CA Versailles, 14e ch., 7 janvier 2004, n° 03-07228
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Phonatis (SA)
Défendeur :
International Telecommunication Network (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Falcone
Conseillers :
Mmes Lombard, Lambling
Avoués :
SCP Jupin & Algrin, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod
Avocats :
Mes Chemouilli, Benouaich
FAITS ET PROCEDURE
Par jugement du 13 mai 2002 le Tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession de la société Telecom Partners et a retenu la société ITN France comme repreneur des actifs de cette société.
Le 15 mai 2002 la société ITN France a embauché Monsieur Yannick Elofir qui avait été salarié de la société Telecom Partners pour exercer ses fonctions en région Rhône-Alpes.
Au mois d'août 2002 la société ITN France a constaté une chute importante de son chiffre d'affaires dans cette région et une enquête a établi que Monsieur Elofir avait souscrit le 22 juin 2002 un contrat de travail avec la société Phonatis, concurrent de la société ITN France, et que les clients de la société ITN France avaient été détournés par Monsieur Elofir vers la société Phonatis.
La société ITN France a reproché à la société Phonatis d'avoir commis des actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 23 septembre 2003 le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- condamné la société Phonatis à payer à la société ITN France la somme de 125 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- ordonné la publication du jugement dans un journal à tirage national aux frais de Phonatis le prix de d'insertion ne pouvant être supérieur à 2 000 euro,
- débouté la société Phonatis de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Phonatis au paiement d'une indemnité de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Phonatis a interjeté appel de ce jugement et a été autorisée à plaider à jour fixe.
Elle demande à la cour de :
- constater qu'elle n'a commis aucune faute dans ses relations avec la société ITN France,
- débouter la société ITN France de ses demandes,
- dire que le protocole d'accord transactionnel signé entre la société ITN France et son ancien salarié Monsieur Elofir rend irrecevable la recherche de responsabilité de Phonatis sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil,
- en tant que de besoin, enjoindre à la société ITN France de communiquer régulièrement ce protocole,
- débouter ITN France de sa demande en réparation d'un préjudice éventuel,
- subsidiairement, lui donner acte de ce qu'elle ne s'oppose pas à une expertise,
- condamner la société ITN France à lui payer 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour action malicieuse et procédure abusive et 5 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir essentiellement qu'elle n'a pas commis de faute lors de l'embauche de Monsieur Elofir car elle ignorait qu'il travaillait pour la société ITN France et l'a licencié dès qu'elle en a été informée.
Elle soutient également qu'elle ne peut être tenue responsable en application de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil car la confidentialité de la transaction intervenue entre la société ITN France et Monsieur Elofir rend irrecevable une action sur un tel fondement et la sanction infligée à Monsieur Elofir doit rétroagir pour que le contrat de préposition soit réputé n'avoir pas existé.
Elle soutient enfin que les actes commis par Monsieur Elofir sont étrangers à ses fonctions et ne peuvent engager la responsabilité du commettant
La société ITN France demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé :
* qu'en procédant à l'embauche de Monsieur Elofir tout en s'abstenant d'effectuer les vérifications auxquelles elle était tenue, la société Phonatis a commis une faute et en l'occurrence un acte de concurrence déloyale,
* que 45 sociétés ont fait l'objet de détournements au profit de Phonatis accompagnés d'un dénigrement de ITN France,
* que la responsabilité de la société Phonatis était engagée et aggravée par son absence de réaction devant les agissements de son préposé dont elle répondait,
* que les agissements de Phonatis sont à l'origine d'une désorganisation de ITN France,
* que les agissements de la société Phonatis ont publiquement porté atteinte à l'image de la société ITN France.
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société Phonatis en raison des préjudices subis par la société ITN France et résultant :
* de la perte de chiffre d'affaires et de marge consécutive,
* de la perte de l'investissement consacré au rachat de Telecom Partners,
* du préjudice d'image,
- l'infirmer sur le surplus,
- dire que les agissements de la société Phonatis perpétrés à l'encontre de la société ITN France sont également constitutifs :
* d'un détournement de personnel de la societé ITN France,
* d'une confusion créée dans l'esprit de la clientèle de la société ITN France,
* d'un diffusion de fausses informations auprès de la clientèle de ITN France,
* d'une publicité comparative illicite.
