CA Rouen, 1re ch. civ., 21 février 1996, n° 9401937
ROUEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
La Mutuelle du Mans Assurances IARD (Sté)
Défendeur :
Sauval Lenotre ; Garage Lenotre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Falcone
Conseillers :
Mme Valantin, M. Grandpierre
Avoués :
SCP Colin-Voinchet-Radiguet, SCP Galliere-Lejeune, SCP Greff-Curat
Avocats :
Mes Denesle, Canus Pitois, de Bezenac
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté par les Mutuelles du Mans Assurances contre le jugement rendu le 5 avril 1994 par le Tribunal de grande instance de Rouen qui après avoir déclaré qu'était résolue la vente d'un véhicule de marque Duport consentie par Rémi Lenotre à Alain Sauval, ordonné la restitution du véhicule et condamné ledit Rémi Lenotre à payer à Alain Sauval les sommes de 49 900 F correspondant au prix de vente, de 1 309,83 F au titre des frais, de 8 000 F au titre de l'immobilisation et de 3565 F correspondant à la perte de rémunération ainsi que de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du NCPC, a ordonné qu'elles devraient garantir Rémi Lenotre de toutes les condamnations prononcées contre lui ;
Attendu que les Mutuelles du Mans, qui sollicitent l'infirmation du jugement, demandent que Rémi Lenotre soit débouté de son recours en garantie ;
Qu'à l'appui de leur recours et après avoir exposé que, le 6 juin 1990, Alain Sauval a fait l'acquisition, auprès du garage Lenotre d'un véhicule de marque Duport moyennant le prix de 55 000 F et qu'il a agi en garantie des vices cachés contre le vendeur qui, par contrat du 10 octobre 1989 était assuré notamment au titre de sa responsabilité civile après livraison, elles soutiennent que les clauses du contrat d'assurance n° 942, seul applicable aux faits de la cause, limitent la garantie aux dommages subis par un véhicule vendu résultant d'un choc avec une personne, un animal, une chose ou d'un incendie, ou encore d'une explosion ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Qu'elles font valoir, en outre, que la responsabilité du garagiste, engagée pour vice caché, n'est pas assurée ;
Qu'à titre subsidiaire, et s'il en était autrement décidé, elles font observer que le recours en garantie de Rémi Lenotre ne saurait prospérer dès lors que les vices du véhicule étaient imputables, non pas audit Rémi Lenotre, mais au constructeur ;
Attendu que Rémi Lenotre conclut à la confirmation du jugement aux motifs qu'il est titulaire de deux contrats d'assurance et qu'il y a lieu d'appliquer à la cause la police n° 943 b dont l'article 3 stipule une garantie à l'occasion de son activité professionnelle, qui consiste notamment à vendre des véhicules ;
Qu'il ajoute que, contrairement à ce que soutiennent les Mutuelles du Mans, l'assurance de la responsabilité encourue après livraison a pour but de garantir la livraison faite par le fabricant au garage ; que, toutefois, sa responsabilité est engagée dès lors qu'il existe des vices cachés et que le vendeur professionnel est assimilé au vendeur de mauvaise foi ;
Attendu qu'Alain Sauval forme appel incident et demande que Rémi Lenotre soit condamné à lui payer les sommes suivantes qui correspondent au préjudice qu'il a effectivement subi :
- 55 000 F au titre du remboursement du prix du véhicule ;
- 15 714,32 F correspondant aux intérêts du prêt bancaire destiné à l'acquisition dudit véhicule ;
- 2 312 F au titre de l'assurance ;
- 2 000 F en remboursement des frais de déplacement qu'il a exposés ;
- 10 000 F en réparation de la privation de jouissance qu'il a subie ;
Que, pour le surplus, il sollicite la confirmation du jugement et notamment quant à la condamnation des Mutuelles du Mans qui doivent garantir leur assuré à l'occasion de son activité professionnelle ;
Qu'il demande, enfin, qu'il soit précisé que la restitution du véhicule se fera à la charge de Rémi Lenotre ;
Attendu qu'en réplique, Rémi Lenotre conclut à la confirmation des dispositions du jugement qui fixent le montant des indemnités dues à'Alain Sauval ; qu'en cas de condamnation supplémentaire, il sollicite la garantie des Mutuelles du Mans ;
- Sur les demandes d'Alain Sauval
Attendu qu'il n'est pas contesté que le véhicule vendu le 6 juin 1990 par le garage Lenotre, concessionnaire Marden et Duport, présentait des vices cachés qui le rendaient impropre à l'usage auquel il était destiné de sorte que doit être prononcée la résolution de la vente dans les conditions fixées par les articles 1641 et suivants du Code civil ;
Attendu qu'il est établi que le prix du véhicule était de 55 000 F ; que Rémi Lenotre sera donc tenu de restituer cette somme qu'il a effectivement reçue ;
Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article 1645 du Code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ; qu'il est de règle que le vendeur professionnel est assimilé au vendeur de mauvaise foi ;
Que, dès lors, Rémi Lenotre est tenu de réparer le préjudice subi par Alain Sauval ;
Attendu que, comme l'a exactement apprécié le premier juge, le coût du crédit n'est pas au nombre des chefs de préjudice réparables dès lors qu'il n'est directement consécutif, ni au vice de la chose vendue, ni à la vente, alors surtout qu'Alain Sauval pouvait demander la suspension de ses obligations en invoquant les dispositions d'ordre public du Code de la consommation ;
