte pour le financement.

4 En ce qui concerne l'enseignement non universitaire, un minerval est exigé pour les élèves et les étudiants de nationalité étrangère dont les parents ou le tuteur légal non belge ne résident pas en Belgique, sauf si ces élèves et étudiants sont admis à y séjourner plus de trois mois ou autorisés à s'y établir. Un étudiant étranger doit, lorsqu'il demande l'autorisation de séjourner plus de trois mois en Belgique, produire, entre autres, l'attestation d'inscription dans un établissement d'enseignement et la preuve qu'il possède des moyens de subsistance suffisants.

5 Enfin, selon cette législation, les minervals perçus entre le 1er septembre 1976 et le 31 décembre 1984 ne seront en aucune façon remboursés, à l'exception de ceux perçus des élèves et étudiants ressortissants d'un Etat membre de la Communauté ayant suivi une formation professionnelle, qui doivent être remboursés sur la base des décisions de justice rendues à la suite d'une action en remboursement introduite devant les cours et tribunaux avant le 13 février 1985, date du prononcé de l'arrêt Gravier, précité.

6 La Commission, estimant que la législation belge décrite ci-dessus constitue une discrimination en raison de la nationalité, interdite par l'article 7 du traité CEE, et va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour telle qu'elle se dégage des arrêts du 13 juillet 1983 (Forcheri, 152-82, Rec. p. 2323) et du 13 février 1985 précité, a exprimé sa position au cours d'une réunion informelle avec les responsables des ministères belges de l'Education nationale, le 25 juin 1985. Toutefois, il résulte d'un compte rendu de la réunion du comité de l'éducation - établi par la résolution du Conseil et des ministres de l'Education, réunis au sein du Conseil, du 9 février 1976, comportant un programme d'action en matière d'éducation (JO C 38, p. 1) - des 27 et 28 juin 1985 que le représentant de la Commission a indiqué que la Commission n'avait pas terminé ses réflexions sur les effets de la jurisprudence de la Cour dans ce domaine.

7 Par lettre du 17 juillet 1985, la Commission, estimant la législation en cause contraire au droit communautaire, a prié les autorités compétentes belges, conformément à l'article 169 du traité CEE, de lui transmettre, "compte tenu de l'imminence de la prochaine rentrée scolaire et universitaire, ... dans un délai de huit jours francs à compter de la réception de la présente lettre, leurs observations sur les questions soulevées". Aucune réponse n'a été apportée à cette lettre, dans le délai fixé, par le Royaume de Belgique, qui a toutefois demandé à la Commission, par télex du 2 août 1985, de prolonger le délai de réponse. La Commission n'a pas répondu à ce télex. Le 20 août 1985, les autorités compétentes belges ont envoyé des circulaires ministérielles aux établissements universitaires leur donnant pour instruction d'appliquer la législation en cause. Le 23 août 1985, la Commission a émis un avis motivé indiquant que la législation litigieuse est incompatible avec les articles 5 et 7 du traité CEE. En application de l'article 169, alinéa 2, dudit traité, la Commission a invité le Royaume de Belgique à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'avis motivé dans un délai de quinze jours.

8 L'avis motivé étant resté sans suite, la Commission a saisi la Cour le 2 octobre 1985 du présent recours.

9 Pour un plus ample exposé du cadre juridique du litige, des faits de l'affaire, des arguments des parties ainsi que de la suite donnée par la Commission à l'invitation de la Cour lui demandant d'indiquer les raisons précises qui l'ont amenée à n'accorder au Royaume de Belgique que les délais susmentionnés, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la recevabilité du recours

10 Le Royaume de Belgique a soulevé une exception d'irrecevabilité contre le recours de la Commission en faisant valoir qu'au cours de la procédure précontentieuse aboutissant au présent recours, la Commission n'a pas respecté les garanties procédurales élémentaires prévues à l'article 169 du traité CEE. Il considère que les délais de huit jours francs pour répondre à la lettre de mise en demeure et de quinze jours pour se conformer à l'avis motivé seraient trop courts et inadmissibles en raison de la complexité de la matière et de l'importance des modifications à apporter aux règles la régissant pour les rendre conformes au droit communautaire.

11 Tout en admettant que les délais fixés étaient courts, la Commission fait observer qu'il ne s'agit pas de délais de forclusion et que des réponses fournies après leur expiration auraient été prises en considération. La raison de la fixation de délais courts aurait été, d'une part, la proximité de la rentrée académique 1985 et, d'autre part, le fait que le Royaume de Belgique était au courant de la position de la Commission, au moins depuis le 25 juin 1985. La Commission aurait été préoccupée, au lendemain de l'adoption de la loi belge litigieuse, par les conditions contraires au droit communautaire qui allaient régir, lors de cette rentrée, l'accès d'étudiants communautaires aux établissements belges d'enseignement professionnel. Elle aurait voulu, dès le départ, que la phase précontentieuse soit menée de telle manière que la Cour puisse être saisie en temps utile pour prononcer des mesures provisoires sauvegardant les droits des étudiants, et ce à une époque où les procédures d'inscription n'étaient pas encore terminées.

