CJCE, 28 novembre 1991, n° C-170/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bureau européen des unions de consommateurs
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Conseil des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
Sir Gordon Slynn, MM. Joliet, Schockweiler
Juges :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias
Avocat général :
M. Mischo
Avocats :
Mes Bentley, Rivas de Andrés
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 mai 1989, le Bureau européen des unions de consommateurs (ci-après "BEUC "), établi à Bruxelles, a introduit un recours tendant à voir annuler, en application des articles 173 et 174 du traité CEE, la décision de la Commission contenue dans la lettre du 15 mars 1989, lui refusant, dans le cadre de la procédure antidumping engagée à l'égard de certaines importations de cassettes sonores et de bandes pour cassettes sonores originaires du Japon, de la république de Corée et de Hong-kong, l'autorisation de prendre connaissance du dossier non confidentiel de la Commission et des informations communiquées par toute partie dans cette procédure et à voir, au besoin, déclarer inapplicable, sur le fondement de l'article 184 du traité, l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1) dans la mesure où il interdirait au requérant de prendre connaissance du dossier et des informations précitées.
2 Par avis du 14 janvier 1989 (JO C 11, p. 9), la Commission, à la suite du dépôt d'une plainte par le conseil européen des fédérations de l'industrie chimique, au nom de la totalité de la production communautaire concernée, a annoncé l'ouverture d'une procédure antidumping à l'égard de certaines importations de cassettes sonores et de bandes pour cassettes sonores originaires du Japon, de la république de Corée et de Hong-kong.
3 L'avis publié au Journal officiel fixait le délai dans lequel les demandes d'audition devaient être introduites par écrit auprès des services de la Commission à 30 jours à dater de la publication. Ce délai expirait le 14 février 1989.
4 Par lettre du 13 mars 1989, le BEUC, une association internationale de droit belge jouissant de la personnalité juridique et regroupant un certain nombre d'organisations nationales ayant pour objet statutaire la défense des consommateurs, a demandé à être entendue par la Commission dans le cadre de cette procédure et à soumettre des observations écrites. Afin de faciliter la présentation de ses observations, il a sollicité l'autorisation de consulter le dossier de la Commission et de recevoir communication des informations non confidentielles transmises par les parties au cours de la procédure.
5 Par lettre télécopiée du 15 mars 1989, la Commission a déclaré que, conformément à l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, précité (ci-après "règlement antidumping de base "), le droit de consulter le dossier non confidentiel était réservé au "plaignant et (aux) importateurs et exportateurs notoirement concernés ainsi qu'(aux) représentants du pays exportateur" et que, par conséquent, elle ne pouvait pas accéder à la demande du BEUC de prendre connaissance du dossier non confidentiel et des informations communiquées par les parties à la procédure. La Commission, dans cette même lettre, indiquait qu'elle était, néanmoins, disposée à tenir compte de toute observation écrite du BEUC ainsi qu'à l'entendre.
6 C'est contre cette lettre que le recours du BEUC est dirigé. Il ressort du dossier que la Commission a toutefois communiqué à la requérante une copie de la version non confidentielle de la plainte.
7 Par ordonnance du 4 octobre 1989, la Cour a admis le Conseil à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
8 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la recevabilité
9 La Commission considère que le recours du BEUC est irrecevable. Selon elle, sa lettre télécopiée du 15 mars 1989 ne constituerait pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours au sens de l'article 173 du traité CEE, dans la mesure où elle ne ferait qu'informer le requérant sur sa situation juridique, telle qu'elle résulte de l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base, et où elle ne modifierait en rien celle-ci. Elle ne produirait aucun effet juridique et constituerait un simple avis que l'article 173 du traité CEE exclut expressément des actes soumis au contrôle de la Cour.
