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Décisions

CJCE, 5e ch., 5 octobre 1988, n° 277-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Canon Inc., Canon France (SA), Canon Rechner Deutschland Gmbh, Canon Ltd

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes, Commission des Communautés européennes, Committee of European Typewriter Manufacturers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bosco

Avocat général :

Sir Gordon Slynn

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Everling, Galmot, Joliet

Avocats :

Mes Forrester, Van Empel, Burke, Ehle

CJCE n° 277-85

5 octobre 1988

LA COUR,

1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement le 9 septembre et le 4 octobre 1985, les sociétés Canon France SA, Canon Rechner Deutschland Gmbh et Canon (UK) Ltd, d'une part, et la société Canon Inc., ayant son siège à Tokyo, d'autre part, ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, deux recours visant à l'annulation du règlement n° 1698-85 du Conseil, du 19 juin 1985, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de machines à écrire électroniques originaires du Japon (JO L 163, p. 1), dans la mesure où il concerne les sociétés requérantes. Ces deux recours ont été enregistrés sous les n° 277-85 et 300-85.

2 Canon Inc. est une société fabriquant du matériel optique et électronique, qui depuis les années 1982-1983 produit et commercialise également des machines à écrire électroniques (ci-après "MEE") tant à l'étranger, en particulier dans la Communauté économique européenne où elle opère à travers ses filiales Canon France SA, Canon Rechner Deutschland Gmbh et Canon (UK) Ltd, que, en quantités beaucoup plus réduites, au Japon, où elle opère à travers un distributeur exclusif affilié, Canon Sales. En 1984, Canon Inc. a fait l'objet d'une plainte antidumping déposée auprès de la Commission par une association de fabricants européens, le Committee of European Typewriter Manufacturers (ci-apres "CETMA"), qui l'accusait de vendre ses produits dans la Communauté à des prix de dumping.

3 La procédure antidumping engagée par la Commission sur la base du règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non-membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1), a conduit d'abord à imposer à Canon un droit antidumping provisoire de 33,3 %. Le Conseil, sur proposition de la Commission, a ensuite fixé le droit antidumping définitif à 35 %, par son règlement n° 1698-85, contre lequel Canon Inc. et ses filiales européennes ont introduit les présents recours.

4 Par actes déposés le 7 octobre 1985, les requérantes ont introduit des demandes en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution, à leur égard, du règlement n° 1698-85, jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée sur les recours. Les demandes en référé ont été rejetées par ordonnances du Président de la Cour du 18 octobre 1985, qui ont réservé les dépens.

5 Par ordonnance du 11 novembre 1985, les affaires 277-85 et 300-85 ont été jointes aux fins de la procédure et de l'arrêt.

6 La Commission et le CETMA ont été admis à intervenir dans les deux affaires à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.

7 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Des doutes ayant été soulevés par le Conseil quant à la recevabilité du recours dans l'affaire 300-85 en tant que formé par des importateurs, il y a lieu de constater que, conformément à la jurisprudence de la Cour telle qu'elle ressort en dernier lieu de l'arrêt du 21 février 1984 (affaires jointes 239 et 275-82, Allied Corporation et autres/Conseil et Commission, Rec. p. 1005), des importateurs associés avec des exportateurs peuvent attaquer un règlement instituant un droit antidumping, notamment dans le cas où, comme dans les présentes affaires, le prix à l'exportation a été calculé à partir de leurs prix de vente sur le marché communautaire.

9 Les requérantes (ci-après indiquées sous la dénomination collective "Canon") avancent à l'appui de leurs recours les cinq moyens suivants :

- calcul erroné de la valeur normale

- calcul erroné du prix à l'exportation

- comparaison incorrecte entre la valeur normale et le prix à l'exportation

- évaluation incorrecte du préjudice

- non-respect des règles procédurales

Sur le moyen tiré du calcul erroné de la valeur normale

10 Canon soutient, en premier lieu, que dans la mesure où les institutions ont refusé de considérer comme valeur normale le prix des transactions intervenues, au Japon, entre Canon Inc. et son distributeur associé, Canon Sales Limited, elles auraient dû, conformément à l'article 2, paragraphe 3, sous A) et B), du règlement n° 2176-84, construire la valeur normale sur la base des coûts de production et non pas se fonder sur les prix facturés par Canon Sales Ltd lors de la première vente du produit à un acheteur indépendant.

