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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 6 avril 2006, n° 04-04670

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

News Parfums (SARL)

Défendeur :

Chanel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

Me Magnan, SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils

Avocats :

Mes Bonnaffons, Meslay-Caloni

T. com. Marseille, du 5 janv. 2004

5 janvier 2004

Exposé du litige

La SAS Chanel commercialise des vêtements et parfums au travers d'un réseau de distribution sélective constitué de détaillants agréés. Le 6 novembre 1992, la SARL News Parfums a demandé à l'intégrer. Après visite des locaux par son représentant, la SAS Chanel lui a fait connaître par courrier en réponse du 29 avril 1993 qu'elle n'entendait pas l'agréer dans l'état actuel.

Le 15 mai 2000, la SAS Chanel a fait constater qu'un client pouvait acquérir des produits Chanel auprès de la parfumerie News Parfums. Le 22 novembre suivant, Maître Philippe Abeille, huissier de justice à Marseille, désigné par ordonnance sur requête du 26 septembre 2000, dénombrait la présence de trois cent quatre vingt dix neuf produits Chanel dans les locaux de la société News Parfums.

Sur assignation en concurrence déloyale, le Tribunal de commerce de Marseille par jugement contradictoire du 5 janvier 2004 a:

- condamné la société News Parfums à payer à la SAS Chanel les sommes de soixante mille neuf cent soixante-dix neuf euro (60 979 euro) à titre de dommages-intérêts et de deux mille vingt-cinq euro treize centimes (2 025,13 euro) au titre des frais d'huissier;

- interdit à la société News Parfums de réaliser toute vente et achat de produits Chanel sous astreinte de cinquante euro (50 euro) par produit constaté;

- ordonné la publication du jugement dans trois journaux choisis par la SAS Chanel et pour un montant ne pouvant dépasser quatre mille cinq cents euro (4 500 euro);

- condamné la société News Parfums à payer à la SAS Chanel la somme de sept cent cinquante euro (750 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société News Parfums en a relevé appel le 4 février 2004 et plaide dans ses dernières conclusions du 10 février 2006 que:

- elle n'a pas porté atteinte à la marque s'agissant de produits authentiques vendus sur le territoire communautaire;

- la vente de ces produits par un détaillant non agréé ne constitue pas un usage illicite ni une faute;

- la SAS Chanel ne démontre pas la licéité de son réseau et de son opposabilité faute d'avoir informé la société News Parfums des motifs de son refus d'agrément;

- la société News Parfums est dépositaire de nombreuses marques notoires telles que Lacoste, Cacharel, Davidoff, Boss, Saint Laurent, Hermes, Lanvin, etc... et a réitéré sa demande d'agrément les 12 janvier et 26 mars 1993, 15 décembre 1998 et 22 novembre 2000 à la SAS Chanel qui n'a pas répondu et n'a jamais fait connaître ses exigences pour intégrer son réseau;

- elle a communiqué en cours de procédure la grille d'évaluation réalisée en 1993 par son représentant comportant des erreurs et inexactitudes sur les marques distribuées et reposant sur des critères subjectifs.

Estimant que la SAS Chanel a commis un abus de position dominante et a usé de pratiques discriminatoires, la société News Parfums conclut à l'infirmation du jugement déféré et au rejet des demandes de la SAS Chanel. Elle sollicite reconventionnellement paiement d'une indemnité de cinquante mille euro (50 000 euro) pour préjudice commercial et subsidiairement la limitation des dommages-intérêts alloués à l'euro symbolique au regard de la valeur des trois cent quatre-vingt dix neuf produits inventoriés soit dix huit mille quarante huit euro (18 048 euro). Elle réclame enfin paiement d'une indemnité de huit mille euro (8 000 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Se fondant sur la réglementation et la jurisprudence communautaires, la SAS Chanel soutient dans ses conclusions du 6 février 2006 que:

- son réseau de distribution est licite;

- elle édite une fiche d'appréciation et un guide de notation afin de faciliter l'examen objectif du représentant chargé d'apprécier le distributeur requérant;

