Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.075
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Cap (Sté)
Défendeur :
Papeteries d'Espaly (Sté), SME (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Beaudonnet
Avocat général :
M. Casorla
Avocats :
SCP Vier, Bathélemy, Matuchansky, SCP Vuitton, Me Cossa
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Montpellier, 30 mai 2005), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, le 24 septembre 2003, pourvoi n° 02-10.288), que la société Cap fabrique et vend des emballages en carton pour l'emballage des fruits et légumes ; qu'elle s'approvisionnait en plaques en carton pour façonnage auprès de la société Papeteries d'Espaly (Espaly) ; qu'estimant avoir été victime, à la suite de son refus d'accepter de nouvelles conditions d'approvisionnement proposées par son fournisseur, de pratiques anticoncurrentielles imputables à la société Espaly et à sa société "soeur", la société SME, et de fautes commises par ces deux sociétés, la société Cap les a assignées en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen : Attendu que la société Cap fait grief à l'arrêt d'avoir écarté des débats les pièces nouvelles énumérées dans le bordereau annexé aux conclusions qu'elle avait déposées le 25 mars 2005, alors, selon le moyen : 1°) que sont recevables les pièces communiquées le jour de l'ordonnance de clôture, dès lors qu'elles l'ont été avant cette ordonnance; qu'en énonçant, pour écarter des débats les pièces communiquées par la société Cap le jour de l'ordonnance de clôture, que cette société ne démontrait pas qu'une communication, antérieure au jour de la clôture ait été tentée, la cour d'appel a violé les articles 135 et 783 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) qu'en se bornant à relever, pour écarter des débats les pièces communiquées par la société Cap le jour de l'ordonnance de clôture, que les intimées n'ont pas été en mesure de discuter utilement du caractère probant et de la portée de ces pièces, sans préciser les circonstances particulières qui auraient empêché les intimées de discuter les pièces ainsi communiquées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 15, 16, 135 et 783 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que, en écartant des débats les pièces communiquées par la société Cap le jour de l'ordonnance de clôture sans rechercher si ces documents appelaient une réponse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 15, 16, 135 et 783 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte des constatations souveraines de l'arrêt que les pièces n'avaient pas été communiquées en temps utile au sens des articles 15 et 135 du nouveau Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : Attendu que la société Cap fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'abus par les sociétés Espaly et SME de son état de dépendance économique et de leur position dominante, alors, selon le moyen : 1°) que la société Cap avait clairement défini dans ses conclusions le marché en cause comme étant celui de l'emballage en carton de fruits et légumes, marqué au nom du client, en Provence ; qu'en énonçant "que pour démontrer que la société Espaly a usé d'une position dominante et d'un abus de dépendance économique pour tenter d'imposer le protocole, la société Cap se prévaut, exclusivement, de l'origine de ses approvisionnements en emballages qui proviendraient selon elle à 91 % de la société Espaly, d'une assignation en référé délivrée par cette société le 17 août 1992 contenant l'affirmation qu'elle dominait 80 % du marché de l'emballage du sud-est, de l'importance des chiffres d'affaires réalisés en Europe et dans le monde par la maison mère de la société Espaly, et de l'impossibilité de faire fabriquer par d'autres fournisseurs dans des délais suffisamment brefs des plaques de carton au nom des clients", et "que la seule affirmation de la société Espaly et l'importance quantitative des chiffres d'affaires réalisés, soit par elle-même, soit par sa société mère, ne valent pas définition du marché pertinent de référence seul à prendre en considération pour la caractérisation de la position dominante et de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986", pour débouter la société Cap de ses demandes, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) qu'en déduisant de l'augmentation du chiffre d'affaires de la société Cap, postérieurement à la cessation de ses relations avec la société Espaly, l'existence de solutions de substitution, sans répondre aux conclusions de la société Cap qui soutenait que si son chiffre d'affaires avait augmenté au cours de l'exercice durant lequel est intervenue la rupture des relations commerciales, le véritable préjudice s'était produit lors de l'exercice suivant qui avait enregistré une nette baisse de chiffre d'affaires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) qu'en se bornant à énoncer que "la société Cap a pris elle-même en charge après la rupture la fabrication ou l'impression des caftons qui antérieurement incombait à la société Espaly" pour en déduire l'existence sur le marché pertinent de solutions de substitution, sans répondre aux conclusions de la société Cap faisant valoir que les investissements qu'elle avait dû réaliser avaient entraîné une forte hausse des charges et soulignant que, selon l'expert, le chiffre d'affaires ne s'était pas développé proportionnellement aux investissements réalisés, et que, malgré ceux-ci le résultat de la société avait été en baisse, ce qui excluait qu'il puisse s'agir d'une solution de substitution, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé, sans dénaturer les termes du litige, que la société Cap ne justifiait pas la définition du marché à prendre en considération pour caractériser la position dominante de