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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 8 mars 2006, n° 03-08445

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Galerie Sainte-Anne (SA)

Défendeur :

C.Mendes (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Lacroix, Clément

T. com. Paris, du 6 févr. 2003

6 février 2003

Le 6 novembre 1996, la société Diffusion Rive Gauche concluait avec la société Galerie Sainte-Anne un contrat en vertu duquel elle concédait â cette dernière le droit exclusif d'exploiter sous l'enseigne "Yves Saint Laurent Rive Gauche" une boutique de prêt-à-porter féminin située à Clermont Ferrand.

Le contrat était conclu pour une durée initiale de trois ans et renouvelable chaque année, pour une nouvelle durée de douze mois, par tacite reconduction, les parties pouvant toujours y mettre fin sous réserve d'un préavis de six mois.

Par courrier du 18 avril 2000 la société Yves Saint Laurent Couture faisait part à la société Galerie Sainte-Anne de son projet de réorganiser l'ensemble de ses activités et, notamment, de procéder à l'arrêt de la ligne "Yves Saint Laurent Variation" que l'intéressée distribuait plus particulièrement.

Cependant, par lettre recommandée en date du 5 mai 2000, la société Diffusion Rive Gauche informait la société Galerie Sainte-Anne de sa décision de ne pas renouveler le contrat dont elle bénéficiait jusqu'alors et ce à compter du 6 novembre 2000 pour respecter le délai de préavis contractuel susmentionné.

Ce courrier reprenait l'information détaillée dans la lettre du 18 avril précédent et précisait, par ailleurs, expressément que " les discussions en cours à l'heure actuelle ne nous permettent pas de procéder à un renouvellement du contrat dans sa forme actuelle ".

Néanmoins, et à titre exceptionnel compte tenu des bonnes relations commerciales entretenues jusqu'alors, la société concédante autorisait la société Galerie Sainte-Anne à poursuivre l'exploitation de sa boutique jusqu'au 31 juillet 2001.

S'agissant enfin d'une éventuelle poursuite ultérieure des relations commerciales entre les parties, la société Diffusion Rive Gauche ajoutait :

"Durant cette période de préavis, nous vous tiendrons informés des décisions que la société Yves Saint Laurent Couture prendra et dans l'hypothèse où les options prises par cette société nous le permettent nous vous entretiendrons des perspectives de la distribution d'Yves Saint Laurent Rive Gauche dans un nouveau cadre contractuel".

La société Galerie Sainte-Anne a accepté le préavis supplémentaire ainsi proposé et, par un nouveau courrier en date du 6 juillet 2000, la société Diffusion Rive Gauche a de nouveau étendu la période de préavis jusqu'au 31 juillet 2002, à la demande expresse de cette dernière, aux fins de lui "permettre de juger de l'adéquation du nouveau positionnement et style de la ligne "Yves Saint Laurent Rive Gauche" à la clientèle de Clermont-Ferrand".

Ce courrier précisait également que "durant cette période, nous envisagerons ensemble les perspectives de la distribution des articles Yves Saint Laurent Rive Gauche dans le cadre d'un nouveau contrat".

Estimant au vu d'un constat d'huissier dressé le 22 mai 2001 que la société Galerie Sainte-Anne violait ses obligations et vendait des articles de marques autres qu'"Yves Saint Laurent" en méconnaissance de la clause d'exclusivité les liant, la société concédante prononçait par courtier du 10 juillet 2001 la résiliation du contrat avec effet immédiat au regard de la gravité, selon elle, de la faute ainsi relevée à laquelle s'ajoutait le non-paiement d'un solde de facture.

La société Galerie Sainte-Anne, considérant, pour sa part, que sa cocontractante avait modifié unilatéralement les termes de l'engagement souscrit, a, par acte du 26 juillet 2001, assigné cette dernière devant le Tribunal de commerce de Paris en constat de la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Diffusion Rive Gauche ainsi qu'en octroi de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 6 février 2003, le tribunal saisi a:

- débouté la société Galerie Sainte-Anne de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société C.Mendes, venant désormais aux droits de la société Diffusion Rive Gauche, de ses demandes reconventionnelles en paiement des sommes de:

- 28 925,56 euro au titre des factures impayées par la société Galerie Sainte-Anne,

- 8 000 euro pour procédure abusive,

- condamné la société Galerie Sainte-Anne aux dépens et au versement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure Civile.

