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Décisions

CA Versailles, 9e ch. corr., 10 mars 2005, n° 03-02311

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Renaut

Conseillers :

Mlle Delafollie, M. Brisset-Foucault

Avocats :

Mes Vaisse, Caballero

TGI Paris, du 19 oct. 1998

19 octobre 1998

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Par jugement contradictoire en date du 19octobre 1998, le Tribunal de grande instance de Paris:

Sur l'action publique:

A donné acte à la partie civile poursuivante de ce qu'elle abandonne les poursuites fondées sur des faits antérieurs au 25 mai 1993,

A rejeté l'exception de nullité et l'exception d'irrecevabilité,

A dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer,

A dit n'y avoir lieu à question préjudicielle en interprétation devant la Cour de justice des Communautés européennes,

Disqualifiant et requalifiant la prévention,

A déclaré B Klaus Pieter, C Jacques, D Patrick coupables de:

Complicité de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits, de 1993 à 1994, à Paris, infraction prévue par les articles L. 3512-2 al.1, L. 3511-3, L. 3511-1 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 3512-2 al.1, al.3 du Code de la santé publique

A condamné C Jacques à une amende de 100 000 F

A condamné B Klaus à une amende de 100 000 F

A condamné D Patrick à une amende de 50 000 F

Sur l'action civile:

A reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile

A condamné solidairement B Klaus Pieter, C Jacques, D Patrick à lui payer la somme de 150 000 F de dommages-intérêts et ce celle de 7 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

A déclaré la société Y civilement responsable de M. D Patrick

A mis hors de cause la société X,

A débouté le Comité national contre le tabagisme du surplus de ses demandes

A débouté B Klaus Pieter, C Jacques, D Patrick de leurs demandes fondées sur l'article 472 du Code de procédure pénale.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur B Klaus, le 28 octobre 1998

Monsieur C Jacques, le 28 octobre 1998

Monsieur D Patrick, le 28 octobre 1998

M. le Procureur de la République, le 28 octobre 1998

Arrêt de la Cour d'appel de Paris

Par arrêt en date du 01/03/2002, la Cour d'appel de Paris:

A reçu les appels des prévenus et du Ministère public,

A déclaré sans objet l'intervention devant la cour de la société X,

Réformant le jugement déféré,

A relaxé Klaus Pieter B, Jacques C et Patrick D,

A mis hors de cause la société Y

A débouté le CNCT, partie civile, de l'ensemble de ses demandes.

Pourvoi:

Pourvoi a été interjeté par le CNCT.

Arrêt de la Cour de cassation

Par arrêt en date du 18/03/2003, la Cour de cassation a :

Cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 1er mars 2002, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Ordonné l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Décision

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant:

Rappel des faits et de la procédure

Des campagnes publicitaires en faveur des montres Z dont la société Y, titulaire des marques de diversification du groupe X1 avait consenti à la société W, horloger italien puis W1, la fabrication et la distribution, se sont déroulées sur des panneaux et abri bus Decaux du 2 au 16 mars 2004, du 29 novembre au 8 décembre 1994 sur les affiches du métro de la société Métrobus, au cinéma dans les réseaux UGC et Gaumont de novembre à décembre 1993 et en mars 1994.

Par citations des 5, 6 et 7 juillet 1995, le CNCT (Comité national contre le tabagisme) a fait citer directement devant le Tribunal correctionnel de Paris, M. Jacques C, directeur général de X, M. Klaus B, Président du conseil d'administration de X et M. Patrick D directeur du bureau de représentant à Boulogne, pour y répondre du délit de publicité illicite en faveur du tabac, pour avoir diffusé des films publicitaires et des affiches au profit des montres Z notamment du 2 au 16 mars 1994 et du 29 novembre 1994 au 8 décembre 1994, de novembre 1993 à décembre 1993 puis en mars 1994, en violation de la loi du 10 janvier 1991 sur la lutte contre le tabagisme devenue les art. 355-25 et 355-26 du Code de la santé publique.

Les sociétés X et Y ont été citées en qualité de civilement responsable.