11 Il convient de constater que, en vertu de l'article 2, paragraphe 3, sous A), du règlement n° 2176-84, on entend tout d'abord par valeur normale le "prix réellement payé ou à payer au cours d'opérations commerciales normales pour le produit similaire destiné à la consommation dans le pays d'exportation ou d'origine". D'autres éléments indiqués sous B), i) et ii), peuvent être utilisés comme valeur normale "lorsqu'aucune vente du produit similaire n'a lieu au cours d'opérations commerciales normales sur le marché intérieur du pays d'exportation ou d'origine, ou lorsque de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable". Il ressort clairement du texte et de l'économie des dispositions susmentionnées que c'est le prix réellement payé ou à payer au cours d'opérations commerciales normales qu'il faut prendre en considération par priorité pour établir la valeur normale, les autres solutions n'étant que subsidiaires.

12 En l'espèce, les prix payés par le premier acheteur indépendant du produit peuvent à juste titre être considérés comme les prix réellement payés pour le produit dans son pays d'exportation ou d'origine au cours d'opérations commerciales normales et doivent dès lors être utilisés de préférence à tout autre élément.

13 Canon soutient, en second lieu, que les prix pratiqués sur le marché japonais n'étaient pas représentatifs, eu égard au nombre de MEE qu'elle vendait sur ce marché. En effet, ce nombre n'aurait pas dépassé le seuil de 5 % des exportations réalisées vers la Communauté, au-dessous duquel les institutions avaient décidé de considérer comme négligeables les ventes sur le marché japonais. Elle estime aussi que le troisième considérant du règlement n° 2176-84 imposerait de tenir compte des pratiques des principaux partenaires commerciaux de la Communauté. Ce seuil de 5 % aurait donc dû être calculé conformément à la pratique suivie par les États-Unis d'Amérique, à savoir par rapport aux exportations réalisées vers tous les autres pays tiers.

14 A cet égard, il y a lieu d'observer qu'on ne saurait toutefois retenir l'argument de Canon selon lequel le seuil d'insignifiance doit être calculé par rapport au volume total des exportations de l'ensemble des modèles de MEE, puisque les grandes différences existant entre les caractéristiques des différents modèles exigent que chaque modèle ait sa propre valeur normale. Les ventes intérieures de chacun des deux modèles produits par Canon, dont les prix intérieurs ont été pris en considération, dépassent 5 % des exportations de la requérante vers la Communauté si l'on procède à un examen modèle par modèle, alors qu'elles atteignent à peine 1,4 % du volume total des exportations de Canon vers la Communauté.

15 Enfin, en ce qui concerne l'argument tiré de la référence à la pratique suivie en la matière par les États-Unis d'Amérique, il convient de remarquer que l'attitude d'un de ses partenaires commerciaux, même important, ne suffit pas pour obliger la Communauté à procéder de la même manière. Cette référence ne saurait donc commander l'interprétation de la réglementation communautaire.

16 Canon fait valoir, en troisième lieu, que, si les prix intérieurs ne sont pas représentatifs, les institutions sont tenues, en vertu de l'article 2, paragraphe 3, sous B), de se fonder sur le prix d'un produit similaire à l'exportation vers un pays tiers.

17 Il ne ressort pas de la disposition précitée que celle-ci donne une priorité à l'utilisation du prix à l'exportation vers un pays tiers par rapport à la construction de la valeur normale. Les institutions disposent donc à cet égard d'une marge discrétionnaire, et Canon n'a pas réussi à démontrer que celle-ci ait été utilisée à tort.

