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Décisions

Cass. crim., 28 juin 2006, n° 04-85.605

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Thin

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié

TGI Lyon, JLD, du 14 juin 2004

14 juin 2004

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lyon, en date du 14 juin 2004, qui a autorisé l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et L. 450-6 du Code de commerce ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé le directeur régional de la concurrence à procéder ou à faire procéder, notamment dans les locaux de la société X, à des opérations de visite et de saisie de tous les documents nécessaires, à apporter la preuve que les pratiques relevées dans le secteur des fournitures, travaux et installations d'équipement hydraulique de production d'eau potable dans la région Rhône-Alpes entre dans le champ de celles prohibées par les points 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

"aux motifs que la demande d'enquête du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, en date du 30 avril 2004, est relative aux pratiques relevées dans le secteur des fournitures, travaux et installations d'équipement hydraulique de production d'eau potable dans la région Rhône-Alpes, notamment lors du marché d'équipement de télétransmission des ouvrages de production d'eau potable de la ville de Bourg-en-Bresse ; que par requête, Gérard Y demande, en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, l'autorisation de pratiquer des opérations de visite et de saisie dans les locaux de plusieurs entreprises dont X ; que cette requête est présentée à l'occasion de l'enquête précitée demandée par le ministre de l'Economie aux fins d'établir si lesdites entreprises se livrent à des pratiques prohibées par l'article L. 420-1, 20 et 40 du Code de commerce ;

