Conseil Conc., 13 juillet 2006, n° 06-D-20
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom, Pages Jaunes Groupe et Pages Jaunes SA dans le secteur des services de renseignements par téléphone et par Internet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Saussol, par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Pinot, M. Bidaud, membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre du 10 janvier 2006, enregistrée sous les numéros 06/0002F et 06/0003M, par laquelle la société 118 218 Le Numéro a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de services de renseignements par téléphone et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié par le décret n° 2005-1668 du 27 décembre 2005 fixant les conditions de son application ; Vu l'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) du 21 février 2006 ; Vu les engagements proposés par la société France Télécom ; Vu les engagements proposés ensemble par les sociétés Pages Jaunes Groupe et Pages Jaunes SA ; Vu les observations présentées au cours de la procédure par les sociétés 118 218 Le Numéro, Telegate France, Bottin, Allo Bottin et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés 118 218 Le Numéro, France Télécom, Pages Jaunes Groupe et Pages Jaunes SA entendus au cours des séances du 29 mars 2006 et du 21 juin 2006 ; Les représentants de la société Colt Télécommunications France et de l'ARCEP entendus lors de la séance du 21 juin 2006 sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA SAISINE AU FOND ET LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES
1. Par courrier du 10 janvier 2006, la société 118 218 Le Numéro a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom, Pages Jaunes Groupe et Pages Jaunes SA dans le secteur de " la fourniture de services de renseignements par téléphone et par Internet ". Cette saisine est assortie d'une demande de mesures conservatoires.
2. Les pratiques, reprochées par la société 118 218 Le Numéro, sont :
en premier lieu, que " France Télécom (i) refuse de fournir aux opérateurs de services de renseignements certaines des données-annuaire pour lesquelles elle est tenue à une obligation de fourniture, et (ii) leur fournit des données-annuaire incomplètes, voire fausses, alors qu'une base de données complète et non erronée est utilisée pour les propres services de renseignements et d'annuaire du Groupe France Télécom. " ;
en second lieu, que France Télécom tarifie la prestation d'accès à sa base de données en violation des " règles d'orientation des tarifs vers les coûts des tarifs telles qu'issues de l'ordonnance du 25 juillet 2001 transposant la directive 98-10-CE " ;
en troisième lieu, que Pages Jaunes " cherche à fausser la concurrence par les mérites à l'occasion du lancement de son propre service de renseignements téléphoniques [...] en tirant indûment profit de l'image de marque et de la notoriété exceptionnelle du service d'annuaire électronique du Groupe France Télécom accessible par l'URL www.pagesjaunes.fr ".
3. Dans l'attente de la décision au fond, la société 118 218 Le Numéro demande, par ailleurs, au Conseil de la concurrence qu'à titre conservatoire :
" il enjoigne à France Télécom, dans le cadre du service d'accès à sa base de données annuaire fourni en application de l'article L. 34 du CPCE, de mettre en conformité la base de données accessible aux opérateurs tiers afin qu'elle contienne l'ensemble des données contenues dans la base utilisée par la société Pages Jaunes pour la fourniture de son service de renseignements, à l'exception de toute donnée dont le groupe France Télécom montrerait qu'elle ne serait pas nécessaire à la fourniture d'un service de renseignements téléphoniques universels tel que défini par l'article 2 de la décision 05-0061 de l'ARCEP ;
il soit enjoint à France Télécom de supprimer pour l'avenir les conditions restrictives d'inscription des données annuaire telles que prévues dans les conditions spécifiques annexées au conditions générales d'abonnement au service téléphonique, en autorisant notamment l'inscription des dénominations multiples et des inscriptions supplémentaires, sans restriction injustifiée ;
il soit enjoint à Pages Jaunes de cesser toute promotion en faveur de son numéro 118 008 sur le site d'annuaire électronique pagesjaunes.fr. " 2
4. Par courrier du 19 janvier 2006, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a transmis copie de cette saisine à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) en application des dispositions de l'article 35 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002. En réponse, l'ARCEP a transmis le 23 février 2006 au Conseil de la concurrence un avis n° 06-0238 du 21 février 2006 " portant sur la demande de mesures conservatoires dans la saisine déposée par la société 118 218 Le Numéro relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom et Pages Jaunes dans le secteur de la fourniture de services de renseignements par téléphone ou par Internet ".
B. LE SECTEUR DES RENSEIGNEMENTS TÉLÉPHONIQUES ET LES OPÉRATEURS CONCERNÉS PAR LA SAISINE
5. Le secteur des renseignements téléphoniques connaît actuellement une profonde évolution en raison de la mise en œuvre d'un nouveau format pour les numéros de téléphone permettant d'accéder à ces services et de la pleine mise en concurrence des opérateurs du secteur.
6. Historiquement, les services de renseignements téléphoniques étaient essentiellement fournis par l'intermédiaire du numéro " 12 ". L'utilisation de ce numéro d'accès, hérité de l'époque du monopole de la Direction Générale des Télécommunications (DGT), était dans la pratique partagée entre France Télécom et les trois opérateurs de téléphonie mobile. Les services de renseignement des opérateurs mobiles étaient également accessibles depuis leurs réseaux respectifs par l'intermédiaire de numéros d'appel spécifiques à trois chiffres relevant de plans de numérotation privés (le 712 d'Orange, le 222 de SFR et le 612 de Bouygues Télécom). Outre les services de renseignements par opérateur, des éditeurs indépendants des exploitants de réseau avaient par ailleurs développé des services de renseignements accessibles à partir de numéros à quatre chiffres de la forme 3BPQ. Ces derniers n'étaient toutefois parvenus à attirer qu'une part relativement marginale des appels à destination des services de renseignements téléphoniques.
7. Cette situation a été modifiée par une décision du Conseil d'Etat n° 249300 du 25 juin 2004. Saisi au contentieux par les sociétés Scoot France et Fonecta contre une décision de l'ARCEP, le Conseil d'Etat a en effet annulé cette décision et enjoint au régulateur de " définir, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, les conditions de l'attribution de numéros d'un même format à tous les opérateurs offrant des services de renseignements téléphoniques et de la révision du plan de numérotation, afin que, sous réserve le cas échéant d'une période transitoire, le numéro 12 ne puisse plus être utilisé pour le service de renseignement par opérateur ". Afin de satisfaire à l'injonction prononcée par le Conseil d'Etat, l'ARCEP a, après consultation publique des acteurs du secteur, adopté le 27 janvier 2005 trois décisions (décisions n° 05-61, 05-62 et 05-63) ayant pour objet l'introduction d'un format de numérotation unique du type " 118 XYZ ". Conformément au calendrier fixé par l'ARCEP dans ces décisions, l'attribution effective des numéros a été réalisée à la suite d'un tirage au sort en date du 14 juin 2005. Les premiers services offerts à partir de ces numéros ont été ouverts le 2 novembre 2005. Aucun service de renseignement n'est plus accessible à partir du " 12 " depuis le 3 avril 2006.
1. La société 118 218 Le Numéro
8. La société 118 218 Le Numéro (ci-après également désignée sous les appellations : " la société Le Numéro ", " Le Numéro " ou " la saisissante ") est une société par actions simplifiées créée, le 25 août 2004, sous la dénomination initiale " Le Numéro France ". Elle exerce l'activité d'éditeur de services de renseignements téléphoniques. Pour l'exercice de son activité, elle s'est vue attribuer sept numéros courts de la forme 118 XYZ, dont notamment le 118 218, qu'elle présente comme un service de renseignements généraliste à valeur ajoutée.
9. Même si aucun chiffre n'a été publié par l'ARCEP depuis la fermeture technique du " 12 ", les débats menés devant le Conseil ont fait apparaître que la société Le Numéro occupe une position de leader sur le marché à l'issue des six premiers mois d'activité de l'ensemble des numéros 118 XYZ.
2. Les sociétés du groupe France Télécom
10. La société France Télécom est à ce jour un opérateur de télécommunications intégré, présent sur l'ensemble des marchés de télécommunications. Son activité en France inclut notamment la prestation de services de télécommunications fixes et mobiles, de services de capacités à destination des entreprises et de services d'annuaires et de renseignements.
11. Pages Jaunes est issue de l'office d'annonces (ODA), entité historiquement chargée de la régie publicitaire des annuaires des PTT depuis 1946. Il y a lieu de distinguer les entités " Pages Jaunes groupe " et " Pages Jaunes SA ". Pages Jaunes groupe est la société holding du groupe Pages Jaunes. Elle détient 100 % du capital de Pages Jaunes SA. France Télécom est actionnaire de Pages Jaunes groupe à hauteur de 54 % et est représenté à son conseil d'administration. Sur 10 membres, 4 sont proposés par France Télécom (dont le président), 4 sont des membres extérieurs (dont 3 indépendants au sens des règles de gouvernance, le 4ème n'ayant cependant aucun lien avec France Télécom) et 2 administrateurs représentent le personnel. Le président du groupe, désigné par France Télécom, n'assume pas une fonction de direction et n'a aucune responsabilité opérationnelle au sein du groupe.
12. Par voie de communiqué de presse en date du 7 juin 2006, la société France Télécom a fait connaître sa volonté de se désengager du capital de Pages Jaunes groupe.
13. Selon ses statuts, la société Pages Jaunes SA a, notamment, pour objet " l'édition, pour son compte ou pour le compte de tiers, de tous annuaires publiés par tous procédés et moyens actuels et futurs, la fourniture de services de renseignements par tous procédés actuels et futurs ainsi que l'exploitation de la publicité sous toutes ses formes, par tous modes et à toutes fins. ". Dans tout ce qui suit, la mention " Pages Jaunes " fera, par défaut, référence à la société Pages Jaunes SA.
a) L'activité de France Télécom SA
14. La société France Télécom SA (ci-après France Télécom) intervient sur plusieurs marchés amont et sur le marché de la fourniture de services de renseignements téléphoniques. Les données annuaires relatives aux abonnés de France Télécom, cédées aux différents éditeurs, sont détenues par une entité dénommée " ligne de solutions annuaires ". En tant qu'éditeur de services de renseignements, France Télécom fournit le service universel " annuaire et renseignements téléphoniques ", avec le 118 711, et est attributaire d'autres numéros 118 XYZ, dont notamment le 118 712 qui est le seul ayant fait l'objet d'une campagne de publicité depuis son ouverture.
b) L'activité de Pages Jaunes
15. Pages Jaunes exerce une activité de fourniture de services tant auprès des utilisateurs finals qu'auprès d'autres opérateurs ou éditeurs de services. Elle édite, en particulier, un annuaire imprimé professionnel pour chaque département (les Pages Jaunes), mis gratuitement à disposition du public, et propose un service gratuit de renseignements sur ses sites pagesjaunes.fr et pagesblanches.fr. Elle offre également un service d'annuaire inversé " Qui donc.fr ", dont l'accès est payant.
16. Dans son document de référence 2004 enregistré auprès de l'AMF et cité par l'ARCEP dans son avis n° 06-0238, Pages Jaunes mentionne que le marché potentiel auquel elle s'adresse est composé de 3,9 millions de professionnels et qu'en 2004, 583 836 annonceurs ont utilisé au moins l'un des supports de Pages Jaunes pour promouvoir leurs offres de produits et de services.