- il n'existe aucune obligation de communiquer ces fiches aux distributeurs candidats s'agissant de documents internes que la société News Parfums au demeurant n'a pas réclamés;

- il n'est pas justifié par cette dernière de l'envoi des demandes postérieures à 1992 et il est inconcevable que la société News Parfums n'ait pas réagi au refus d'agrément si elle avait considéré être victime d'un abus;

- l'article L. 442-6-1 du Code de commerce s'applique à des relations commerciales établies, ce qui n'est pas le cas de l'espèce ;

- les faits datant de plus de dix ans, toute action en responsabilité est en outre prescrite;

- la société Chanel n'occupe pas de position dominante sur le marché considéré dans la mesure où elle n'en représente que 10 %;

- les critères d'agrément reposent sur des éléments objectifs tels l'environnement, l'installation et l'aménagement du point de vente, l'exercice d'autres activités;

- la demande n'est pas fondée sur le droit des marques mais uniquement sur des agissements déloyaux relevant de l'article 1382 du Code civil; or la société News Parfums s'est procurée des produits Chanel irrégulièrement auprès d'un distributeur agréé qui lui-même ne pouvait vendre qu'au détail à des consommateurs directs;

- le gérant de la société News Parfums s'est refusé catégoriquement à communiquer à l'huissier instrumentaire ses sources d'approvisionnement, en l'espèce les parfumeries Roma et Garron identifiées postérieurement au moyen des codes barres étant observé que sur les trois cent quatre vingt dix neuf produits répertoriés, plus de trois cents ne comportant pas de codes barres demeurant d'origine inconnue;

- la société News Parfums qui n'est pas soumise aux contraintes des distributeurs agréés a bénéficié de l'attrait de la marque Chanel sur les consommateurs;

* elle a vendu des produits revêtus de la mention "cet article ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel", induisant en erreur le public sur sa qualité de distributeur;

- le préjudice subi résulte de l'atteinte portée au prestige et à la réputation de la marque nonobstant les lourds investissements consentis pour promouvoir son image, de l'atteinte portée à la cohésion du réseau de distribution, du coût en ressources humaines engagées pour lutter en permanence contre ce type d'agissements et de la perte du chiffre d'affaires des sociétés Roma et Garron dont les contrats ont été résiliés pour manquement à leurs obligations;

- son montant est justifié au regard du chiffre d'affaires réalisé par ces deux sociétés.

La société Chanel conclut à la confirmation du jugement déféré sauf à porter l'astreinte à deux cents euro (200 euro) et l'indemnité pour frais de procédure à six mille euro (6 000 euro) en première instance et à dix mille euro (10 000 euro) en appel.

Elle demande enfin de condamner la société News Parfums à lui remettre sous astreinte de trois cents euro (300 euro) par jour de retard les factures d'achat des produits litigieux.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2006. La société News Parfums ayant communiqué postérieurement une correspondance officielle entre avocats du 16 février 2006 et une facture de restitution à la société Garron des trois cent quatre-vingt dix neuf produits Chanel, la société intimée en a sollicité le rejet en vertu de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile.

A l'audience de plaidoiries du 28 février 2006, la société News Parfums a retiré de son dossier la facture litigieuse. Mention de ses déclarations a été portée au plumitif d'audience.

Discussion

Les parties ne discutent pas de la recevabilité de l'appel. La cour ne relevant aucun élément pouvant constituer une fin de non-recevoir susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.

Sur la concurrence déloyale:

C'est très utilement que la SAS Chanel rappelle que son action est fondée sur la responsabilité délictuelle telle que prévue à l'article 1382 du Code civil et non sur le droit des marques invoqué en défense par la société News Parfums au moyen de longues et vaines digressions, telles les développements sur l'épuisement communautaire du droit des marques totalement hors de propos, dans le but sinon d'éluder le débat, d'entretenir la confusion. En l'espèce, il est reproché à la société News Parfums d'avoir vendu des produits Chanel sans être agréée et rien d'autre, la société News Parfums faisant valoir pour sa part que son refus d'agrément est abusif étant immédiatement observé que quand bien même tel serait le cas, la société News Parfums ne pouvait aucunement commercialiser d'office les produits litigieux en se faisant justice elle-même.

