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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 18 mai 2006, n° 05-02118

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Syndicat des opticiens sous enseigne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thierry

Avocat général :

Mme Fiasella-Le Braz

Conseillers :

Mme Pigeau, Lesvignes

Avocats :

Mes Brault, Schnerb, Sulzer

TGI Lorient, ch. corr., du 13 juill. 200…

13 juillet 2005

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le Tribunal correctionnel de Lorient par jugement contradictoire en date du 13 juillet 2005, pour

Publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, NATINF 000193

a condamné X Florian à la peine de 8 000 euro dont 4 000 euro avec sursis

a ordonné aux frais du condamné la publication par extraits de la présente décision dans les journaux suivants : Ouest-France (édition Lorient) et le Télégramme, le coût de la publication n'ayant d'autre limite que le montant maximum de l'amende encourue.

Sur l'action civile:

a déclaré irrecevable faute pour ce syndicat créé le 12 février 2004 d'une existence légale au moment des faits incriminés, lesquels ont cessé, selon la prévention le 31 juillet 2003.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur X Florian, le 20 juillet 2005 sur les dispositions pénales et civiles à titre principal

M. le Procureur de la République, le 20 juillet 2005 à titre incident

Synope, Syndicat des opticiens sous enseigne, le 28 juillet 2005 à titre principal sur les dispositions civiles

La prévention:

Considérant qu'il est fait grief à Florian X:

- d'avoir à Lorient, entre le 4 novembre 2002 et le 31 juillet 2003, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur un bien ou un service, en l'espèce en proposant des réductions de prix quasi-permanentes exclusives d'une opération commerciale promotionnelle se rapportant à des prix de référence par ailleurs pratiqués;

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation;

Motifs:

Les appels sont réguliers et recevables en la forme.

Les faits retenus comme fondement des poursuites sont ainsi relatés dans les actes de la procédure:

Par courrier du 7 janvier 2003, le président de la Fédération nationale des opticiens de France a alerté le Directeur Régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes sur des publicités proposant des réductions de prix sur des produits d'optique médicale effectuées par l'enseigne Y, nouvellement installée au <adresse>, en sollicitant qu'il soit procédé à un contrôle de la régularité des opérations ainsi lancées au regard notamment des prescriptions de l'article 3 de l'arrêté ministériel n° 77-105-P du 2 septembre 1977.

Un contrôleur des services extérieurs de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Morbihan, agissant sous l'autorité du Directeur départemental, a procédé à des constatations les 30 janvier, 14 février, 11 avril, 2, 16 et 23 mai 2003.

Ces constatations sont relatées dans un procès-verbal clos le 28 juillet 2003.

Il en ressort que le matériel publicitaire concerné, qui avait été distribué dans les boîtes aux lettres durant la période du 4 au 8 novembre 2002, comportait des dépliants et des cartes d'achat détachables mentionnant des réductions, valables jusqu'au 31 juillet 2003, de 40 % sur toutes les marques de montures optiques, 40 % sur toutes les marques de verres optiques, 25 % sur toutes les marques de lunettes de soleil, 20 % sur toutes les marques de lentilles de contact et les produits, et 40 % sur une paire de lunettes équipée de verres progressifs + une deuxième paire offerte + une paire de lentilles progressives offerte, l'offre étant valable pour un achat monture + verre hors forfait, supérieur à 200 euro.

L'examen des données informatiques saisies lors de chaque transaction entre l'ouverture du magasin, le 19 septembre, et le 30 novembre 2002 permettait au contrôleur de constater que la première vente avait eu lieu le 22 octobre 2002, soit plus d'un mois après l'ouverture, et qu'à l'exception de trois d'entre elles, les ventes conclues pendant la période considérée, au nombre de trente et une, avaient fait l'objet de remises consenties aux clients variant entre 35,1 % et 48,8 % des prix de base établis par le professionnel, ce dont il déduisait que la politique de réduction de prix avait été largement mise en œuvre par l'exploitant avant la distribution des tracts publicitaires.

Au cours du mois de mars 2003, et plus spécialement du 10 au 14, il était procédé à la distribution dans la région lorientaise d'une nouvelle plaquette publicitaire reprenant la même formulation que la publicité précédente et proposant les mêmes remises pour les mêmes produits.