17. Héritage de son activité " historique " de régie publicitaire des annuaires officiels des PTT, elle continue à assurer pour le compte de France Télécom la régie publicitaire, la conception et la fabrication des deux annuaires qui restent édités par France Télécom dans le cadre des prestations de service universel, à savoir " l'Annuaire " imprimé (précédemment dénommé " Pages Blanches ") et la recherche alphabétique sur Minitel accessible par l'intermédiaire du 3611.
18. Pages Jaunes fournit, par ailleurs, depuis le 2 novembre 2005, un service de renseignements téléphoniques à partir du numéro 118 008.
19. Pour fournir ses services de renseignements sur annuaire papier, par téléphone et sur Internet, la société Pages Jaunes procède, jusqu'à présent, au recueil et à la consolidation de plusieurs types d'informations. Les données de base sont fournies par les opérateurs, conformément aux dispositions de l'article L. 34 du Code des postes et communications électroniques (CPCE). A ce titre, la société a conclu un contrat avec 24 opérateurs. Ces données sont complétées par les données collectées auprès de ses clients dans le cadre de la commercialisation des inscriptions publicitaires dans les annuaires et sur son site Internet. Ces inscriptions supplémentaires publicitaires (" ISPub ") sont commercialisées par l'intermédiaire d'une force de vente composée de 1 500 personnes. Pages Jaunes enrichit, par ailleurs, sa base par l'apport d'informations collectées auprès de prestataires extérieurs : elle mentionne, par exemple, l'existence d'un contrat avec l'INSEE pour l'accès au répertoire SIRENE.
20. Depuis le 1er janvier 2002, Pages Jaunes fournit aux autres éditeurs de services d'annuaires et aux éditeurs de services de renseignements téléphoniques, un accès " à la requête " à ces données, hormis celles acquises auprès de prestataires extérieurs. Afin de répondre aux demandes de renseignements qui leur étaient faites, les concurrents du " 12 " pouvaient donc directement accéder, en ligne, aux données acquises par Pages Jaunes auprès des opérateurs de téléphone et aux " ISPub ". Avec France Télécom, Pages Jaunes a conclu, le 30 juillet 2004, un contrat spécifique de " prestation de service aux fins de consolidation de la base annuaire de France Télécom et de livraison des inscriptions supplémentaires " prévoyant la livraison des mêmes informations sous forme de fichier électronique.
21. Dans la perspective de la mise en service des numéros 118 XYZ après la suppression du " 12 ", la société Pages Jaunes a annoncé début 2005 qu'elle cesserait de fournir l'accès à 5
la requête à compter du 31 janvier 2006. Elle a précisé qu'elle-même, ainsi que sa maison mère France Télécom, cesseraient également d'avoir accès à ces informations pour la fourniture des renseignements téléphoniques par le moyen des nouveaux numéros 118 XYZ. Le contrat conclu avec France Télécom devait donc être rompu à cette date.
22. Parallèlement, la société Pages Jaunes a annoncé qu'elle commercialiserait auprès des abonnés professionnels un service spécifique d'inscriptions supplémentaires sur le 118 008, dénommé " A vos marques et enseignes ".
23. Dans les premiers jours du mois de février 2006, la société Pages Jaunes a toutefois accepté de prolonger de trois mois l'accès à la requête, " compte tenu du retard pris par certains opérateurs et éditeurs ". Elle a, par ailleurs, conclu avec la société Le Numéro, le 22 février 2006, un contrat de " licence d'utilisation de la base de données des inscriptions publicitaires de Pages Jaunes " prévoyant la transmission des données correspondantes sous forme de fichier numérique, pour une durée de 3 mois. Un contrat identique, pour trois mois, a été conclu avec France Télécom en date du 24 février 2006, en remplacement du contrat de 2004 dénoncé à compter du 31 janvier 2006.
C. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE ET LA JURISPRUDENCE APPLICABLES AU SECTEUR.
1. Sur les données annuaires.
24. L'article L. 34 du Code des postes et des communications électroniques dispose que " sur toute demande présentée en vue d'éditer un annuaire universel ou de fournir un service universel de renseignements, même limitée à une zone géographique déterminée, les opérateurs sont tenus de communiquer, dans des conditions non discriminatoires et à un tarif reflétant les coûts du service rendu, la liste de tous les abonnés ou utilisateurs auxquels ils ont affecté, directement ou par l'intermédiaire d'un distributeur, un ou plusieurs numéros du plan national de numérotation téléphonique prévu à l'article L. 44 ". Il précise, dans son dernier alinéa, que " les litiges relatifs aux conditions techniques et financières de la fourniture des listes d'abonnés prévue à l'alinéa précédent peuvent être soumis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l'article L. 36-8 ".
25. Le contenu des listes que les opérateurs sont tenus de constituer est précisé aux articles R. 10 et suivants du CPCE. L'article R. 10-3 dispose, notamment, que " Ces listes contiennent les données permettant d'identifier les abonnés ou les utilisateurs, d'empêcher toute confusion entre les personnes et de prendre connaissance des oppositions qui ont été formulées en application de l'article R. 10 [...] ces données sont constituées par les noms, prénoms ou dénominations sociales, adresses et numéros de téléphone des abonnés au service téléphonique au public et de ses utilisateurs [...] les opérateurs insèrent dans les listes la mention de la profession ou activité des personnes qui en font la demande sous la responsabilité du demandeur. Ils peuvent également proposer l'insertion des adresses électroniques des abonnés ou utilisateurs. [...] ".
26. Depuis les modifications apportées par un décret n° 2005-606 du 27 mai 2005, les services d'annuaire doivent comprendre, dans les mêmes conditions, non seulement les coordonnées des abonnés ou des utilisateurs des services téléphoniques fixes de France Télécom mais aussi celles des concurrents de France Télécom (y compris ceux utilisant le câble, le dégroupage ou la voix sur Internet) ainsi que les numéros professionnels et ceux des services vocaux en ligne (notamment commençant par 3 ou 08). Leurs opérateurs tiers sont donc tenus d'établir une liste de leurs abonnés à moins que ceux-ci aient opté pour l'inscription sur liste rouge (système du opt-out), alors qu'auparavant, les abonnés des opérateurs tiers devaient demander leur inscription dans l'annuaire (système du opt-in). Le système du opt-in reste en vigueur pour les coordonnées des abonnés et utilisateurs de mobiles (en formules prépayée ou forfaitaire) qui doivent être communiquées par les opérateurs mobiles mais uniquement pour ceux de leurs clients qui en ont fait la demande.
27. L'ARCEP a par ailleurs publié, le 16 décembre 2004, des lignes directrices " relatives aux conditions de cession des listes d'abonnés ou d'utilisateurs à des fins d'édition d'annuaires universels ou de fourniture de services universels de renseignements ". Ces lignes directrices précisent notamment les conditions techniques et financières selon lesquelles tout opérateur attribuant des numéros du plan de numérotation national doit céder la liste des utilisateurs de ces numéros à tout éditeur d'annuaire universel ou de service universel de renseignements. Dans ces lignes directrices, l'ARCEP détaille sous forme de tableaux les informations " à transmettre par les opérateurs et éditeurs afin de garantir une compilation consistante et pertinente des informations reçues de différents opérateurs et la complétude des informations à éditer ". Ces tableaux identifient 54 champs et distinguent ceux que chaque opérateur doit obligatoirement renseigner dans la liste transmise aux éditeurs (champs identifiés " DO ") et les champs facultatifs que chaque opérateur est libre ou non de renseigner (champs identifiés " DF ").
28. A la date de la saisine, l'ensemble de ces dispositions était toutefois mis en œuvre de façon inégale selon les opérateurs, malgré la mise en place par l'ARCEP, à l'automne 2005, d'un observatoire associant l'ensemble des opérateurs concernés. Le site www.arcep.fr montre qu'à la date de décembre 2005 seul l'opérateur historique avait fourni ses listes d'abonnés à l'ensemble des éditeurs.
2. Sur la tarification
29. Les principes relatifs à la tarification de la cession des listes sont fixés par l'article R 10-6 du CPCE : " Les tarifs de cette communication, qui reflètent le coût du service rendu, sont établis par chaque opérateur selon les principes suivants :
1. Les coûts pris en compte pour la fixation du tarif sont ceux qui sont causés, directement ou indirectement, par la fourniture des listes d'abonnés. Ces coûts peuvent notamment comprendre une part liée à l'amortissement du matériel informatique et des logiciels nécessaires et une rémunération normale des capitaux employés.
2. Les coûts qui sont spécifiques à la fourniture des listes d'abonnés sont entièrement pris en compte dans la fixation du tarif. Les coûts liés à d'autres activités de l'opérateur en sont exclus ".
30. Dans ses lignes directrices, l'ARCEP précise par ailleurs, s'appuyant en particulier sur les décisions du Conseil de la concurrence n° 02-D-41 du 26 juin 2002 et n° 03-D-43 du 12 septembre 2003 et sur sa propre décision n° 03-1038 du 23 septembre 2003 relative à un règlement de différend entre les sociétés Iliad et France Télécom, que les coûts pertinents à prendre en compte pour la fixation du tarif correspondent " aux coûts qui ne seraient pas encourus par les opérateurs en l'absence d'obligation de fournir des listes d'abonnés(...) sachant que les opérateurs disposent nécessairement, pour leurs activités propres d'opérateurs de communications électroniques, d'un fichier commercial, technique et administratif de leurs abonnés "
31. Enfin, un arrêt récent de la Cour de justice des communautés européennes (C-109-03 KPN du 25 novembre 2004), répondant à une question préjudicielle posée par une juridiction néerlandaise, a jugé que le coût de collecte que devait facturer un opérateur de téléphonie à un fournisseur de services de renseignements était nul s'agissant d'informations telles que le nom, l'adresse, le numéro de téléphone que l'opérateur devait de toutes façons obligatoirement collecter pour la gestion de sa clientèle, et que seuls devaient alors être facturés les coûts de mise à disposition de ces informations.
D. L'ÉVALUATION PRÉLIMINAIRE DES PRÉOCCUPATIONS DE CONCURRENCE
1. Les marchés concernés et la position des entreprises mises en cause sur ces marchés
32. Les pratiques dénoncées par la société Le Numéro mettent en cause plusieurs marchés connexes.
a) Les marchés des données annuaires
33. La Cour d'appel de Paris avait constaté, dans un arrêt du 29 juin 1999, qu'il existait un marché de la liste des abonnés au service téléphonique, sur lequel France Télécom était en monopole, étant précisé qu'avant l'ouverture du secteur à la concurrence, cette situation résultait du monopole légal détenu par l'opérateur historique sur le service téléphonique entre points fixes, et après 1998, de l'absence d'un organisme gérant l'annuaire universel. Depuis, le développement de la concurrence sur les marchés de la téléphonie fixe s'est traduit par le recul des parts de marchés de France Télécom et l'apparition, sur ces marchés, d'un grand nombre d'opérateurs. Toutefois, en l'absence d'un organisme gérant l'annuaire universel, tel celui prévu initialement par la loi du 26 juillet 1996 au troisième alinéa de l'article L. 35-4 du CPCE, supprimé par la loi du 31 décembre 2003, chaque opérateur est le seul à pouvoir fournir les données permettant d'identifier ses abonnés de façon exhaustive, avec des mises à jour régulières, et en tenant compte des droits légalement offerts aux abonnés (inscription sur les listes rouge ou orange), et ce pour un coût de collecte spécifique nul puisque ce sont des données que les opérateurs collectent de toute façon pour les besoins de la gestion technique et commerciale de leur base de clientèle.