"alors que l'exercice d'un droit de visite ne peut être autorisé que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'Economie ou le Conseil de la concurrence ; que l'ordonnance attaquée se réfère à une demande du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie dans le secteur des fournitures, travaux et installations d'équipement hydraulique de production d'eau potable dans la région Rhône-alpes ; qu'en autorisant l'exercice d'un droit de visite sur la base d'une demande d'enquête dont l'objet était ainsi indéterminé quant aux faits ou pratiques faisant l'objet de cette enquête, et qui abandonnait à la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes le soin de déterminer les pratiques qui feraient l'objet de l'enquête, le juge des libertés et de la détention a méconnu les articles L. 450-4 et L. 450-6 du Code de commerce" ; Attendu que l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce, exigeant seulement que les demandes de visites domiciliaires soient présentées dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'Economie ou le Conseil de la concurrence, l'ordonnance attaquée, qui vise une telle demande d'enquête et autorise les investigations nécessaires pour apporter la preuve de pratiques anticoncurrentielles relatives au secteur des fournitures, travaux et installations d'équipements hydrauliques de production d'eau potable dans la région Rhône-Alpes, notamment, lors du marché d'équipements de télétransmission des ouvrages de production d'eau potable de la ville de Bourg-en-Bresse, après les avoir décrites et analysées, répond aux exigences du texte précité ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 420-1, L. 450-4 du Code de commerce et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; "en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé le directeur régional de la concurrence à procéder ou à faire procéder, notamment dans les locaux de la société X, à des opérations de visite et de saisie de tous les documents nécessaires, à apporter la preuve que les pratiques relevées dans le secteur des fournitures, travaux et installations d'équipement hydraulique de production d'eau potable dans la région Rhône-Alpes entre dans le champ de celle prohibée par les points 2 et 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; "aux motifs que la ville de Bourg-en-Bresse a lancé un appel d'offres restreint intitulé "Equipement de télétransmission des ouvrages d'eau potable" ; que cette consultation concernait l'installation d'un équipement hydraulique (lot n° 1) et la mise en place d'un équipement d'automatisme et de télégestion (lot n° 2) ; qu'il y a lieu de s'intéresser au seul lot n° 1 qui a été relancé après avoir été déclaré infructueux ; que la première mise en compétition a fait l'objet d'un appel d'offres restreint ; que la liste des candidats retenus comprenait cinq entreprises (Forclum, Spie Trindel, Petavit, X, Routes et Eaux) ; que le rapport d'analyse des offres présenté par le bureau d'études Dogreah Etudes et Projets fait état d'écarts substantiels entre les offres des candidats et l'estimation du maître d'ouvrage ; que la commission d'appel d'offres a déclaré l'appel d'offres pour le lot n° 1 infructueux et relancé la compétition par voie d'appel d'offres ouvert ; (...) que le 12 septembre 2003, la commission d'appel d'offres réunie pour l'ouverture des soumissions des entreprises pour le lot n° 1 enregistre quatre offres de prix Ineo, groupement d'entreprises Petavit + GCSE, Xet Amec Spie (ex Spie Trindel) ; que le 19 septembre 2003, la commission d'appel d'offres prend connaissance du rapport d'analyse des offres présenté par le bureau d'études Sogreah Etudes et Projets ; qu'elle attribue le marché au groupement momentané d'entreprises Petavit + GCSE pour un montant de 367 031 euro HT; que cette offre est inférieure à la nouvelle estimation de 2,5 % (9 180 euro) ; que Ineo est une entreprise qui a soumissionné pour les deux consultations ; que sa candidature n'avait pas été admise au stade de l'agrément pour absence de références professionnelles en équipements hydrauliques lors de l'appel d'offres restreint ; que pour la seconde consultation, l'analyse de son offre concluait que le mémoire technique était très succinct et ne précisait pas l'origine du matériel ; qu'en conséquence, Ineo ne pouvait pas être une entreprise concurrentielle en rapport avec l'objet du marché; que sa présence sur ce marché s'explique probablement par la systématisation de sa candidature y compris dans des domaines où elle ne dispose pas de références professionnelles ; (...) que s'il est possible que Petavit et Amec Spie (ex Spie Trindel) répondent de façon autonome dans certaines conditions (voir infra décision n° 92-D-22 du Conseil de la concurrence), l'analyse des prix unitaires des offres des deux entreprises montre une même approche financière des travaux à réaliser ; que, d'une part, les prix unitaires des deux offres s'écartent de façon identique des prix unitaires de l'estimation et que, d'autre part, les prix unitaires de l'offre de Spie Trindel sont toujours supérieurs aux prix unitaires de l'offre de Petavit dans une fourchette comprise entre 10 et 30 % ; que ce parallélisme dans les études suppose une approche commune des contraintes techniques du marché ; que X est une société par actions simplifiées spécialisée dans les travaux d'installation électrique ; que la société a son siège situé au 482 de la rue des Mercières à Rillieux-la-Pape dans le Rhône ; que X a remis une offre dont les prix unitaires s'écartent de la même façon des prix unitaires de l'estimation que ceux des offres de Petavit et Spie Trindel ; que les offres de Petavit, Spie Trindel et X présentent une approche financière du chantier très voisine ; que les prix unitaires des trois offres s'écartent des prix unitaires de l'estimation avec des amplitudes parallèles, signifiant en ce sens que les contraintes financières sont appréhendées de la même manière par les trois entreprises; que les prestations décrites dans le cahier