Par jugement du 19 octobre 1998, le Tribunal correctionnel de Paris a donné acte à la partie civile de ce qu'elle abandonnait les poursuites fondées sur des faits antérieurs au 25 mai 1993, a rejeté l'exception de nullité et l'exception d'irrecevabilité, a dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer, a dit n'y avoir lieu à question préjudicielle en interprétation devant la Cour de justice des Communautés européenne, disqualifiant et requalifiant la prévention, a déclaré Jacques C, Klaus B et Patrick D coupables de complicité de publicité illicite en faveur du tabac, faits commis en 1993 postérieurement au 25 mai 1993 et en 1994 à Paris, a condamné Messieurs C et B chacun à une amende de 100 000 F et Monsieur D à une amende de 50 000 F, a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile, a condamné solidairement les prévenus à lui payer la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 7 000 F au titre de l'art.475-1 du Code de procédure pénale, a déclaré la société Y civilement responsable de M. D, a mis hors de cause la société X et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Les trois prévenus et le Ministère public ont interjeté appel de cette décision le 28 octobre 1998.

Par acte du 10 octobre 2001, la société XX qui a remplacé la société X a été citée au lieu et place de cette société.

Par arrêt du 1er mars 2002, la Cour d'appel de Paris a considéré que les publicités incriminées constituaient des publicités indirectes en faveur du tabac, au sens des articles 355-25 et 355-26 du Code de la santé publique, que ces publicités ne pouvaient bénéficier de la dérogation instaurée par l'al.2 de l'art. L. 355-26 du même Code, mais a relaxé les prévenus, au motif "qu'ils n'ont pas participé de quelque façon que ce soit à la conception, à la préparation ou à la diffusion de ces publicités et qu'ils ne sont donc pas les auteurs de l'infraction visée à la prévention, pas plus qu'ils ne peuvent en être considérés comme complices par fourniture de moyens".

La société Y a été mise hors de cause et la partie civile déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Sur le pourvoi du CNCT, partie civile, la Cour de cassation, le 28 mars 2003, a cassé cet arrêt, en ses seules dispositions civiles, pour insuffisance et contradiction de motifs, dès lors qu'il résultait des propres énonciations de la cour d'appel que les trois prévenus avaient "approuvé la stratégie de diversification de la dite marque et qu'ils y ont contribué".

L'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Versailles.

Arguments des parties

Devant la cour, la partie civile demande la confirmation de la condamnation des dirigeants des sociétés X1 et Y à lui payer solidairement la somme de 22 867,35 euro (150 000 F) à titre de dommages-intérêts et d'y ajouter une somme de 35 000 euro au titre de l'art. 475-1 du Code de procédure pénale, le CNCT devant, pour chaque action engagée, franchir un "véritable" mur d'argent procédural.

Elle sollicite en outre l'infirmation du jugement, en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société X en tant que civilement responsable de ses dirigeants elle demande de donner acte au CNCT de ce qu'il reprend, contre la société XX, ses demandes dirigées contre la société X1 France et Y à garantir leurs dirigeants et préposés des condamnations prononcées contre eux. Le CNCT précise qu'à l'encontre de la SA X, il n'agit pas sur le fondement de l'art. 1384 al.5 du Code civil mais sur celui de l'art. 1382 du Code civil, pour faute des organes dirigeants dans l'intérêt de l'entreprise.

Le conseil des prévenus et des civilement responsables relève que la relaxe intervenue devant la Cour d'appel de Paris est désormais définitive au plan pénal.

Au regard des intérêts civils, les prévenus invoquent le défaut de caractérisation du délit de publicité indirecte en faveur du tabac. En effet, la loi du 10 janvier 1991 devenue l'art. 3511-4 du Code de la santé publique a institué une dérogation légale en faveur des produits de diversification autres que le tabac "mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique ou commercialise du tabac ou un produit du tabac". Tel serait le cas en l'espèce, puisque la diversification des marques de tabac dans des domaines totalement distincts comme ceux de l'horlogerie est largement antérieure au 1er janvier 1990, les montres "Z" étant commercialisées en France par la société W depuis 1987 et cette société étant totalement distincte du groupe X1.