34. A l'inverse, les coûts de collecte de ces informations par des tiers autres que l'opérateur téléphonique choisi par l'abonné sont unitairement élevés car ces tiers n'ont aucune relation directe avec l'abonné. En outre, le coût global de cette collecte est d'autant plus élevé que le nombre d'adresses à rechercher est important et donc que la part de marché de l'opérateur de téléphone concerné est élevée. Les pertes d'efficacité qui résulteraient de la nécessité de collecter plusieurs fois les mêmes données seraient telles qu'elles ont justifié les obligations imposées par l'article L. 34-1 du CPCE à tous les opérateurs de téléphonie fixe attribuant des numéros d'appel, dans les mêmes conditions, quelle que soit leur part de marché sur les marchés de la téléphonie fixe, d'une part, ainsi qu'aux opérateurs de téléphonie mobile, d'autre part. Il n'est donc pas exclu que chaque opérateur de téléphonie soit en position dominante sur le marché constitué par les données annuaire relatives à ses abonnés.
35. S'agissant de France Télécom, cette position dominante est renforcée par la position dominante qu'occupe toujours cette entreprise sur les marchés de la téléphonie fixe. Dans une décision 05-0571 du 27 septembre 2005, l'ARCEP a conclu que la société France Télécom est réputée exercer une influence significative sur l'ensemble des marchés de détail de la téléphonie fixe, avec des parts de marchés qui étaient, fin 2003, toujours supérieures à 70 %.
b) Le marché des renseignements téléphoniques
36. Plusieurs segmentations sont a priori possibles en ce qui concerne les services de renseignements relatifs aux abonnés au téléphone, selon que l'on considère le support à partir duquel le service concerné est rendu (annuaire imprimé ou sous forme électronique, annuaire en ligne accessible par Internet ou Minitel, services de renseignements par téléphone), le contenu proposé (service de base ou service à valeur ajoutée) ou la clientèle visée (clientèle particulière ou professionnelle).
37. En première analyse, il est possible d'isoler le marché des services de renseignements par téléphone des autres services de renseignements. Ce dernier se distingue des autres sur plusieurs aspects, tant relatifs à l'offre qu'à la demande :
Il s'agit d'un service de consultation " à la requête " par opposition à la fourniture d'une liste de données (annuaires papier, fourniture d'un CD-ROM) ;
Son accès est possible en situation de mobilité, par opposition notamment au service de consultation d'annuaire sur Internet pour des raisons d'ergonomie et compte tenu du faible développement de l'Internet mobile pour le moment ;
Il s'agit d'un service payant pour l'utilisateur final, ce qui le distingue à la fois des annuaires " papier " et des services Internet qui lui sont fournis gratuitement.
38. A supposer que les différents services de renseignements puissent constituer autant de marchés de détail distincts, il n'est toutefois pas contestable qu'il existerait en tout état de cause un lien de connexité fort entre ces différents marchés. L'ARCEP souligne, en particulier, dans son avis " une connexité entre marchés de renseignement et d'annuaire électronique ou papier ".
39. La société Pages Jaunes est l'opérateur historique des services d'annuaires papier, les " Pages jaunes " et les " Pages blanches ". Dans son avis n° 06-0238 précité, l'ARCEP relève la forte notoriété des marques détenues par Pages Jaunes. L'ARCEP cite en particulier le document de référence 2004 de la société Pages Jaunes enregistré, le 30 mars 2005, auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui mentionne notamment qu'en réponse à la question " Lorsque vous recherchez un particulier, une entreprise ou un professionnel, un produit ou un service, quelles sont les sources d'information auxquelles vous pensez ? ", 89 % des personnes interrogées ont mentionné spontanément au moins l'un des services de Pages Jaunes et, sur relance citant les différents services de Pages Jaunes, le taux de notoriété assisté atteint 100 %.
40. Dans le même avis, l'ARCEP souligne que Pages Jaunes dispose d'" une avance significative dans le développement de services en ligne et qu'en décembre 2004, le taux de couverture domestique pour les annuaires Internet de Pages Jaunes était de 31,5 % par rapport à 20,8 % pour Seat Pagine Gialle et 6,6 % pour Yell ". 9
41. Dès lors, en l'état actuel de l'instruction, il est vraisemblable que Pages Jaunes occupe une position dominante du point de vue de l'activité d'édition d'annuaires électroniques ou imprimés.
42. S'agissant des renseignements téléphoniques, le Conseil constatait dans un avis n° 05-A-16 du 28 juillet 2005 que le " 12 " représenterait plus de 80 % des numéros composés pour atteindre un service de renseignements, le solde étant constitué, pour l'essentiel, des appels à destination des numéros à trois chiffres des opérateurs mobiles. Depuis la fermeture du " 12 " le 30 avril dernier, les parts de marché ont été redistribuées entre les attributaires des nouveaux numéros au format 118 XYZ. Le Conseil avait noté, dans l'avis n° 05-A-16 précité que France Télécom, opérateur chargé du service universel de renseignements téléphoniques et fournisseur historique du service de renseignements par l'intermédiaire du " 12 " depuis 1939, bénéficiait d'une grande notoriété. Deux mois après l'ouverture, cet effet de notoriété paraît toutefois avoir été réduit par les efforts publicitaires considérables consentis par les nouveaux entrants pour faire connaître leurs services. Il ressort des premières estimations que le leader du marché serait la société Le Numéro avec environ 40 % de parts de marché fin juin 2006.
43. Il convient toutefois de noter l'intégration, au sein du groupe France Télécom, des activités d'opérateur de réseaux attribuant des numéros et chargé, à ce titre, de fournir les listes d'abonnés, en application de l'article L. 34, et de service de renseignements.
c) Le marché de la publicité dans les annuaires téléphoniques.
44. Dans une jurisprudence confirmée par la Cour d'appel de Paris (voir les décisions n° 96-D-10 du 20 février 1996 et n° 98-D-16 du 3 mars 1998, les arrêts de la cour du 17 novembre 1998 et du 4 janvier 2000), le Conseil de la concurrence a estimé qu'il y avait lieu de distinguer les marchés de l'édition des annuaires professionnels du marché de la publicité sur lesdits annuaires, et que l'ODA, auquel a succédé la société Pages Jaunes, se trouvait en position dominante sur le marché de la vente d'espaces publicitaires dans les dits annuaires. Depuis cette époque, l'annuaire Pages Jaunes a conservé sa position largement prééminente, les tentatives d'édition d'annuaires concurrents n'ayant pas prospéré.
45. A la vente d'espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom s'est ajoutée depuis quelques années la vente de prestations similaires sur le site Internet, pagesjaunes.fr. Il n'est toutefois pas nécessaire, dans le cadre de la présente affaire, d'analyser la substituabilité de ces nouvelles prestations avec la publicité dans l'annuaire papier ou avec d'autres types de publicité sur Internet.
2. Sur le caractère incomplet et erroné de la liste d'abonnés transmise par la société France Télécom conformément aux dispositions de l'article L. 34 du CPCE
46. La société Le Numéro soutient que la liste d'abonnés, qui lui est transmise par France Télécom dans le cadre du service d'accès aux données annuaires fourni en application de l'article L. 34 du CPCE (ci-après " liste L. 34 "), est incomplète. A l'appui de sa démonstration, la saisissante produit divers constats d'huissier tendant à établir l'existence d'une discrimination par la comparaison entre d'une part, des informations extraites de la base annuaire " L34 " fournie par France Télécom à la société Le Numéro dans le cadre d'un contrat de mise à disposition des données annuaire en date du 26 juillet 2005 et 10
d'autre part, des informations disponibles dans l'annuaire et des informations fournies par les services de renseignement du " 12 ", du 118 712 et du 118 008 (ci-après " base Pages Jaunes ").
47. Cette comparaison fait apparaître l'absence de certains numéros de téléphone et le caractère incomplet des informations associées aux abonnés professionnels :
?? Sur le premier point, la saisissante cite quelques numéros qui ne figurent pas dans la liste L. 34 fournie par France Télécom, comme celui du standard du Conseil de la concurrence (01 55 04 00 00) ;
?? Sur le second point, la saisissante cite plusieurs informations dont l'absence de la liste L. 34 lui paraît empêcher l'identification précise des abonnés concernés :
1) Le numéro SIRET ;
2) L'appellation commerciale : des abonnés professionnels apparaissent dans la liste L. 34 de France Télécom sous leur dénomination sociale (ex : SARL Dupont) et non sous l'appellation commerciale sous laquelle ils sont recensés dans la base Pages Jaunes et connus de leurs clients (ex : SARL Dupont, garage Ford) ;
3) Les activités multiples : une seule activité professionnelle est indiquée sur la liste L. 34 de France Télécom alors que, dans la base Pages Jaunes, les coordonnées de l'abonné sont accessibles sous plusieurs rubriques d'activité professionnelle (ex : " charcutiers " et " traiteurs ").
48. Selon la saisissante, ces différences s'expliqueraient en partie par le fait que la base L. 34 qui lui est fournie par France Télécom ne contient que 24 champs, alors qu'il ressort des décisions n° 02-D-41 et n° 03-D-43 précitées que la base de données annuaires gérée par France Télécom pour son propre compte contient 45 champs. La saisissante demande, en conséquence, qu'il soit enjoint à France Télécom de mettre en conformité la base L. 34 qu'elle transmet aux opérateurs tiers afin qu'elle contienne l'ensemble des données contenues dans la base Pages Jaunes.
49. De fait, la discussion contradictoire devant le Conseil a permis d'identifier trois types de causes aux différences dénoncées par la saisissante :
?? les numéros, figurant sur la base Pages Jaunes et non sur la liste L.34, ne sont pas attribués à des abonnés de France Télécom ;
?? les informations sont collectées par France Télécom et transmises à Pages Jaunes, mais non aux autres opérateurs de renseignements au motif qu'il ne s'agit pas d'informations définies comme obligatoires dans les lignes directrices de l'ARCEP de 2004, et qu'elles n'ont pas été demandées par les opérateurs de renseignements ;
?? les informations en cause ne sont pas collectées par France Télécom mais sont issues d'inscriptions publicitaires supplémentaires souscrites par les professionnels pour l'annuaire Pages Jaunes ou le site Internet pagesjaunes.fr.
50. Ces trois points et les éventuelles préoccupations de concurrence qu'ils soulèvent sont précisés et analysés ci-dessous.
a) Les numéros qui ne sont plus attribués à des abonnés de France Télécom
51. Vraisemblablement, les numéros dont la société Le Numéro a constaté qu'ils ne figurent pas dans la base L. 34 de France Télécom mais qu'ils peuvent être obtenus auprès de
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services de renseignements s'appuyant sur la base Pages Jaunes correspondent à des " numéros portés ", c'est-à-dire à des abonnés d'opérateurs tiers, qui ne sont donc plus abonnés de France Télécom depuis parfois plusieurs années. Le Conseil de la concurrence est ainsi abonné d'un opérateur tiers depuis 2000.
