Livv
Décisions

CJCE, 27 février 1985, n° 112-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société des produits de maïs (SA)

Défendeur :

Administration des douanes et droits indirects

CJCE n° 112-83

27 février 1985

LA COUR,

1 Par jugement du 7 juin 1983, parvenu à la Cour le 16 juin suivant, le Tribunal d'instance de Paris 1er a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à la validité du règlement n° 652-76 de la Commission, du 24 mars 1976, modifiant les montants compensatoires monétaires à la suite de l'évolution du taux de change du franc français (JO L 79, p. 4).

2 Ces questions sont posées dans le cadre d'un litige qui oppose à l'Administration française des douanes la société des produits de maïs, demanderesse au principal, qui fabrique en France des produits transformés à base de maïs.

3 Par arrêt du 15 octobre 1980 (Roquette, 145-79, Rec. p. 2917), la Cour, statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal d'instance de Lille par jugement du 29 juin 1979, a, au point 1 du dispositif de cet arrêt, constaté l'invalidité du règlement n° 652-76 de la Commission du 24 mars 1976 :

" - Pour autant qu'il fixe les montants compensatoires applicables à l'amidon de maïs sur une autre base que celle du prix d'intervention du maïs diminué de la restitution à la production de l'amidon ;

- pour autant qu'il fixe les montants compensatoires applicables à l'amidon de blé sur une autre base que celle du prix de référence du blé diminué de la restitution à la production de l'amidon ;

- pour autant qu'il fixe les montants compensatoires applicables à l'ensemble des différents produits, issus de la transformation d'une quantité donnée d'un même produit de base, tel que le maïs ou le blé, dans une filière de fabrication déterminée, à un chiffre nettement supérieur au montant compensatoire établi sur cette quantité donnée du produit de base ;

- pour autant qu'il fixe des montants compensatoires applicables à la fécule de pomme de terre qui dépassent ceux applicables à l'amidon de mais ".

Toutefois, pour les raisons exposées aux paragraphes 51 et 52 de son arrêt, la Cour a, au point 3 du dispositif de cet arrêt, dit pour droit que :

" L'invalidité des dispositions réglementaires susvisées ne permet pas de remettre en cause la perception ou le paiement des montants compensatoires monétaires effectués par les autorités nationales sur la base de ces dispositions, pour la période antérieure à la date du présent arrêt ".

4 Statuant en considération de cet arrêt, le Tribunal d'instance de Lille, par jugement du 15 juillet 1981, a néanmoins condamné l'Administration des douanes à rembourser à la société Roquette les sommes indûment payées en application des montants compensatoires monétaires sur ses exportations depuis le 25 mars 1976. Selon le tribunal, le point 3 de l'arrêt de la Cour ne pouvait le lier dans la mesure où c'était sans fondement légal qu'après avoir interprété le droit communautaire afin de répondre aux questions préjudicielles, la Cour, qui avait épuisé sa compétence, a pris l'initiative d'ajouter à la consultation ainsi délivrée une observation basée sur un texte inapplicable à la situation considérée ". Le tribunal relève par ailleurs que, la Cour n'étant pas investie d'un pouvoir réglementaire à l'égard de la Communauté, son initiative n'avait pu modifier la répartition des compétences entre elle-même et les juridictions nationales et qu'il appartenait à ces seules dernières de tirer dans leur ordre juridique interne les conséquences de l'invalidité constatée par la Cour.

5 Se basant, d'une part, sur l'invalidité du règlement n° 652-76 de la Commission et des règlements ultérieurs telle qu'elle avait été constatée par la Cour dans l'arrêt précité du 15 octobre 1980 et se prévalant, d'autre part, du jugement du Tribunal d'instance de Lille du 15 juillet 1981, la société des produits de maïs, par acte du 30 décembre 1981, a assigné le directeur général des douanes et droits indirects devant le Tribunal d'instance de Paris aux fins d'obtenir le remboursement des montants compensatoires indûment perçus par l'Administration française des douanes, en application du règlement précité n° 652-76, sur les exportations d'un certain nombre de produits dérivés du maïs effectuées par elle à destination des autres Etats membres.

6 La défenderesse au principal a opposé à cette demande une fin de non-recevoir tirée du point 3 du dispositif de l'arrêt précité du 15 octobre 1980. D'autre part, elle a fait valoir, toujours par référence au contenu de cet arrêt, que la demanderesse n'avait pas établi que les montants compensatoires fixés par le règlement en cause sur les produits issus de la transformation du maïs excédaient nettement ceux établis sur la quantité de mais utilisée pour leur fabrication.

7 La défenderesse ayant toutefois suggéré à la juridiction nationale de saisir la Cour si elle s'estimait insuffisamment éclairée par l'arrêt du 15 octobre 1980, celle-ci, dans un souci de bonne administration de la justice et de clairvoyance, compte tenu des explications et des pièces produites par les parties, a estimé nécessaire de surseoir à statuer et a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes.