- condamner Phonatis à allouer à la société ITN France la somme de 600 000 euro correspondante au chiffre d'affaires que la société ITN RANCE aurait pu réaliser sur deux années et demie avec les quarante cinq clients détournés et captés par la société Phonatis,
- à défaut, condamner Phonatis à allouer à la société ITN France la somme de 274 094 euro représentant la marge brute perdue par la société ITN France,
- dire et juger que ces sommes porteront intérêts depuis le 17 juin 2002
- condamner Phonatis à allouer à la société ITN France la somme de 235 000 euro, pour la perte sur l'investissement
- dire et juger que cette somme portera intérêts depuis le 13 mai 2002,
- condamner Phonatis à allouer à la société ITN France la somme de 150 000 euro pour l'atteinte à l'image et le préjudice moral,
- dire et juger que cette somme portera intérêts depuis le 17 juin 2002,
- ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de Phonatis dans trois journaux à tirage national au choix de ITN France, sans que le prix de chacune de ces publications ne puisse être inférieur à 3 500 euro et ce, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte liquide et exigible de 1 500 euro par jour de retard,
- condamner Phonatis à faire publier à ses frais la décision à intervenir en première page d'accueil de son site internet ayant pour adresse "http://www.phonatis.com" pendant une durée qui ne saurait être inférieure à 5 mois et ce, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte liquide et exigible de 1 500 euro par jour de retard,
- condamner Phonatis à notifier l'arrêt à in1crvenir à chacune des 45 sociétés détournées et d'en justifier à ITN France à première demande, passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte liquide et exigible de 1 500 euro par jour de retard,
- dire et juger que l'arrêt à intervenir sera notifié par ITN France à France Telecom ainsi qu'à l'ART (Autorité de Régulation des Télécommunications) aux frais de la société Phonatis,
- faire injonction à Phonatis sous astreinte de 50 000 euro par infraction constatée, de solliciter, démarcher, capter ou détourner, de façon directe ou indirecte, la clientèle D'ITN France et ce, pour une durée de deux ans à compter du jour de la signification du jugement à intervenir,
En tout état de cause,
- débouter Phonatis en toutes ses demandes, fins et prétentions,
- dire et juger n'y avoir lieu à expertise judiciaire, et ce d'autant plus que cette mesure n'a jamais été sollicitée en première instance,
- condamner Phonatis à verser à la société ITN France la somme de 12 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRET
Attendu que l'action en concurrence déloyale trouve exclusivement son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Que si le quasi-délit prévu à ces articles ne requiert pas un élément intentionnel, il appartient à celui qui se prévaut de l'existence d'actes de concurrence déloyale d'en rapporter la preuve ;
Attendu que la société ITN France reproche d'abord à la société Phonatis d'avoir embauché Monsieur Elofir alors que celui-ci était déjà lié par un contrat de travail avec la société ITN France ;
Attendu qu'il n'est pas contestable qu'un employé tenu à une obligation de fidélité envers son employeur ne peut, sans manquer à cette obligation, exercer une activité concurrente de celle de son employeur ;
Attendu qu'en l'espèce Monsieur Elofir qui avait signé un contrat de travail le 15 mai 2002 avec la société ITN France a été embauché le 22 juin 2002 par la société Phonatis alors qu'il était toujours lié contractuellement avec la société ITN France ;
Que les activités de Monsieur Elofir dans les deux sociétés étaient identiques, et s'exerçaient dans le même secteur géographique ;
Que manifestement Monsieur Elofir a eu un comportement déloyal envers la société ITN France en signant un contrat de travail avec la société Phonatis alors qu'il était toujours salarié de la société ITN France ;
Attendu que pour que la responsabilité de la société Phonatis soit engagée en qualité de tiers complice, il faut, soit qu'elle ait embauché Monsieur Elofir en sachant qu'il était le salarié d'une entreprise concurrente, soit qu'elle n'ait pas suffisamment vérifié que celui-ci était libre de tout engagement ;