18 En quatrième lieu, Canon reproche aux institutions de ne pas avoir déduit de la valeur normale les coûts particulièrement élevés que Canon Sales Ltd aurait dû exposer pour assurer la publicité des MEE au Japon, en raison des caractéristiques tout à fait spéciales du marché japonais.

19 Pour autant que cet argument se fonde sur le fait que des frais de publicité sont déduits du prix de revente au premier acheteur indépendant dans la Communauté afin d'établir le prix à l'exportation, il y a lieu de rappeler que l'exigence de comparabilité posée par l'article 2, paragraphe 3, sous A), est satisfaite, dès lors que valeur normale et prix à l'exportation sont établis tous deux à partir de la première vente à un acheteur indépendant. Ces éléments doivent alors être comparés tels qu'ils ont été établis, sauf application des ajustements et des déductions expressément prévus aux paragraphes 9 et 10 de l'article 2 précité. Or, il résulte de l'article 2, paragraphe 10, sous C), du règlement n° 2176-84, qu'aucun ajustement n'est effectué "pour des différences existant dans les frais administratifs et généraux, y compris les frais de publicité". Cet argument ne peut dès lors être retenu.

20 Canon invoque, en cinquième lieu, différents arguments concernant les quatre modèles de MEE pour lesquels la valeur normale a été construite.

21 A cet égard, Canon fait valoir, tout d'abord, que l'article 2, paragraphe 3, sous B), ii), du règlement n° 2176-84 n'autorisait pas les institutions à construire une valeur normale en utilisant, à titre d'orientation, des éléments - à savoir les marges bénéficiaires - du prix intérieur réel obtenu pour d'autres modèles. Elle allègue, en outre, que ses comptes de gestion faisaient ressortir un bénéfice de 7,2 % sur les MEE au cours de la période de référence, ce qui prouverait que la marge bénéficiaire beaucoup plus élevée qui lui a été attribuée par les institutions n'est pas "raisonnable".

22 Il y a lieu de remarquer, sur ce point, que la marge bénéficiaire utilisée pour la construction de la valeur normale coïncide avec la marge bénéficiaire obtenue par Canon pour les deux modèles, dont les prix réalisés sur le marché intérieur ont été pris en considération. Compte tenu du pouvoir d'appréciation dont les institutions disposent, cette marge peut donc être considérée comme raisonnable, au sens de la disposition précitée du règlement n° 2176-84, dans la construction de la valeur normale, en l'absence de toute preuve contraire fournie par canon, qui n'a pas produit les comptes de gestion mentionnés à l'appui de ses allégations.

23 Canon fait valoir encore que, en omettant de tenir compte des frais réels de publicité pour les MEE, qui seraient au Japon beaucoup plus élevés que les frais de publicité pour les autres produits, les institutions auraient surestimé la marge bénéficiaire de la société intéressée et auraient, par conséquent, obtenu une valeur construite trop élevée.

24 Il ressort toutefois du dossier que Canon n'a pas prouvé le bien-fondé de son allégation selon laquelle les institutions n'ont pas dûment tenu compte, conformément à l'article 2, paragraphe 3, sous B), ii), du règlement n° 2176-84, des frais publicitaires et de promotion qu'elle avait effectivement engagés. En outre, il résulte du dossier que Canon a accepté le taux de frais contesté lorsque ce taux a été utilisé par les institutions pour déterminer l'élément "frais administratifs, généraux et autres" à englober dans les coûts de production dans la première phase du procédé de construction de la valeur normale. A la lumière de ces considérations, l'argument avancé par Canon ne saurait donc être retenu.

25 Canon fait valoir également que les frais administratifs, généraux et autres, inclus dans la valeur normale construite, auraient du être établis en fonction des frais afférents à l'exportation du produit.

26 A cet égard, il convient de rappeler que, selon l'économie du règlement n° 2176-84, la construction de la valeur normale vise à déterminer le prix de vente d'un produit tel qu'il serait si ce produit était vendu dans son pays d'origine ou d'exportation. Par conséquent, ce sont les frais afférents aux ventes sur le marché intérieur qui doivent être pris en considération.

