CA Pau, 1re ch., 22 mai 2006, n° 04-02770
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Buros
Défendeur :
Gotcha Europe (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Parant
Conseillers :
Mmes Rachou, Perrier
Avoués :
SCP Marbot-Crepin, SCP de Ginestet-Duale-Ligney
Avocats :
Mes Sixdenier, Leplaideur
Par contrat en date du 23 janvier 1998, Monsieur Jacques Buros a été lié en qualité d'agent commercial à la société Gotcha Europe (depuis devenue société Freestyle puis société Emeral Coast) pour assurer la distribution de produits de la marque "Gotcha" dont elle est l'importateur exclusif pour la France et l'Europe.
Monsieur Buros s'est vu confier le secteur géographique correspondant aux départements de l'Ain, du Rhône, de la Savoie, de la Haute-Savoie et de l'Isère.
Par ordonnance en date du 13 avril 2000, le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre a condamné la société Freestyle à payer à Monsieur Buros une provision de 80 000 F - soit 12 195,92 euro - au titre d'un rappel sur commissions.
Cette société a pris l'initiative de la rupture du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 novembre 2000, prenant effet au 28 février 2001.
Par acte du 6 juin 2001, Monsieur Buros a saisi le Tribunal de commerce de Bayonne d'une action dirigée contre la société Gotcha en paiement de commissions à hauteur d'une somme hors taxes de 273 368 F - soit 41 674,68 euro - et d'une indemnité de rupture.
Par jugement en date du 21 janvier 2002, une expertise a été ordonnée et confiée à Monsieur Lapuyade aux fins de recherche des somme dues à l'agent; ce dernier a déposé un rapport le 24 mars 2003.
Par jugement en date du 10 mai 2004, le Tribunal de commerce de Bayonne a :
- condamné la société Gotcha à verser à Monsieur Buros la somme de 50 370 euro au titre des commissions dues pour les saisons hiver 1999, été 2000, hiver 2000 et été 2001;
- débouté Monsieur Buros de ses demandes en paiement de commissions relatives au magasin de Val d'Isère;
- condamné la société Gotcha à payer à Monsieur Buros la somme de 46 616 euro au titre de l'indemnité de rupture du contrat;
- dit que la provision de 80 000 euro (au lieu et par erreur de 80 000 F) allouée en référé viendra en déduction des sommes ci-dessus visées;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- condamné la société Gotcha aux dépens.
Par déclaration en date du 13 juillet 2004, Monsieur Buros a relevé appel de cette décision.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2006. La société Gotcha a déposé le jour même de la clôture des conclusions modifiant ses précédentes en date du 20 octobre 2005 en ce qu'elles développent sur une dizaine de pages supplémentaires un argumentaire différent sur les questions relatives d'une part aux commissions sur les commandes réalisées par le magasin de Val d'Isère et d'autre part aux circonstances et aux conséquences de la rupture.
Monsieur Buros a demandé le rejet de ces écritures tardives.
Le dépôt de ces conclusions le jour même de la clôture, en méconnaissance du temps utile exigé par les articles 15 et 132 du nouveau Code de procédure civile, a empêché la partie adverse d'y répondre et il convient de les écarter des débats.