La défense relève que le CNCT et le Ministère public ne s'opposent pas à des diversifications opérées par d'autres marques telles que Marlboro ou Gitanes à l'encontre de qui aucune poursuite n'est engagée. Interdire à un licencié de promouvoir les produits qu'il fabrique en toute licéité, sous une marque se rattachant à l'industrie du tabac, constituerait une atteinte au droit des entreprises tabacoles de diversifier leur marque, mais aussi une entrave à la liberté du commerce. La jurisprudence de la Cour de cassation de 1997, selon laquelle un contrat de licence, quelle que soit sa date, entre un fabricant de produits de diversification et le titulaire de la marque rendrait caduque cette dérogation, a pour effet de priver de toute portée la dérogation instituée par le législateur. Nul ne pouvait raisonnablement prévoir une telle solution jusqu'au 1er arrêt du 22 janvier 1997. Antérieurement à cet arrêt, les sociétés licenciées étaient dans l'impossibilité de prévoir qu'en lançant les campagnes publicitaires, elles commettaient une infraction pénale. Les éléments matériel et intentionnel du délit feraient donc défaut en l'espèce.

Au surplus, l'interprétation extensive des dispositions de la loi Evin par la Cour de cassation dans sa décision du 18 mars 2003, entraîne une incompatibilité de ce texte avec les art. 28 CE et 49 CE du traité de Rome, garantissant la libre circulation des marchandises et la libre prestation de services, une violation du droit de propriété sur la marque et de la liberté d'expression, d'autant que les dispositions de la loi Evin reçoivent en France une application discriminatoire.

L'arrêt du 5 octobre 2000 de la CJCE, ainsi que la directive 2003-33-CE du 26 mai 2003, réglementant la publicité en faveur du tabac interdiraient à la cour de considérer que les dispositions de la loi Evin prohibent les publicités en faveur des montres "Z".

Au regard de l'imputabilité, la défense soutient que la preuve des actes d'instigation d'aide ou d'assistance qu'auraient commis les prévenus n'est nullement rapportée.

En effet, les documents saisis le 2 février 1995 dans les locaux de la société XX France, dans le cadre d'une perquisition ordonnée par un juge d'instruction dans le cadre d'une autre procédure, ne démontreraient pas que les prévenus aient participé à la préparation, à la diffusion ou au financement de ces annonces publicitaires, dès lors qu'aucun ordre n'a été donné par les prévenus aux annonceurs et que ceux-ci n'ont jamais fait pression sur les licenciés.

L'approbation par les prévenus des documents stratégiques reçus en 1991 ou 1992 n'a pas de relation causale avec les campagnes publicitaires de 1993 et 1994.

L'aide financière fournie par la société Y, à la supposer établie, n'est nullement imputable aux prévenus et ne leur est pas reprochée.

Sur le préjudice, les prévenus rappellent qu'il n'a pas été fait appel par la partie civile du jugement fixant à 22 867,35 euro les dommages-intérêts alloués au CNCT et que ce dernier ne justifie nullement d'un préjudice personnel et direct subi par les intérêts collectifs qu'il prétend représenter. Il en va de même des frais irrépétibles.

Motifs de la cour

Les prévenus ayant été définitivement relaxés sur le plan pénal par la Cour d'appel de Paris, en l'absence de pourvoi du Procureur général, il appartient à la cour de renvoi de rechercher, sur l'action civile, si les éléments constitutifs du délit de publicité indirecte en faveur du tabac sont réunis à l'encontre des trois prévenus.

Sur la compatibilité de la législation française de lutte contre le tabagisme avec le droit communautaire

Comme le relèvent la partie civile et le Ministère public, les dispositions de la loi Evin du 10 janvier 1991 relative à la publicité indirecte en faveur du tabac s'appliquent aussi bien aux produits nationaux qu'à ceux qui proviennent d'autres Etats membres et ne constituent donc pas une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 28 du traité instituant la Communauté européenne. En outre, ces restrictions sont justifiées par le souci légitime de l'Etat français de protéger la santé publique, au sens de l'article 36, devenu 30 du dit traité et peuvent être considérées comme justifiées et proportionnées à cet objectif, dès lors que d'une part, il est démontré par les statistiques produites que depuis 1991 (date d'entrée en vigueur de la loi Evin) la consommation de tabac en France n'a cessé de décroître alors qu'elle augmentait régulièrement jusqu'à cette date et d'autre part que plusieurs études ont attesté de l'impact du budget publicitaire d'une marque de tabac sur la consommation des jeunes. Enfin, la directive invoquée par la prévenue qui n'est pas directement applicable par la juridiction nationale, n'évoque pas la publicité en faveur des produits de diversification des marques de tabac.