En outre, un publipostage avait été adressé courant novembre 2002 aux comités d'entreprise de la région.

L'examen des données informatiques relatives aux ventes du mois de mars 2003, au nombre de 159, faisait apparaître que des remises variant de 7,4 % à 47,1 % avaient été pratiquées sur la totalité des ventes.

Une troisième campagne publicitaire fut réalisée du 5 au 12 mai 2003 au moyen de supports similaires aux précédents.

Au vu des justificatifs fournis par le gérant du magasin. M. Florian X, le coût total des trois campagnes publicitaires s'établissait à 34 270 euro.

Le fonctionnaire déduit de l'ensemble de ses constatations que les réductions de prix sont allouées de manière quasi-systématique aux consommateurs dans le cadre de cette campagne promotionnelle d'une durée - près de neuf mois - exceptionnellement longue au regard des pratiques commerciales usuelles et que la réalité de ces remises apparaît illusoire dès lors que les prix de référence sur lesquels elles s'appliquent n'ont jamais été pratiqués, à l'exception de produits vendus à taux plein lors de trois ventes réalisées avant le lancement de la campagne publicitaire. Il considère par conséquent que la mise en avant dans les publicités en cause de prétendus avantages sous forme de réduction de prix, alors que celles-ci constituent la règle commune, est de nature à induire le consommateur en erreur et contrevient de ce fait à l'article L. 121-1 du Code de la consommation et que, de plus, ces campagnes publicitaires faussent le jeu de la concurrence.

Entendu le 5 novembre 2003, Florian X, gérant du magasin Y, a déclaré qu'il s'était conformé à la politique commerciale de la chaîne, que les articles étaient et sont toujours étiquetés au tarif normal et que, la période étant dépassée depuis le 31 juillet, aucun client ne pouvait désormais prétendre aux réductions mais que des remises pouvaient être accordées ponctuellement au titre du geste commercial.

Il a précisé que seuls les clients destinataires du mailing étaient au courant et que, pour ceux qui étaient dépourvus de la carte de remise, le produit était facturé au tarif normal, c'est-à-dire au prix indiqué sur l'étiquette.

Au soutien de son affirmation selon laquelle les prix de référence pratiqués par Y sont bien les prix publics conseillés par les fournisseurs des montures de marque, M. Florian X verse aux débats l'enregistrement sur DVD d'une émission télévisée "Capital" diffusée le 22 janvier 2006 sur la Chaîne M6 et consacrée à un reportage portant sur le marché de l'optique. Mais, cet élément de preuve n'ayant été produit qu'à l'audience sans avoir été préalablement communiqué au Ministère public et à la partie civile, il convient, conformément à la demande de celle-ci et en application du principe du contradictoire, de l'écarter des débats.

Le Ministère public et la partie civile, reprenant les avis émis par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, considèrent que la permanence, la continuité et le caractère quasi-systématique des remises pratiquées sur une période de près de neuf mois, inhabituelle pour une campagne promotionnelle dont la durée devrait être beaucoup plus limitée, rendent illusoires les avantages allégués par les annonces publicitaires litigieuses, les prix de référence, qui devraient servir de base aux rabais devenant ainsi purement fictifs, ce qui ferait perdre au consommateur tout repère dans ses décisions d'achat et déstabiliserait l'activité commerciale de ce secteur économique.

Il résulte effectivement des constatations relatées dans le procès-verbal de délit du 28 juillet 2003 que, sur les six ventes réalisées du 22 au 31 octobre 2002, quatre ont fait l'objet de remises et qu'il en a été de même pour vingt-quatre des vingt-cinq opérations réalisées du 4 au 8 novembre suivant ainsi que pour toutes les ventes du mois de mars 2003 à l'exception des cas particuliers relatifs à des échanges de montures ou de verres, à des remplacements de verres cassés ou à des transactions au profit de consommateurs bénéficiant de la couverture médicale universelle.