27 En invoquant l'article 2, paragraphe 3, B), ii), du règlement n° 2176-84, qui prévoit la fixation de la marge bénéficiaire normale par référence au bénéfice "normalement réalisé lors de ventes de produits de la même catégorie générale sur le marché intérieur du pays d'origine", Canon soutient, par ailleurs, que les institutions auraient dû tenir compte des marges bénéficiaires du secteur de l'équipement de bureau, pris globalement, au Japon.

28 En réalité, s'il est constant qu'on entend par "produit similaire", au sens de l'article 2, paragraphes 2 et 12, un produit ayant les mêmes caractéristiques, on doit alors entendre par "produits de la même catégorie générale", au sens du paragraphe 3 précité, seuls les produits relevant de la catégorie des MEE qui présentent entre eux une homogénéité permettant d'obtenir des indications fiables, alors que la "bureautique" regroupe des produits extrêmement variés, dont chacun peut donner lieu à un bénéfice différent, en raison de ses utilisations particulières et de sa clientèle spécifique. Les institutions n'ont donc pas agi de manière erronée en établissant le bénéfice normal sur la base des données relatives aux autres modèles de MEE.

29 A la lumière des considérations qui précèdent, le premier moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré du calcul erroné du prix à l'exportation

30 Par le premier des arguments avancés à l'appui de ce moyen, Canon maintient que le prix à l'exportation aurait dû être calculé sur la base des prix qu'elle pratiquait à ses filiales européennes.

31 Ainsi qu'il ressort du dossier, les filiales européennes sont détenues à 100 % par la société-mère. Il s'ensuit qu'il existe entre elles et Canon une association au sens de l'article 2, paragraphe 8, sous B), du règlement n° 2176-84, et que les institutions avaient, par conséquent, le droit de calculer le prix à l'exportation sur la base du prix de vente au premier acheteur indépendant dans la Communauté.

32 Au deuxième argument invoqué par Canon, selon lequel la marge bénéficiaire à déduire correspondait à 3 et non à 5 %, les institutions ont répondu à juste titre que, d'une part, ce dernier pourcentage a été tiré des marges des importateurs indépendants, constituant ainsi la base la plus objective disponible permettant d'obtenir une estimation adéquate du prix à l'exportation, et que, d'autre part, Canon n'a fourni aucun élément pouvant justifier le taux qu'elle a proposé.

33 En troisième lieu, Canon prétend que les frais encourus pour la promotion de certains modèles en Allemagne, en France et au Royaume-Uni auraient dû être repartis sur un plus grand nombre de modèles, ainsi que sur une zone géographique plus large, et auraient dû être amortis sur une période plus longue.

34 Même s'il n'est pas exclu qu'une campagne publicitaire axée sur certains modèles et menée dans certains pays peut profiter aussi à d'autres modèles et avoir des retombées dans d'autres pays, cette circonstance n'est pas suffisante en elle-même, si la requérante n'a pas apporté des preuves circonstanciées de tels effets secondaires, pour repartir les coûts d'une telle campagne sur l'ensemble des MEE commercialisées dans la Communauté. Il n'y a donc pas lieu de déroger à la règle générale figurant à l'article 2, paragraphe 11, du règlement n° 2176-84, qui prévoit pour les coûts une répartition proportionnelle "au chiffre d'affaires pour chaque produit et chaque marché considérés". Les mêmes considérations sont valables en ce qui concerne la période pour laquelle ces coûts ont été pris en compte. S'agissant de frais intervenus durant la période d'enquête, les institutions n'ont pas méconnu leur marge d'appréciation en les considérant comme des dépenses relatives à cette période.

35 Le deuxième moyen doit dès lors être rejeté.

Sur le moyen tiré de la comparaison incorrecte entre la valeur normale et le prix à l'exportation

36 Canon fait valoir, en premier lieu, que, en utilisant une méthode de calcul qui aurait gonflé la valeur normale et diminué le prix à l'exportation, les institutions communautaires ont violé l'obligation, prévue à l'article 2, paragraphe 9, du règlement n° 2176-84, d'établir une comparaison valable entre ces deux éléments. On ne saurait, en effet, considérer comme valable une comparaison dans le cadre de laquelle les deux éléments précités ne seraient pas déterminés selon des modalités analogues et d'une manière symétrique.