Par ses dernières conclusions déposées le 4 octobre 2005, Monsieur Buros, appelant, fait valoir que:
1) sur les commissions:
- si des commandes n'ont pas été livrées ou facturées du fait de sa mandante, elle doit en assumer les conséquences sans pouvoir s'opposer au paiement des commissions qui lui est acquis; elle ne peut donc déduire des commissions réglées celles correspondant à des annulations de commandes pour cause de livraison tardive ou de rupture de stock, ou à des avoirs pour livraison non conforme;
- l'expert a opéré un calcul précis de ses droits au titre des saisons hiver 1999, été 2000, hiver 2000 et été 2001 et le jugement dont appel doit recevoir confirmation sur ces points;
- il a été en charge d'un secteur géographique déterminé et, par application de l'article 6 alinéa 2 du 25 juin 1991, il a également droit aux commissions pour toutes opérations conclues avec une personne de ce secteur et donc pour les commandes passées en direct par le magasin de Val d'Isère, qu'elles l'aient ou non été grâce à son intervention;
2) sur la rupture:
- sa mandante, pour justifier le non-paiement de l'indemnité de rupture, invoque une faute résidant dans une baisse du chiffre d'affaires ; un tel élément n'est pas en lui-même constitutif d'une faute et l'expertise judiciaire n'a pas permis d'établir une relation entre les résultats de son secteur et ceux de la société;
- dans une lettre du 15 juin 2000, la société Gotcha indiquait elle-même que son avenir était compromis et que son rachat par le groupe Quicksilver ne remettait pas en cause leur relation commerciale; elle ne peut donc maintenant lui imputer la responsabilité de l'érosion des ventes due à des collections de moins en moins adaptées à la demande du public et à ses propres difficultés à assurer un suivi correct des livraisons;
- le montant de l'indemnité de rupture est habituellement fixé par les tribunaux à deux années de commissions, sauf preuve d'un préjudice différent ici non rapportée.
Et il demande par suite, à la cour:
- de confirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a condamné la société Gotcha à lui verser la somme de 50 370 euro au titre des commissions des saisons hiver 1999, été 2000, hiver 2000 et été 2001;
- de le réformer pour le surplus;
- de condamner la société Gotcha à lui payer:
- la somme minima de 27 149 euro ou maxima de 35 382 euro au titre des commissions sur les commandes réalisées par le magasin de Val d'Isère
- les intérêts de retard à compter du 21 janvier 2000 sur la somme de 8 543 euro, à compter du 21 juillet 2000 sur la somme de 13 068 euro, à compter du 21 janvier 2001 sur la somme de 12 164 euro et à compter du 21 juillet 2001 sur la somme de 16 055 euro et 27 149 euro à 35 382 euro;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil;
* de condamner la société Gotcha à lui payer la somme de 137 729 euro à minima ou celle de 145 862 euro à maxima au titre de l'indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2000;
- de condamner la société Gotcha à supporter les entiers dépens et à lui verser une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par ses dernières conclusions déposées le 20 octobre 2005, la SA Gotcha Europe (ou société Emeral Coast), répond que:
1) sur les commissions:
- l'article 10 du contrat d'agent commercial stipule que les commissions ne sont dues que sur les ordres menés à bonne fin après encaissement du prix et dès lors que l'agent est seul à l'origine de l'affaire;
- les calculs établis par l'expert judiciaire sont en contradiction avec ces termes du contrat qui font la loi des parties;
- Monsieur Buros a été intégralement payé des commissions pour les saisons hiver 1999 et 2000 et été 2000 et il n'a pas établi de facture pour la saison été 2001, d'où une absence de paiement due à sa propre carence;
- il peut d'autant moins prétendre au paiement de commissions sur les ventes réalisées en direct par le magasin de Val d'Isère que son exploitation a débuté le 25 novembre 2000, soit cinq jours avant la rupture;
2) sur la rupture:
- le chiffre d'affaires de Monsieur Buros s'est effondré en 2000 alors que l'activité de la société demeurait globalement stable; il avait cessé de s'acquitter consciencieusement de sa mission, ainsi que le démontrent les résultats obtenus par son successeur;
- Monsieur Buros ne démontre pas l'existence d'un préjudice lui ouvrant droit à paiement d'une indemnité de rupture.
