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Décisions

CA Rennes, 8e ch. prud'homale, 2 février 2006, n° 05-02880

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Bonneterie d'Armor (SAS)

Défendeur :

Sinel, Assedic de Bretagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

President :

Mme Segondat

Conseiller :

M. Patte

Avocats :

SCP Jourda-Faivre, Me Soutereau

Cons. prud'h. Lorient, du 10 févr. 2005

10 février 2005

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 21 avril 2005 la société SAS Bonneterie d'Armor interjetait appel d'un jugement rendu le 10 février 2005 par le Conseil de prud'hommes de Lorient qui dans le litige l'opposant à Madame Sinel condamnait l'employeur à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des rappels de commission, une indemnité de clientèle.

L'employeur maintient que les résultats insuffisants de Madame Sinel malgré deux mises en garde, ne permettaient plus de la conserver au sein de la société; il est demandé de la débouter de ses demandes, et à titre subsidiaire de constater qu'elle ne peut prétendre à une indemnité de clientèle ; il est également réclamé la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Sinel sollicite la confirmation du jugement, dans son principe sauf à faire droit à ses demandes telles qu'elles ont été formulées en première instance, à obtenir en plus la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'Assedic de Bretagne par lettre du 21 novembre 2005 a fait connaître le montant des indemnités qu'elle a versées et réclame en cas de confirmation du jugement la somme de 6 070,01 euro.

Pour un exposé plus complet de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère au jugement déféré et aux conclusions régulièrement communiquées à l'adversaire qui ont été développées à l'audience des plaidoiries puis versées dans les pièces de procédure à l'issue des débats

MOTIFS DE LA DECISION:

Rappel sommaire des faits:

Madame Sinel, représentante VRP multicartes dont le père était représentant de la société Bonneterie d'Armor, fabriquant et distributeur de vêtements sous la marque Armor Lux, était engagée par cette société selon contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2002 en qualité de représentante salariée statut VRP. Par avenant n° 1 un quota de chiffre d'affaire d'un montant de 183 000 euro était fixé à Madame Sinel pour les saisons Hiver-Eté 2002-2003. Pour la saison hiver 2004-2005 le quota qui était fixé par avenant n° 2 à la somme de 120 000 euro n'a pas été accepté. Les parties ne s'étant pas mises d'accord sur les conditions de travail, Madame Sinel était convoquée à un entretien préalable à un licenciement le 9 mars 2004 puis licenciée par lettre du 12 mars 2004 malgré ses protestations écrites adressées par courrier du 11 mars 2004. Contestant cette décision la salariée saisissait le conseil de prud'hommes qui faisait droit à une partie de ses prétentions.

Sur la rupture du contrat de travail:

Considérant que dans la lettre de licenciement il est reproché les faits suivants: Vous avez été engagée par la société Bonneterie d'Armor le 1er février 2002 en qualité de VRP multicartes, en charge de la représentation de nos collections Molene et Classe de Mer.

Notre société a en effet souhaité être présente dans le réseau de la Grande Distribution au travers de ces deux marques. Elle a ainsi engagé de nombreux frais afin d'assurer cette implantation commerciale: conclusion d'un nouveau contrat de style, création d'une direction commerciale spécifique comprenant un directeur commercial, une assistante commerciale et 2 VRP dont vous-même.

Les résultats commerciaux enregistrés sur votre secteur sont fort décevants et en régression.

Ainsi au titre de l'été 2004, les commandes de votre secteur s'élevaient à 119 513 F (soit 9 612 pièces) contre 244 938 F (17 386 pièces) au titre de l'été 2003. Les commandes de l'hiver 2003/2004 se sont élevées à 32 800 F pour 1 441 pièces. A la date du 1 mars 2004, soit environ à la moitié de la prise d'ordre de l'hiver 2004/2005, les commandes de votre secteur représentent 750 pièces pour un chiffre d'affaires HT de 14 900 F. Ce niveau de chiffre d'affaires est très largement insuffisant et très éloigné de l'objectif convenu lors de la réunion de collection du 15 décembre 2003 et confirmé par notre courrier du 18 décembre 2003. De même, il se situe bien en deçà de la clause de quota f, à l'avenant au contrat de travail transmis en date du 18 décembre 2003. Cet objectif fixé à 150 000 euro, avait été déterminé en tenant compte des investissements réalisés par la société tant en matière de création que de structuration du service commercial et des potentialités de notre secteur (réseaux Carrefour et Leclerc).

