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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 8 décembre 2000, n° 1997-09589

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maxi-Livres Profrance (SA), Prolipar (SARL), Dubois (ès qual.), Nanterme (ès qual.), Pey (ès qual.)

Défendeur :

Guigon (ès qual.), Editions d'art JP Barthélémy (Sté), Expodif Collectivités (SA), Becheret (ès qual.), Acou (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

Mes Kieffer-Joly, SCP Duboscq-Pellerin, SCP Hardouin-Herscovici

Avocats :

Mes Covillard, Weil, Abrami

T. com. Paris, 11e ch., du 3 mars 1997

3 mars 1997

LA COUR statue sur l'appel interjeté par les sociétés Maxi-Livres Profrance (société Profrance) et Prolipar contre le jugement rendu le 3 mars 1997 par le Tribunal de commerce de Paris qui, après avoir rejeté leur demande de sursis à statuer, les a condamnées solidairement à payer à Monsieur Pascal Guigon, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Editions d'art JP Barthélémy (société Barthélémy) la somme de 1 600 000 F, avec les intérêts au taux légal à compter du 1er février 1996, à titre de dommages-intérêts, et celle de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens, et a débouté les parties de toutes autres demandes.

Reprochant aux sociétés Profrance et Prolipar d'avoir violé les dispositions de l'article 5 de la loi du 10 août 1981 en proposant à la vente un ouvrage dénommé "Stars 90", qu'elle avait édité en 1993, à un prix - 99 F - inférieur à 95 % de celui - 355,45F hors taxes - qu'elle avait elle-même fixé pour la vente au public, et en offrant de surcroît le dit ouvrage à tout acheteur d'un autre livre de plus de 100 F, et de lui avoir ainsi causé un important préjudice, la société Barthélémy a fait assigner lesdites sociétés, par actes des 31 janvier et 1er février 1996, en réparation de ce préjudice, estimé à 3 283 137,60 F.

La société Barthélémy, à l'égard de laquelle une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte le 27 novembre 1995, a été mise en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 juillet 1996, qui a désigné Monsieur Guigon en qualité de liquidateur.

D'autre part une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard des sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar par jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 7 mai 1997. Un plan de redressement a été adopté et un commissaire à l'exécution de ce plan nommé.

Les sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar, appelantes du jugement qui a accueilli - pour partie seulement quant au montant - la demande principale de la société Barthélémy, et assistées du représentant des créanciers et du commissaire à l'exécution du plan de redressement qui leur sont communs, prient la cour de déclarer irrecevable la demande de la société Barthélémy contre la société Maxi-Livres Profrance, celle-ci n'ayant pas la qualité de détaillant mais d'intermédiaire et grossiste, alors que l'interdiction de vente à un prix inférieur à 95 % du prix de vente au public fixé par l'éditeur ne s'applique qu'aux détaillants, de rejeter pour le surplus les prétentions de l'éditeur en l'absence de preuve d'une faute, d'un préjudice non déjà réparé et d'un lien de causalité entre l'un et l'autre, de condamner enfin l'intimée à leur payer 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Barthélémy, intimée et incidemment appelante, représentée par son liquidateur judiciaire, Monsieur Pascal Guigon, conclut à la confirmation du jugement, sauf quant au montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués, dont elle sollicite qu'il soit fixé à 3 283 157,60 F, ainsi qu'elle l'avait demandé initialement. Elle demande encore que les sociétés appelantes soient solidairement condamnées à lui payer 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Expodif Collectivités, en redressement judiciaire, assistée du représentant des créanciers et du commissaire à l'exécution de son plan de redressement, a été assignée en intervention forcée à la requête des deux sociétés appelantes, assistées des organes de la procédure collective, afin de garantir les condamnations qui pourraient être prononcées contre elles au profit de la société Barthélémy. Cette demande de garantie n'a pas été reprise dans les dernières conclusions des appelantes.

La société Expodif conclut à l'irrecevabilité de l'appel en intervention forcée à son encontre, en l'absence de toute évolution du litige qui soit de nature à justifier sa mise en cause.