Il convient dès lors de considérer que la législation française est compatible avec le droit communautaire et de rejeter la demande des prévenus de voir poser une question préjudicielle à la CJCE, sur le fondement de l'article 177 devenu 234 du traité de Rome.

Sur la compatibilité de la loi française avec la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Il résulte de l'article 10 de la CEDH et de l'article 1er du protocole l'additionnel à la CEDH que l'exercice de ces droits et libertés peut faire l'objet de restrictions prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique, si ces restrictions sont proportionnées avec l'intérêt public les justifiant. En l'espèce, ainsi que cela a été ci-dessus rappelé, le souci de l'Etat français de protéger la santé publique, qui constitue un intérêt général légitime, justifie les restrictions apportées à la liberté d'association et au droit de propriété des marques, ces restrictions étant par ailleurs proportionnées avec l'objectif poursuivi.

En outre, la rédaction de l'article L. 355-26 (devenu article L. 3511-4) du Code de la santé publique, qui définit en son alinéa 1 la notion de publicité indirecte en faveur du tabac et dispose en son alinéa 2 que l'interdiction de la publicité indirecte n'est pas applicable, "à la propagande ou à la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac" est suffisamment claire et précise pour permettre aux prévenus de connaître les exigences requises par la loi pour déroger à l'interdiction de toute publicité indirecte en faveur du tabac et de prévoir les conséquences des comportements qu'ils ont adoptés.

Il convient dès lors de considérer que les articles L. 355-24 et suivants du Code de la santé publique ne constituent pas une violation des droits garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Sur l'illicéité de la campagne publicitaire

L'article L. 355-25 (devenu L. 3511-3) du Code de la santé publique dispose que "Toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac, ainsi que toute distribution gratuite sont interdites".

L'article L. 355-26 alinéa 1 énonce que "est considéré comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac".

En l'espèce, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les campagnes d'affichage pour les montres "Z" représentent une voiture tout terrain de type 4X4 à laquelle sont agrippés quatre hommes sur la droite de l'affiche figurent les mentions "Z Montres - The Légend in adventure" et la photographie d'une montre.

Le terme E, en gros caractères, est calligraphié de façon strictement identique à la marque de cigarettes mondialement connue E, alors que les termes Trophy et Montres qui figurent en-dessous sont en caractères plus petits et d'un graphisme ordinaire.

Le film Z représente la descente d'une rivière par un radeau sur lequel se trouve un véhicule tout terrain marqué Z, puis une colonne de véhicules portant la même mention, le tout étant destiné à promouvoir des montres portant la marque Z.

Ces publicités rappellent donc un produit du tabac et constituent dès lors des publicités indirectes en faveur du tabac, définies à l'art. 355-26 al.1 du Code de la santé publique.

Sur la dérogation de l'article L. 355-26 alinéa 2 du Code de la santé publique

L'article L. 355-26 alinéa 2 qui prévoit une dérogation à l'interdiction ainsi instaurée, dispose que "Toutefois ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou à la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou produit du tabac. La création de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque cette dérogation".

Il résulte de ce texte que la dérogation prévue est exclue pour les produits commercialisés, même avant le premier janvier 1990, par des entreprises qui, sans constituer juridiquement et financièrement une entité avec celle qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit dérivé du tabac, se rattachent à cette dernière par un lien juridique ou financier, fût-il indirect ou occasionnel.

En l'espèce, il est établi que la marque E appartient à la société Y, qui est, au même titre que la société X, une filiale du groupe X1, société holding du groupe X qui fabrique et commercialise des cigarettes et que l'exploitation de cette marque par les sociétés W et Melco résulte de la conclusion de contrats de licence de marque accordés à ces sociétés par la société Y.