Par contre, rien n'établit que les mêmes opérations promotionnelles se soient poursuivies au-delà de la date limite du 31 juillet 2003 indiquée sur les documents publicitaires et aucune constatation sur la fréquence et l'ampleur des remises n'a été effectuée entre le 8 novembre 2002 et le 1er mars 2003, ni entre le 31 mars et le 31 juillet 2003.

Il n'est donc pas possible de soutenir que les rabais systématiquement appliqués lors de toutes les ventes aient été une pratique constante de la société Y depuis l'ouverture de son magasin de Lorient le 19 septembre 2002 au point de faire disparaître, en pratique, tout prix non affecté de rabais.

Le délit retenu par la prévention suppose, pour être constitué, que les allégations, indications ou présentations que comportait la publicité aient été fausses ou de nature à induire en erreur sur les prix et conditions de vente des biens qui en faisaient l'objet.

L'élément essentiel de ce délit consiste donc en une altération de la vérité ayant pour effet d'abuser le consommateur sur les prix et conditions de vente qui lui sont proposés, une discordance par rapport aux prescriptions des articles 2 et 3 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 n'étant pas nécessairement et à elle seule constitutive de l'infraction prévue par l'article L. 121-1 du Code de la consommation.

Or, si les documents publicitaires diffusés par la société Y proposent des ventes avec rabais, ils ne font aucune mention d'offres préférentielles, tous les destinataires de la publicité étant des bénéficiaires potentiels de la proposition.

La période durant laquelle il est possible d'en bénéficier est, elle-même, précisément délimitée.

Les prix sur lesquels sont effectuées les remises sont déterminés de façon explicite et non équivoque puisqu'il s'agit des tarifs affichés en magasin, dont il n'est soutenu par personne qu'ils aient été fictifs ou fixés de façon artificielle ou que ces prix aient été obtenus par l'application d'un coefficient multiplicateur ignoré du consommateur.

Le fait que de très nombreux acheteurs aient pu ainsi bénéficier des remises dans des conditions qui font apparaître les prix effectivement pratiqués - de façon générale mais non exclusive - à un niveau inférieur à celui des prix affichés n'entache pas de fausseté les indications et présentations que comporte la publicité et n'a pas pour effet d'induire en erreur les acheteurs potentiels dès lors que le mécanisme de fixation du prix effectif par application du taux de remise au prix affiché est clairement annoncé.

En conséquence, les informations données dans les publicités litigieuses n'étant pas affectées des vices définis par le texte retenu dans la prévention, le délit n'est pas constitué et il y a lieu de prononcer la relaxe du prévenu et de mettre hors de cause la société Y.

Il est constant que le Syndicat des Opticiens sous Enseigne "Synope" n'a été immatriculé que le 12 février 2004 alors que la période de commission du délit, telle que retenue par la prévention, avait pris fin le 31 juillet 2003.

S'il est exact que tout syndicat professionnel peut exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente et que l'atteinte à cet intérêt collectif peut résulter de pratiques illicites "induisant des distorsions de concurrence", l'action engagée à ce titre par le syndicat professionnel trouve son fondement nécessaire dans le fait dommageable dont les conséquences ne peuvent donner lieu à réparation dans le cadre d'une telle action qu'à la condition qu'elle soit exercée par une personne morale ayant qualité pour agir lorsque s'est produit le fait générateur de préjudice.

Tel n'étant pas le cas du Synope qui n'existait pas à l'époque des faits, c'est à juste titre que les premiers juges ont déclaré l'action civile irrecevable.

Cette circonstance ne permet cependant pas de considérer l'exercice par la partie civile de son droit d'appel comme abusif, de telle sorte que, le prévenu ne pouvant se prévaloir à ce titre d'un droit à indemnisation, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Dispositif: LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de X Florian, de la société Y et du Synope, Syndicat des opticiens sous enseigne, Reçoit les appels; Sur l'action publique: Ecarte des débats l'enregistrement sur DVD d'une émission télévisée diffusée le 22 janvier 2006 sur la chaîne M6 et contenu dans la cote n° 11 du dossier remis par l'avocat du prévenu Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Relaxe Florian X des fins de la poursuite; Met hors de cause la société Y; Sur l'action civile, Confirme le jugement; Déboute Florian X de sa demande de dommages et intérêts.