la société Espaly qu'elle invoquait, l'arrêt constate que, postérieurement à la cessation des relations commerciales avec la société Espaly, le chiffre d'affaires de la société Cap a progressé de plus de 43 % et qu'il n'est établi ni que cette société ait elle-même pris en charge la fabrication ou l'impression des cartons antérieurement assurées par la société Espaly, ni que les emballages vendus par la société Cap après la rupture soient différents de ceux vendus auparavant ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la société Cap disposait de solutions de substitution pour s'approvisionner en plaques de cartons imprimées, ce dont il résulte que l'état de dépendance économique invoqué par cette société n'était pas établi, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée par la deuxième branche et qui, contrairement à ce que soutient la troisième branche, n'a pas retenu que la société Cap avait elle-même pris en charge la fabrication ou l'impression des cartons, a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision ; qu'il suit de là que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : Attendu que la société Cap fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action en responsabilité dirigée contre les sociétés Espaly et SME, alors, selon le moyen : 1°) qu'ayant constaté que, du fait de l'allongement de ses délais de livraison par la société Espaly, plusieurs clients de la société Cap s'étaient approvisionnés auprès de concurrents, ce qui a nécessairement entraîné la perte des commandes correspondant à ces approvisionnements, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article 1147 du Code civil en énonçant, pour débouter la société Cap de sa demande d'indemnisation qu'il ne peut "être retenu que les retards déploré ont entraîné pour la société Cap un préjudice certain" ; 2°) que, pour étayer son constat d'une diversification par les clients de la société Cap de leurs sources d'approvisionnements, l'expert s'appuyait sur des courriers et des déclarations de ces clients ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter ce constat, qu'il s'agissait de la part de l'expert d'une "affirmation non vérifiée sur le plan comptable ou statistique", sans dire pourquoi de telles vérifications auraient été nécessaires, ni pourquoi les constatations de l'expert fondées sur des courriers et des déclarations qu'il a recueillies ne valaient pas preuve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1315 du Code civil ; 3°) qu'en énonçant que la constatation de l'expert d'une diversification par les clients de la société Cap de leurs sources d'approvisionnement était "a priori contredite par la progression du chiffre d'affaires", sans répondre aux conclusions de la société Cap qui soutenait que si son chiffre d'affaires avait augmenté au cours de l'exercice pendant lequel est intervenue la rupture des relations commerciales, le véritable préjudice s'était produit lors de l'exercice suivant qui avait enregistré une nette baisse de chiffre d'affaires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 4°) que la société Espaly ayant expressément reconnu dans ses conclusions d'appel que le retard dans la livraison du client Ferrier était fautif et préjudiciable à la société Cap, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile en énonçant, pour débouter la société Cap de sa demande d'indemnisation, que le caractère fautif du retard ne pouvait être affirmé ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une appréciation souveraine de la valeur probante des éléments de preuve qui lui était soumis que l'arrêt retient qu'il n'est pas établi qu'à la suite de l'augmentation des délais de livraison de la société Espaly, la société Cap a perdu des clients, ni même que l'un des clients de cette société a réduit ses commandes et que l'affirmation contenue dans le rapport d'expertise selon laquelle ces clients auraient diversifié leurs sources d'approvisionnement n'est pas suffisamment étayée ;que la cour d'appel, qui a pu déduire de ces constatations que les retards déplorés n'ont pas entraîné un préjudice certain pour la société Cap, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que c'est sans dénaturer les conclusions de la société Espaly que la cour d'appel a souverainement estimé que le caractère fautif du retard dans la livraison du client Ferrier n'était pas établi; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen : Attendu que la société Cap fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que la société Espaly n'ayant pas soutenu que l'escompte de 2 % dont elle avait assorti sa décision de ramener à 30 jours le délai de paiement habituellement accordé à la société Cap était susceptible d'en compenser les effets négatifs, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office en violation des articles 4 et 16 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que le fait, habituel dans les relations des parties, que la société Cap était payée par ses clients avant qu'elle même ait payé la société Espaly, n'autorisait pas celle-ci à modifier brutalement et sans préavis les conditions de paiement ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, statuant sur la demande de la société Cap tendant à faire juger fautive la modification brutale des conditions de paiement imposée par la société Espaly et sur les éléments de fait qui étaient dans le débat, ayant souverainement retenu que le caractère fautif de la réduction sans préavis des délais de paiement accordés à la société Cap n'était pas démontré dès lors que l'escompte accordé dans le même temps était susceptible de compenser les effets négatifs de cette réduction des délais, le moyen mal fondé en sa première branche, manque en fait en sa seconde branche ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.