52. L'article L. 34.1 oblige les opérateurs de télécommunications à fournir " la liste de tous les abonnés ou utilisateurs auxquels ils ont affecté, directement ou par l'intermédiaire d'un distributeur, un ou plusieurs numéros du plan national de numérotation téléphonique prévu à l'article L. 44 ". Les lignes directrices de l'ARCEP précisent que pour les numéros portés, " il est souhaitable que les opérateurs gèrent la portabilité entrante et, sous réserve de faisabilité, la portabilité sortante. Il est ainsi recommandé que dans l'hypothèse où un abonné rejoint un nouvel opérateur en conservant un numéro précédemment géré par un autre opérateur, le nouvel opérateur demande à ce nouvel abonné ses choix de parution pour les utilisateurs concernés et met à jour les listes à fournir aux éditeurs en conséquence dans un délai raisonnable. Il résulte de la concertation menée par l'Autorité que ce délai pourrait être de deux jours ouvrables à l'issue de l'ouverture du service à l'abonné. La liste d'utilisateurs fournie à l'éditeur doit mentionner qu'il s'agit d'un numéro porté et référencer l'opérateur précédent, afin de lui faciliter la mise à jour de ses données ". S'agissant de la portabilité sortante, l'ARCEP recommande que les données soient conservées par l'ancien opérateur pendant " une période raisonnable ", " qui pourrait être de 30 jours ".
53. De fait, même si ces numéros sont, la plupart du temps, ceux d'anciens abonnés de France Télécom, opérateur historique, il ne peut être demandé à cet opérateur de continuer à conserver et fournir dans la liste L. 34 les données correspondantes au-delà d'une courte période suivant le départ de l'abonné chez un autre opérateur (30 jours selon la recommandation de l'ARCEP), dans la mesure où cet abonné dépend désormais d'un autre opérateur qui est seul à même de suivre les changements éventuels des informations pertinentes pour les services de renseignements.
54. Le rapporteur a donc estimé, lors de la séance du 29 mars 2006, que le fait que ces numéros ne figurent pas dans la base L. 34 de France Télécom ne révèle pas un comportement anticoncurrentiel de cet opérateur.
b) Les informations collectées par France Télécom mais qui ne correspondent pas à des données devant obligatoirement être transmises selon les lignes directrices établies par l'ARCEP en 2004
55. Dans sa décision n° 03-D-43 précitée, le Conseil de la concurrence avait identifié un nombre maximum de 45 champs potentiellement renseignés dans la base annuaire de France Télécom.
56. A l'appui de sa saisine, la société Le Numéro fournit la copie du " contrat de mise à disposition des données annuaire de France Télécom aux fins d'édition d'annuaires en ligne et/ou de services de renseignements " qu'elle a conclu avec la société France Télécom. Ce contrat fait apparaître dans son annexe 3 que France Télécom livre à la saisissante un nombre de champs limité à 24. La société Telegate a également déclaré que la base L. 34 qui lui est transmise par France Télécom ne comporte que 24 champs.
57. Dans son avis n° 06-0238 précité, l'ARCEP relève également que " la comparaison de la liste des champs cités par Le Numéro comme lui étant transmise par France Télécom dans le cadre du contrat de cession " base L.34 " et de la liste qui, selon Pages Jaunes, lui est transmise par France Télécom au titre de ce même article " base L. 34 " fait apparaître des différences au niveau des champs d'information pris en compte ". L'ARCEP indique notamment " un ensemble de champs supplémentaires par rapport aux 24 champs figurant dans la base décrite par Le Numéro comme étant celle qui lui est cédée " et cite, en particulier, les champs " adresse électronique ", " cedex ", " boite postale ", " SIRET " et Code " NAF/APE ".
58. Au sein du groupe France Télécom, les données annuaires de l'opérateur de télécommunications France Télécom sont cédées par France Télécom à la société Pages Jaunes dans le cadre du contrat, en date du 11 mars 2004, déjà mentionné ci-dessus, et par la Direction de l'Accès à la Direction des Centres d'Appel dans le cadre d'un " contrat de mise à disposition des données annuaires de France Télécom aux fins d'éditions d'annuaires et/ou de services de renseignements " conclu entre ces deux entités internes au groupe en date du 11 mars 2004. Les dispositions de ces deux documents sont, pour l'essentiel, identiques. Les informations, communiquées par la société Pages Jaunes le 15 février 2006, confirment que les données annuaires qui lui sont ainsi fournies par France Télécom sont riches de 44 champs. Ce point n'est, d'ailleurs, pas contesté par France Télécom qui déclare au point 63 de ses observations : " Il est vrai que pour des raisons historiques, France Télécom communique des données supplémentaires à Pages Jaunes ".
59. Dans ses observations, France Télécom explique qu'" il ressort des comptes rendus des réunions [du groupe de travail technique mis en place par l'ARCEP] que les éditeurs et les fournisseurs n'ont jamais réclamé les champs qui font aujourd'hui l'objet des griefs du Numéro ". Elle ajoute que tant l'ARCEP que les différents acteurs du secteur ont " considéré nécessaire de restreindre la transmission des données annuaires aux seuls besoins spécifiques des éditeurs selon un standard qui puisse être reproduit par l'ensemble des opérateurs et surtout pris en charge par les différents éditeurs chargés de traiter et d'agréger les données ". La société joint, à l'appui de ses dires, divers documents transmis aux acteurs du secteur par l'ARCEP.
60. Il ressort ensuite des documents transmis par France Télécom que la société Le Numéro n'a pas, au moment de la négociation du contrat d'accès aux bases de données de France Télécom, soulevé d'observation particulière quant à la nature des données transmises, les principaux doutes exprimés étant relatifs " à la protection de la Base Annuaire de France Télécom par le droit sui generis ".
61. Néanmoins, il ne peut être exclu, en l'état du dossier, que le fait que la société Pages Jaunes et la " Direction des Centres d'Appel " de France Télécom bénéficient de listes L. 34 plus complètes que les autres éditeurs de renseignements téléphoniques explique en partie les différences de qualité constatées par la société Le Numéro. De plus, certains des champs concernés sont potentiellement d'un grand intérêt pour les éditeurs de services de renseignements, car ils sont nécessaires pour leur permettre d'enrichir leurs données à l'aide d'autres fichiers, le numéro " SIRET " notamment constituant une clé de repérage des entreprises très largement utilisée. De façon plus générale, l'ARCEP rappelle dans ses lignes directrices le principe général de non discrimination, fondamental en droit de la concurrence, en ce qui concerne la mise à disposition des données annuaires par les opérateurs à l'article L. 34 CPCE : " Ce principe [de non discrimination] demande à ce qu'un opérateur propose ses listes d'abonnés à des conditions (techniques financières et de délais) qui soient identiques pour tous les éditeurs. Cela implique que, quand un opérateur est également éditeur, il doit proposer ses listes d'abonnés aux autres éditeurs aux mêmes conditions que celles qu'il propose en interne ".
62. A ce point de l'analyse, il apparaît que l'égalité des conditions de concurrence pourrait être rétablie soit par la réduction des listes transmises à Pages Jaunes et à la " Direction des Centres d'Appel " aux 24 champs obligatoires définis dans les lignes directrices, soit par l'augmentation du nombre de champs obligatoirement transmis aux autres éditeurs de renseignements.
63. Comme le souligne France Télécom, l'augmentation du nombre de champs qu'elle devrait inclure dans la liste L. 34 ne peut, comme cela est suggéré par la saisissante, lui être imposée à elle seule sans être étendue à tous les opérateurs. En outre, cette solution laisserait entier le problème de la collecte des mêmes informations concernant les abonnés des opérateurs tiers. De fait, la délimitation des champs, devant être obligatoirement collectés et fournis par les opérateurs en application des dispositions de l'article L. 34 du CPCE, fait l'objet d'une révision engagée par l'ARCEP au sein de groupes de travail associant l'ensemble des opérateurs et des éditeurs concernés et cette autorité indiquait dans l'avis qu'elle a rendu dans la présente affaire qu'elle n'excluait pas de réviser ses lignes directrices de décembre 2004, qui " représentent le consensus obtenu à l'époque quant au degré de précision que doivent comprendre les listes L. 34, sans préjudice d'améliorations futures ".
64. La consultation de l'ensemble des acteurs concernés apparaît d'autant plus indispensable que, comme le souligne l'ARCEP dans son avis, le degré de détail et de précision des listes L. 34 est nécessairement le résultat d'arbitrages entre plusieurs contraintes :
?? " entre l'intérêt pour l'abonné et la charge que cela représente pour l'opérateur. En effet, plus les données collectées auprès de l'abonné sont précises et détaillées, plus le service de renseignements ou l'annuaire fourni sera satisfaisant pour l'abonné. A titre d'exemple, un abonné professionnel pourra souhaiter faire figurer une profession multiple, ou encore une dénomination très détaillée, au-delà peut-être de celle inscrite dans sa déclaration au registre du commerce et des sociétés. Satisfaire de tels souhaits peut, toutefois, impliquer une lecture extensive de l'article R. 10-3, et notamment de l'exigence de rendre possible l'identification de l'abonné. Du côté de l'opérateur, la collecte de données particulièrement détaillées auprès des abonnés est susceptible d'engager des coûts supplémentaires pour les opérateurs, soit directement soit au titre de leur vérification ".
?? " entre l'information qu'on peut juger souhaitable de voir recueillir par les opérateurs et celle qui serait laissée sous la responsabilité des éditeurs. Afin de simplifier les démarches de l'abonné, il serait préférable que celui-ci ne fournisse ses données qu'à un seul acteur, à charge ensuite pour celui-ci de les transmettre à l'ensemble des éditeurs. Toutefois, une telle approche ne serait pas nécessairement satisfaisante en termes de développement de la concurrence et de l'innovation entre éditeurs ".
65. Enfin, la question de l'éventuelle augmentation du nombre de champs obligatoires inclus dans les listes L. 34 ne peut être abordée sans tenir compte de ce que les opérateurs téléphoniques autres que France Télécom ont, jusqu'à la date de la présente saisine, mal satisfait à leur obligation de fourniture de la liste L. 34 telle qu'elle est définie, pour le moment, dans les lignes directrices de l'ARCEP de décembre 2004. L'ARCEP publie sur son site un tableau de bord de l'annuaire universel, créé " eu égard au retard alors constaté dans la mise en place de l'annuaire universel et au caractère très incomplet de certaines composantes ". En décembre 2005, ce tableau de bord montrait que seul France Télécom avait fourni ses listes d'abonnés à l'ensemble des opérateurs.
