Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. corr., 7 septembre 2005, n° 05-489

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jardel

Conseillers :

Mme Salvan, M. Naget

Avocat :

Me Parleani

TGI ch. corr. Grasse, du 17 oct. 2003

17 octobre 2003

Rappel de la procédure:

La prévention:

X Jean-Pascal et Y Tony ont fait l'objet de poursuites judiciaires pour avoir:

-au Cannet, le 6 novembre 2000, en tous cas, dans le ressort du Tribunal de grande instance de Grasse et depuis temps non prescrit, tenté de tromper les clients de l'hypermarché Z, contractant, sur les qualités substantielles et les contrôle effectués sur les préemballés de viande, en l'espèce, en modifiant les dates d'origine du conditionnement et les dates limites de consommation, par de nouvelles dates, prolongeant la validité du produit ; la dite tentative, manifestée par un commencement d'exécution, en l'espèce, la réalisation des opérations de reconditionnement n'ayant été suspendue ou n'ayant manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, en l'espèce, l'intervention des agents de la Direction Départementale de la Consommation et de la Répression des Fraudes, avant l'ouverture de l'hypermarché.

Faits prévus par l'article L. 213-3 du Code de la consommation, et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du même code, ainsi que par les articles L. 121-4 et L. 121-5 du Code pénal.

Le jugement:

Par jugement contradictoire du 17 octobre 2003, le Tribunal correctionnel de Grasse a déclaré X Jean-Pascal et Y Tony coupables des faits qui leur étaient reprochés et les a condamnés à une amende de 450 euro;

Le tribunal a également ordonné l'affichage de la décision pendant un mois à la porte de l'entreprise, ainsi que sa publication dans le journal Nice Matin, aux frais du condamné, sans que le coût de chaque publication ne puisse dépasser la somme de 800, 00 euro.

Les appels:

X et Y ont interjeté appel de ce jugement, par déclarations reçues au greffe du tribunal le 21 octobre 2003.

Un appel incident a également été exercé par le Ministère Public le même jour.

Décision :

X Jean-Pascal était présent en personne à l'audience.

Y Tony était représenté par son avocat, Maître Parleani, porteur d'un pouvoir en date du 25 mai 2005, et qui défendait les intérêts des deux prévenus, pour lesquels il a déposé des conclusions à fin de relaxe.

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour s'est déterminée en considération des motifs suivants:

En la forme,

Les appels formés par le deux prévenus et le Ministère Public sont recevables pour avoir été interjetés dans les formes et délais légaux.

X Jean-Pascal étant présent à l'audience, et Y Tony valablement représenté par son conseil, il convient de statuer par arrêt contradictoire.

Au fond:

Les éléments de la cause, tels qu'ils résultent des pièces du dossier et des débats à l'audience sont les suivants:

Rappel des faits:

Le 6 novembre 2000, à six heures du matin, des contrôleurs de la DGCCRF ont effectué une visite inopinée de l'atelier de découpe et de conditionnement de la boucherie de l'hypermarché Z, situé au cannet, 46 avenue Franklin Roosevelt 06110. Ils ont alors constaté que tout un groupe d'ouvriers regroupés autour de trois plans de travail effectuaient le déballage de pièces de viande préemballées, puis procédaient à la découpe, et au parage de ces marchandises, qui étaient à nouveau conditionnées en barquettes neuves. A la fin de la chaîne, "(...) une employée conditionneuse effectuait la mise sous film et (l')étiquetage des barquettes, préalablement préparées, à partir d'une conditionneuse étiqueteuse programmée, et une autre employée était chargée de replacer les barquettes ainsi prêtes, sur des plateaux pour, ensuite, les ranger sur un roll (chariot). Une fois le roll chargé de préemballés, il était dirigé vers les linéaires du magasin".

Il a également été constaté;

- que sur quatre chariots de marchandises en attente de traitement, les étiquettes portaient des dates de conditionnement comprises entre le 2 et le 4 novembre 2000, et une date limite de consommation comprise entre le 6 (date du jour) et le 8 novembre 2000,

- que deux chariots situés en fin de chaîne, après traitement de la marchandise, contenaient des barquettes dont les étiquettes portaient une date de conditionnement du jour même, c'est-à-dire du 6 novembre 2000, avec une date limite de consommation du 10 novembre 2000. Enfin, dans le magasin, les contrôleurs ont retrouvé dans les rayons ces mêmes barquettes, étiquetées, comme il vient d'être exposé. Le rapport ajoute :

" Pour les viandes présentées dans les linéaires, les vérifications ont mis en évidence que 9 rosbifs bardés et un jarret de veau (...) présentaient des signes distincts de viande ayant fait l'objet d'une préparation antérieure au 6 novembre 2000. En effet, les bardes de lard des rosbif avaient un aspect mat, terne et étaient imbibées de sang. Le jarret de veau présentait également un aspect terne avec des points sombres témoignant un début d'oxydation (...) ;

Nous avons procédé à la vérification de la qualité des viandes préemballées portant toutes la date d'emballage du 6novembre 2000(...) ;

Nous avons constaté, en présence de Monsieur X et Monsieur Y que 32 pièces de viande, après en avoir ôté le film de protection des barquettes, présentaient un aspect défraîchi, terne, avec de petites zones plus sombres grisâtres déterminant un début d'oxydation. "

Des poursuites correctionnelles ont été engagées contre les deux prévenus, respectivement responsable du rayon boucherie du magasin, et chef du département " produits frais ", ainsi que contre le directeur de l'établissement. Ce dernier a cependant bénéficié d'une décision de relaxe, aux motifs qu'une délégation des pouvoirs du chef d'entreprise existait dans les contrats de travail des deux premiers, et qui précisaient bien que leur incombait le contrôle de qualité des produits frais, ainsi que la conformité de l'étiquetage avec les caractéristiques des produits vendus.