Considérant que la société Barthélémy, éditeur, prise en la personne de son liquidateur, fonde son action contre les sociétés Profrance et Prolipar sur les articles 1er et 5 de la loi du 10 août 1981, d'où il résulte qu'est interdite aux détaillants la vente de livres édités en France depuis deux ans ou plus à un prix inférieur à 95 % du prix de vente au public fixé par l'éditeur; qu'elle affirme en effet avoir fixé à 375 F (355,45 F HT) le prix de vente au public de l'ouvrage "Stars 90", retraçant trente années de la carrière de l'animateur Michel Drucker à travers son émission télévisée "Stars 90" , édité en 1993 - le dépôt légal étant du 31 décembre 1993 - alors que les sociétés Profrance et Prolipar ont vendu cet ouvrage au public au prix de 99 F seulement, allant même jusqu'à l'offrir en cadeau pour l'achat d'autres livres ; que pour établir cette pratique illicite, qui aurait eu pour effet selon elle de dissuader les libraires d'acheter au prix normal et l'aurait ainsi empêchée de vendre les 20 530 exemplaires demeurés dans ses stocks, la société Barthélémy produit pour l'essentiel deux constats d'huissier de justice en date des 21 avril 1995 et 21 novembre 1995, aux termes desquels l'ouvrage "Stars 90" était vendu au public au prix de 99 F dans deux librairies à l'enseigne Maxi-Livres sises respectivement 91 rue de Rivoli et 51, rue Saint Antoine à Paris et une attestation de Madame Michel-Grosjan, selon laquelle un exemplaire du même ouvrage lui aurait été offert, le 7 décembre 1994, par la librairie de La Toison d'Or, à l'enseigne Maxi-Livres, à Dijon, "en récompense d'achats" effectués le même jour ;

Considérant que, s'il résulte d'un extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats que les deux magasins parisiens précités sont des établissements secondaires de la société Prolipar, qui doit être regardée comme détaillant ayant vendu les ouvrages litigieux au prix de 99 F, tel n'est pas le cas en ce qui concerne le magasin de Dijon; que, s'agissant de la société Maxi-Livres Profrance, il n'est pas soutenu qu'elle exploitait elle-même l'un de ces trois magasins ; qu'elle indique acheter pour revendre à travers un réseau de filiales et de franchisés ; que la société Barthélémy n'est pas en mesure de préciser la nature des liens juridiques unissant les exploitants des trois magasins concernés à la société Profrance ; qu'en toute hypothèse, qu'il s'agisse de sociétés filiales ou de franchisés, ces exploitants disposaient nécessairement d'une autonomie juridique qui, à défaut de toute preuve que Profrance imposait les prix en sorte que les filiales ou franchisés n'auraient en aucune liberté de décision en la matière, exclut que la société Maxi-Livres Profrance, société-mère ou franchiseur, puisse être regardée comme détaillant, au sens de la loi du 10 août 1981, pour ce qui concerne les ventes dont la société Barthélémy rapporte la preuve ; que les demandes formées par la société Barthélémy contre la société Profrance sont donc irrecevables, alors même qu'il est constant que Profrance a acquis le 17 novembre 1994 auprès de la société Expodif Collectivités, qui les tenait elle-même de la société Vilo, diffuseur de Barthélémy, 10 542 exemplaires de l'ouvrage litigieux au prix de 12,66 F TTC l'unité et qu'il n'est pas contesté que les ouvrages vendus au détail par la société Prolipar dans ses magasins provenaient de ce stock;

Considérant que la société Prolipar, quant à elle, devait, en sa qualité de détaillant, respecter les prescriptions des articles 1er et 5 précités de la loi du 10 août 1981, étant observé que le délai de deux ans visé par l'article 5 n'a pris fin que le 31 décembre 1995;

Considérant toutefois que la société Barthélémy ne peut se prévaloir des dispositions précitées qu'autant qu'elle s'y est elle-même conformée, la démonstration que la société Prolipar n'a pas pratiqué "un prix effectif de vente au public compris entre 95 pour 100 et 100 pour 100 du prix fixé par l'éditeur" étant à sa charge et supposant que puisse être déterminé avec certitude et précision, dans les conditions prévues par la loi du 10 août 1981 et les textes pris pour son application, le prix de vente au public fixé par l'éditeur;