Et elle demande à la cour:
- de confirmer le jugement déféré uniquement en ce qu'il a débouté Monsieur Buros de ses demandes relatives au magasin de Val d'Isère;
- de reformer pour le surplus;
- de lui donner acte d'un solde de commissions dues à hauteur de 12 334,83 euro pour la saison été 2001 et d'ordonner à Monsieur Buros de produire la facture correspondante;
- de condamner Monsieur Buros à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR
Attendu que l'intimée ne précise pas quelle est à ce jour sa véritable dénomination sociale - SA Gotcha Europe ou société Emeral Coast - et que le présent arrêt sera donc rendu à l'égard de la SA Gotcha Europe ou de toute autre société venant à ses droits;
I. Sur les commissions:
Attendu que, par application de l'article L. 134-6 du Code de commerce, lorsque l'agent est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminées, il a droit à la commission afférente à toutes les opérations conclues pendant la durée du contrat avec des clients appartenant à ce secteur ou à ce groupe, et donc même si elles l'ont été sans son intervention;
Que toutefois, aux termes de l'article L. 134-16 du Code de commerce, les dispositions de l'article L. 134-6 du même Code ne sont pas d'ordre public et que les parties peuvent y déroger;
Or attendu en l'espèce que le contrat liant les parties a prévu en son article 10 que les commissions ne seront dues à l'agent que s'il est seul à l'origine de l'affaire ;
Que Monsieur Buros qui reconnaît dans ses écritures que sa mandataire a directement enregistré les commandes et livré les produits dans le magasin de Val d'Isère appartenant à la famille Killy sans même qu'il en ait été préalablement informé, a donc à bon droit été débouté par le premier juge de ce chef de prétention;
Attendu, en outre, qu'aux termes des article L. 134-9 et L. 134-10 du Code de commerce, la commission est acquise à l'agent dès que le mandant a exécuté l'opération en vertu de l'accord passé avec le tiers, c'est-à-dire lorsque la marchandise a été livrée, et au plus tard lorsque le tiers a lui-même exécuté sa part de l'opération, c'est-à-dire lorsqu'il a payé le prix;
Que ce droit à la commission s'éteint si le contrat entre le tiers et le mandant n'est pas exécuté mais uniquement si cette une exécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant;
Que l'article L. 134-16 du Code de commerce répute non écrite toute clause qui dérogerait à ces dispositions au détriment de l'agent;
Attendu que la clause du contrat soumettant le paiement de la commission aux ordres menés à bonne fin, c'est-à-dire livrés et honorés, et après encaissement du prix est donc licite comme conforme à ces dispositions d'ordre public et qu'il reviendrait effectivement à Monsieur Buros, s'il entendait être rémunéré sur des commandes non finalement exécutées, de faire la preuve que cette inexécution est imputable à la société Gotcha;
Mais attendu que le travail de reconstitution des comptes entre les parties qui a été effectué par l'expert Lapuyade a pris comme base de départ, non le montant des commandes enregistrées par l'agent, mais celui des commandes confirmées selon les listings établis par la société Gotcha et que cette dernière, qui déjà n'a pas remis en cause par dire ces énonciations du rapport expertal, n'apporte à ce jour aux débats aucun élément probant et de nature comptable lui permettant de remettre en cause le chiffre d'affaires correspondant à ces commandes confirmées, qui a servi d'assiette au calcul des commissions dont le montant est réclamé par Monsieur Buros;
Qu'en outre l'expert a parfaitement pris en considération les différents paiements portés au crédit de Monsieur Buros entre janvier 2000 et novembre 2000, y compris un paiement par chèque du 18 juillet 2000 d'un montant de 132 650,51 F qui a été ventilé entre les commissions de l'hiver 2000 et celles de l'été 2000;
Attendu qu'il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Gotcha à payer à Monsieur Buros un solde de 50 370 euro toutes taxes comprises au titre des commissions des saisons hiver 1999 à été 2001 ;
Qu'il sera toutefois observé que ce solde a déjà tenu compte de la déduction de la somme de 80 000 F ou 12 195,92 euro allouée par l'ordonnance de référé du 13 avril 2000 et que la disposition du jugement ordonnant qu'elle en soit une seconde fois déduite en sera retranchée;
Attendu que l'article L. 134-9 du Code de commerce dispose que la commission doit être payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise ; que toutefois les intérêts au taux légal sur les sommes dues ne courent qu'à compter de la première mise en demeure, soit et à défaut de demande préalable par lettre recommandée avec accusé de réception, à compter du 6 juin 2001, date de la citation en justice;