L'invocation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce est tout autant inutile puisque la prohibition de pratiques discriminatoires s'inscrit dans le cadre de relations commerciales préexistantes. Le débat est donc circonscrit à la licéité du réseau revendiqué par la SAS Chanel et de son refus d'agrément.

S'agissant du premier terme, il n'est pas douteux que les produits dont s'agit relèvent des cosmétiques de luxe pouvant être distribués dans un réseau sélectif dont l'organisation a été notifiée à la Commission européenne et relève désormais du règlement CEE 2790-1999 portant application de l'article 81 du traité CEE. Il est aussi constant que la SAS Chanel n'occupe aucune position dominante sur le marché considéré puisqu'elle ne distribue que 10 % des produits, que ce marché est soumis à une très forte concurrence, les études statistiques produites démontrent que trente marques de parfums de luxe y sont présentes, que les prix de vente au détail demeurent libres et qu'enfin les membres du réseau sont intégrés en fonction de critères objectifs ainsi qu'il ressort du contrat de distribution agréé communiqué au débat.

Le réseau de distribution mis en place par la SAS Chanel est donc licite tant au regard du droit communautaire que national.

S'agissant des critères qualitatifs sur lesquels sont agréés les distributeurs, la fiche d'appréciation établie le 18 janvier 1993 par la SAS Chanel porte incontestablement sur des critères objectifs à savoir le type de magasin, sa surface, son enseigne, la présence des marques concurrentes vendues, l'environnement extérieur et intérieur, la localisation dans la ville. La société News Parfums prétend qu'elle comporte des renseignements erronés notamment au regard des autres marques dont elle est distributrice agréée et qu'elle n'a pas été en mesure d'apprécier la pertinence des constatations de la SAS Chanel. Mais ainsi que l'ont relevé très justement les premiers juges, la société News Parfums n'a jamais sollicité la moindre explication après le courrier de refus de la SAS Chanel du 29 avril 1993 et encore moins l'indication des éléments qu'il conviendrait de modifier ou d'adopter pour pouvoir intégrer ultérieurement le réseau. L'appelante soutient alors qu'en adoptant ce motif, le tribunal aurait inversé la charge de la preuve, argument totalement dépourvu de sérieux au regard de la carence de la société News Parfums qui ne peut s'en prévaloir aujourd'hui.

En effet:

- la SAS Chanel n'avait aucune obligation de lui communiquer un document interne;

- la société News Parfums a invoqué pour la première fois le prétendu refus abusif d'agrément lors des débats devant le tribunal de commerce intervenus à l'audience du 10 novembre 2003 [la procédure étant orale en matière commerciale] soit plus de dix ans plus tard alors que toute action en réparation du préjudice commercial qu'elle allègue et évalue à cinquante mille euro (50 000 euro) est nécessairement prescrite;

- elle ne justifie pas des "demandes réitérées" d'adhésion puisque les courriers de janvier et mars 1993, décembre 1998 et 22 novembre 2000 n'ont pas été adressés avec accusé de réception, que la SAS Chanel conteste les avoir reçus et qu'aucune preuve négative ne peut être exigée de cette dernière.

Il s'évince de ces éléments que la société News Parfums n'a donc jamais contesté le refus qu'elle critique vainement aujourd'hui et a préféré procéder de façon illicite.