10 Le BEUC soutient, en revanche, que la Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'accès au dossier non confidentiel. Son refus de l'exercer en faveur du BEUC constituait alors une décision, et pas une simple explication de la situation juridique. Selon le BEUC, le libellé de l'article 7, paragraphe 4, sous a), ne s'opposerait pas à ce que des organisations telles que la sienne puissent prendre connaissance du dossier non confidentiel.
11 Il y a lieu de relever qu'en refusant au BEUC l'accès au dossier non confidentiel, la lettre ne se limite pas à une simple communication, mais constitue, au contraire, une décision ayant porté atteinte à ses intérêts. La lettre de la Commission doit, dès lors, être qualifiée d'un acte faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours fondé sur l'article 173 du traité CEE.
12 Il résulte de ce qui précède que le recours est recevable.
Sur le fond
13 A titre liminaire, il convient de souligner que l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base accorde expressément au plaignant, aux importateurs et exportateurs notoirement concernés et aux représentants du pays exportateur, le droit de prendre connaissance des renseignements non confidentiels fournis à la Commission, et cela seulement dans la mesure où ces renseignements sont pertinents pour la défense de leurs intérêts et où ils sont utilisés par la Commission dans l'enquête.
14 A l'appui de son recours, le BEUC avance deux moyens tirés de la violation, d'une part, du principe du respect des droits de la défense et, d'autre part, du principe de bonne administration et de l'application cohérente des règles de procédure communautaire.
Quant au moyen tiré de la violation du principe du respect des droits de la défense
15 Le BEUC fait valoir en substance qu'en refusant, sur base de l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base, de lui donner accès aux pièces non confidentielles soumises à la Commission dans le cadre de la procédure administrative antidumping, celle-ci aurait violé le principe du respect des droits de la défense.
16 Selon lui, en vertu de ce principe, avant l'adoption de toute mesure ou toute décision individuelle qui est de nature à affecter directement les intérêts d'une personne particulière, celle-ci a le droit d'être entendue par l'autorité responsable et d'être préalablement informée des faits et des considérations sur la base desquels l'autorité entend agir.
17 Dans le cadre de la procédure antidumping, le droit d'accès au dossier non confidentiel qu'impliquerait le respect des droits de la défense ne se limiterait pas à la communication des éléments définitivement retenus contre la personne concernée à l'issue de la procédure. Ce droit s'étendrait à tous les documents, quels qu'ils soient, versés au dossier non confidentiel au cours de la procédure, dans la mesure où seul un tel accès lui permettrait d'être informée de ce qui lui est reproché et de participer de manière effective aux différentes phases de la procédure antidumping.
18 Selon le BEUC, le fait que l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base limite le droit d'accès aux catégories expressément mentionnées n'exclurait nullement qu'un tel accès lui soit reconnu, dans la mesure où le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré même en l'absence de tout texte le prévoyant expressément.
19 Cette argumentation ne saurait être retenue. Ainsi que la Commission et le Conseil l'ont fait remarquer, une organisation telle que le BEUC ne saurait se prévaloir, dans le cadre d'une procédure antidumping ou antisubventions, du principe fondamental du respect des droits de la défense pour prétendre, en l'absence de toute disposition expresse en ce sens, à l'accès aux documents non confidentiels soumis au cours de la procédure administrative.
20 En effet, il convient de rappeler que la procédure antidumping et antisubventions et les mesures de défense éventuelles adoptées à son issue sont dirigées contre les importations de certains produits sur lesquelles pèsent des accusations de pratique de dumping ou de subventions de la part de producteurs et exportateurs étrangers ou de pays tiers ainsi que, le cas échéant, d'importateurs.
21 Cette procédure et les mesures éventuellement adoptées au terme de celle-ci ne sont pas dirigées contre des pratiques imputables aux consommateurs ou à des organisations du type de celle du BEUC. Il s'ensuit que la procédure mise en œuvre sur base du règlement n 2423/88 ne saurait aboutir à un acte leur faisant grief, aucune accusation n'étant portée à leur encontre.