37 A cet égard, il importe d'observer que, conformément aux arrêts de la Cour du 7 mai 1987 (240, 255, 256, 258 et 260-84, "droit antidumping sur les importations de roulements à billes", Rec. p. 1809, 1861, 1899, 1923, 1975), le calcul de la valeur normale et le calcul du prix à l'exportation constituent des opérations distinctes, eu égard à leurs méthodes de calcul différentes, prévues respectivement par l'article 2, paragraphes 3 à 7, et par l'article 2, paragraphe 8, du règlement n° 2176-84. Le caractère valable de la comparaison prévue à l'article 2, paragraphe 9, ne saurait donc être subordonné à la condition que la valeur normale et le prix à l'exportation aient été calculés selon des méthodes identiques.

38 Canon soutient, en second lieu, que les institutions ont également violé l'article 2, paragraphe 9, dans la mesure où, contrairement à ce qu'exige ladite disposition, elles n'auraient pas effectué de comparaison au même stade commercial, qui devrait normalement être celui de la sortie usine, mais ont comparé un prix à l'exportation établi à la sortie usine avec une valeur normale établie lors de la vente du produit par le distributeur exclusif de Canon au Japon.

39 A cet égard, il y a lieu de constater que, comme l'indiquent les pièces du dossier, Canon commercialise ses produits sur le marché japonais par l'intermédiaire d'une société de distribution qu'elle contrôle économiquement et à laquelle elle confie des tâches qui relèvent normalement d'un département de vente interne à l'organisation du producteur.

40 Le partage des activités de production et de vente à l'intérieur d'un groupe formé par des sociétés juridiquement distinctes ne saurait rien enlever au fait qu'il s'agit d'une entité économique unique qui organise de cette manière des activités normalement exercées par une entité qui est unique aussi du point de vue juridique.

41 Au vu de ces constatations, l'argument de Canon ne saurait être retenu, étant donné que c'est précisément par la prise en considération de la première vente à un acheteur indépendant qu'on peut établir correctement la valeur normale au stade "sortie usine" face à une organisation de production et de vente telle que celle mise en place par Canon sur le marché japonais.

42 Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'examiner les arguments relatifs au refus des institutions d'accorder à Canon des ajustements au sens de l'article 2, paragraphe 10, du règlement n° 2176-84, invoqués, à titre subsidiaire, pour le cas où il serait établi que la valeur normale et le prix à l'exportation ont été comparés à des stades commerciaux différents.

43 Le troisième moyen doit dès lors être rejeté.

Sur le moyen tiré de l'évaluation incorrecte du préjudice

44 Canon estime que l'établissement du préjudice demandait un examen complet du marché envisagé globalement et critique l'approche différente des institutions, qui répondent, à juste titre, que l'article 4 du règlement n° 2176-84, loin d'exiger un tel examen, impose tout simplement aux autorités communautaires de vérifier si les importations faisant l'objet d'un dumping ont causé un préjudice.

45 Dans ce contexte, Canon avait fait valoir, dans un premier temps, que la détermination du préjudice était affectée par le fait que les "importations OEM", à savoir les importations de machines d'origine japonaise achetées par les producteurs communautaires et vendues par ceux-ci sous leur propre marque, ont été prises en compte par les institutions en tant qu'importations en provenance du Japon.

46 A cet égard, il convient d'observer que Canon a fini par admettre que les "importations OEM" ont été considérées à raison comme des importations japonaises. Dans ces conditions, son argument se réduit donc à soutenir que ces importations ne sont pas mentionnées dans les considérants du règlement n° 1698-85. Compte tenu, d'une part, de ce que la prise en considération des importations OEM n'a jamais été niée par les institutions et était d'ailleurs bien connue de Canon et, d'autre part, de l'impossibilité de faire figurer tous les détails d'une enquête antidumping dans la motivation d'un règlement, cet argument ne saurait être retenu.