66. Le rapporteur a donc estimé, au cours de la séance du 29 mars 2006, que s'il ne pouvait être exclu à ce stade de l'instruction, que France Télécom ait une pratique discriminatoire consistant à se réserver, ainsi qu'à sa filiale Pages Jaunes, une liste L. 34 plus complète que celle qu'il fournit aux autres éditeurs, pratique susceptible de fausser le jeu de la concurrence sur le marché des renseignements par téléphone, il était préférable que la redéfinition des champs indispensables à une identification des abonnés, au sens de l'article L. 34, se fasse sous l'égide de l'ARCEP dans un cadre associant l'ensemble des opérateurs et éditeurs concernés.
c) Les informations qui ne sont pas collectées par France Télécom et correspondent à des inscriptions supplémentaires publicitaires vendues par Pages Jaunes
67. Plusieurs des différences de qualité constatées par la société Le Numéro entre la liste L. 34 de France Télécom et la base Pages Jaunes sont imputables à l'absence, dans la liste L. 34 transmise aux éditeurs de renseignement téléphoniques, d'informations qui ne sont pas collectées par France Télécom mais sont acquises par Pages Jaunes, directement auprès des professionnels souscrivant des inscriptions supplémentaires publicitaires dans les annuaires ou sur le site pagesjaunes.fr (ISPub). Ainsi, s'agissant de l'appellation commerciale des abonnés, il ressort du dossier que France Télécom n'accepte d'identifier ses abonnés professionnels qu'à l'aide de mentions figurant sur l'extrait Kbis de l'entreprise. Par exemple, si le garage X est exploité par une SARL Y, seule la mention " SARL Y " figure sur la liste L. 34. Le professionnel, désirant qu'apparaisse également la mention " Garage X " sur l'annuaire, est renvoyé vers la société Pages Jaunes qui lui propose de souscrire une ISPub.
68. La saisissante soutient que les restrictions ainsi imposées par France Télécom à ses abonnés professionnels sont excessives et que les ISPub ainsi vendues ne sont pas réellement des inscriptions publicitaires mais des données nécessaires à l'identification des abonnés au sens de l'article R. 10-3 du CPCE. Elle fait valoir que " s'il fallait interroger chacun des abonnés pour pouvoir enrichir les données reçues de France Télécom et les vérifier pour pallier l'absence d'accès à la Base Annuaire enrichie, cela prendrait 200 000 heures de travail pour la vérification initiale ". De plus, " pour la vérification des 15 000 données mises à jour par semaine sur les professionnels, il faudrait chaque semaine procéder également à 750 heures de travail, ce qui correspond à une équipe permanente de 22 personnes travaillant à temps complet ".
69. L'ARCEP, dans l'avis rendu dans le cadre de la présente affaire, note que " ces restrictions sont probablement fondées, au moins partiellement, sur le souci réel d'éviter des abus par les abonnés en termes de publicité gratuite ou de positionnement privilégié dans les annuaires (dénomination AAAX par exemple) ou de réduire les risques de mentions inexactes par les abonnés (risque d'utilisation abusive de marque, par exemple) ", mais qu' " il convient sans doute de s'interroger sur le bien-fondé de restrictions qui s'avèreraient exagérément lourdes et ne permettraient pas aux abonnés de voir figurer sur l'annuaire une information qu'ils jugeraient nécessaire sur leur dénomination ".
70. Les sociétés France Télécom et Pages Jaunes, pour leur part, annoncent qu'à compter du moment où l'accès à la base Pages Jaunes sera supprimé pour les autres éditeurs de renseignements téléphoniques, elles-mêmes n'y auront plus accès pour la fourniture de leurs propres services de renseignements téléphoniques, soit les 118 711 et 118 712 pour France Télécom et le 118 008 pour Pages Jaunes. Dans ses observations transmises au Conseil le 16 mars 2006, Pages Jaunes affirme ainsi : " à compter du 1er mai 2006, date de l'arrêt du service d'accès à la requête, qui aura effet aussi bien pour les tiers que pour Pages Jaunes elle-même, seules les informations collectées spécifiquement pour le service de renseignements 118 008 seront utilisées par Pages Jaunes dans le cadre de ce service".
71. De plus, France Télécom et Pages Jaunes relativisent, dans leurs observations, le caractère indispensable des informations concernées pour la fourniture d'un service de renseignements de qualité. Lors de son audition en date du 7 février 2006, la société Pages Jaunes a ainsi déclaré que " seuls 3 % des professionnels nous sollicitent pour [des] inscriptions publicitaires. De plus, parmi les 1 000 numéros les plus demandés dans le cadre de notre service de renseignements 118 008, nous avons déterminé que seuls 3 à 4 % nécessitaient pour donner le renseignement d'avoir recours à des inscriptions publicitaires. ". La société précise que seuls 120 000 professionnels sur un total de 3,9 millions figurant dans l'Annuaire souscrivent à des inscriptions publicitaires relatives à la dénomination.
72. France Télécom cite divers articles, dans ses observations, tendant à confirmer que plusieurs éditeurs de services de renseignements " nouveaux entrants ", et singulièrement la société Le Numéro qui n'avait pourtant pas activé son contrat d'accès à la requête aux inscriptions publicitaires de Pages Jaunes, fournissent un service de qualité honorable. France Télécom cite, notamment, un communiqué de presse de la saisissante elle-même, en date du 1er mars 2006 : " Les résultats obtenus par le " 118 218 " sur ses quatre premiers mois d'activité sont, en effet, très encourageants (5,2 millions d'appels traités, un taux de notoriété spontanée supérieur à 50 % et un taux de satisfaction des clients supérieur à 90 %) et lui permettent de confirmer son ambition d'être un des leaders des renseignements téléphoniques en France ".
73. Toutefois, la plupart des nouveaux entrants ont commencé leur activité en s'appuyant sur le service d'accès à la requête offert par Pages Jaunes et n'ont donc pas été gênés par les différences de qualité constatées par la société Le Numéro entre la base Pages Jaunes et les listes L. 34. La société Le Numéro n'a pas utilisé, au moment du lancement de son activité, le service d'accès à la requête de Pages Jaunes parce qu'elle voulait structurer et enrichir ses propres bases, mais sa saisine du 10 janvier est précisément motivée par les problèmes de qualité qu'elle a constatés dans les listes L. 34. Elle indique qu'elle utilise, depuis la fin du mois de février 2006, la licence d'utilisation de la base Pages Jaunes qui lui a été concédée à titre provisoire. Le succès remporté par la société Le Numéro depuis le lancement de son activité ne peut à lui seul démontrer que les données litigieuses ne sont pas indispensables à la fourniture d'un service de qualité. En effet, si le développement de nouveaux services de renseignements s'appuie dans un premier temps principalement sur les investissements publicitaires, on ne saurait exclure que le rôle de la qualité du service offert s'avère ensuite essentiel pour la consolidation du marché. Dans son avis n° 05-A-16 précité, le Conseil de la concurrence notait ainsi que " l'expérience de l'évolution des marchés étrangers et notamment des marchés britannique et allemand suggère que la dégradation de la qualité du service perçu par les utilisateurs lors de l'ouverture du marché du renseignement téléphonique à la concurrence peut entraîner une baisse sensible du nombre d'appels émis à destination de l'ensemble des services de renseignements, mais avec d'importants effets d'externalités, tous les services étant touchés quelle que soit la qualité de leurs services propres. ". Le Conseil avait également noté que la qualité du service fourni à l'utilisateur est un des deux éléments déterminants de l'acquisition d'une taille significative sur le marché des renseignements téléphoniques, cité par les fournisseurs de service de renseignements, aux côtés de la communication destinée à asseoir la notoriété du service et en particulier du numéro d'accès. Dès lors, et ainsi que le soutient la société Le Numéro, il n'est pas contestable que les clients auront tendance à se détourner des services qui fourniraient des renseignements lacunaires ou erronés.
74. Par ailleurs, la société Pages Jaunes relativise le coût que représenterait la collecte, par les éditeurs de service de renseignements, d'informations destinées à remplacer les ISPub. Elle annonce qu'elle-même commercialise depuis l'ouverture de son service 118 008 des " ISPub dénomination commerciale " dédiés à ce service, dénommés " A vos marques et enseignes ", qui permettent aux professionnels d'être recensés sous la marque ou la dénomination qu'ils ont choisie sur le service 118 008. Elle fournit, par ailleurs, en annexe à ses observations une étude du cabinet Smallworlds tendant à montrer que diverses sources d'informations permettant d'enrichir d'une manière fiable et précise la base de données des entreprises françaises avec des informations complémentaires existent et sont accessibles à des coûts se chiffrant à quelques centaines de milliers d'euro (entre 61 000 et 120 000 euro pour enrichir la donnée " enseigne commerciale ").
75. Il est patent que l'intérêt pour les consommateurs de l'ouverture à la concurrence du secteur des renseignements téléphoniques réside aussi dans les efforts d'enrichissement des bases de données que feront les éditeurs. Les nouveaux entrants comme Telegate ou Le Numero ne contestent pas la possibilité et l'intérêt d'enrichir les listes L. 34 par des investissements propres. La société Telegate déclare ainsi " Nous passons des accords avec des sociétés qui disposent de bases de données commerciales (le guide du routard, comité régional du tourisme d'IDF, Novasys etc.). Nous achetons généralement l'association d'un numéro de SIRET avec des informations supplémentaires pour enrichir les bases en allant jusqu'à une centaine de champs par entrée. A ce jour, cela représente quelques centaines de milliers de numéros ". La saisissante indique elle-même : " Nous faisons toutefois des efforts progressifs pour enrichir nos bases (achat de bases de données de professionnels auprès d'une dizaine de prestataires : hôtels de France, journal de l'automobile, CHD- industrie hôtelière, CHD-experts, LSA etc. et une collecte par nos propres moyens sur 200 000 professionnels à ce jour). 25 % des données des annuaires professionnels changent tous les ans. Tout ceci nécessite un investissement important, y compris pour la mise à jour. "
76. Toutefois, il ne peut être exclu à ce stade de l'instruction, comme l'envisage l'ARCEP dans son avis, que certaines restrictions imposées par France Télécom à ses abonnés pour leur inscription dans l'annuaire soient excessives et que, lorsque l'accès à la base Pages Jaunes sera supprimé pour l'ensemble des éditeurs, il soit difficile voire impossible d'identifier de façon correcte les abonnés concernés, au sens de l'article 10-3 du CPCE. Dans ces conditions, même si les informations correspondantes pouvaient être obtenues par des moyens alternatifs, tels que la vente par Pages Jaunes d'inscriptions spécifiques pour son service 118 008 ou le recoupement avec d'autres fichiers, le fait que les abonnés ne puissent être identifiés sur la seule base des listes L. 34 serait contraire aux dispositions du CPCE.
77. Le Conseil de la concurrence dispose d'une compétence d'attribution et n'est pas compétent pour se prononcer sur le respect des dispositions du CPCE par les opérateurs. Mais le rapporteur a, toutefois, rappelé, lors de la séance du 29 mars 2006, que la pratique consistant à livrer à ses concurrents sur le marché des services de renseignements des données annuaires ne permettant pas d'identifier les abonnés professionnels pourrait s'inscrire, s'agissant de France Télécom, dans une stratégie anticoncurrentielle consistant à s'appuyer sur la position largement dominante qu'il continue à occuper sur les marchés de la téléphonie fixe et sur sa structure de groupe intégrant à la fois des activités d'opérateur de réseaux et d'éditeur, pour préempter le marché de l'édition de services de renseignements téléphoniques récemment ouvert à la concurrence. Le rapporteur a rappelé que ce risque avait déjà été identifié par le Conseil dans son avis n° 05-A-15 précité : " en dépit des dispositions prises par le pouvoir législatif et réglementaire et par le régulateur pour assurer une concurrence effective dans ce secteur, le risque de préemption du marché par les opérateurs en place subsiste, notamment du fait de leur présence simultanée sur les activités d'opérateurs de réseaux et de renseignements téléphoniques. Ce risque ne peut être tout à fait écarté en ce qui concerne l'accès des nouveaux entrants aux prestations que les opérateurs de réseaux sont seuls à pouvoir fournir (cession de liste d'abonnés, prestations d'accès et de facturation pour compte de tiers). "
78. En effet, même si les ISPub n'étaient plus disponibles pour les services de renseignements de France Télécom (118 711 et 118 712) et de Pages Jaunes (118 008), le groupe France Télécom disposerait d'un avantage certain par rapport aux éditeurs concurrents pour compenser l'absence de ces informations et remettre à niveau les bases propres à ses services de renseignements : la société Pages Jaunes est ainsi en mesure de proposer, de façon ciblée aux 120 000 professionnels qui ont souscrit des ISPub pour l'annuaire Pages Jaunes et le site pagesjaunes.fr, d'acheter un service leur permettant d'être correctement référencés pour le 118 008.