Que, par application de l'article 1154 du Code civil, ces intérêts seront dits capitalisables annuellement à compter de 15 novembre 2004, date de première demande en ce sens;
II. Sur la rupture et ses conséquences:
Attendu qu'aux termes de l'article L. 134-13 du Code de commerce, la réparation prévue à l'article L. 134-12 du même Code en cas de rupture du contrat à l'initiative du mandant n'est pas due uniquement lorsque sa cessation est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
Attendu qu'il est établi que le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur Buros a connu une régression importante entre 1999 et 2000 puisque de - 47 % entre les saisons hiver 1999 et hiver 2000 et de - 43 % entre les saisons été 2000 et été 2001 ;
Que toutefois, et selon les écrits de certains clients, cette époque a connu une désaffection pour la marque Gotcha due à une inadaptation des produits aux demandes du public;
Que la société Gotcha a en outre rencontré des difficultés pour livrer en temps souhaité les articles commandés et que le contexte conjoncturel allié à ces dysfonctionnements internes a participé à la régression enregistrée;
Qu'elle ne saurait le nier puisqu'elle écrivait à Monsieur Buros le 15 juin 2000 que "son rapprochement avec la société Napali exploitant la marque Quiksilver constituait pour elle une réelle opportunité à un moment où son avenir était compromis... et qu'elle allait désormais œuvrer au redressement de l'entreprise et au développement de la marque Gotcha";
Et attendu qu'à l'exception d'une baisse du chiffre d'affaires, certes alarmante mais non constitutive à elle seule d'une faute grave de l'agent, elle n'invoque aucun fait précis de nature à caractériser un tel manquement;
Attendu que Monsieur Buros a donc droit à l'indemnité compensatrice due en réparation du préjudice que lui a causé la cessation des relations contractuelles à l'initiative de sa mandante;
Que, selon les usages professionnels consacrés par une jurisprudence constante, cette indemnité est fixée à la valeur de deux années de commissions brutes, calculées sur la base des trois dernières années du mandat;
Que la société Gotcha ne démontre pas l'existence d'un préjudice moindre subi par son agent et que ce dernier se verra donc allouer, sur la base du montant des commissions des quatre saisons hiver 1999 à été 2001, la somme de 110 580 euro;
Attendu que cette indemnité, compensatrice du préjudice subi, n'a pas le caractère d'une créance que le juge ne fait que constater et que sa décision est à ce titre attributive de droit ; que les intérêts au taux légal ne courent donc qu'à compter de ce jour;
III. Sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Attendu que la société Gotcha qui succombe en appel, doit supporter les entiers dépens;
Attendu qu'il n'est pas de l'équité de faire droit à la demande de Monsieur Buros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ce d'autant que son conseil a déposé devant la cour un dossier comprenant pour partie la compilation de feuilles volantes issues de photocopies, non agrafées et non classées ou répertoriées et dont le soin lui a été laissé de chercher parmi elles celles qui seraient déterminantes pour l'appréciation du bien fondé de ses prétentions;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort; Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Bayonne en date du 10 mai 2004 en ce qu'il a; - condamné la société Gotcha à verser à Monsieur Buros la somme de cinquante mille trois cent soixante-dix euro (50 370 euro) au titre des commissions dues pour les saisons hiver 1999, été 2000, hiver 2000 et été 2001; - débouté Monsieur Buros de ses demandes en paiement de commissions relatives au magasin de Val d'Isère; - dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - condamné la société Gotcha aux dépens; Le réformant pour le surplus et y ajoutant, condamne la SA Gotcha Europe - ou toute autre société venant à ses droits - à payer à Monsieur Buros les intérêts dus au taux légal sur la somme de cinquante mille trois cent soixante-dix euro (50 370 euro) à compter du 6 juin 2001 et dit que ces intérêts sont capitalisables annuellement à compter du 15 novembre 2004; Condamne la SA Gotcha Europe - ou toute autre société venant à ses droits - à payer à Monsieur Buros la somme de cent dix mille cinq cent quatre-vingt euro (110 580 euro) au titre de l'indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour; Condamne la SA Gotcha Europe - ou toute autre société venant à ses droits - aux dépens de l'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile par la SCP Marbot-Crépin, avoués, qui en fait la demande.