des charges prévoyaient de réparer une vanne de survitesse existante; que les trois offres lors de la première consultation n'ont pas chiffré un coût de réparation mais ont toutes chiffré son remplacement; qu'il y a lieu de conclure à un comportement identique de la part des trois entreprises, tant pour l'absence de chiffrage d'un poste exigé que pour la solution en variante proposée ; que l'entreprise Petavit (...) est la seule entreprise à avoir proposé une réponse au troisième critère de choix du règlement de la consultation relatif au service après vente; que ce critère ne pouvait être ignoré par des entreprises intéressées par le marché et habituées à soumissionner lors des procédures d'appel d'offres; que ce constat vient renforcer le fait que X et Spie Trindel (puis Amec Spie) n'étaient pas intéressées par ce marché; que pour le second appel d'offres, les intitulés des postes et les besoins quantitatifs sont restée les mêmes pour le maître d'ouvrage; que l'entreprise X minore de 8,8 % chacun des 43 prix unitaires du détail estimatif pour sa nouvelle offre; que l'entreprise Amec Spie minore son offre globale de 7,8 % dans une fourchette comprise entre -5,2 % et -11,3 %; que l'entreprise Petavit minore les postes autres que ceux du génie civil de 8,7 % ; que l'entreprise Petavit, groupée avec GCSE minore les travaux de génie civil de 25 %; que dans les trois cas, les entreprises X, Amec Spie et Petavît ont appliqué un pourcentage de minoration voisin par rapport à leur premier détail estimatif à l'exception des postes génie civil du groupement Petavit-GSCE; que cette minoration concerne des postes incluant des fournitures et des prestations d'installation ; (...) qu'il existe un faisceau d'indices graves précis et concordants tendant à démontrer que seule l'entreprise Petavit a réalisé une étude pour le lot n° 1 du marché relatif à la fourniture et à la réalisation de travaux d'équipements hydrauliques et de comptage sur les ouvrages de production d'eau potable; que l'entreprise Petavit a communiqué son étude aux entreprises Amec Spie (ex Spie Trindel) et GTIE afin que celles-ci répondent par une offre dite de couverture sans que ces dernières n raient à financer leur propre étude; que lors de la seconde consultation, les entreprises X et Amec Spie ont procédé à une réduction sensiblement équivalente du montant global de leur offre, agissant de ce fait de façon équivalente; (...) qu'au vu de ce marché, il peut être constaté une situation de concurrence déficiente, dans les deux consultations successives marquées à la fois par la présence de Petavit, X, Amec Spîe et également du bureau Sogreah Etudes et Projets pour lequel il existe des présomptions d'échanges d'informations avec Petavit pour obtenir une offre compatible avec son estimation ; que l'ensemble de ces agissements peut avoir été favorisé par des échanges d'informations entre les entreprises, que nous pouvons ainsi présumer une concertation prohibée par l'article L 420-1, 20, et 40, du Code de commerce qu'il convient de qualifier ; que s'agissant du 2° de l'article L. 420-1 du Code de commerce, à savoir, la pratique prohibée qui consiste à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ; (..) que pour le marché de la ville de Bourg-en-Bresse, les agissements des entreprises candidates paraissent coordonnés ; que l'ensemble de ces comportements laisse en conséquence présumer l'existence de pratiques concertées au sens du point 4 de l'article L. 420-I du Code de commerce ; que la portée de nos présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article L. 420-1 du Code de commerce dans ces points 2° et 4° ; que la recherche de la preuve de ces pratiques nous apparaît justifiée ; "1°) alors que, les juges des libertés et de la détention doivent vérifier concrètement que les éléments d'information qui lui sont présentés font effectivement présumer les infractions alléguées; que lorsque la visite ne vise pas à constater une infraction en train de se commettre, mais à apporter la preuve d'infractions déjà commises, l'autorisation ne peut être accordée au vu de simples indices permettant de présumer les infractions ; que les pratiques imputées à la société X remontant à 2003, la visite n'avait pas pour objet de constater une infraction en train de se commettre, et ne pouvait être autorisée qu'au vu d'éléments d'information établissant une infraction à l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que tel n'était pas le cas des éléments d'information rapportés, qui faisaient simplement état de comportements parallèles des sociétés qui ont participé à l'appel d'offres restreint lancé par la ville de Bourg-en-Bresse, résultant de l'adoption d'une approche financière du chantier très voisine entre les différentes entreprises et de la fixation de prix unitaire avec des amplitudes parallèles ; qu'à eux seuls, ces éléments ne permettaient pas d'établir une entente ou une action concertée ; que le juge des libertés ne pouvait pas se borner à se fonder sur ce parallélisme pour autoriser la visite domiciliaire demandée ; 2°) alors que, lorsque la visite a pour objet d'apporter la preuve d'infractions déjà commises, l'autorisation ne peut être accordée qu'au vu d'éléments d'information caractérisant l'infraction prévue à l'article L. 420-1 du Code de commerce ; que le caractère supérieur des offres faites par les entreprises soumissionnaires par rapport aux estimations administratives, ne peut constituer un élément de preuve s'il n'est pas corroboré par des éléments complémentaires ; que le juge des libertés ne pouvait se fonder exclusivement sur ce décalage sans rechercher si les évaluations administratives étaient elles-mêmes conformes au coût de revient effectif des travaux et ne constituaient pas des prix objectivement bas destinés à influencer les entreprises soumissionnaires";

Attendu que le juge, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que le moyen doit être écarté

Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme

Par ces motifs, Rejette le pourvoi.