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Décisions

CJCE, gr. ch., 11 juillet 2006, n° C-205/03 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Federación Española de Empresas de Tecnología Sanitaria (FENIN)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, Royaume d'Espagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Jann, Timmermans, Rosas

Avocat général :

M. Poiares Maduro

Juges :

MM. Puissochet, Schintgen, von Bahr, Klucka, Lõhmus, Levits, Mme Colneric

Avocats :

Mes García-Gallardo Gil-Fournier, Domínguez Pérez, Rivas de Andrés, Gutiérrez Gisbert

CJCE n° C-205/03 P

11 juillet 2006

LA COUR (grande chambre),

1 Par son pourvoi, la Federación Española de Empresas de Tecnología Sanitaria (ci-après "FENIN") demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 4 mars 2003, FENIN/Commission (T-319-99, Rec. p. II-357, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision de la Commission, du 26 août 1999, portant rejet de la plainte qu'elle avait déposée contre 26 entités publiques, dont trois ministères, qui assurent la gestion du système national de santé (Sistema Nacional de Salud, ci-après le "SNS") au motif que de telles entités (ci-après les "entités gestionnaires du SNS") ne sont pas des entreprises aux fins de l'application de l'article 82 CE (ci-après la "décision litigieuse").

Les faits à l'origine du litige

2 Les faits, tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.

3 FENIN est une association qui regroupe la majorité des entreprises commercialisant du matériel sanitaire, en particulier des instruments médicaux, utilisés en milieu hospitalier en Espagne. Les membres de cette association vendent ce matériel notamment aux entités gestionnaires du SNS. Les ventes de matériel sanitaire à ces dernières représentent plus de 80 % du chiffre d'affaires des entreprises membres de FENIN.

4 Au mois de décembre 1997, FENIN a saisi la Commission des Communautés européennes d'une plainte dénonçant les retards systématiques de paiement par les entités gestionnaires du SNS qui constituent, selon elle, un abus de position dominante au sens de l'article 82 CE. Elle a déclaré que ces entités réglaient leurs dettes envers ses membres avec un retard moyen de 300 jours, alors qu'elles acquittaient leurs dettes envers d'autres prestataires de services dans des délais beaucoup plus raisonnables. Cette discrimination s'expliquerait par le fait que les membres de FENIN ne peuvent pas exercer de pression commerciale sur ces entités, car celles-ci détiennent une position dominante sur le marché espagnol du matériel sanitaire.

5 Par la décision litigieuse, la Commission a rejeté ladite plainte au motif que, d'une part, les entités gestionnaires du SNS n'agissent pas en tant qu'entreprises lorsqu'elles participent à la gestion du service de santé publique et que, d'autre part, leur qualité d'acheteurs ne peut être dissociée de l'usage qui est fait du matériel sanitaire postérieurement à l'achat de celui-ci. Par conséquent, selon la Commission, ces entités n'agissent pas en tant qu'entreprises, au sens du droit communautaire de la concurrence, lorsqu'elles achètent du matériel sanitaire et les articles 81 CE ainsi que 82 CE ne leur sont pas applicables.

Le recours devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 novembre 1999, FENIN a introduit un recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse.

7 À l'appui de son recours, FENIN a soulevé trois moyens relatifs, premièrement, à une violation des droits de la défense par la Commission, deuxièmement, à une erreur de droit ou à une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des articles 82 CE et 86 CE ainsi que, troisièmement, à un défaut de motivation et à un manque de transparence de la décision litigieuse.