Vos réalisations remettent en cause la pérennité des collections Molene et Classe de Mer, les frais générés n'étant plus en rapport avec les prises d'ordre enregistrées.

De plus, dans le courrier du 18/12/2003, votre directeur commercial vous avait instamment demandé de respecter les deux règles suivantes:

- envoi hebdomadaire d'un planning de rendez-vous pour la semaine S+1 (cf. article 5,.3 de votre contrat de travail),

- transmission des commandes sous 48 heures.

En dépit de ce courrier, votre responsable a dû vous rappeler par un courrier en date du 9 février 2004, ces dispositions de votre contrat de travail dont vous n'aviez pas tenu compte.

Vos faibles résultats commerciaux ainsi que l'absence de communication des plannings de rendez-vous nous ont convaincu que le travail de prospection sur votre secteur était insuffisant et non-conforme à vos obligations contractuelles."

Considérant que Madame Sinel, VRP multi-cartes pour le compte de trois autres entreprises ne peut prétendre ignorer les obligations essentielles qui lui sont imposées par son statut et son contrat de travail et ne peut sous prétexte d'une surcharge de travail du fait de ses activités multiples se soustraire à une partie de ses obligations.

Sur la transmission régulière d'informations à l'employeur

Considérant que l'article 5.3 du contrat de travail dispose :

"A la fin de chaque semaine, le représentant devra communiquer un rapport sur son activité au cours de la semaine ainsi que son planning de travail pour la semaine suivante. L'obligation de rendre compte est considérée par la société comme une obligation substantielle du contrat"

Considérant que l'obligation du salarié de faire régulièrement rapport de son activité de représentant à son employeur est essentielle puisqu'elle a pour but de vérifier que le VRP qui dispose du fait de son statut d'une très large autonomie dans l'organisation de son travail, consacre une partie de son temps à travailler pour le compte de la société, mais surtout de connaître en temps réel la situation du marché, les prix pratiqués par les concurrents, les observations et critiques des clients et prospects etc... éléments indispensables pour établir un budget provisionnel, fixer les futurs objectifs et apporter éventuellement les modifications indispensables aux futures collections.

Considérant que Madame Sinel reconnaît ne pas avoir transmis régulièrement de rapports à son employeur, et se contente d'affirmer qu'elle transmettait ses observations par téléphone ce qui est manifestement insuffisant et ne permettait pas à la société de connaître l'état du marché sur le secteur de ce VRP et de faire des prévisions utiles et fiables pour les salariés de la force de vente ; qu'en ne remplissant pas cette obligation malgré deux rappels à l'ordre des 18 décembre 2003 et 9 février 2004 de son directeur commercial, Madame Sinel s'est délibérément soustraite au pouvoir de direction de l'employeur, ce qui constitue une faute.

Sur la réalisation des objectifs:

Considérant que le seul avenant au contrat de travail qui fixe les objectifs de Madame Sinel est celui du 1 février 2002 d'un montant de 183 000 euro pour les collections hiver-été 2003 ; que pour les années suivantes, faute pour l'employeur d'avoir fixé de nouveaux objectifs, il faut s'en tenir aux dispositions du contrat de travail qui prévoit que l'objectif est celui de l'année précédente augmenté du pourcentage moyen d'évolution du chiffre d'affaires réalisé par ligne sur l'ensemble de la France.

Considérant que pour des raisons que l'on ignore, l'employeur n'a pas communiqué depuis 2003 à Madame Sinel les éléments comptables sur l'évolution du chiffre d'affaires lui permettant de déterminer le montant de l'objectif qu'elle devait atteindre chaque saison, et qu'il ne peut lui reprocher de ne pas avoir réalisé des objectifs qui n'avaient pas été actualisés comme cela aurait dû être.

