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Décisions

CA Dijon, ch. civ. B, 23 mai 2006, n° 05-00363

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Quetigny Distribution (SARL)

Défendeur :

Carrefour Hypermarchés France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Littner

Conseillers :

M. Richard, Mme Roux

Avoués :

SCP Avril & Hanssen, SCP Fontaine-Tranchand & Soulard

Avocats :

Mes Obadia, Karsenty-Ricard

T. com. Dijon, du 3 févr. 2005

3 février 2005

Faits, procédure et prétentions des parties

L'hypermarché à enseigne Carrefour, situé à Quetigny a pris l'initiative en janvier 2004 de procéder à une comparaison, par voie d'affichage dans son magasin, des prix auxquels il commercialise un certain nombre de produits appartenant à sa gamme numéro 1 avec les prix pratiqués pour des produits comparables par deux autres magasins de Quetigny à enseigne concurrente, le magasin Lidl et le magasin Leader Price. Cette opération affirmant au public "Preuve à l'appui, à Quetigny, Carrefour est moins cher" a duré deux mois et 21 produits comparables parce que présentant, selon Carrefour, des contenances ou des poids identiques et des caractéristiques et qualités équivalentes ont été retenus.

Le 9 février 2004, Quetigny Distribution a fait constater par huissier que le magasin Carrefour Quetigny avait mis en place au niveau de l'espace liquide deux affiches annonçant la comparaison des prix entre les trois enseignes susmentionnées et devant les caisses, un comparatif présenté sous forme d'affiche et en dessous, trois caddies contenant des produits référencés des trois magasins recouverts d'un film plastique.

Par acte du 17 février 2004, Quetigny Distribution a assigné Carrefour devant le juge des référés aux fins notamment de voir cesser cette publicité comparative.

Le 19 février 2004, Carrefour Quetigny a fait constater par huissier que la publicité comparative ne portait que sur 19 produits après un retrait du panel de comparaison d'un produit gel douche et d'une pâte à tartiner.

Par ordonnance du 24 mars 2004, le juge des référés a constaté que la publicité reprochée par Quetigny Distribution avait cessé et a considéré que la demande était injustifiée et en tout cas mal fondée.

Par acte du 11 mai 2004, Quetigny Distribution "Leader Price" a assigné au fond devant le Tribunal de commerce de Dijon Carrefour Quetigny sur le fondement des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation et par jugement du 3 février 2005, le Tribunal de commerce de Dijon l'a déboutée de ses demandes en retenant que "contrairement à ce qu'elle soutient, l'affichage comparatif de Carrefour Quetigny est régulier en ce que l'objet et le critère de la comparaison sont licites au regard des dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation et en ce que la comparaison est objective comme portant sur des produits présentant des qualités équivalentes" et l'a condamnée à verser à Carrefour Quetigny la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 17 juin 2005, Quetigny Distribution interjette appel du jugement du tribunal de commerce susmentionné.

Dans ses dernières conclusions en date du 13 avril 2006, Quetigny Distribution demande à la cour:

- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce,

- de condamner Carrefour à lui verser 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

- de condamner Carrefour à lui payer 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux de diffusion régionale pendant quinze jours aux frais de l'auteur de la publicité comparative illicite.

Selon Quetigny Distribution, il résulte du détail des produits présentés dans les trois caddies dans l'entrée du magasin Carrefour que les différents produits mis en comparaison sur le seul critère du prix n'étaient pas comparables puisque les caractéristiques objectives essentielles étaient trop éloignées.

Carrefour, par écritures du 13 décembre 2005, demande à la cour:

- de confirmer le jugement entrepris,

- de condamner Quetigny Distribution pour appel abusif à lui verser 20 000 euro à titre de dommages et intérêts outre 5 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Carrefour soutient que l'affichage comparatif exposé dans son magasin de Quetigny de mi-janvier au 10 mars 2004 respecte les dispositions des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation en ce qu'il porte sur des produits répondant aux mêmes besoins et sur la comparaison du prix de ces produits par ailleurs, la comparaison est objective puisque les produits comparés présentent les mêmes qualités et les mêmes caractéristiques. L'affichage comparatif n'est donc ni trompeur, ni de nature à induire en erreur et procède à la comparaison objective de produits répondant aux mêmes besoins à partir d'une caractéristique essentielle, pertinente et représentative des produits : le prix.

Il est référé, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

Discussion

Sur la définition de la publicité comparative

Attendu que la publicité comparative est définie par l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;

Attendu que le nouvel article L. 121-8 du Code de la consommation résultant de la transposition d'une directive européenne par l'ordonnance du 23 août 2001 dispose que:

Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si:

1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur,

2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif,

3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.

Toute publicité comparative faisant référence à une offre spéciale doit mentionner clairement les dates de disponibilité des biens ou services offerts, le cas échéant la limitation de l'offre à concurrence des stocks disponibles et les conditions spécifiques applicables.