8 Le Tribunal a tout d'abord rejeté le deuxième moyen, relatif à l'application des articles 82 CE et 86 CE, en jugeant, au point 40 de l'arrêt attaqué, que les entités gestionnaires du SNS n'agissent pas en tant qu'entreprises lorsqu'elles achètent le matériel sanitaire vendu par les membres de FENIN aux fins d'offrir des services de santé gratuits aux affiliés du SNS. Le Tribunal a considéré que cette conclusion découle de la situation présentée au point 39 dudit arrêt, selon laquelle le SNS fonctionne conformément au principe de solidarité dans son mode de financement par des cotisations sociales et d'autres contributions étatiques ainsi que dans sa prestation gratuite de services auxdits affiliés sur la base d'une couverture universelle et les entités gestionnaires du SNS n'agissent donc pas en tant qu'entreprises dans leur activité de gestion du système de santé.

9 Le Tribunal a précisé, aux points 41 à 44 de l'arrêt attaqué, que l'argument selon lequel les hôpitaux publics espagnols relevant du SNS offrent, à tout le moins ponctuellement, des services payants à des personnes non affiliées et, notamment, aux touristes étrangers n'avait pas été présenté devant la Commission et n'a été mentionné devant lui pour la première fois qu'au stade de la réplique. Il a jugé, par conséquent, que cet argument ne pouvait pas être pris en considération aux fins de contrôler la légalité de la décision litigieuse.

10 Ensuite, quant au premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense, le Tribunal l'a rejeté après avoir constaté, aux points 49 et 50 de l'arrêt attaqué, que la Commission était fondée à rejeter la plainte dont elle était saisie au motif que les entités gestionnaires du SNS n'agissent pas en tant qu'entreprises au sens de l'article 82 CE. Le Tribunal a jugé que, dès lors, il était inutile pour la Commission d'examiner les autres aspects de la plainte.

11 Enfin, s'agissant du troisième moyen, tiré d'un défaut de motivation et d'un manque de transparence de la décision litigieuse, il ressort des points 58 et 59 de l'arrêt attaqué que, selon le Tribunal, la Commission a exposé les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de cette décision. Après avoir rappelé que la Commission n'était pas obligée de prendre position sur tous les arguments invoqués au soutien de la plainte, le Tribunal a conclu que ladite décision n'était pas entachée d'un défaut de motivation. En ce qui concerne un prétendu manque de transparence de celle-ci, le Tribunal a jugé, au point 63 dudit arrêt, que la Commission a respecté la seule obligation qui lui incombait en l'espèce, à savoir permettre à FENIN de présenter ses observations par écrit en réponse à la prise de position initiale de la Commission.

12 Les trois moyens invoqués par FENIN à l'appui de son recours ayant été ainsi écartés, celui-ci a donc été rejeté dans son ensemble par le Tribunal.

Le pourvoi

Les conclusions des parties et le moyen d'annulation

13 FENIN demande à la Cour:

- d'annuler l'arrêt attaqué et

- de condamner la Commission aux dépens tant de la présente procédure que de celle devant le Tribunal.

14 La Commission demande à la Cour:

- de déclarer le pourvoi en partie irrecevable;

- de rejeter le pourvoi pour le surplus et

- de condamner FENIN aux dépens.

15 Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi que le Royaume d'Espagne, qui ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission par ordonnance du président de la Cour du 17 octobre 2003, concluent au rejet du pourvoi, comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé, ainsi qu'à la condamnation de FENIN aux dépens.

16 FENIN invoque un seul moyen au soutien de son pourvoi, tiré d'une méconnaissance par le Tribunal de la notion d'"entreprise" au sens des règles du traité CE relatives à la concurrence. Ce moyen comporte deux branches.

17 Par la première branche, FENIN soutient que le Tribunal a omis, à tort, de considérer que l'activité d'achat est une activité économique en soi, qui peut être dissociée du service fourni postérieurement à celle-ci, et que, dès lors, les entités gestionnaires du SNS doivent être soumises auxdites règles de concurrence.

18 Par la seconde branche de son moyen, qui est invoquée à titre subsidiaire, FENIN soutient que le Tribunal aurait dû considérer que l'activité d'achat est de nature économique et, partant, qu'elle est soumise aux règles de concurrence, au motif que l'activité ultérieure, à savoir la prestation de soins médicaux, possède elle-même cette nature.