Les fautes commises par l'appelante, caractérisant la concurrence déloyale, sont évidentes, multiples et incontestables puisqu'elle même agréée pour la vente d'autres marques, elle ne pouvait en aucun cas méconnaître les exigences d'un réseau de distribution sélective. Or:

- elle s'est approvisionnée irrégulièrement auprès d'un distributeur;

- elle s'est rendue complice de la violation par le distributeur agréé de ses propres obligations lui imposant de ne vendre qu'à un consommateur direct;

- totalement consciente de son comportement illicite, la société News Parfums a refusé de communiquer à l'huissier désigné par le Président du tribunal de commerce, l'origine des produits litigieux inventoriés dans ses locaux obligeant la SAS Chanel à des investigations supplémentaires, étant rappelé que seule l'origine de soixante dix produits sur trois cent quatre-vingt dix neuf a pu être déterminée;

- sommée à plusieurs reprises de communiquer les factures d'achat, la société appelante a persisté dans son attitude fautive;

- elle s'est empressée de restituer le stock au fournisseur indélicat interdisant sa mise sous séquestre et un examen plus attentif par la SAS Chanel tout en réitérant à l'huissier instrumentaire son refus de révéler son identité et de communiquer le moindre document comptable (cf. procès-verbal de carence du 16 janvier 2001);

- elle a vendu des produits Chanel sans être soumise à aucune des contraintes pesant sur les distributeurs agréés parasitant ainsi la marque Chanel;

- elle a vendu ses produits avec la mention : "cet article ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel" se présentant ainsi de façon mensongère auprès de la clientèle entretenue dans la croyance qu'elle s'adressait à un distributeur agréé auprès duquel elle aurait tous renseignements et conseils adéquats.

Sur le dommage:

Il est à la mesure de la particulière mauvaise foi dont a fait preuve la société News Parfums et comporte plusieurs éléments soit:

- une atteinte incontestable au prestige et à la réalisation de la marque qui sont essentiels pour la pérennité d'un réseau de distribution sélective dont l'existence ne se justifie qu'au regard de la notoriété d'une marque;

- l'anéantissement des investissements particulièrement importants que consacre la SAS Chanel à promouvoir son image et à la protéger;

- une atteinte à la cohésion du réseau de distribution, la SAS Chanel étant nécessairement comptable à l'égard de ses distributeurs agréés de ventes parallèles sur un secteur géographique qui se trouve ainsi désorganisé;

- la perte du chiffre d'affaires réalisé par les sociétés Roma et Garron dont elle a résilié les contrats de distribution en raison des manquements commis soit deux cent soixante treize mille deux cent quatre-vingt sept francs (273 287 F) en moyenne par année rien que pour la parfumerie Garron;

- un trafic important au regard de l'ampleur du stock inventorié auprès de la société News Parfums et de sa durée étant rappelé que deux constats ont été opérés successivement en mai et novembre 2000.

C'est donc avec une particulière audace que celle-ci conclut au paiement de l'euro symbolique ce qui aboutirait à nier tout préjudice, méconnaître les règles élémentaires de la distribution sélective et encourager l'appelante et tous autres opérateurs économiques mal intentionnés à persister dans ces errements.

Il convient dès lors de confirmer l'indemnité allouée par les premiers juges ainsi que les mesures de publicité qui constituent également un mode utile de réparation.

En revanche, aucun motif ne conduit la cour à majorer l'astreinte fixée à cinquante euro (50 euro) par produit en cas de vente ou détention de produits Chanel et l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

De même, il n'y a pas lieu de condamner la société News Parfums à remettre les factures et documents comptables, cette omission ayant représenté un élément du préjudice évalué ci-dessus et ne pouvant être sanctionnée une seconde fois.

L'équité conduit à mettre les honoraires de conseil exposés par la SAS Chanel en appel à la charge de la société News Parfums déboutée de l'intégralité de ses prétentions dans la proportion figurant ci-après.

L'appelante sera enfin condamnée aux dépens en application des dispositions de l'article 696 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel; Confirme le jugement déféré rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en toutes ses dispositions; Condamne la société News Parfums à payer à la SAS Chanel la somme de trois mille euro (3 000 euro) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux dépens et autorise la société civile professionnelle Blanc Amsellem-Mimran Cherfils titulaire d'un office d'avoué près la cour à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.