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Décisions

Cass. 1re civ., 9 mai 1990, n° 87-11.565

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Theus

Défendeur :

Chaslus, Maldan, Prebay, Les Jardins de Bibemus (SCI), Canal de Provence et d'Aménagement région provençale, Lacolonge

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jouhaud

Rapporteur :

M. Viennois

Avocat général :

M. Sadon

Avocats :

SCP Boré, Xavier, SCP Lemaître, Monod, SCP Masse-Dessen, George, Thouvenin, Mes Choucroy, Guinard

Aix-en-Provence, du 4 déc. 1986

4 décembre 1986

LA COUR : - Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte sous seing privé du 7 février 1974, Mme Lucquet a consenti à la société du Canal de Provence (SCP), sur une parcelle lui appartenant, une servitude d'acqueduc souterrain et de passage d'une longueur de 280 mètres ; qu'aucun acte authentique ne fut dressé et qu'en conséquence aucune publicité au bureau des hypothèques ne fut effectuée par M. Theus, notaire, qui en avait pourtant été chargé par la SCP ; que, par un autre acte du 28 décembre 1979, passé devant M. David, notaire, les consorts Lucquet ont vendu un terrain comprenant ladite parcelle à la société immobilière "Les Jardins de Bibemus" (la SCI) en vue de la création d'un lotissement, sans signaler l'existence de la servitude ; que la SCI a assigné les consorts Lucquet sur le fondement de la garantie des vices cachés dus par le vendeur, ainsi que M. Lacolonge, architecte du lotissement, en paiement du montant des travaux nécessaires à la modification de l'implantation de la servitude ; que les consorts Lucquet ont appelé en garantie MM. Theus et David, notaires ; que le tribunal de grande instance a mis hors de cause l'architecte et M. David, condamné les consorts Lucquet à prendre en charge le déplacement de la canalisation et M. Theus à les garantir pour un tiers des sommes qu'ils auraient à payer ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que M. Theus reproche à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 4 décembre 1986) de l'avoir condamné à garantir les consorts Lucquet de l'ensemble des sommes mises à leur charge, alors, selon le moyen, d'une part, que la responsabilité du notaire ne peut être retenue dès lors que le vendeur a volontairement trompé les acquéreurs par des agissements frauduleux ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les consorts Lucquet avaient sciemment omis de dénoncer à la SCI la convention de servitude comme ils s'étaient engagés à le faire à tout acquéreur, de sorte que la cour d'appel, qui a caractérisé la faute commise par eux, en statuant comme elle a fait, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'adage "nemo auditur propriam turpitudinem allegans" ; alors, d'autre part, qu'ayant constaté que les consorts Lucquet avaient agi d'une manière frauduleuse, la cour d'appel ne pouvait considérer que la faute qu'aurait commis M. Theus en ne formalisant pas l'acte de constitution de la servitude était la cause génératrice exclusive du préjudice ; et alors, enfin, que seuls les tiers peuvent se prévaloir du défaut de publicité d'un acte au fichier immobilier ; qu'en estimant que les consorts Lucquet pouvaient invoquer à leur profit les règles de la publicité foncière et être garantis par M. Theus des conséquences du défaut de publication de la servitude d'acqueduc la cour d'appel a violé l'article 30 du décret du 4 janvier 1955 ;

Mais attendu, d'abord, qu'en énonçant par motifs propres, qui excluent nécessairement ceux des premiers juges, que la canalisation litigieuse "implantée très à l'intérieur du terrain", "non constatée par acte authentique publié, était occulte" et constituait pour la SCI un "vice caché" dont les consorts Lucquet lui devaient garantie en application des articles 1626 et 1638 du Code civil, la cour d'appel n'a pas retenu l'existence d'agissements frauduleux de la part des consorts Lucquet à l'égard de la SCI ; que les juges du second degré ont également relevé que M. Theus, auquel avait été adressé, par lettre de la SCI du 6 mai 1974, des conventions de servitudes dont l'une concernait Mme Lucquet assorties d'une demande d'établissement des actes authentiques correspondants n'avait pas contesté, en octobre 1980, avoir été en possession des documents nécessaires à la mission dont il avait été chargé et qu'il n'avait pas accomplie ; que de ces constatations et énonciations la cour d'appel a pu décider que la faute professionnelle de M. Theus était la cause génératrice exclusive du préjudice résultant de l'absence de publicité de la servitude non apparente ;

Attendu, ensuite, que pour retenir que M. Theus devait garantir les consorts Lucquet des conséquences du défaut de publicité foncière la cour d'appel a estimé que cet officier public en était seul responsable à raison de sa faute personnelle et ne s'est pas fondée sur la qualité qui serait erronée de tiers à l'acte des époux Lucquet, qualité qui était celle de la SCI ; que le grief est donc inopérant ; d'où il suit qu'en aucune de ses trois branches le moyen n'est fondé ;

Et sur le second moyen : - Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. Theus à garantir les consorts Lucquet de la condamnation prononcée contre eux avec versement d'intérêts au taux légal sur la somme de 200 000 F à compter du 28 septembre 1981 et sur celle de 54 711,19 F à compter du 12 février 1983, date des paiements effectués par la SCI, alors selon le moyen, qu'en retenant des dates antérieures au prononcé de l'arrêt et du jugement, sans préciser que les intérêts étaient accordés à titre compensatoire ou de complément de dommages-intérêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale violant l'article 1153 du Code civil ;

Mais attendu qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 1153-1 du Code civil dans sa rédaction de la loi du 5 juillet 1985 applicable à la cause, l'arrêt étant intervenu après le 1er janvier 1986, date de son entrée en vigueur, le juge d'appel qui fixe l'indemnité peut toujours déroger à la règle selon laquelle les intérêts de l'indemnité courent de la date de sa décision ; d'où il suit que ce moyen n'est pas mieux fondé que le précédent ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.