Que, selon l'article 1er de la loi susvisée, "toute personne physique ou morale qui édite.., les livres est tenue de fixer ... un prix de vente au public. Le prix est porté à la connaissance du public. Un décret précisera, notamment, les conditions dans lesquelles il sera indiqué sur le livre ..." ; que le décret du 3 décembre 1981, pris pour l'application de la loi, énonce en son article 1er que "l'éditeur ou l'importateur indique le prix de vente au public sur les livres qu'il édite ou importe par impression ou étiquetage. Dans ce dernier cas, l'étiquette porte également le nom de l'éditeur"; que l'article 3 du même texte ajoute que "tout éditeur ou importateur est tenu de faire connaître aux détaillants offrant à la vente des livres qu'il édite ou importe le prix de ces livres par des catalogues ou tarifs soit généraux, soit limités aux nouveautés;"

Considérant que la société Barthélémy ne prouve pas avoir porté à la connaissance des détaillants et du public, à la date des ventes incriminées, dans les conditions et selon les modalités ainsi prévues, le prix de vente au public de l'ouvrage "Stars 90" ; que l'indication, sur l'étiquette "Maxi Livres" apposée sur l'ouvrage litigieux dans le magasin du 91, rue de Rivoli, des mentions "prix éditeur 350 F - Prix Maxi-Livres 99 F", ne saurait suppléer à une telle carence de l'éditeur et l'autoriser à se prévaloir, à l'encontre du détaillant concerné, d'un prix de vente au public au demeurant différent, même s'il s'en approche, de celui mentionné sur l'étiquette, destinée à attirer l'acheteur éventuel en faisant ressortir le caractère avantageux du prix demandé;

Considérant que dès lots la société Barthélémy ne peut qu'être déboutée de ses demandes contre la société Prolipar;

Considérant que, le rôle de la société Expodif, qui a vendu à Maxi-Livres Profrance un lot de livres "Stars 90", d'où provenaient les exemplaires offerts à la vente dans les librairies "Maxi-Livres" exploitées par la société Prolipar, était connu dès la première instance, de sorte que les sociétés défenderesses en première instance avaient tout loisir de l'appeler en intervention forcée devant le tribunal, si elles estimaient sa mise en cause utile à leurs intérêts; que les sociétés appelantes ne sont donc pas fondées à invoquer l'évolution du litige pour justifier la mise en cause de la société Expodif ; que l'appel de cette société en intervention forcée devant la cour est par suite irrecevable comme se heurtant à la régle du double degré de juridiction;

Considérant que les sociétés Profrance et Prolipar ne forment, aux termes de leurs dernières conclusions, aucune demande reconventionnelle en dommages-intérêts; qu'en toute hypothèse elles ne démontrent de la part de la société Barthélémy aucun abus dans son droit d'agir en justice, ni même aucune légèreté ; qu'il y a donc lieu de confirmer en tant que de besoin la disposition du jugement ayant rejeté leur demande en dommages-intérêts;

Considérant que la société Barthélémy, qui succombe, prise en la personne de son liquidateur, devra supporter les dépens de première instance et d'appel, ce qui entraîne le rejet de ses demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les dépens afférents à l'appel en garantie de la société Expodif étant mis à la charge des sociétés Profrance et Prolipar;

Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur des sociétés appelantes; qu'il est au contraire équitable de condamner celles-ci à payer à la société Expodif 8 000 F au titre de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, Reçoit en leur intervention Monsieur Dubois et Monsieur Pey, en leurs qualités respectives de représentant des créanciers et commissaire à l'exécution du plan de redressement des sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar, - Infirmant le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a débouté les sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar de leur demande en dommages-intérêts et, statuant à nouveau et y ajoutant, - Déclare irrecevables les demandes de Monsieur Pascal Guigon, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Editions d'art JP Barthélémy, contre la société Maxi-Livres Profrance, - Déboute Monsieur Guigon, ès qualités, de ses demandes contre la société Prolipar, - Déclare irrecevable l'appel en intervention forcée formé par les sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar contre la société Expodif Collectivités, assistée du représentant de ses créanciers et du commissaire à l'exécution de son plan de redressement, - Déboute les sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar et Monsieur Guigon ès qualités de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Condamne in solidum les sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar, assistées de Messieurs Dubois et Pey ès qualités, à payer à la société Expodif Collectivités, assistée de Messieurs Acou et Becheret ès qualités, la somme de 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Condamne Monsieur Guigon ès qualités aux dépens de première instance et d'appel et les sociétés Maxi-Livres Profrance et Prolipar, assistées de Messieurs Dubois et Pey ès qualités, à ceux afférents à l'appel en intervention forcée de la société Expodif Collectivités, - Admet, suivant les distinctions ci-dessus, Maître Kieffer Joly et la SCP Hardouin, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.