Attendu que la publicité comparative a été autorisée par le législateur dans la mesure où elle constitue un moyen d'information du consommateur;

Que la publicité comparative est licite si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, si la comparaison porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif et si elle est une comparaison objective des produits concernés;

Que l'ordonnance du 23 août 2001 supprime l'obligation de communication préalable de l'annonce comparative conformément au droit européen dont elle assure la transposition;

Que, dans le cadre de la mise en place de sa publicité comparative, Carrefour avait une obligation de vigilance renforcée afin de s'assurer de la conformité de sa publicité avec les textes désormais applicables puisque la suppression de l'obligation de communication préalable aux concurrents prévue avant la transposition de la directive ne lui permettait plus de valider a priori la licéité de la publicité comparative;

Que les pièces versées aux débats démontrent que Carrefour n'a pas mis en place une méthodologie rigoureuse de contrôle de conformité avant de réaliser sa publicité comparative;

Le retrait de deux produits du caddie Leader Price:

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que Quetigny Distribution a fait dresser le 9 février 2004 un premier procès-verbal de constat pour effectuer un relevé des 21 produits du caddie contenant les produits achetés chez Leader Price ;

Que le 19 février 2004, l'huissier de justice intervenu à la requête de Carrefour dans le cadre du litige l'opposant à Quetigny Distribution (page 4, paragraphe 1, des constatations) indiquait expressément : "il est à préciser que compte tenu des termes et moyens soulevés dans l'assignation, deux produits qui avaient été initialement achetés et qui font l'objet d'un litige ont été retirés tant des listes que des caddies ainsi mis en évidence" ;

Que le 17 mars 2004, l'huissier mandaté par Quetigny Distribution constate que les produits Leader Price "gel douche" et "pâte à tartiner" ont été retirés de la comparaison et que le caddie Leader Price ne contient plus que 19 produits;

Que Carrefour, en procédant au retrait de deux produits "contestés", reconnaissait implicitement que la publicité comparative était de nature à induire les consommateurs en erreur;

Attendu que les pièces versées aux débats démontrent en outre que les produits comparés ne présentaient pas les mêmes caractéristiques et comportaient des différences notables de qualité ou de composition et n'étaient donc pas comparables au sens de l'article 121-8 du Code de la consommation;

Qu'ainsi par exemple, le seul fait de comparer de la confiture de fraises en mettant en évidence une différence de prix ne suffit pas à répondre à l'esprit de la loi puisque le magasin Quetigny Leader Price propose une confiture contenant 45 grammes de fraises pour 100 grammes de produit tandis que Carrefour ne propose qu'une contenance de 35 grammes de fraises pour 100 grammes de produit;

Attendu que la publicité comparative est licite lorsque les termes de la comparaison sont clairement énoncés et qu'elle n'est pas de nature à induire le consommateur en erreur et qu'elle n'est pas trompeuse;

Attendu qu'en faisant porter la comparaison uniquement sur le prix total du caddie sans tenir compte de la composition intrinsèque des produits et de leur qualité comparée, la publicité faite par Carrefour induisait nécessairement le consommateur en erreur; qu'en conséquence, elle ne répondait pas aux exigences de la publicité comparative licite telle que prévue par les dispositions de l'article 121-8 du Code de la consommation;

Qu'en conséquence, la publicité comparative réalisée au magasin Carrefour Quetigny de mi-janvier au 10 mars 2004 ne respectait pas les dispositions de l'article 121-8 du Code de la consommation ;

Sur les préjudices

Attendu que cette publicité comparative illicite mise en place par Carrefour a porté atteinte à l'image de Quetigny Distribution Leader Price et que Carrefour doit être condamnée à payer à Quetigny Distribution Leader Price qui ne justifie d'aucun autre préjudice la somme de 10 000 euro ;

Que la publication de la présente décision dans le bien public doit être ordonnée aux frais de Carrefour;

Attendu que, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Carrefour sera condamnée à payer 1 500 euro à Quetigny Distribution Leader Price;

Attendu que la société intimée qui succombe ne peut prétendre ni à des dommages et intérêts, ni au remboursement de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, LA COUR, infirmant le jugement entrepris, et, statuant à nouveau. Dit que la SAS Carrefour Hypermarchés France a fait une publicité comparative non conforme à l'article 121-8 du Code de la consommation, La condamne à payer à la SARL Quetigny Distribution exerçant sous l'enseigne Leader Price la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts, Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans le bien public aux frais de la SAS Carrefour Hypermarchés France. Condamne celle-ci à payer à la SARL Quetigny Distribution exerçant sous l'enseigne Leader Price 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SAS Carrefour Hypermarchés France à l'intégralité des dépens d'instance et d'appel.