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Décisions

CA Angers, ch. com., 24 janvier 2006, n° 05-00067

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GAREM (Sté), SA2E (SA)

Défendeur :

Adic (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Ferrari

Conseillers :

Mme Lourmet, M. Fau

Avoués :

SCP Gontier-Langlois, SCP Dufourgburg-Guillot

Avocats :

Mes Tuffreau, Grimault

T. com. Angers, du 1er déc. 2004

1 décembre 2004

La société SA2E est propriétaire de la marque Espace Emeraude sous laquelle sont distribués, au sein d'un réseau de magasins à l'enseigne du même nom implantés en milieu rural, des produits et matériels d'équipement destinés aux agriculteurs.

La société GAREM, Groupement d'achat et de référencement Emeraude, assure les fonctions de négoce et de référencement auprès des fournisseurs de ce réseau, avec lesquels elle est liée par un contrat de coopération commerciale.

Invoquant la défaillance de la société Adic Promotion (ci-après Adic), fournisseur du réseau en clôtures électriques pour l'élevage, les sociétés SA2E et GAREM l'ont fait assigner, le 4 juillet 2002, en paiement de la somme de 21 757,81 euro TTC, montant de la commission annuelle 2001, due en vertu du contrat de coopération.

La société Adic, sans discuter sa dette, a reconventionnellement demandé le paiement d'une indemnité de 714 334,31 euro en compensation du préjudice causé par la rupture brutale, du fait de la centrale de référencement, de ses relations commerciales avec le réseau.

Le Tribunal de commerce d'Angers, par jugement du 1er décembre 2004, a:

- condamné la société Adic au paiement du montant de la commission de 21 757,81 euro,

- condamné solidairement les sociétés GAREM et SA2E à payer la somme de 145 822,75 euro à la société Adic.

- ordonné la compensation des deux créances,

- condamné solidairement les sociétés GAREM et SA2E à une indemnité de procédure de 3 000 euro et aux dépens.

LA COUR,

Vu l'appel principal formé contre ce jugement par les sociétés GAREM et SA2E;

Vu les dernières conclusions du 7 novembre 2005, par lesquelles les appelantes, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demandent à la cour d'appel de débouter la société Adic de sa demande et la condamner à leur payer le montant de la commission annuelle, la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et les sommes de 2 000 euro et 3 000 euro au titre des frais de procédure de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions du 23 novembre 2005, par lesquelles la société Adic, intimée formant appel incident, demande à la cour:

- de constater que le jugement déféré a force exécutoire,

- de lui donner acte de ce qu'elle reconnaît devoir la commission de 21 757,81 euro

- de condamner les appelantes à lui payer une indemnité de rupture de 572 537,15 euro en fixant le préavis à 48 mois et, subsidiairement, ordonner une expertise pour évaluer le préjudice,

- ordonner compensation,

- condamner les appelantes à lui payer la somme complémentaire de 7 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Sur ce,

Sur le caractère exécutoire du jugement déféré

Attendu que, sur le fondement de l'article 915, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, la société Adic demande qu'il soit constaté que l'appel du jugement déféré est privé d'effet suspensif, faute pour les appelantes d'avoir conclu dans les 4 mois de leur déclaration d'appel du 23 décembre 2004;

Attendu que cette demande ne peut être accueillie dès lors qu'aux termes de ce texte, seule la radiation du rôle, qui n'a pas été ordonnée en l'espèce, prive l'appel d'effet suspensif;

Sur la commission due par la société Adic

Attendu que, depuis le début de la procédure, la société Adic reconnaît devoir la commission annuelle calculée sur son chiffre d'affaires, fixée pour l'année 2001 à 21 757,81 euro, et dont le paiement lui a été réclamé par l'assignation introductive d'instance ; qui lui en sera donné acte, le jugement de condamnation étant, en tant que de besoin, confirmé de ce chef;

Sur la rupture des relations commerciales

Attendu qu'il n'est pas contesté que les parties ont collaboré ensemble pendant plusieurs années sur la base d'accords verbaux;

Attendu que la société Adic justifie qu'au moins depuis l'année 1989, elle était référencée comme fournisseur auprès de la centrale du réseau Espace Emeraude;