79. Toutefois, cette question relève, comme celle des données collectées par France Télécom mais dont la fourniture dans la liste L. 34 n'a pas été rendue obligatoire dans les lignes directrices de l'ARCEP, de la redéfinition des obligations qui peuvent être imposées aux opérateurs en application des dispositions de l'article L. 34 du CPCE. En conséquence, pour les mêmes raisons que celles exposées aux paragraphes 63 et suivants ci-dessus, le rapporteur a estimé lors de la séance du 29 mars 2006 qu'il était préférable que la redéfinition des champs indispensables à une identification des abonnés, au sens de l'article L. 34, se fasse sous l'égide de l'ARCEP dans un cadre associant l'ensemble des opérateurs et éditeurs concernés. En particulier, comme le fait valoir France Télécom, la question de l'acceptation d'appellations commerciales qui ne figureraient pas dans l'extrait Kbis de l'entreprise est susceptible de poser aux opérateurs de réseaux des problèmes de vérification et de responsabilité relatifs au droit des marques, et donc de leur imposer des charges qui doivent être évaluées dans le cadre de l'arbitrage évoqué par l'ARCEP dans son avis et rappelé ci-dessus au paragraphe 64.
80. En revanche, le rapporteur n'a pas estimé que ces préoccupations de concurrence rendaient souhaitable que les ISPub actuellement commercialisées par Pages Jaunes soient systématiquement intégrées à la liste L. 34 transmise par France Télécom aux éditeurs, comme le demandait la saisissante. En premier lieu, comme cela a été vu ci-dessus, il est peu probable que l'ensemble des données ISPub ne puisse être répliqué dans des conditions économiques raisonnables et qu'il soit justifié de contraindre Pages Jaunes à en faire bénéficier de façon systématique ses concurrents. En second lieu, ces données concernent aussi des abonnés qui ne sont pas clients de France Télécom et, en l'absence d'un organisme chargé d'intégrer l'ensemble des données annuaires, rien ne justifie que France Télécom soit, dans les faits, chargé de ce rôle. En troisième lieu, la préoccupation de concurrence évoquée par le rapporteur concerne les données pour lesquelles des restrictions injustifiées seraient imposées par France Télécom à ses abonnés. Une solution qui permettrait de continuer à imposer ces mêmes restrictions aux abonnés et à les contraindre à souscrire une ISPub auprès de Pages Jaunes pour être correctement identifiés par les éditeurs de renseignements ne serait pas optimale du point de vue du bien-être des consommateurs. Enfin, en fonction de l'arbitrage rappelé ci-dessus entre les gains d'efficacité que permet de réaliser une collecte unique et la différenciation des services offerts par les éditeurs que doit permettre la concurrence, il convient d'identifier précisément, dans le cadre multilatéral mentionné ci-dessus, celles des ISPub qui doivent relever des obligations des opérateurs de réseaux et celles qui relèvent de l'enrichissement des données par les éditeurs.
3. Sur la tarification de la prestation d'accès à la base annuaire
81. Dans sa saisine, la société Le Numéro dénonce la mise en œuvre par France Télécom de tarifs excessifs de cession de ses listes d'abonnés (paragraphe 2.2 de la saisine), pratique qui contreviendrait selon elle aux dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE (point 185 de la saisine). La dénonciation de ces pratiques n'est pas assortie d'une demande de mesures conservatoires. Elle s'appuie sur l'arrêt C-109-03 KPN du 25 novembre 2004 de la Cour de justice des communautés européennes qui, selon elle, aurait jugé qu'aucun coût de collecte ne pouvait être facturé par les opérateurs pour les données qu'ils livrent aux éditeurs en application de l'article L. 34 du CPCE.
82. Le rapporteur a rappelé, lors de la séance du 29 mars 2006, que les principes de tarification des données annuaires livrées par les opérateurs de réseaux aux éditeurs étaient désormais inscrits à l'article R. 10-6 du CPCE et il a estimé que la société Le Numéro n'apportait aucun élément montrant que France Télécom ne respectait pas ces principes qui correspondent à ceux que le Conseil avait identifiés comme nécessaires à la mise en place de conditions de concurrence non faussées dans sa jurisprudence citée ci-dessus (cf. paragraphe 30).
4. Sur la promotion du service 118-008 sur le site Internet pagesjaunes.fr
83. Dans sa saisine, la société Le Numéro reproche à la société Pages Jaunes de fausser le jeu concurrentiel en se réservant " l'exclusivité du bénéfice de toute promotion effectuée via le site d'annuaire électronique http://www.pagesjaunes.fr ", pratique qui serait condamnable en ce qu'elle permettrait à Pages Jaunes de tirer " indûment profit du service universel d'annuaire électronique au bénéfice d'une activité nouvelle de renseignements téléphoniques ".
84. Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, l'annuaire, offert sur les sites pagesjaunes.fr et pagesblanches.fr, n'entre pas dans le périmètre de la 2ème composante du service universel. De fait, la publicité sur un site Internet en particulier peut difficilement être qualifiée d'essentielle à l'exercice d'une activité, dans la mesure où de nombreux autres supports publicitaires sont disponibles. Elle ne peut être assimilée aux " moyens de promotions spécifiques et non reproductibles tirés des informations qu'ils [les opérateurs de boucle locale] détiennent sur leurs abonnés ou des prestations qu'ils leur fournissent par ailleurs " dont le Conseil avait estimé, dans son avis n° 05-A-16, que l'utilisation à des fins de promotion pour leurs services de renseignements par les opérateurs de boucle locale poserait peut-être des problèmes de concurrence. Aucune préoccupation de concurrence n'a donc été exprimée par le rapporteur sur ce point lors de la séance du 29 mars 2006. 19
II. La mise en œuvre de la procédure d'engagements
A. LES ENGAGEMENTS INITIALEMENT PROPOSÉS PAR LES SOCIÉTÉS FRANCE TÉLÉCOM ET PAGESJAUNES.
85. Les préoccupations de concurrence qui viennent d'être rappelées ont été exprimées lors de la séance que le Conseil de la concurrence a tenue le 29 mars 2006. Conformément aux termes de l'article 42-1 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence inséré par le décret n° 2005-1668 du 27 décembre 2005, l'évaluation préliminaire des pratiques en cause, préalable à la mise en œuvre du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce relatif à l'acceptation d'engagements, peut en effet " être présentée oralement lors d'une séance en présence des parties. "
86. France Télécom et Pages Jaunes, en réponse à ces préoccupations, ont proposé des engagements, tout en réfutant l'existence d'une quelconque infraction aux règles du droit de la concurrence. Ces engagements ont été formalisés par deux courriers datés du 6 avril 2006.
87. France Télécom proposait de prendre les deux engagements suivants
" 1° France Télécom s'engage à mettre la nouvelle interface qu'elle développe actuellement à la disposition de ses propres services, Pages Jaunes, Le Numéro et tous les autres éditeurs d'annuaires ou de renseignements universels, sur une base strictement non discriminatoire, dans un délai d'un mois à compter de la date où elle a pris connaissance des préoccupations de concurrence du Conseil de la concurrence. Cette nouvelle interface a vocation à se substituer aux anciennes interfaces une fois que les éditeurs seront en mesure de la traiter.
2° France Télécom s'engage également à présenter et communiquer cette interface à l'ARCEP, qui recevra copie des présents engagements, afin qu'elle s'assure, dans le cadre de ses compétences, de la compatibilité de cette interface avec le CPCE et les dispositions prises pour l'application de ce dernier ".
88. Le courrier de France Télécom précisait que la nouvelle interface (dite " base ART++ ") à laquelle il était fait référence comporterait les champs suivants :
1. Numéro dans la voie
2. Complément du numéro dans la voie
3. Type de voie
4. Nom de la voie
5. Complément d'adresse
6. Arrondissement
7. Code postal
8. Cedex
9. Boîte postale
10. Localité
11. Liste "délocalisée"
12. Liste "asexuée"
13. Liste "anti-prospection" (liste orange)
14. Liste "anti-recherche inversée"
15. Vide
16. Numéro d'ordre
17. Date de modification
18. Type de modification
19. Numéro de téléphone
20. Type de terminal
21. Type de service
22. Type de tarification
23. Indicateur de numéro d'urgence
24. Indicateur de portabilité
25. Code opérateur de portabilité
26. Initiale pays (indicatif télex)
27. Numéro d'appel
28. Dénomination de l'entreprise
29. Nom
30. Prénom
31. Complément
32. Type d'utilisateur
33. Désignation de ligne
34. Profession
35. Vide
36. Code NAF
37. Adresse électronique
38. Code NSIM
39. Code NIG ou équivalent
40. Code NIGSEQ
41. Code département d'installation
42. Code localité d'installation
43. Code département de parution
44. Code localité de parution
45. Code arrondissement de parution
46. Code rubrique professionnelle
47. Indicateur liste chamois
48. SIRET
89. Pages Jaunes proposait pour ce qui la concerne de prendre les engagements suivants :
" 1° prolonger de trois mois, c'est-à-dire jusqu'au 31 juillet 2006, les contrats de service d'accès à la requête actuellement en vigueur ;
2° prolonger de trois mois, c'est-à-dire jusqu'au 31 juillet 2006, les contrats de licence d'utilisation de sa base de données d'inscriptions publicitaires actuellement en vigueur ;
3° offrir aux éditeurs de services de renseignements téléphoniques qui le souhaitent de souscrire un contrat de licence d'utilisation de sa base de données d'inscriptions publicitaires valable jusqu'au 31 juillet 2006 sur le modèle de ceux qui sont actuellement en vigueur, visés au point 2 ci-dessus ;
4° respecter le principe de non-discrimination dans le cadre de la fourniture de ces inscriptions publicitaires aux éditeurs de services de renseignements téléphoniques. " 21
B. LES OBSERVATIONS REÇUES
90. Conformément aux dispositions précitées du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, les propositions d'engagements de France Télécom et Pages Jaunes ont été adressées à la société Le Numéro et au commissaire de Gouvernement afin de recueillir leurs observations. Un communiqué de procédure résumant l'affaire et reprenant intégralement les propositions d'engagements a, par ailleurs, été publié sur le site Internet du Conseil afin que les tiers intéressés puissent également présenter leurs observations. Les sociétés Bottin, Allo Bottin et Telegate France ont fait usage de cette faculté.
91. La société Le Numéro relève que la liste des champs proposés par France Télécom est " satisfaisante ", dès lors que Pages Jaunes continue à fournir sa base ISPub. Elle considère, toutefois, qu'il est nécessaire que les autres opérateurs de téléphonie fournissent les mêmes champs à l'ensemble des fournisseurs de services de renseignements téléphoniques.