Sur l'insuffisance de résultats:

Considérant que pour apprécier si Madame Sinel a fait preuve d'une notable insuffisance de résultats, il faudrait comparer ses résultats de l'année 2004 à ceux des années précédentes en prenant l'objectif initial de 183 000 euro tel qu'il a été fixé pour les collections hiver-été 2003; qu'au titre de la saison hiver-été 2003-2004, le montant de ses commandes soit 150 000 euro était nettement inférieur à l'objectif de 183 000 euro et que ses résultats au 1er mars 2004 pour la saison hiver 2004 étaient plus que modestes: 14 900 euro;

que la salariée n'explique pas les raisons de cette baisse de résultats qui ne peut provenir que d'une prospection insuffisante alors qu'en 2002 elle avait atteint un chiffre de commandes de 244 938 euro pour la seule collection été.

Considérant que les deux motifs retenus par la cour, une absence de transmission des informations et une baisse notable des résultats au cours de la saison 2003 2004, ne pouvaient que compromettre les relations commerciales de la société Bonneterie d'Armor avec ses clients du secteur de Madame Sinel et justifient qu'il ait été mis un terme à sa collaboration;

qu'en effet, dans ce domaine du textile, en raison des délocalisations massives des manufactures européennes vers les pays d'Asie et en particulier en Chine où la concurrence mondiale est sans pitié, les entreprises comme Armor Lux qui entendent conserver leur savoir-faire et proposer contre vents et marées des produits fabriqués sur le territoire national avec le label " Produit en Bretagne ", sont tenues, sous peines de disparaître, de rester très vigilantes et ne peuvent se permettre le moindre laisser-aller dans la gestion des affaires et le management de la force de vente ; qu'en conséquence Madame Sinel sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Considérant que s'agissant de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'article 1382 du Code civil, le fait pour l'employeur de l'avoir dispensée d'accomplir son préavis ne constitue pas une faute, alors qu'en vertu de son pouvoir de direction il ne pouvait prendre le risque de conserver Madame Sinel sur son secteur et a choisi de la remplacer immédiatement par une personne plus dynamique pour sauvegarder le secteur.

Sur les autres demandes de la salariée:

- Indemnité de clientèle:

Considérant que Madame Sinel qui a acheté à son père, ancien représentant de la société Bonneterie d'Armor, son portefeuille de clientèle, ne justifie pas par la production de pièces comptables avoir augmenté pendant son activité le portefeuille initial ; que d'autre part elle conserve toujours la possibilité de céder cette clientèle à son successeur ce qui lui interdit de prétendre au bénéfice de l'indemnité de clientèle ; qu'enfin compte tenu de son statut de VRP multi-cartes qui lui permet de poursuivre son activité pour le compte d'autres entreprises dans le même domaine, l'indemnité à laquelle elle peut prétendre au titre de l'article L. 751-9 du Code du travail du fait de l'apport d'un magasin Carrefour sera réduite, il lui sera accordé la somme de 7 430 euro ;

Indemnité de préavis :

Considérant que par application de l'article L. 751-7 du Code du travail l'indemnité de préavis à laquelle madame Sinel peut prétendre est d'un montant de 3 714,75 euro ; que l'employeur lui ayant versé la somme de 2 628,45, il est dû un solde de 1 086,30 euro ;

Considérant que les autres dispositions du jugement concernant les commissions, congés payés n'étant pas remises en cause par l'employeur seront confirmées.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Infirme pour partie le jugement du 10 février 2005, Déboute Madame Sinel de ses demandes de dommages et intérêts, Condamne la société Bonneterie d' Armor à lui verser: -au titre du solde de l'indemnité de préavis la somme de 1 086,30 euro -au titre de l'indemnité de clientèle la somme de 7 430 euro, Confirme les autres dispositions du jugement, Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.