Cass. com., 4 juillet 2006, n° 03-11.759
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Alain Afflelou (SA)
Défendeur :
Visual (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Collomp
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Thomas-Raquin, Bénabent, Me Spinosi
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt critiqué (Paris, 7 février 2003), que dans le courant de l'année 2003, la société Visual, qui exploite en France un réseau de magasins d'optique médicale, a fait diffuser sur diverses chaînes de télévision, un film publicitaire destiné à vanter les mérites de sa marque et de ses produits et qui, notamment, comportait le message suivant "quand on vous offre une seconde paire de lunettes, êtes-vous toujours sûr de la qualité des verres ?"; qu'estimant que pour elle qui, dans le même secteur d'activité, avait développé un concept de vente intitulé "tchin tchin Afflelou" consistant précisément à offrir à tout acquéreur d'un équipement, un second équipement pour un euro de plus, cette campagne publicitaire et ses images qu'elle jugeait dévalorisantes étaient constitutives de dénigrement, la société Alain Afflelou franchiseur a saisi le juge des référés pour qu'il constate l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser ;
Attendu que la société Alain Afflelou franchiseur fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu à référé, alors, selon le moyen 1°) qu'est fautif l'acte de dénigrement commis à l'encontre d'un concurrent isolé, mais également d'une catégorie déterminée de concurrents, dès lors que ceux-ci sont aisément identifiables, comme appartenant à cette catégorie ; qu'en retenant, en l'espèce, que la publicité litigieuse ne constituait pas un acte de dénigrement fautif à son encontre dès lors que, si elle visait la pratique commerciale de l'offre de deux paires de lunettes au prix d'une, elle n'incriminait pas une entreprise plus qu'une autre et ne l'identifiait pas de façon certaine, alors qu'elle n'avait pas l'exclusivité de cette pratique, n'était pas à son origine et ne jouissait pas d'une notoriété particulière en ce domaine, sans nier qu'elle appartenait néanmoins incontestablement à la catégorie des professionnels pratiquant le procédé de vente visé dans la publicité, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'est constitutif d'un acte de dénigrement tout agissement tendant à jeter le discrédit sur un concurrent ou sur les produits qu'il fabrique ; que tel est notamment le cas d'un message publicitaire ayant pour objet d'insinuer un doute dans l'esprit de la clientèle sur la qualité des produits d'un concurrent ; qu'en décidant cependant que la pratique litigieuse était dépourvue de caractère dénigrant au motif inopérant que le "message diffusé l'est sous la forme interrogative et comporte, par l'usage du mot toujours des réserves quant à la pratique incriminée", formulation qui n'est aucunement de nature à écarter le doute que le message insinue dans l'esprit de la clientèle, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) que s'il est exact que le caractère outrancier et caricatural d'une publicité peut lui ôter son effet dénigrant, c'est à la condition que le message ne puisse induire en erreur ses destinataires ; qu'en retenant que le caractère outrancier et caricatural des images de la publicité de la société Visual impose nécessairement une lecture au second degré, sans se référer à la perception que peut en avoir leur destinataire, c'est à dire le consommateur d'attention moyenne, et sans constater que celui-ci ne pouvait être induit en erreur par le message litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'est fautif tout acte de dénigrement sans qu'importe l'absence d'intention de nuire de son auteur ; qu'en retenant en l'espèce que le caractère outrancier et caricatural du film litigieux était de nature "à faire disparaître l'intention malveillante" bien que l'absence d'une telle intention soit impropre à exonérer l'auteur de la pratique incriminée, la cour d'appel a derechef violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le film litigieux se bornait à interroger le consommateur sur la pratique commerciale consistant à offrir deux paires de lunettes pour le prix d'une sans incriminer une entreprise plutôt qu'une autre ni viser expressément la société Alain Afflelou franchiseur laquelle, contrairement à ce qu'elle prétendait, n'était pas à l'origine de ce concept de vente, n'en avait pas l'exclusivité, la presque totalité des entreprises d'optique médicale présentant des offres du même type et n'établissait pas non plus avoir une notoriété particulière dans ce domaine ; qu'ayant ainsi fait ressortir qu'il n'était ni manifeste ni évident que la publicité critiquée, qui visait les professionnels du secteur de l'optique médicale envisagés collectivement, ait été de nature à permettre à la clientèle d'identifier la société Alain Afflelou franchiseur comme étant personnellement concernée par le message litigieux, la cour d'appel, qui n'a pas violé le texte visé par la première branche du moyen, a exactement décidé qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé ;
Et attendu que l'arrêt étant justifié par ce seul motif, les deuxième, troisième et quatrième branches, qui critiquent des motifs surabondants, sont inopérantes; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
Par ces motifs: Rejette le pourvoi.