1) Les dispositions du règlement (CEE) n° 652-76 de la Commission, du 24 mars 1976, fixant les montants compensatoires monétaires applicables à l'exportation de brisures de maïs (position tarifaire 10.05, devenue 23.02), de gluten (position 23.03) et des produits relevant des positions 11.08 a i ; 17.02 b i a); 17.02 b i b); 17.02 b ii a), 17.02 b ii b); 17.02-23 ; 17.02-28.0 ; 17.02-28.1 ; 35.05 a ; 29.04-77.001 sont-elles valides ?

2) En cas d'invalidité, dans quelle mesure doivent-elles être invalidées ?

3) En cas d'invalidité, quelles sont les conséquences juridiques de cette invalidité, au regard d'une demande en remboursement de tout ou partie des montants compensatoires monétaires perçus par les autorités nationales sur la base des dispositions du règlement n° 652-76 de la Commission du 24 mars 1976 ?

4) A supposer que l'invalidité d'un règlement communautaire dûment constatée exclut pour le passé toute remise en cause des montants compensatoires monétaires perçus en vertu de ce règlement, cela exclut-il, et ce dans quelle mesure, tout paiement au titre des montants compensatoires monétaires considérés ?

Sur la première question

8 Par la première question, il est demandé si les dispositions du règlement n° 652-76 de la Commission fixant les montants compensatoires monétaires applicables à l'exportation de brisures de maïs (position tarifaire 10.05, devenue 23.02), de gluten (position 23.03) et des produits relevant des positions 11.08 a i ; 17.02 b i a); 17.02 b i b); 17.02 b ii a); 17.02 b ii b); 17.02-23 ; 17.02-28.0 ; 17.02-28.1 ; 35.05 a ; 29.04-77.001 sont valides.

9 En cours de procédure, il est toutefois apparu que les dispositions en cause dans l'instance au principal sont celles du règlement n° 652-76 qui fixent les montants compensatoires applicables aux produits relevant des sous-positions 23.02 a i (sons de maïs ou de riz), 23.03 a i (gluten), 11.08 a i (amidon de mais), 17.02 b i a) (glucose et sirop de glucose), 17.02 b i b) (glucose et sirop de glucose), 17.02 b ii a) (glucose et sirop de glucose), 17.02 b ii b) (glucose et sirop de glucose), 35.05 a (dextrine), 29.04 c iii b) 1 (glucitol ou sorbitol).

A - Montants compensatoires applicables aux produits autres que les sons - ou brisures - de maïs

10 La Commission ayant admis que les motifs d'invalidité retenus par la Cour dans son arrêt du 15 octobre 1980 s'appliquaient à toutes les dispositions en cause, à l'exception de celle fixant les montants compensatoires applicables aux sons - ou brisures - de maïs (sous-positions 23.02 a i), il suffit de constater qu'en ce qui concerne la fixation des montants compensatoires monétaires applicables aux produits relevant des sous-positions 11.08 a i, 17.02 b i, 17.02 b ii, 23.03 a i, 29.04 c iii b) 1 et 35.05 a, le règlement n° 652-76 de la Commission du 24 mars 1976 est invalide pour les motifs déjà énoncés dans l'arrêt rendu le 15 octobre 1980.

B - Montants compensatoires applicables aux sons - ou brisures - de maïs

11 En ce qui concerne les sons - ou brisures - de maïs, il y a lieu tout d'abord de relever, ainsi que la Commission l'a fait remarquer à juste titre, que, ces produits ne bénéficiant pas de restitution à l'exportation, le motif d'invalidité retenu par la Cour dans son arrêt du 15 octobre 1980 pour la fixation des montants compensatoires sur l'amidon de maïs lui est inapplicable.

12 Quant au motif d'invalidité tiré de ce que la somme des montants compensatoires monétaires appliqués à l'ensemble des produits et sous-produits résultant de la transformation d'une même quantité de maïs excéderait nettement le montant compensatoire applicable à cette quantité de maïs, il convient de relever que la Commission a contesté, de façon motivée, que les sons - ou brisures - de maïs soient issus de la transformation de maïs. Selon elle, il ne s'agirait que de simples déchets auxquels le motif d'invalidité sus-indiqué ne saurait s'appliquer.

13 Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 177 du traité, mais à la seule juridiction nationale de procéder aux constatations de fait nécessaires à la solution de ce problème. Dans l'état actuel du dossier, il n'y a, par conséquent, pas lieu d'étendre l'invalidité prononcée par l'arrêt du 15 octobre 1980 aux brisures de maïs (sous-position 23.02 a i). Il appartiendrait au juge national, dans le cas où il constaterait que les sons - ou brisures - ne sont pas de simples déchets mais constituent un sous-produit du maïs, d'interroger à nouveau la Cour.

14 Il y a donc lieu de répondre à la première question que les dispositions du règlement n° 652-76 de la Commission sont invalides pour autant qu'elles fixent les montants compensatoires monétaires applicables à l'exportation de gluten de maïs (position 23.03) et des produits relevant des positions 11.08 a i ; 17.02 b i a); 17.02 b i b); 17.02 b ii a); 17.02 b ii b); 17.02-23 ; 17.02-28.0 ; 17.02-28.1 ; 35.05 a ; 29.04-77.001.