Le lien né d'un contrat de licence de marque, quelle que soit la date de création de ce lien, est de nature à faire obstacle à l'application de la dérogation prévue par l'article L. 355-26 alinéa 2 du Code de la santé publique.

Les campagnes de publicité pour les montres E Trophy constituent donc une publicité indirecte en faveur du tabac illicite, compte-tenu des liens unissant l'entreprise exploitant les montres et l'entreprise commercialisant les cigarettes de même marque.

Sur l'imputabilité des faits aux prévenus

Il résulte des divers documents saisis lors de la perquisition opérée le 2 février 1995 dans les bureaux de M. C, de la responsable de la comptabilité de la SA X et de l'assistante de M. D, que le Y Strategic Plan 1993/1997 a été expédié par Y Belgique à M. D, avec copie à M. C, sur laquelle il était indiqué que ce plan avait été revu "avec M. K.D. B qui est d'accord avec la ligne générale et les stratégies clés. Je vous serais reconnaissante d'examiner le plan et de me faire savoir s'il vous pose quelques problèmes, ou si vous avez des commentaires... Je vous prie de faire des copies sur place pour le distribuer comme il le convient". Il est dès lors établi que Monssieur B qui a donné son accord, et M. C destinataire du document, dirigeants de la SA X à l'époque des faits, étaient en relations étroites avec M. D au sujet de l'élaboration des plans stratégiques pour les activités de diversification de marques de Y.

Ce document donnait pour mission à Y "d'identifier, développer et prendre en charge les programmes de diversifications de marque qui augmenteront la perception et l'effet d'image des principales marques internationales RJRN" et prévoyait à la rubrique "stratégies E", "de cibler les hommes, urbains entre 18 et 30 ans qui sont le marché principal pour les valeurs cible de E... Bâtir une "image" attrayante inspirée par "le monde aventureux de E" et conçue pour capturer le coeur des valeurs E, masculinité, individualisme et camaraderie en utilisant:

- la marque de fabrique Z pour couvrir une gamme étroite d'articles principaux dans chaque catégorie qui exprime le mieux le "Monde de E" rude et masculin"

L'événement Z doit fournir "une représentation tangible et accessible du coeur des valeurs d'aventure excitante de telle façon à attirer fortement les jeunes adultes" et il convient "d'utiliser tous les principaux médias accessibles (magazine, cinéma en dehors de la maison, TV) pour construire une perception et une imagerie au sein du groupe ciblé".

Il est enfin prévu "un soutien marketing total pour les programmes liés aux produits TMD... afin de doubler de 24,8 millions de dollars en 1992 à 54,4 millions de dollars en 1997. En plus les dépenses de l'événement Z passeront de 18,5 millions de dollars à 22,5 millions de dollars au cours de la durée du plan".

Le second document découvert, intitulé "Plan Stratégique 1992-1996 X exprimait, quant à lui, la nécessité de "mettre en place un changement progressif pour passer des outils de communication utilisés actuellement, à des activités de licence logo, afin de maintenir la continuité en matière de communication", mentionnait "qu'en comparaison avec la plupart de ses concurrents, X1 semble mieux préparé à faire face aux nouvelles restrictions légales, grâce à un plus grand nombre d'activités de licences logo à sa disposition (montres Z, E Boots, collection/boutiques E, vêtements Winston) permettant de maintenir une continuité dans la communication derrière E et Winston" et précisait "qu'une approche créative des questions légales" ainsi "qu'un équilibre entre les risques légaux et les bénéfices espérés" devaient être recherchés,

Enfin, le troisième document découvert, intitulé "France 1992-1996 Stratégie de communication" indiquait : "à la date du 23 janvier 1993

- arrêter les campagnes de cigarettes

- se concentrer sur les activités de licences logo, montres Z, chaussures E, collection E, vêtements Winston" et portait la mention manuscrite" la communication est toujours possible mais sera de plus en plus complexe".