Moyens des parties:

Monsieur Y, qui est le supérieur hiérarchique de Monsieur X, fait plaider à l'appui de son appel, qu'aucun fait précis n'a été établi à sa charge personnelle, et qu'il ne peut être tenu pour responsable des fautes commises dans son rayon boucherie par X, lui même délégataire des pouvoirs du chef d'entreprise (§ 3, 4 et 5 de la page 7 de ses conclusions) ;

Quant à Monsieur X, il admet qu'un "ré-emballage" a été effectué avec l'indication d'une date qui n'était pas celle du conditionnement initial, il impute cette situation au fait que la machine utilisée ne peut éditer d'étiquette qu'à la date du jour de son utilisation, en indiquant une date limite de consommation programmée à l'avance. Il n'en conteste pas moins que cette manipulation puisse porter sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, ou qu'elle puisse constituer une tromperie. Enfin, et à titre subsidiaire, il sollicite l'atténuation des sanctions prononcées, et voudrait absolument éviter les mesures d'affichage et de publication prises par les premiers juges.

Motifs de la décision:

Des constatations effectuées par les agents de la DGCCRF, il résulte qu'un même produit, déjà conditionné une première fois à une date qui dans certains cas était celle du 2 novembre 2000, avec une date limite de consommation au 6 novembre 2000, avait été remis sous film avec une nouvelle étiquette mentionnant la date du 6 novembre comme étant celle du conditionnement, et la date du 10 novembre comme date limite de consommation.

Autrement si le contrôle n'avait pas eu lieu, le même produit aurait été présenté plusieurs fois à la clientèle avec un étiquetage différent, et comportant des indications incompatibles entre elles, quant aux dates de fraîcheur. On en tirera la conséquence que les mentions figurant sur la deuxième étiquette sont mensongères, et constituent à elles seule la tromperie punissable. D'autre part, s'agissant de viande de boucherie préemballée, les dates de conditionnement et de limite de consommation font partie des qualités substantielles de la marchandise, au sens de l'article L. 213-3 susvisé du Code de la consommation.

En second lieu, les énonciations du procès-verbal dressé par la DGCCRF font apparaître que ces conditionnements successifs de la viande préemballée étaient de pratique habituelle dans l'hypermarché, et qu'il avait lieu de façon régulière le lundi matin notamment, après que les invendus aient séjourné pendant le week-end on chambre froide. Le procédé décrit faisait intervenir une dizaine de membres du personnel, organisés en une véritable chaîne de travail. On n'est donc manifestement pas en présence d'une faute d'exécutant, la responsabilité d'un tel dispositif relève au contraire des décisions de la direction.

Ceci étant, des délégations de pouvoir ayant été alléguées et justifiées devant les premiers juges, et n'ont d'ailleurs pas été contestées par les deux prévenus, selon qui la direction n'était pas informée de la situation ayant donné lieu aux poursuites. On doit donc tirer les conséquences de ces délégations, qui conduisent à déclarer les deux prévenus coupables des faits, X en tant qu'auteur direct, et Y, son supérieur hiérarchique, en tant qu'il n'a pas veillé à interdire des pratiques contraires aux normes de sincérité de l'étiquetage, alors qu'une telle obligation entrait précisément dans ses attributions personnelles, selon le texte de la délégation qu'il a fournie (3e § page 3).

Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les deux prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés.

En ce qui concerne les peines prononcées, le contexte ci-dessus décrit justifie la condamnation des deux prévenus à trois mois d'emprisonnement avec sursis, sur l'appel incident du Ministère Public mais sans amende. Le jugement doit être en outre confirmé en ce qu'il a pris des mesures d'affichage et la publication, qui sont des moyens efficaces d'empêcher le renouvellement de ce type d'infractions.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle; En la forme: Reçoit les appels interjetés par les deux prévenus et le Ministère Public. Au fond, Confirme le jugement rendu le 17 octobre 2003 par le Tribunal correctionnel de Grasse, en ce qu'il a déclaré X Jean-Pascal et Y Tony coupables des faits qui leur étaient reprochés ; Le réformant sur la peine prononcée, condamne les deux prévenus à la peine de trois mois d'emprisonnement ; Dit qu'il sera cependant sursis à l'exécution de cette peine, et constate l'impossibilité de donner aux intéressés l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal, du fait de leur absence à l'audience de ce jour. Ordonne l'affichage du présent arrêt, pendant une durée de un mois à la porte de l'entreprise où l'infraction a été commise. Ordonne la publication par extrait du présent arrêt dans le journal Nice Matin, aux frais des condamnés sans que le coût dola publication puisse dépasser la somme de 800,00 euro. Le tout, conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.