47 Canon allègue ensuite que les ventes de l'industrie communautaire auraient progressé lentement du fait que son insuffisante capacité de production aurait empêché celle-ci de faire face à la poussée de la demande. Toutefois, il ressort des éléments fournis par le Conseil que, à aucun moment, entre 1980 et la fin de 1983, les producteurs communautaires n'ont opéré à leur pleine capacité. Cet argument doit donc également être rejeté.

48 Canon reproche aussi aux institutions d'avoir négligé à tort certains facteurs qui laissaient supposer que le dumping ne causait aucun préjudice, et de s'être fondées presque exclusivement sur les prix, sur la part de marché et sur des facteurs financiers qui seraient sans valeur en l'absence de toute distinction entre les pertes causées par le dumping et celles dues aux problèmes structurels des fabricants communautaires, en ignorant par contre complètement l'amélioration de la production, des ventes, du chiffre d'affaires, de l'utilisation des capacités des producteurs communautaires.

49 Pour juger du bien-fondé de cet argument, il convient de se référer aux dispositions qui règlent les modalités de détermination d'un préjudice, notamment à l'article 4 du règlement n° 2176-84, qui reprend l'article 3 du Code antidumping du GATT. Cette disposition prévoit qu'il n'y a de préjudice que si les importations qui font l'objet d'un dumping causent ou menacent de causer, "par les effets du dumping", un préjudice important à une production établie dans la communauté, et que les préjudices causés par d'autres facteurs ne doivent pas être attribués aux importations qui font l'objet d'un dumping.

50 Or, selon Canon, les institutions auraient à tort attribué au dumping des préjudices découlant en réalité d'autres raisons, principalement du fait que les entreprises communautaires n'auraient pas su s'adapter à la nouvelle technologie.

51 Il ressort du dossier qu'en réalité ce sont les industries européennes qui, les premières, ont mis au point la nouvelle technologie dans le secteur des machines à écrire et qui ont commercialisé les MEE dès la fin des années 1970, c'est-à-dire avant l'entrée sur le marché des producteurs japonais. Dans ces conditions, il est inexact que, comme le soutient Canon, les difficultés de l'industrie européenne des MEE découlent d'un retard technologique par rapport à l'industrie japonaise.

52 Bien que le passage à la production des MEE se soit fait pour certaines entreprises communautaires moins facilement que pour d'autres et bien qu'il ait requis des investissements très importants, les pertes imputables à ces investissements ne peuvent en aucun cas être confondues avec celles dues au dumping. En effet, puisque les entreprises communautaires étaient manifestement en mesure, pendant la période couverte par l'enquête, d'offrir une large gamme de MEE, la diminution de leur part de marché s'explique non pas par des difficultés de reconversion, mais principalement par le dumping des producteurs japonais.

53 Quant à l'argument de Canon selon lequel la chute de la rentabilité essuyée par l'industrie communautaire était due à la nature du marché des MEE, il faut constater que cet argument est contredit par l'attitude des entreprises japonaises elles-mêmes, qui se sont lancées sur le marché communautaire au moment précis où, selon les dires de canon, la rentabilité des MEE allait s'effondrer.

54 La méthode d'évaluation du préjudice utilisée par les institutions apparait, contrairement à l'opinion de canon, comme apte à distinguer entre les effets d'un dumping et ceux des difficultés structurelles de l'industrie communautaire. Le préjudice a en effet été établi par référence aux sous-cotassions des prix des produits importés par rapport aux prix que les entreprises communautaires auraient pu réaliser en l'absence de dumping.

55 Il découle des considérations qui précèdent que les institutions ont correctement identifié le préjudice spécifique causé par le dumping. En effet, aucune preuve n'a été fournie pour démontrer que les facteurs déjà mentionnés ou d'autres, tels que les prix d'autres importations ne faisant pas l'objet de dumping, ou une contraction de la demande, auraient contribué au préjudice constaté.