Sur le pourvoi

Sur la recevabilité

19 La Commission soulève une exception d'irrecevabilité qui ne vise que la seconde branche du moyen invoqué par FENIN.

20 La Commission fait valoir, tout d'abord, le caractère tardif de l'allégation sur laquelle repose la seconde branche du moyen, qui aurait été présentée pour la première fois au stade du pourvoi. Ensuite, elle soutient que FENIN a toujours admis que les activités des entités gestionnaires du SNS sont de nature purement sociale. Enfin, la Commission estime que cette seconde branche soulève une question d'appréciation des faits qui ne saurait être débattue devant la Cour dans le cadre de l'examen d'un pourvoi.

21 Il y a lieu de constater que, comme l'a souligné à juste titre la Commission, le caractère économique de l'activité de prestations de soins de santé des entités gestionnaires du SNS de même que le lien entre l'achat de matériel et son utilisation ultérieure ainsi que les conséquences qui en découlent sur la nature de cette activité d'achat, ont été invoqués par FENIN pour la première fois au stade du pourvoi.

22 Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter comme irrecevable la seconde branche de l'unique moyen invoqué par FENIN.

Sur le fond

- Argumentation des parties

23 Au soutien de la première branche de son moyen, FENIN fait valoir que le Tribunal a adopté une définition trop étroite de la notion d'activité économique en considérant que celle-ci consiste nécessairement dans l'offre de produits ou de services sur un marché donné et en excluant de cette définition toute activité d'achat. Selon elle, l'approche du Tribunal permettrait à de nombreuses entités de se soustraire aux règles du traité en matière de concurrence alors même que celle-ci serait affectée par le comportement de telles entités.

24 La Commission soutient que c'est bien l'action d'offrir des produits ou des services sur un marché donné qui caractérise la notion d'activité économique et non pas l'activité d'achat en tant que telle. Il n'y aurait pas lieu, par conséquent, de dissocier l'opération d'achat de l'usage auquel le bien acheté est destiné.

- Appréciation de la Cour

25 Le Tribunal a rappelé à bon droit, au point 35 de l'arrêt attaqué, que la notion d'"entreprise" comprend, dans le contexte du droit communautaire de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41-90, Rec. p. I-1979, point 21, et du 16 mars 2004, AOK-Bundesverband e.a., C-264-01, C-306-01, C-354-01 et C-355-01, Rec. p. I-2493, point 46). Conformément à la jurisprudence de la Cour, il a également souligné, au point 36 dudit arrêt, que c'est le fait d'offrir des biens ou des services sur un marché donné qui caractérise la notion d'activité économique (arrêt du 18 juin 1998, Commission/Italie, C-35-96, Rec. p. I-3851, point 36).

26 Le Tribunal en a inféré à bon droit, au point 36 de l'arrêt attaqué, qu'il n'y a pas lieu de dissocier l'activité d'achat du produit de l'utilisation ultérieure qui en est faite aux fins d'apprécier la nature de cette activité d'achat et que le caractère économique ou non de l'utilisation ultérieure du produit acheté détermine nécessairement le caractère de l'activité d'achat.

27 Il s'ensuit que doit être rejetée comme non fondée la première branche de l'unique moyen invoqué par FENIN au soutien de son pourvoi, selon laquelle l'activité d'achat des entités gestionnaires du SNS est une activité économique en soi, dissociable du service fourni postérieurement à celle-ci, et qui, en tant que telle, aurait dû être examinée séparément par le Tribunal.

28 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

Sur les dépens

29 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de FENIN et cette dernière ayant succombé en son moyen, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance. En vertu du paragraphe 4, premier alinéa, dudit article 69, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Federación Española de Empresas de Tecnología Sanitaria (FENIN) est condamnée aux dépens de la présente instance.

3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi que le Royaume d'Espagne supportent leurs propres dépens.