Qu'elle établit aussi qu'à partir de l'année 1996, les magasins affiliés au réseau constituaient près du tiers de sa clientèle pour ce qui concerne son activité agriculture France ; que cette proportion, après avoir atteint 37,73 % en 2000, s'établit à 33,93 % en 2001 ;

Attendu que, par lettre du 13 avril 2001, la société GAREM a soumis à la signature de la société Adic, qui l'a ratifié en mai, un contrat écrit de coopération commerciale, d'une durée d'une année à effet rétroactif du 1er janvier 2001, sans tacite reconduction ; qu'il était prévu qu'à son terme, les parties auraient la faculté de négocier les nouvelles conditions de leur collaboration éventuelle (article 12);

Attendu qu'après une réunion tenue entre les deux cocontractants le 17 juillet 2001, la société GAREM, disant "confirmer notre volonté de remise à plat générale de notre collection clôture", a, par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 31 août 2001, prononcé la résiliation du contrat, à effet du 31 décembre 2001, "À titre conservatoire", en se prévalant de son article 13.2 suivant lequel :

"Tenant compte des relations commerciales antérieures, il est expressément convenu que chacune des parties pourra résilier librement l'accord de coopération commerciale sans avoir à justifier les raisons, sous réserve que cette résiliation ait été signifiée par lettre recommandée avec accusé de réception avec un préavis d'au moins 3 mois avant la fin du contrat";

Attendu que, par lettre du 30 avril 2002, la société Adic s'est plainte de la rupture brutale des relations commerciales et a demandé l'indemnisation de son préjudice en découlant en se fondant sur l'article L. 442-6 du Code de commerce;

Attendu qu'aux termes de ce texte:

I .- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant... ;

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure;

Attendu que la société Adic se prévaut à juste titre d'une relation commerciale établie avec la société GAREM, au moins depuis 1989 ; qu'il est indifférent, pour l'application du texte précité, qu'après une dizaine d'années ininterrompues de référencement par la centrale, la société GAREM, à la faveur d'un changement de direction selon l'intimée, ait exigé la signature d'un contrat écrit à durée déterminée;

Attendu que c'est à tort que les appelantes imputent la responsabilité de la rupture au fournisseur des magasins affiliés au réseau Emeraude;

Qu'en effet, la société GAREM, qui se prévaut aujourd'hui de l'expiration automatique de l'accord de coopération au 31 décembre 2001, a cru néanmoins devoir prendre l'initiative de le dénoncer afin de "remise à plat de la collection clôture" ;

Qu'elle ne peut pas faire grief à la société Adic de s'être abstenue de renégocier de nouvelles conditions à l'arrivée du terme contractuel, alors que la centrale, contrairement à ce qu'elle soutient, n'a à un quelconque moment laissé croire au fournisseur que le maintien de leur relation était possible;

Attendu que la société GAREM n'établit pas avoir clairement fait part à sa partenaire des nouvelles conditions qu'elle posait à la poursuite du référencement de la société Adic ; qu'elle n'est donc pas fondée à faire supporter la responsabilité de la rupture au fournisseur au prétexte qu'il aurait fait preuve de carence en ne formulant aucune proposition pour répondre à ses attentes;

Que la lettre de dénonciation du contrat manifeste l'intention de la centrale de référencement de son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et s'analyse en un refus de renouvellement de l'accord de coopération, ce que confirme les termes de la lettre de la centrale envoyée en télécopie le 27 février 2002 au fournisseur, suivant lesquels "malgré les distances que nous avons été contraints de prendre à la demande d'une majorité de membres de notre groupe, nous vous assurons que nous restons très attentifs à l'évolution de votre société";

Qu'il s'ensuit que la société GAREM doit être tenue pour responsable de la rupture totale des relations commerciales entretenues par les parties depuis au moins douze ans, sans que l'arrivée du terme du contrat que le fournisseur a signé trois mois avant la dénonciation ait une incidence sur l'imputabilité de cette rupture;

Attendu que la société GAREM n'invoque aucune inexécution ou cas de force majeure qui pourrait justifier que soient écartées les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5e du Code de commerce;