92. Elle admet également que la meilleure solution au problème posé par la présence dans le seul fichier ISPub de certaines données permettant l'identification correcte des abonnés serait la fourniture de ces données par les opérateurs de téléphonie fixe eux mêmes, " solution [qui] suppose qu'une décision réglementaire prise en application [des articles L. 34 et suivants ainsi que de l'article R. 10.3 du CPCE] soit adoptée par l'ARCEP " et considère donc que l'accès à la base de données enrichies de Pages Jaunes ne peut avoir qu'un caractère transitoire, le temps que les dispositions relatives à l'annuaire universel soient mises en œuvre de manière satisfaisante sous l'égide de l'ARCEP.
93. La société estime toutefois nécessaire que les engagements pris par les sociétés France Télécom et Pages Jaunes soient amendés sur plusieurs points :
que France Télécom précise explicitement dans ses engagements que la communication de la nouvelle interface n'entraînera pas de modification des conditions financières de mise à disposition de sa base annuaire ;
que France Télécom s'engage, au moins pour une période transitoire, à fournir aux éditeurs de services de renseignements les données annuaires qu'il détient sur les numéros portés chez des opérateurs concurrents pour une durée de 180 jours, sauf si la société s'engage, au nom du principe de non discrimination, à cesser tout usage des données de portabilité à compter de la date à laquelle elles ne sont plus transmises aux opérateurs de renseignements tiers ;
que Pages Jaunes précise que le principe de non discrimination auquel elle s'engage (4ème engagement) s'applique également vis-à-vis de ses propres services de renseignements téléphoniques, ainsi que la société l'avait d'ailleurs déclaré au cours du processus d'instruction ;
que Pages Jaunes s'engage à fournir certaines données de sa base enrichie " ISPub " non pas pendant 3 mois mais " tant que ces données ne sont pas accessibles aux opérateurs de renseignements téléphoniques par l'intermédiaire des opérateurs de téléphonie fixe ". La société Le Numéro précise incidemment que sa demande ne porte pas nécessairement sur l'ensemble des champs du fichier ISPub mais au moins sur les données relatives aux dénominations usuelles des professionnels, à l'indication de l'usage fait d'un numéro de téléphone et à l'indication des différentes rubriques professionnelles dans lesquelles un professionnel est inscrit ;
que Pages Jaunes s'engage à fournir non seulement les données annuaires enrichies relatives aux abonnés de France Télécom mais aussi les données annuaires relatives aux abonnés des opérateurs alternatifs qu'elle détiendrait, aussi longtemps que ces données ne seraient pas mise à disposition, de manière non discriminatoire, à l'ensemble des opérateurs de renseignements téléphoniques ;
que Pages Jaunes s'engage sur une mise à jour journalière ou hebdomadaire du fichier mis à disposition des éditeurs de renseignements téléphoniques ;
que France Télécom et Pages Jaunes s'engagent à mettre en place un système permettant l'audit des bases de données qu'elles utilisent pour leurs activités de renseignements téléphoniques, afin qu'un expert puisse réaliser à la demande de tout opérateur de renseignements téléphoniques des audits inopinés, afin de contrôler le caractère non discriminatoire des bases de données utilisées.
94. Trois éditeurs de services de renseignements par téléphone ont transmis au Conseil des observations dans les délais impartis : les sociétés Bottin et Allo Bottin (ci-après " Bottin ") dans un courrier commun, et la société Telegate France.
95. Bottin estime que les engagements pris par la société France Télécom sont insuffisants sur plusieurs points, notamment parce qu'ils ne précisent pas le prix de mise à disposition de la nouvelle liste aux éditeurs de services de renseignements, ne règlent pas la question des restrictions injustifiées imposés par France Télécom à ses abonnés professionnels, ni celle des numéros portés. De fait, considérant n'avoir pas les mêmes moyens, notamment humains, que Pages Jaunes pour procéder lui même à l'enrichissement de la base, Bottin estime que " seul le maintien de l'accès à la base de Pages Jaunes, mise à jour régulièrement, permettrait aux concurrents de maintenir un service concurrentiel, en l'absence d'une base fiable et complète ".
96. Les observations de Telegate France font état de ce que les engagements proposés par France Télécom établissent et valent reconnaissance implicite d'une pratique discriminatoire antérieure entre les informations contenues dans les listes transmises aux services de renseignements concurrents et celles utilisées par France Télécom, pratique dont elle souligne l'extrême gravité. Elle estime à ce sujet que les engagements pris par France Télécom " font clairement apparaître le préjudice subi (...) par les fournisseurs qui ont dû acquérir auprès de tiers des bases alternatives ".
97. Outre cette position de principe, Telegate France estime que France Télécom peut et doit également transmettre à l'ensemble des éditeurs de renseignements téléphoniques les informations qu'il détient sur ses abonnés ayant choisi de porter leur numéro chez un opérateur concurrent, ce afin de pallier les retards constatés dans la mise en place de l'annuaire universel.
C. DISCUSSION
98. Conformément aux dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 4 novembre 2004, le Conseil de la concurrence " peut accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles ".
1. Sur la procédure d'engagements
99. Au vu des observations qui lui ont été adressées, le Conseil estime nécessaire d'apporter certaines précisions relatives à la mise en œuvre de la procédure d'engagements, pour ce qui concerne la portée et les effets de la procédure.
100. Le Conseil rappelle notamment que l'évaluation préliminaire de concurrence sur laquelle se fonde la procédure ne saurait être confondue avec une qualification des pratiques telle que cette qualification peut être retenue dans une décision du Conseil, ni même avec la qualification proposée par les services d'instruction dans une notification de griefs. Dans ces conditions, l'acceptation par une entreprise d'entrer dans une procédure d'engagements afin de répondre à une préoccupation de concurrence exprimée par le Conseil n'est en rien assimilable à une reconnaissance de pratique anticoncurrentielle de la part de l'entreprise proposant des engagements. De même, la décision du Conseil conduisant, le cas échéant, à accepter ces engagements, ne peut être assimilée à une décision qualifiant une pratique au regard du titre III du Code de commerce.
2. Sur les engagements proposés par France Télécom
101. La société France Télécom s'engage à mettre à la disposition des éditeurs l'ensemble des champs qu'elle collecte auprès de ses abonnés, quand bien même ces champs ne lui auraient pas été demandés par les éditeurs et ne seraient pas tous utiles à la fourniture d'un service de renseignements téléphoniques.
102. Interrogés au cours de la séance, les représentants de l'ARCEP ont annoncé qu'à la suite de la séance du Conseil du 29 mars 2006, les discussions avec l'ensemble des opérateurs et des éditeurs dans le cadre du groupe de travail sur les services de renseignements s'étaient poursuivies et que la nécessité d'une évolution des obligations imposées aux opérateurs en application de l'article L. 34, par rapport aux lignes directrices de décembre 2004, était maintenant acquise. Les représentants de l'ARCEP ont estimé, en séance, que l'interface proposée par France Télécom correspond très largement à la décision relative à la mise en œuvre de l'annuaire universel que l'Arcep envisage de proposer en juillet 2006, même si certains champs, et notamment un champ supplémentaire relatif à la dénomination des abonnés professionnels, pourraient être ajoutés dans le cadre de la décision. Selon l'ARCEP, ces modifications pourraient être rendues obligatoires pour l'ensemble des opérateurs de réseaux, par voie réglementaire, vers la fin de l'année 2006 ou le début de l'année 2007. Enfin, l'ARCEP a souligné les progrès réalisés depuis six mois par les opérateurs tiers en ce qui concerne la disponibilité des listes L. 34 dans leur format actuel, les bases annuaires des 17 principaux opérateurs, représentant près de 99 % du marché, étant désormais disponibles.
103. Sur la question particulière des numéros portés soulevée par la société Le Numéro, les représentants de l'ARCEP ont affirmé que l'Autorité ne souhaitait pas modifier les règles édictées par ses lignes directrices auxquelles France Télécom se réfère, mais envisage au contraire de les rendre contraignantes par voie réglementaire.
104. Le Conseil constate que la communication de la liste dénommée " ART++ " par France Télécom à l'ensemble des éditeurs, et non plus seulement à la société Pages Jaunes et à la " Direction des Centres d'Appel ", est de nature à répondre aux préoccupations de concurrence exprimées lors de la séance du 29 mars 2006 et exposées aux paragraphes 55 à 66 ci-dessus. De ce fait, elle répond à certains des points soulevés par la société Le Numéro dans sa saisine. En particulier, la transmission du champ " SIRET " correspond bien à une demande de la saisissante. De même, il ressort des déclarations des représentants de l'ARCEP que les codes 39 " NIG " et 40 " NIGSEG " devraient permettre aux éditeurs de renseignements de disposer des informations relatives à l'usage des numéros qu'entend indiquer l'abonné (ex : " standard " ou " accueil " ou " urgences " pour un hôpital). Enfin, les codes 43 à 45 permettront de transmettre aux éditeurs les souhaits exprimés par les abonnés en ce qui concerne la localité, le département ou l'arrondissement pertinent pour la recherche de leurs coordonnées.
105. S'agissant de la dénomination sociale, France Télécom fait valoir qu'elle ne collecte pas, pour le moment, les informations permettant éventuellement à un abonné professionnel de préciser sa dénomination commerciale au-delà de la raison sociale figurant sur l'extrait Kbis du RCS et que la mise en œuvre de cette collecte aura un coût non négligeable, particulièrement en ce qui concerne la mise à niveau du stock, coût qu'elle ne souhaite pas engager de façon unilatérale et sans disposer de garanties quant à l'extension effective de cette obligation à l'ensemble des opérateurs.
106. S'agissant des numéros qui devraient figurer sur les listes L. 34 transmises par les opérateurs tiers, notamment au titre des recommandations de l'ARCEP sur la gestion de la portabilité entrante, le Conseil note, en premier lieu, que cette question n'entrait pas dans le champ des préoccupations de concurrence évoquée lors de la séance du 29 mars 2006 (cf. paragraphe 54). En second lieu, les informations complémentaires apportées depuis cette date par la société Le Numéro, s'agissant notamment des pratiques de l'opérateur Colt et confirmées en séance par cet opérateur entendu comme témoin par le Conseil, ne sont pas non plus de nature à justifier la mise en cause de la société France Télécom ou à rendre nécessaires les engagements demandés par les sociétés Le Numéro et Telegate dans leurs observations. En effet, même si l'opérateur Colt, très présent sur les marchés des professionnels principalement concernés par la saisine de la société Le Numéro, a, depuis le début de son entrée sur le marché et jusqu'en novembre 2005, délégué à la société Pages Jaunes la gestion de la parution dans les annuaires des coordonnées relatives à ses abonnés, sans garder la trace des imprimés remplis par ses abonnés puis transmis à Pages Jaunes, et éprouve, depuis que de nouvelles obligations lui ont été imposées par le décret n° 2005-606 du 27 mai 2005, de grandes difficultés à récupérer les informations correspondantes auprès de l'ensemble de ses abonnés, cette situation ne justifie pas, en l'absence d'un " intégrateur " d'annuaires, d'imposer à France Télécom de se substituer aux opérateurs tiers.