56 Pour ce qui est du grief que Canon tire de ce que les facteurs indiqués à l'article 4, paragraphe 2, sous A), B) et C), du règlement n° 2176-84 (volume des importations faisant l'objet d'un dumping, prix de ces importations, impact de ces importations sur la production communautaire) n'auraient pas été examinés correctement, les considérants du règlement n° 1698-85 montrent que les institutions ont procédé à l'examen de ces facteurs. Si, dans l'appréciation de l'impact du dumping sur la production communautaire, elles n'ont pas examiné tous les éléments économiques pertinents mentionnés dans la liste figurant au paragraphe 2, sous C), il convient de rappeler qu'il ressort de la teneur de cette disposition que cette liste est simplement indicative et qu'il était donc loisible aux institutions d'estimer que les éléments les plus pertinents y figurant constituaient déjà une base de jugement suffisante.

57 Canon conteste que l'on puisse établir l'existence d'un préjudice par rapport à une période où les ventes des producteurs communautaires ont progressé en chiffres absolus.

58 Ainsi qu'il ressort des statistiques figurant au dossier, ces ventes, tout en augmentant en chiffres absolus, n'ont pas maintenu leur pourcentage dans le cadre d'un marché en très forte expansion. Les institutions étaient donc en droit de conclure que le dumping des producteurs japonais avait empêché une évolution beaucoup plus favorable des ventes des entreprises européennes.

59 Canon soutient encore que les institutions n'ont pas examiné à suffisance les sous-cotassions des prix des produits importés par rapport aux prix réels des produits communautaires.

60 A cet égard, il y a lieu d'observer, d'une part, que les prix des produits communautaires au cours de l'année 1984 n'étaient plus des prix utilisables pour la détermination du préjudice au sens de l'article 4 précité, en ce qu'ils avaient déjà subi des dépréciations, depuis un certain temps, afin de pouvoir résister à la pression toujours croissante des importations japonaises qui ont fait ultérieurement l'objet de la procédure antidumping, et, d'autre part, que l'examen de nombreux autres facteurs permettait déjà d'apprécier l'impact du dumping sur la production communautaire. Un examen plus détaillé des sous-cotassions des prix réels dans le règlement instituant le droit provisoire n'était donc ni nécessaire ni utile. Le règlement instituant le droit définitif a pu établir de manière appropriée les sous-cotassions par rapport aux prix ciblés, c'est-à-dire aux prix qui auraient été réalisés pour les produits communautaires en l'absence de dumping.

61 En outre, selon canon, aucune distinction n'aurait été faite par les institutions entre producteurs efficients et producteurs non-efficients, ce qui les aurait conduites à imputer au dumping les pertes de deux producteurs communautaires dont les difficultés auraient en réalité été dues à un manque d'efficience.

62 Ainsi qu'il a été observé ci-dessus, la méthode utilisée par les institutions permettait de cerner avec suffisamment de précision le préjudice causé à l'industrie communautaire par le dumping et d'imposer un droit antidumping uniquement jusqu'à concurrence de ce préjudice. D'ailleurs, à la différence de la réglementation précédente, l'article 4 du règlement n° 2176-84 ne prévoit pas qu'un préjudice puisse être constaté uniquement si le dumping en est la cause principale. On peut dès lors attribuer à un importateur la responsabilité d'un préjudice causé par le dumping, même si les pertes dues au dumping ne sont qu'une partie d'un préjudice plus large imputable à d'autres facteurs.

63 Canon a fait valoir qu'il n'est pas dans l'intérêt de la Communauté de protéger les producteurs non-efficients. Comme l'ont rappelé, à juste titre, les institutions, il leur appartient, conformément à l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2176-84, d'apprécier, en présence d'un dumping et d'un préjudice, si les "intérêts de la Communauté nécessitent une action communautaire". Le fait, pour un producteur communautaire, d'éprouver des difficultés dues également à des causes autres que le dumping n'est pas une raison pour enlever à ce producteur toute protection contre le préjudice causé par le dumping.