Qu'ayant pris possession de son véhicule et l'ayant utilisé, il était tenu de contracter une assurance qu'il pouvait suspendre dès l'immobilisation ; que, dès lors, il sera débouté de sa demande de remboursement de primes
Qu'en revanche, il justifie, par factures, du préjudice matériel subi et qui s'élève à la somme de 1 4309,83 F ; qu'en outre, il a été privé de la jouissance du véhicule et que, compte tenu de son handicap, ce chef de préjudice doit être réparé par l'allocation d'une somme de 8 000 F qui comprend également l'indemnisation des déplacements qu'il a effectués à l'occasion des réparations du véhicule ;
Qu'il suit de tout ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives au montant du préjudice subi par Alain Sauval à qui, cependant, il sera restitué la somme de 55 000 F correspondant au prix du véhicule ;
- Sur La garantie des Mutuelles du Mans
Attendu que Rémi Lenotre est garanti par une police à laquelle sont annexées les conventions spéciales n° 943 b relative à la responsabilité civile avant et après livraison et les conventions spéciales n° 942 c relative à l'assurance des véhicules qui comporte un titre intitulé "assurance responsabilité civile après livraison", applicable à la cause ;
Attendu que la garantie souscrite au titre de la responsabilité civile après livraison est définie par les conditions générales du contrat d'assurance qui, en son article 60, définit la personne assurée comme étant le sociétaire, professionnel de l'automobile, qui, en son article 61 définit les véhicules assurés, notamment comme étant ceux qui sont vendus par l'assuré sociétaire et qui, aux termes de l'article 62, définit la garantie souscrite au titre de la responsabilité après livraison, ainsi qu'il suit :
"A) Cette assurance garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qui peut lui incomber en raison des dommages corporels, matériels, immatériels consécutifs à des dommages corporels et matériels garantis, subis par autrui, y compris les clients, après livraison d'un véhicule assuré.
"B) Pour les dommages subis par les véhicules assurés vendus, la garantie du paragraphe A ci-dessus est limitée aux dommages résultant d'un choc avec une personne, un animal, une chose, ou d'un incendie, d'une explosion.
"Toutefois, cette limitation de garantie ne s'applique pas aux dommages résultant d'un défaut et d'une erreur de conseil ayant entraîné une faute professionnelle de la part d'une personne n'ayant pas la qualité d'assuré".
Qu'il s'infère de ces dispositions que la garantie est limitée aux dommages subis par un véhicule vendu et résultant d'un choc ou d'une explosion ;
Qu'en outre, le dernier paragraphe de l'article 62 B prévoit, pour que la limitation de garantie ne s'applique pas, que les dommages résultent d'un défaut ou d'une erreur de conseil, que ce défaut ou cette erreur de conseil ait entraîné une faute professionnelle et que la faute professionnelle ait été commise par une personne n'ayant pas la qualité d'assuré définit à l'article 60 précité ; que, s'il est stipulé le cas d'un défaut, il est également indiqué que doit exister la faute d'une personne non assurée pour que la limitation de garantie, concernant les circonstances du dommage, ne s'applique pas ; qu'en l'espèce Alain Sauval n'a commis aucune faute et que les dommages subis résultent seulement d'un vice de conception imputable au fabricant ;
Que la garantie des Mutuelles du Mans n'est pas acquise dès lors que la limitation prévue par l'article 62 des conditions générales d'assurance droit trouver application et que la responsabilité du garagiste pour vice caché n'est pas assurée ; Qu'il suit de tout ce qui précède que le jugement sera infirmé en ce qu'il porte condamnation des Mutuelles du Mans et que Rémi Lenotre sera débouté de sa demande de garantie ;
Et attendu que Rémi Lenotre et Alain Sauval sollicitent une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du NCPC ; que, succombant en ses prétentions, Rémi Lenotre sera débouté de sa réclamation ; que l'équité ne commande pas qu'il soit donné satisfaction à Alain Sauval quant à ce ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement en ce qu'il porte condamnation de Rémi Lenotre à payer la somme de quarante neuf mille neuf cents francs (49 900 F) à Alain Sauval et des Mutuelles du Mans Assurances à garantir Rémj Lenotre ; Faisant droit à nouveau quant à ce : Condamne Rémi. Lenotre à verser à Alain Sauval la somme de cinquante cinq mille francs (55 000 F) correspondant au prix du véhicule dont la vente est résolue ; Déboute Rémi Lenotre de sa demande de garantie dirigée contre les Mutuelles du Mans Assurances ; Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions frappées d'appel ; Y ajoutant, Dit qu'il appartiendra à Rémi Lenotre de prendre possession du véhicule ; Déboute Rémi Lenotre et Alain Sauval, chacun de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du NCPC ; Condamne Rémi Lenotre aux dépens d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.