Attendu qu'il n'est pas soutenu que la société Phonatis connaissait la situation de Monsieur Elofir lorsqu'elle l'a embauché ;
Que si elle savait que Monsieur Elofir avait fait partie du personnel de la société Telecom Partners, elle savait aussi que lorsque cette société avait été reprise par la société ITN France, Monsieur Elofir ne faisait plus partie des salariés repris puisqu'il avait été licencié en 2001 ;
Qu'il n'est pas prétendu que Monsieur Elofir était lié à la société Telecom Partners par une clause de non-concurrence dont la société ITN France aurait bénéficié en tant que repreneur ;
Que dans le contrat de travail signé avec la société Phonatis Monsieur Elofir a déclaré "formellement être lié à aucune autre entreprise et être libre de tout engagement en vigueur avec son précédent employeur";
Qu'en présence d'une telle déclaration formelle et la bonne foi étant toujours présumée, la société Phonatis n'a pas commis de faute en ne procédant pas à des vérifications complémentaires ;
Qu'il ne s'agit pas en effet de l'embauche d'un salarié lié par une clause de non-concurrence et auquel on aurait pu demander son précédent contrat de travail pour vérifier l'existence d'une telle clause mais de celle d'une personne qui a caché l'existence d'un contrat de travail qui le liait encore à une entreprise concurrente ;
Que la société Phonatis n'avait aucun moyen de connaître l'existence d'un tel contrat et aucune raison de mettre en doute la parole de Monsieur Elofir ;
Que dès qu'elle a eu connaissance de la situation la société Phonatis a engagé une procédure de licenciement contre Monsieur Elofir avec mise à pied immédiate ;
Qu'elle a ainsi pris les mesures nécessaires pour faire cesser le trouble qui lui était reproché ;
Attendu que la société Phonatis n'a pas commis de faute en procédant à l'embauche de Monsieur Elofir et ne s'est pas rendu complice de la violation par celui-ci de l'obligation de fidélité le liant à la société ITN France ;
Que sa responsabilité n'est pas engagée de ce chef ;
Attendu ensuite qu'après son embauche par la société Phonatis Monsieur Elofir a obtenu le transfert d'une partie de la clientèle de la société ITN France qu'il gérait au profit de la société Phonatis ;
Que 45 clients sont ainsi passés de ITN France à Phonatis ;
Que ces détournements se sont accompagnés de dénigrement, la société ITN France étant présentée comme une entreprise n'ayant pas d'implantation locale dans la région Rhône-Alpes ;
Mais attendu qu'il a été rappelé plus haut que seul un fait personnel peut engager la responsabilité de la société Phonatis et que celle-ci ne s'est pas rendue complice du manquement par Monsieur Elofir à son obligation de fidélité ;
Attendu qu'il n'est pas établi que les actes répréhensibles commis par Monsieur Elofir aient été accomplis à la demande de la société Phonatis ni même que celle-ci en ait été informée ;
Que si l'afflux de nouveaux clients aurait pu attirer son attention, un certain recul était nécessaire pour apprécier son importance et l'origine de ceux-ci ;
Que le bref délai (un mois environ) qui a séparé l'embauche de Monsieur Elofir de l'intervention des huissiers de justice mandatés par la société ITN France était insuffisant pour que la société Phonatis appréhende la situation et que son manque de réaction constitue une négligence fautive susceptible d'engager sa responsabilité ;
Attendu que le Tribunal de commerce a rejeté la demande de la société ITN France concernant la confusion dans l'esprit du public et la violation de la réglementation ART par des motifs que la cour adopte et qui ne sont combattus par aucun moyen nouveau en cause d'appel ;
Attendu que la preuve de faits personnels imputables à la société Phonatis n'étant pas rapportée, la société ITN France sera déboutée de son action en concurrence déloyale ;
Que le jugement sera infirmé en ce sens ;
Attendu qu'en l'absence du caractère malicieux de l'action, la demande de dommages et intérêts sera rejetée ;
Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déboute la société ITN France de ses demandes, Déboute la société Phonatis de sa demande de dommages et intérêts, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société ITN France aux dépens de première instance et d'appel, dit que ceux-ci seront recouvrés par la SCP JUPIN-ALGRIN, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.