107. En conséquence, il y a lieu d'accepter les engagements de France Télécom, précisés pour spécifier le délai de leur mise en œuvre, car ils rétablissent l'égalité de traitement des éditeurs pour ce qui concerne l'accès aux informations contrôlées par France Télécom et constituent le socle commun, base de l'édition. C'est cette inégalité de traitement qui constituait la préoccupation principale du Conseil en l'espèce.
" 1° France Télécom s'engage à mettre la nouvelle interface qu'elle développe actuellement à la disposition de ses propres services, Pages Jaunes, Le Numéro et tous les autres éditeurs d'annuaires ou de renseignements universels, sur une base strictement non discriminatoire, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de la décision du Conseil de la concurrence acceptant les engagements de France Télécom. Cette nouvelle interface a vocation à se substituer aux anciennes interfaces une fois que les éditeurs seront en mesure de la traiter.
2° France Télécom s'engage également à présenter et communiquer cette interface à l'ARCEP, qui recevra copie des présents engagements, afin qu'elle s'assure, dans le cadre de ses compétences, de la compatibilité de cette interface avec le CPCE et les dispositions prises pour l'application de ce dernier. "
108. Pour répondre à la préoccupation exprimée par la société Le Numéro, France Télécom précise par ailleurs que les conditions financières de mise à disposition de son interface s'inscriront scrupuleusement dans le cadre fixé par le CPCE, ce dont le Conseil prend acte.
3. Sur les engagements proposés par Pages Jaunes
109. Le Conseil observe que les engagements proposés par Pages Jaunes ont d'ores et déjà été mis en œuvre par la société : elle n'a pas interrompu, au 30 avril dernier, l'accès à sa base ouvert à l'ensemble des éditeurs. Ce maintien de l'accès a permis de répondre, pour un temps, aux préoccupations de concurrence évoquées ci-dessus et a, en outre, permis d'éviter la baisse de la qualité du service fourni aux consommateurs que laissait craindre l'arrêt annoncé de l'accès à la base Pages Jaunes. Comme cela a été vu ci-dessus, les délais obtenus ont été mis à profit par l'ARCEP pour faire progresser le chantier de la mise en œuvre de l'annuaire universel (cf. paragraphe 102). L'ensemble des évolutions annoncées sont de nature à répondre à terme à la totalité des préoccupations de concurrence exprimées ci-dessus.
110. La décision de l'ARCEP ne pourra toutefois pas intervenir avant plusieurs mois en raison des délais liés à la mise en œuvre des procédures de consultation publique et d'homologation par le Ministre chargé des communications électroniques. La mise en œuvre de la décision par les opérateurs devrait également prendre quelque temps. Lors des débats, les représentants de l'ARCEP ont estimé raisonnable de prévoir une adoption formelle de la décision avant la fin de l'année 2006. Ils ont, par ailleurs, déclaré que la décision devrait accorder aux opérateurs un délai maximal de trois mois pour sa mise en œuvre.
111. Dans ces conditions, les préoccupations relatives à l'arrêt de l'accès des éditeurs aux ISPub précisant les dénominations sociales des abonnés professionnels resurgiront dès le 31 juillet prochain, date de l'arrêt de l'accès à la base Pages Jaunes. Le Conseil considère toutefois qu'une nouvelle prolongation de l'accès des éditeurs de renseignements téléphoniques à l'ensemble des données enrichies détenues par Pages Jaunes pourrait excéder ce qui serait nécessaire pour répondre à ses préoccupations. En effet, les nouveaux champs de la base L. 34 en cours de définition par l'ARCEP devraient être très proches de ceux de la base Pages Jaunes, de sorte que l'apport de cette base au socle commun des informations livrées aux éditeurs avant qu'ils ne développent leurs propres enrichissements devrait prendre fin lors de la mise en œuvre effective de la base L. 34 rénovée. De plus, la base Pages Jaunes contient déjà de tels enrichissements : comme cela a été exposé au paragraphe 80 ci-dessus, la mise à disposition de l'ensemble des éditeurs de cette partie de la base " enrichie " par Pages Jaunes prive cette dernière du bénéfice exclusif de ses efforts d'enrichissement et, de ce fait, restreint le périmètre de la concurrence que peuvent se livrer les éditeurs en s'appuyant sur la qualité de leur service. Une telle prolongation se ferait donc au détriment des éditeurs qui font les plus gros efforts d'investissement dans l'enrichissement de leur base et au bénéfice des éditeurs développant un comportement attentiste.
112. Quant à restreindre les informations livrées à l'ensemble des éditeurs aux seules dénominations commerciales contenues dans la base Pages Jaunes, la société a exposé en séance qu'une telle disposition serait nuisible au modèle économique qu'elle développe, car elle l'obligerait à retarder à nouveau la commercialisation des ISPub " A vos marques et enseignes " qu'elle propose aux professionnels pour son seul service 118 008. Elle a, en revanche, proposé, au cours des débats, de céder à partir du 1er août prochain ces mêmes inscriptions qu'elle commercialise pour l'identification des abonnés professionnels sur son service 118 008, et ce, jusqu'à l'entrée en vigueur de la décision de l'ARCEP précitée et au plus tard jusqu'au 31 mars 2007. Les données cédées seront mises à jour et complétées une fois par quinzaine.
113. Formellement, Pages Jaunes propose de prendre, en sus des engagements 1° à 4° détaillés dans ce qui précède, les deux engagements suivants :
" 5° Pages Jaunes s'engage à céder aux éditeurs de services de renseignements téléphoniques qui le souhaitent :
* au 31 juillet 2006, la totalité des inscriptions publicitaires relatives à la dénomination commerciale de ses clients annonceurs (dénommées " référencement à vos marques et enseignes ") qu'elle aura collectées à cette date au titre de l'offre publicitaire spécifique à son service de renseignements téléphoniques "118 008" ;
* puis, tous les quinze jours, soit le 15 et le 30 de chaque mois, les inscriptions publicitaires relatives à la dénomination commerciale qu'elle collectera à partir du 1er août 2006 au titre de l'offre publicitaire spécifique à son service de renseignements téléphoniques "118 008" et ce, jusqu'à l'entrée en vigueur de la décision que l'ARCEP a déclaré à l'audience qu'elle envisage d'adopter pour définir précisément les données que les opérateurs téléphoniques doivent faire figurer dans les listes qu' ils ont l'obligation de céder aux fournisseurs de services de renseignements téléphoniques en application de l'article L. 34 du Code des postes et communications électroniques et, en tout état de cause, jusqu'au 31 mars 2007 au plus tard si la décision de l'ARCEP n'est pas entrée en vigueur à cette date.
6° Pages Jaunes s'engage à respecter le principe de non discrimination dans le cadre de la fourniture de ces inscriptions publicitaires aux éditeurs de services de renseignements téléphoniques. En particulier, Pages Jaunes s'engage à ne plus utiliser pour son propre service de renseignements téléphoniques "118 008", à compter du 1er août 2006 et pendant toute la durée de l'engagement complémentaire n°1 ci-dessus [soit 5 ci-dessus], des inscriptions publicitaires qui n'auraient pas été collectées spécifiquement pour ce service. "
114. Au cours des débats, la société Pages Jaunes a estimé que les données concernées par l'engagement portaient à ce jour sur 25 000 professionnels environ, à comparer aux 110 000 à 120 000 professionnels ayant demandé à figurer dans l'annuaire sous une dénomination commerciale particulière. La société Pages Jaunes fait toutefois valoir qu'en l'espèce, son intérêt consistait à enrichir rapidement cette base avec des inscriptions nouvelles, ces dernières étant payantes. Elle anticipe donc une croissance significative du nombre de dénominations dans la base cédée à ses concurrents au cours des prochains mois. Elle a notamment expliqué en séance que le nombre, relativement faible à ce jour d'inscriptions publicitaires spécifiquement souscrites en vue d'une publication dans le cadre de son service 118 008, était en grande partie dû au peu d'attrait de son offre dans un contexte où l'ensemble des éditeurs de renseignements avaient jusqu'à présent accès à l'ensemble des inscriptions publicitaires.
115. La décision de la société Pages Jaunes d'adopter un modèle économique consistant à proposer à ses clients une offre spécifique d'inscriptions publicitaires pour son service 118 008 relève d'un choix d'opportunité qu'il n'appartient pas au Conseil de discuter, conformément au principe régissant la liberté du commerce et de l'industrie, dès lors que ce choix n'implique ni objet ni effet anticoncurrentiel. S'agissant du modèle économique choisi, le Conseil relève que la proposition de la société Pages Jaunes devrait en partie permettre la collecte des données annuaires opérateurs concernant le champ supplémentaire précisant la dénomination sociale, avant l'échéance du début de 2007, date où la collecte des informations de la nouvelle base L. 34 devrait devenir opérationnelle et résoudre complètement les difficultés rencontrées. Cependant, au moins au début de la période allant de l'échéance du 31 juillet 2006 à la date de la mise en œuvre effective de la collecte de la nouvelle base L. 34, elle conduira les éditeurs de services de renseignements, y compris le 118 008 de Pages Jaunes, à disposer d'un nombre plus restreint de données sur les dénominations commerciales des professionnels. Mais le Conseil relève que l'engagement respecte le principe de non discrimination dans l'accès des éditeurs de services de renseignements au socle des informations de base nécessaires à l'édition, ce qui constituait sa principale préoccupation de concurrence.
116. Au vu des éléments qui précèdent, le Conseil estime donc que les engagements proposés par Pages Jaunes satisfont les préoccupations de concurrence exprimées, et qu'il y a lieu de les accepter.
117. Le Conseil n'exige pas que les engagements fixent de façon précise le prix auquel les données en cause seront fournies. Il souligne cependant que l'engagement pris ne sera effectif que si le prix fixé par Pages Jaunes est raisonnable. Il prend acte des déclarations de la sociétés Pages Jaunes faites en séance selon lesquelles les données devraient être cédées à un tarif de l'ordre de 1 euro HT par inscription.
Décision
Article 1er : Le Conseil accepte les deux engagements présentés par la société France Télécom tels qu'ils sont exposés aux paragraphes 87, 88 et 107 de la présente décision. Ces engagements font partie intégrante de cette décision et sont rendus obligatoires dès sa notification.
Article 2 : Le Conseil accepte les six engagements présentés par les sociétés Pages Jaunes groupe et Pages Jaunes SA, tels qu'ils sont exposés aux paragraphes 89 et 113 de la présente décision. Ces engagements font partie intégrante de cette décision et sont rendus obligatoires dès sa notification.
Article 3 : Le Conseil prend acte de ce que France Télécom, dans son courrier relatif à ses engagements modifiés, déclare que " Pour la fixation du tarif de cette interface ART++, France Télécom continuera de respecter scrupuleusement les obligations réglementaires résultant du CPCE et les principes dégagés par l'ARCEP dans sa décision n° 06-0510 en date du 18 mai 2006 se prononçant sur un différend opposant les sociétés Telegate France et Orange France. "
Article 4 : Le Conseil prend également acte du fait que la société Pages Jaunes a déclaré qu'elle entendait facturer le service fourni en application de l'engagement n° 5 à un prix de l'ordre de 1 euro HT par inscription cédée.
Article 5 : Il est mis fin à la procédure enregistrée sous les numéros 06/0002 F et 06/0003 M.