12 A titre subsidiaire, la Commission rappelle que le Royaume de Belgique a disposé en fait de plus d'un mois pour répondre à la lettre de mise en demeure avant l'envoi de l'avis motivé. Elle souligne, en outre, que plus d'un mois s'est encore écoulé avant le dépôt de la requête et la demande de mesures provisoires.

13 Il y a lieu de rappeler, d'abord, que la procédure précontentieuse a pour but de donner à l'Etat membre concerné l'occasion, d'une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission.

14 Ce double objectif impose à la Commission de laisser un délai raisonnable aux Etats membres pour répondre à la lettre de mise en demeure et pour se conformer à un avis motivé ou, le cas échéant, pour préparer leur défense. Pour l'appréciation du caractère raisonnable du délai fixé, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances qui caractérisent la situation d'espèce. Des délais très courts peuvent ainsi se justifier dans des situations particulières, notamment lorsqu'il y a urgence de remédier à un manquement ou lorsque l'Etat membre concerné à pleine connaissance du point de vue de la Commission bien avant le début de la procédure.

15 Il y a donc lieu d'examiner si la brièveté des délais fixés par la Commission était justifiée au vu des circonstances particulières de l'affaire. En vue de cet examen, il faut distinguer entre les trois premiers griefs qui concernent l'accès non discriminatoire aux études supérieures et le quatrième grief, qui porte sur la limitation de la possibilité d'obtenir le remboursement des minervals perçus en violation du droit communautaire en n'admettant que les actions en justice introduites avant le 13 février 1985.

16 En ce qui concerne les trois premiers griefs, l'imminence de la rentrée académique 1985 peut, certes, être considérée comme une circonstance particulière justifiant un court délai. Toutefois, la Commission aurait pu agir bien avant cette rentrée, car l'essentiel des dispositions législatives belges figurait déjà dans la législation antérieure à la loi du 21 juin 1985 et était, dès lors, connu de la Commission au plus tard au moment du prononcé de l'arrêt du 13 février 1985, précité. Or, six mois séparaient le prononcé dudit arrêt de la rentrée académique 1985. Par ailleurs, il convient de constater que la Commission n'avait pas formulé, à l'époque, de critiques relatives au minerval, donnant même l'impression, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi en cause, qu'elle admettait la compatibilité du minerval avec le droit communautaire. Dans ces conditions, la Commission ne saurait faire état d'une situation d'urgence qu'elle a elle-même créée en s'abstenant d'agir plus tôt.

17 Quant à l'argumentation subsidiaire de la Commission selon laquelle les délais fixés n'étaient pas des délais de forclusion et que, par conséquent, des réponses fournies après l'expiration de ces délais auraient été acceptées, il y a lieu d'observer que cette circonstance n'est pas pertinente. En effet, un Etat membre destinataire d'une mesure assortie de délais ne peut pas savoir à l'avance si, et dans quelle mesure, la Commission lui accordera, le cas échéant, une prolongation de ces délais. En l'espèce, la Commission n'a d'ailleurs pas répondu à la demande de prolongation du Royaume de Belgique.

18 En ce qui concerne la question de savoir si le Royaume de Belgique était, en temps utile, au courant du point de vue de la Commission, il est constant que cette dernière, bien qu'elle eut exprimé sa position vis-à-vis des responsables des ministères belges de l'Education nationale le 25 juin 1985, avait indiqué, à l'occasion d'une réunion du comité de l'éducation des 27 et 28 juin suivants, qu'elle n'avait pas terminé ses réflexions sur les effets de la jurisprudence de la Cour dans le domaine de l'enseignement universitaire. Il s'ensuit que le Royaume de Belgique n'était pas pleinement informé du point de vue définitif de la Commission avant l'engagement de la procédure en manquement.

19 En ce qui concerne le quatrième grief, il se rapporte à des actions qui ont trait au passé et ne présente, dès lors, aucun caractère d'urgence.

20 A la lumière de ces considérations, il convient de constater que la brièveté des délais fixés par la Commission est sans justification. Il s'ensuit que l'une des conditions de la recevabilité d'un recours sur la base de l'article 169 du traité CEE, à savoir le déroulement régulier de la procédure précontentieuse, fait défaut en l'espèce. Le recours doit donc être rejeté comme irrecevable.

Sur les dépens

21 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux de l'instance en référé.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête :

1°) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2°) La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux de l'instance en référé.