Par déclaration en date du 11 avril 2003, la société Galerie Sainte-Anne a interjeté appel de ce jugement.

Cette dernière, par conclusions enregistrées le 11 janvier 2006, a prié la cour de:

- constater la résolution du contrat de distribution aux torts exclusifs de la société C.Mendes,

- en conséquence, condamner cette dernière à réparer l'entier préjudice subi et à payer à ce titre la somme de 1 579 325 euro ainsi décomposée:

- 406 230 euro au titre de la part d'investissement,

- 1 045 038 euro au titre du manque à gagner,

- 128 057 euro au titre des frais de reconversion,

- dire et juger que le solde des factures non justifiées réclamées par la société C. Mendes (28 925,59 euro) viendra en compensation avec les dommages et intérêts qui lui seront alloués,

- débouter cette dernière de la totalité de ses autres demandes,

- condamner celle-ci aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions enregistrées le 24 janvier 2006 la société C.Mendes a demandé, pour sa part, à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Galerie Sainte-Anne de l'ensemble de ses prétentions,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a elle-même déboutée de ses demandes présentées au titre des factures impayées et de dommages et intérêts, en conséquence,

- condamner la société Galerie Sainte-Anne à lui verser:

- 28 925,59 euro au titre du solde des factures impayées avec intérêts au taux légal à compter de la date du 10 juillet 2001,

- 15 000 euro pour procédure abusive,

- condamner la société Galerie Sainte-Anne aux dépens et au paiement de la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Sur les demandes formées par la société Galerie Sainte-Anne en résolution du contrat souscrit ainsi qu'en allocation de dommages et intérêts

Considérant que l'appelante soutient, tout d'abord, à l'appui de ses prétentions que l'intimée aurait commis une faute en modifiant unilatéralement les termes du contrat, notamment, au regard de l'arrêt de la ligne "Yves Saint Laurent Variation" et de la nouvelle stratégie commerciale adoptée par ses soins ; qu'elle prétend que l'équilibre économique dudit contrat aurait été mis en cause et que celui-ci n'aurait ainsi pas été exécuté de bonne foi;

Considérant qu'il convient, cependant, de rappeler que le non-renouvellement d'un contrat de concession venu à expiration est un droit pour le concédant qui n'engage sa responsabilité qu'en cas d'abus dans l'exercice de ce droit dont la preuve incombe à celui qui se prétend victime de cet abus ; qu'en l'espèce, et ainsi qu'il a été ci-dessus énoncé, la société Diffusion Rive Gauche a respecté les modalités de dénonciation du contrat en avisant la société Galerie Sainte-Anne de son intention de ne pas le renouveler six mois avant l'expiration et en lui indiquant, sans y être légalement tenue, les raisons de sa décision tirées du changement d'orientation de sa politique commerciale; que bien que connaissant l'arrêt de la ligne "Variation" qu'elle commercialisait jusqu'alors la société Galerie Sainte-Anne a, néanmoins, sollicité à deux reprises la prorogation de la période de préavis qui lui avait été consentie et s'est, ainsi, mise elle-même en situation de ne plus être livrée en certains vêtements; qu'elle ne saurait, donc, imputer présentement à sa cocontractante une "modification unilatérale" de ses conditions de vente, laquelle n'est que la résultante de la poursuite d'un engagement que la société concédante avait, de toute façon la faculté de ne pas accepter; que, toutefois, si une telle résiliation peut, même si le préavis conventionnel est respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture et révélant un manquement à la bonne foi contractuelle exigée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil, il ressort des pièces versées aux débats que l'intimée n'a jamais créé chez sa cocontractante une confiance erronée et fallacieuse dans la poursuite de la relation contractuelle les unissant dans les mêmes conditions qu'auparavant que, bien au contraire, le courrier susmentionné du 6 juillet 2000 précisait clairement qu'un éventuel "nouvel accord" pourrait être défini et, en aucun cas, une reconduction à l'identique des modalités du partenariat antérieur; que, par suite, la société Galerie Sainte-Anne ne peut, sauf à dénaturer les termes des correspondances échangées, affirmer que la société Diffusion Rive Gauche l'aurait "habilement laissée dans l'expectative" ou l'aurait "abusivement entretenue dans l'espoir d'une solution contractuelle" alors que cette dernière n'a fait qu'accéder à ses propres demandes de prorogation de son préavis sans pour autant prendre le moindre engagement pour l'avenir;