64 Canon soutient aussi qu'aucune entreprise communautaire n'a jamais atteint la marge bénéficiaire de 10 %, utilisée par les institutions pour le calcul du prix ciblé. Cette affirmation, qui se fonde sur des considérations très générales relatives au cycle de vie des MEE, n'est étayée par aucun élément de preuve et doit, dès lors, être rejetée.

65 Les modalités de calcul du préjudice sont contestées par Canon, au motif que les sous-cotassions de prix ont été établies sur la base d'une comparaison entre des modèles japonais et des modèles communautaires dont la valeur commerciale a été appréciée sur la base de considérations subjectives, alors que le seul indicateur objectivement vérifiable aurait été le coût de production des éléments qui faisaient la différence entre ces modèles.

66 Il y a lieu de souligner, à cet égard, que, comme Canon le reconnaît, une comparaison directe entre les modèles importés et les modèles communautaires les plus proches était impossible en raison de la grande variété de modèles et de leurs caractéristiques techniques. Un ajustement étant dès lors nécessaire pour tenir compte de ces différences, les institutions ont demandé aux exportateurs japonais et aux producteurs communautaires d'évaluer de bonne foi la valeur commerciale de chaque modèle, en fonction de ses caractéristiques techniques, et ont calculé la moyenne des deux évaluations.

67 Compte tenu du fait qu'un mécanisme technique dont le coût de production n'est pas très élevé peut présenter un grand intérêt aux yeux d'un acheteur potentiel, en ce qu'il permet une utilisation particulière de la machine, il y a lieu de constater que la valeur commerciale d'une machine ne varie pas nécessairement en fonction du coût de production de ses éléments. En l'absence de toute méthode objective pour apprécier la valeur commerciale des MEE, il y a donc lieu d'estimer que la méthode suivie par les institutions, fondée sur la moyenne des différentes appréciations subjectives, était raisonnable.

68 Les procès-verbaux des réunions tenues entre Canon et les institutions ainsi que la correspondance échangée entre les parties montrent, enfin, que Canon ne saurait faire grief aux institutions de ne pas lui avoir fourni toutes les informations qu'elle a demandées, sauf, bien entendu, les informations de nature confidentielle.

69 A la lumière des considérations qui précèdent, le quatrième moyen avancé par Canon doit également être rejeté.

Sur le moyen tiré du non-respect des règles procédurales

70 Canon observe que, dans la mesure où le public n'a pas accès aux chiffres et aux tendances sur lesquels les institutions se sont basées, il est nécessaire que celles-ci assortissent leurs règlements d'une motivation complète et convaincante. Cela serait d'autant plus important que la nature inédite et extraordinaire des méthodes utilisées par les institutions dans le calcul du dumping exigent que l'on puisse contrôler en détail si les procédures suivies ont été équitables et précises. Or, les institutions n'auraient pas tenu compte de certains facteurs pertinents, n'auraient pas accordé aux arguments présentés par Canon l'attention appropriée et n'auraient pas motivé leur action d'une manière adéquate, au point que le règlement n° 1698-85 devrait être annulé pour des raisons d'ordre procédural.

71 A la lumière des considérations développées lors de l'examen des moyens précédents, il n'y a pas de raison d'estimer que les méthodes de calcul n'étaient pas appropriées ou que des facteurs pertinents n'avaient pas été pris en considération. Les considérants des règlements adoptés par la Commission et par le Conseil donnent d'ailleurs une explication claire et circonstanciée des méthodes suivies par les institutions.

72 Dans ces conditions, le cinquième moyen doit être rejeté également.

73 Au vu des constatations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les recours dans leur ensemble comme non fondés.

Sur les dépens

74 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner, solidairement dans l'affaire 277-85, aux dépens, tant de la procédure principale que de la procédure en référé, y compris ceux des parties intervenantes qui ont conclu en ce sens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Déclare et arrête :

1) les recours sont rejetés.

2) les requérantes sont condamnées, solidairement dans l'affaire 277-85, aux dépens, tant de la procédure principale que de la procédure en référé, y compris ceux des parties intervenantes qui ont conclu en ce sens.