Attendu que l'ancienneté de la collaboration entretenue sans heurt entre le réseau Emeraude et son fournisseur a donné confiance à la société Adic dans le maintien de son référencement et, partant, dans l'écoulement de sa production auprès des affiliés du réseau qu'elle approvisionnait sans discontinuité depuis au moins douze ans;

Attendu qu'eu égard à ces circonstances, mais aussi compte tenu de la part importante du chiffre d'affaires réalisé par la société Adic avec les affiliés Emeraude et du caractère saisonnier des marchandises, le préavis, par référence aux usages du commerce dans le même secteur d'activité, ne pouvait être inférieur à une durée de 12 mois, comme l'a retenu le tribunal de commerce; que les produits étant de surcroît fournis par la société Adic aux magasins du réseau sous la marque du distributeur, la durée du préavis, multipliée par deux, doit être fixée à 24 mois, conformément aux prescriptions de l'article L. 442-6, I, 5° ;

Attendu que le délai de préavis prévu par les parties dans le contrat qu'elles ont signé en 2001 ne constitue pas, quant à l'appréciation de sa durée, un obstacle à l'application du texte précité;

Qu'il s'ensuit que le délai effectif de 4 mois qui s'est écoulé entre la notification de la dénonciation et sa date d'effet est largement insuffisant et que le préjudice qui en est résulté doit être réparé par l'auteur de la rupture de la relation commerciale;

Que la société SA2E, qui a assigné, aux côtés de la centrale de référencement, la société Adic en paiement de la commission annuelle, ne conteste pas avoir participé aux faits dénoncés ; qu'elle a ainsi concouru à la réalisation du dommage du fournisseur déréférencé et doit en conséquence être tenue in solidum avec la société GAREM à le réparer;

Attendu que le fournisseur évincé ne peut obtenir, sur le fondement du texte qu'il invoque, que la réparation du préjudice découlant du caractère brutal de la rupture et non celui résultant de la cessation de la relation commerciale elle-même;

Attendu que l'insuffisance du délai de préavis n'a pas mis le fournisseur en mesure de réagir en temps utile à la perte de l'un de ses clients essentiels, afin de trouver de nouveaux débouchés, rechercher des distributeurs et négocier de nouveaux contrats;

Qu'il en est directement résulté, au cours du délai dont aurait dû bénéficier le fournisseur, une diminution massive du chiffre d'affaires et, partant, une perte de bénéfices qui sera indemnisée, au vu des pièces produites et sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise, à concurrence de 140 000 euro, comme l'a justement évaluée le tribunal de commerce;

Qu'à cette somme s'ajoute celle de 5 822,75 euro représentant le coût des étiquettes et emballages réalisés aux marques du réseau Emeraude, que le fournisseur n'a pu écouler du fait de la brutalité de la rupture ;

Attendu qu'enfin, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal de commerce, la société Adic sera en outre indemnisée du préjudice découlant pour elle du stock de marchandises portant le sigle Emeraude, d'une valeur de 23 899,55 euro, qu'elle a pas eu le temps de vendre avant la date d'effet de la rupture et qui sont devenues invendables;

Attendu qu'ainsi, toutes causes confondues, le préjudice de la société Adic sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 169 722,30 euro;

Que la compensation ordonnée sera confirmée ;

Attendu que les appelantes, succombant, supporteront les dépens et les frais de procédure d'appel de l'intimée, en sus de ceux de première instance, leur demande indemnitaire pour procédure abusive ne pouvant qu'être rejetée.

Par ces motifs, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Déboute la société Adic de sa demande tendant à voir dire que l'appel des sociétés GAREM et SA2E est privé d'effet suspensif; Donne acte à la société Adic de ce qu'elle reconnaît devoir la somme de 21 757,81 euro aux appelantes; Confirme le jugement déféré sauf sur le montant de l'indemnité allouée à la société Adic; Réformant de ce seul chef et y ajoutant Condamne in solidum les sociétés GAREM et SA2E à payer à la société Adic la somme de 169 722,30 euro à titre de dommages-intérêts; Les condamne in solidum à payer à la société Adic la somme de 4 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande; Condamne in solidum les sociétés GAREM et SA2E aux dépens d'appel, recouvrés dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.