Considérant que si l'appelante reproche, en deuxième lieu, à la société intimée d'avoir manqué à son obligation de conseil et d'assistance en ne lui accordant pas " le moindre soutien ni la moindre information concrète quant aux possibilités d'adaptation du mode de distribution de la nouvelle gamme Yves Saint Laurent", il échet de rappeler que le concédant n'est pas tenu d'une obligation d'assistance à son concessionnaire, en vue de sa reconversion alors même que la longueur du préavis accordé ne pouvait que faciliter cette tâche et permette la préservation des actifs du fonds exploité;

Considérant que la société Galerie Sainte-Anne fait grief, en troisième lieu, à la société concédante d'avoir méconnu ses obligations contractuelles et justifie, en revanche, ses propres manquements en invoquant "l'état de dépendance économique" dans lequel l'aurait placée le contrat du 6 novembre 1996 ; que, cependant, alors que l'appelante ne rapporte la preuve, ainsi qu'il a été ci-dessus démontré, d'aucune faute de la part de la société intimée susceptible de fonder la résolution du contrat qu'elle sollicite, il ressort, en revanche, des pièces du dossier, et notamment du constat d'huissier effectué le 22 mai 2001, que la société Galerie Sainte-Anne a directement méconnu la clause d'exclusivité prévue par l'article 3 dudit contrat en commercialisant des vêtements portant d'autres marques que celle de son distributeur; que, par ailleurs, l'état de dépendance économique vis-à-vis de ce dernier allégué pour excuser une telle violation, laquelle n'est pas contestée en tant que telle et est de nature, en tout état de cause, à permettre la résiliation de plein droit de l'engagement souscrit, ne saurait s'induire de la seule exclusivité à laquelle elle s'était engagée en professionnelle avertie ou de la notoriété de la marque distribuée ; qu'en effet l'état de dépendance économique caractérise une situation dans laquelle une entreprise est obligée de poursuivre des relations commerciales avec une autre compte tenu de l'impossibilité de s'approvisionner en produits substituables dans des conditions équivalentes ; qu'en l'occurrence le seul fait que l'appelante ait commercialisé des articles de prêts-à-porter d'autres marques que celle de son fournisseur établit la possibilité pour l'intéressée de se procurer les produits équivalents et, par là même, l'inexistence du prétendu état de dépendance économique invoqué;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute démontrée imputable à la société concédante, l'appelante ne peut qu'être déboutée de l'intégralité de ses prétentions sus-rappelées et ce sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité des chefs de préjudices qu'elle invoque;

Sur les demandes reconventionnelles formées par la société C.Mendes

Considérant qu'en application de l'article 5 alinéa 2 du contrat conclu la société Galerie Sainte-Anne s'était engagée à régler régulièrement les factures dues à l'intimée ou à ses fabricants " dans les 60 jours fin de mois " ; que, dans un courrier du 10 juillet 2001, il a été rappelé à la société Galerie Sainte-Anne qu'elle restait devoir à son fournisseur, contrairement aux exigences dudit article 5 alinéa 2, des factures s'élevant à la somme de 28 925 euro au titre de marchandises livrées;

Considérant que, dans ses écritures en cause d'appel, la société Galerie Sainte-Anne ne conteste pas le montant susmentionné et se borne à solliciter la compensation de la somme correspondante avec les dommages et intérêts qu'elle estime lui être par ailleurs dus ; que, par suite et par infirmation sur ce point du jugement déféré, il échet de condamner l'appelante à payer à l'intimée la somme réclamée de 28 925,59 euro, dont le mode de calcul n'est pas critiqué en tant que tel, outre les intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2001, date du courrier susvisé;

Considérant, en revanche, que la société C.Mendes, qui ne caractérise ni l'abus qu'elle impute à la société Galerie Sainte-Anne ni le préjudice spécifique qui en serait résulté pour elle, sera déboutée de sa demande indemnitaire présentée pour "procédure abusive " de la part de celle-ci;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Galerie Sainte-Anne à verser à la société C.Mendes la somme de 6 000 euro au titre des frais hors dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté l'intimée de sa demande en paiement d'un solde de factures, L'infirme de ce chef, Et statuant à nouveau, Condamne la société Galerie Sainte-Anne à payer à la société C.Mendes la somme de 24 925,59 euro, outre les intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2001, Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, Condamne la société Galerie Sainte-Anne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Fisselier-Chilloux-Boulay, avoués, La condamne ainsi à payer à l'intimée la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.