Sur les deuxième, troisième et quatrième questions

15 Par ces questions, la juridiction nationale demande en substance à la Cour de préciser les limites et les conséquences de l'invalidité du règlement n° 652-76, telle qu'elle a été constatée par l'arrêt précisé du 15 octobre 1980, compte tenu, plus particulièrement, de ce qui est dit au point 3 du dispositif de cet arrêt.

16 Il convient de rappeler à ce sujet, en premier lieu, que la Cour a déjà dit pour droit dans son arrêt du 13 mai 1981 (International Chemical corporation, 66-80, Rec. p. 1191) qu'un arrêt de la Cour constant, en vertu de l'article 177 du traité, l'invalidité d'un acte d'une institution, en particulier d'un règlement du Conseil ou de la Commission, bien qu'il ne soit adressé directement qu'au juge qui a saisi la Cour, constitue une raison suffisante pour tout autre juge de considérer cet acte comme non valide pour les besoins d'une décision qu'il doit rendre.

17 En second lieu, il convient de souligner que la possibilité, pour la Cour, de limiter dans le temps les effets d'une déclaration d'invalidité d'un acte réglementaire, dans le cadre du recours préjudiciel prévu par l'alinéa 1, sous b), de l'article 177, est justifiée par l'interprétation de l'article 174 du traité au regard de la nécessaire cohérence entre le renvoi préjudiciel et le recours en annulation organisé par les articles 173, 174 et 176 du traité qui constituent deux modalités du contrôle de légalité organisé par le traité. La faculté de limiter, dans le temps, les effets de l'invalidité d'un règlement communautaire, que ce soit dans le cadre de l'article 173 ou dans celui de l'article 177, est une compétence réservée à la Cour par le traité, dans l'intérêt de l'application uniforme du droit communautaire dans l'ensemble de la Communauté. Dans le cas particulier de l'arrêt du 15 octobre 1980, visé par la juridiction nationale, le recours à la faculté prévue par l'article 174, alinéa 2, se fonde sur des considérations tirées des exigences de la sécurité juridique plus amplement exposées à l'alinéa 52 de la motivation de l'arrêt en question.

18 Il est à préciser, à ce sujet, que lorsque d'impérieuses considérations le justifient, l'article 174, alinéa 2, réserve à la Cour un pouvoir d'appréciation pour déterminer concrètement, dans chaque cas particulier, les effets d'un acte réglementaire déclaré nul qui doivent être maintenus. Il appartient par conséquent à la Cour, au cas où elle fait usage de la possibilité de limiter l'effet dans le passé d'une constatation d'invalidité dans le cadre de l'article 177, de déterminer si une exception à cette limitation de l'effet dans le temps, conféré à son arrêt, peut être prévue en faveur soit de la partie qui a introduit le recours devant la juridiction nationale, soit de tout autre opérateur économique qui aurait agi de manière analogue avant la constatation d'invalidité, ou si, à l'inverse, même pour des opérateurs économiques qui auraient pris en temps utile des initiatives en vue de sauvegarder leurs droits, une déclaration d'invalidité ayant effet seulement pour l'avenir constitue un remède adéquat.

19 Cette question, qui concerne la détermination de la portée de l'arrêt du 15 octobre 1980, est toutefois dépourvue d'intérêt aux fins de la présente affaire, introduite le 30 décembre 1981 devant la juridiction nationale, donc postérieurement à la déclaration d'invalidité des dispositions visées dans la première question.

20 Il y a donc lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale qu'il convient de reconnaître, à l'instar de ce que la Cour a déjà dit pour droit dans l'arrêt précité du 15 octobre 1980, que l'invalidité constatée des dispositions du règlement n° 652-76 de la Commission du 24 mars 1976 ne permet pas de remettre en cause la perception ou le paiement des montants compensatoires monétaires effectués par les autorités nationales sur la base de ces dispositions, pour la période antérieure à la date de l'arrêt d'invalidation.

Sur les dépens

21 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal d'instance de Paris 1er, par jugement du 7 juin 1983, dit pour droit :

1) Les dispositions du règlement n° 652-76 de la Commission sont invalides pour autant qu'elles fixent les montants compensatoires monétaires applicables à l'exportation de gluten de maïs (position 23.03) et des produits relevant des positions 11.08 a i ; 17.02 b i a); 17.02 b i b); 17.02 b ii a); 17.02 b ii b); 17.02-23 ; 17.02-28.0 ; 17.02-28.1 ; 35.05 a ; 29.04-77.001.

2) L'invalidité constatée des dispositions du règlement n° 652-76 de la Commission du 24 mars 1976 ne permet pas de remettre en cause la perception ou le paiement des montants compensatoires monétaires effectues par les autorités nationales sur la base de ces dispositions, pour la période antérieure à la date de l'arrêt d'invalidation.