Il résulte ainsi de l'étude de ces documents que la stratégie de diversification du groupe X en Europe dans différents produits et notamment les montres E Trophy a été conçue et élaborée par la société Y, dont le représentant en France était M. D, en étroite collaboration avec les dirigeants de la société X, Messieurs B et C. Ces derniers ont été informés, ont approuvé et intégré, dans leur propre stratégie de communication les politiques commerciales destinées à exploiter au mieux les activités de logo rappelant les cigarettes. Il ressort des termes mêmes des documents saisis que les prévenus ont été amenés à donner leurs opinions sur les plans litigieux et ont, par la même, participé à leur élaboration et à leur rédaction, ceux-ci ayant été exécutés par les annonceurs commercialisant les montres qui sont, comme l'ont justement relevé les premiers juges, les auteurs principaux du délit poursuivi.

Le montant considérable des financements prévus par Y pour les dépenses de publicité en faveur des montres E Trophy est enfin révélateur de l'aide financière apportée par le groupe X aux annonceurs directs, incapables de mener seuls une campagne publicitaire d'une telle envergure.

La participation à l'élaboration et à l'organisation de ces plans par de prétendues campagnes de diversification est constitutive du détournement de l'interdiction posée par la loi Evin.

Un tel comportement caractérise l'élément matériel de la complicité du délit prévu par l'article L. 355-25, devenu L. 3511-3 du Code de la santé publique, prévention sur laquelle les prévenus ont pu s'expliquer contradictoirement aussi bien devant le tribunal que devant la cour.

L'existence de l'élément moral de la complicité résulte de ce que l'objectif des prévenus consistait à maintenir, malgré son interdiction, la publicité en faveur de la marque de tabac E, par le biais de l'utilisation de nouveaux outils de communication (la publicité en faveur des montres Trophy E).

Les éléments de la complicité de publicité indirecte en faveur du tabac sont donc réunis à l'encontre de Messieurs B, C et D.

Compte-tenu de l'absence d'appel du CNCT contre le jugement du Tribunal de Paris qui a mis hors de cause la société X, cette disposition a acquis un caractère définitif et la partie civile n'est pas recevable à demander sa condamnation devant la cour le renvoi sur le fondement de l'art. 1382 du Code du civil.

En revanche, la société Y sera déclarée civilement responsable de son salarié M. D qui a été complice de l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac.

Sur le préjudice du CNCT

En raison de la spécificité de son but et de l'objet de sa mission, le Comité national contre le tabagisme, reconnu d'utilité publique, a subi un préjudice direct et personnel du fait de la publicité indirecte en faveur du tabac, qu'il convient d'évaluer, comme l'a fait le tribunal, à 22 867,35 euro (150 000 F).

Messieurs B, C et D, à l'égard de qui les éléments constitutifs de la complicité du délit de publicité indirecte ont été caractérisés, seront condamnés solidairement à verser au CNCT cette somme.

Les frais irrépétibles occasionnés par cette très longue procédure seront fixés à la somme de 7 620 euro, et chacun des trois prévenus sera condamné à verser au CNCT la somme de 2 540 euro.

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges LA COUR, après en avoir délibéré, Statuant publiquement, et contradictoirement, Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 mars 2003 ayant cassé, sur le pourvoi de la partie civile, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er mars 2002 En la forme : Déclare recevables les appels des prévenus et du Ministère public Au fond : Constate que la cour n'est plus saisie que de l'action civile, Constate que les dispositions de la loi du 10 janvier 1991 ne sont pas contraires au droit communautaire, ni à la Convention européenne des Droits de l'Homme, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié les faits reprochés aux prévenus en complicité de publicité indirecte en faveur du tabac et a reconnu que les éléments constitutifs de ce délit étaient réunis à l'encontre de Messieurs B, C et D, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à la demande du CNCT à hauteur de 22 867,35 euro et a condamné solidairement M. B, M. C et M. D à verser cette somme au CNCT, Déclare irrecevables les demandes du CNCT à l'encontre de la société X France qui a été définitivement déclarée hors de cause par le tribunal Déclare la société Worldwide Brands "Y" civilement responsable de son préposé M. D, Condamne chacun des trois prévenus à payer à la partie civile la somme de 2 540 euro pour les frais irrépétibles sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, pour l'ensemble de la procédure.