22 C'est donc à tort que le BEUC reproche à la Commission d'avoir violé le principe des droits de la défense en ne lui donnant pas accès aux documents non confidentiels de la procédure. Ni le respect des droits de la défense, ni l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base, n'imposaient une telle obligation à la Commission.
23 Le moyen tiré de la violation des droits de la défense doit, en conséquence, être rejeté.
Quant au moyen tiré de la violation du principe de bonne administration et de l'application cohérente des règles de procédure communautaire
24 A l'appui de ce moyen, le requérant fait valoir qu'il est illogique, du point de vue du principe de bonne administration et de l'application cohérente des règles de procédure, que l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base limite le droit d'accès des particuliers aux seuls exportateurs, importateurs et plaignants et ne l'accorde pas à des organisations de consommateurs. Pour ce qui est de l'application cohérente des règles de procédure communautaire, il fait valoir que, dans l'hypothèse où un recours en annulation serait introduit par un exportateur, une organisation telle que le BEUC serait plus que probablement autorisée par la Cour à intervenir dans la procédure et jouirait, en raison de cette intervention, par le biais de l'article 93, paragraphe 4, du règlement de procédure, du droit d'accès à tous les documents non confidentiels produits dans le cadre de la procédure judiciaire.
25 Il convient de souligner, à titre liminaire, que la procédure administrative antidumping et la procédure judiciaire en annulation des règlements instituant des mesures de défense ont des objets différents. Les règles qui président à l'organisation de ces procédures répondent, par ailleurs, à des finalités différentes. La procédure antidumping a pour finalités, d'une part, d'assurer que les importations à l'intérieur de la Communauté ne fassent pas l'objet de pratiques de dumping causant un préjudice à l'industrie communautaire et, d'autre part, de permettre aux institutions de prendre dans un délai raisonnable, si l'intérêt de la Communauté le commande, les mesures qui s'imposent. En revanche, la procédure judiciaire devant la Cour a pour finalité, comme le stipule l'article 164 du traité CEE, "d'assurer le respect du droit ".
26 La circonstance qu'une organisation de consommateurs pourrait, le cas échéant, être autorisée par la Cour à intervenir dans une procédure judiciaire et bénéficier, en qualité d'intervenant, du droit d'accès aux documents non confidentiels produits par les parties au litige ne saurait dès lors justifier qu'un tel droit soit également reconnu dans le cadre de la procédure administrative antidumping.
27 Le moyen tiré de la violation du principe de bonne administration et de l'application cohérente des règles de procédure doit, en conséquence, être rejeté.
28 En ce qui concerne l'éventuelle inapplicabilité de l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base, il convient de relever que le Conseil a choisi, par le libellé même de cet article, d'accorder le droit d'accès au dossier non confidentiel à ceux qui sont les plus directement concernés par la prétendue pratique de dumping, à savoir le plaignant et les importateurs et exportateurs notoirement concernés. Un tel droit n'a pas été accordé aux consommateurs contre lesquels aucune accusation n'est portée. Il n'est pas possible de conclure qu'en faisant un tel choix, le Conseil a violé les droits de la défense ou le principe de bonne administration. La circonstance que le BEUC exerce, auprès des institutions communautaires, certaines fonctions de représentation des consommateurs dans des domaines qui n'ont aucun rapport avec la réglementation antidumping, de même que le fait que l'adoption de mesures de défense présuppose la prise en compte, par les institutions communautaires, de l'intérêt de la Communauté dont, entre autres, celui des consommateurs, et que le BEUC serait, en sa qualité d'organisation, mieux à même qu'un consommateur individuel de représenter les intérêts des consommateurs, ne modifient en rien cette conclusion.
29 Toutefois, rien dans le libellé de l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement antidumping de base n'exclut la possibilité, pour la Commission, de permettre aux personnes justifiant d'un intérêt légitime de prendre connaissance du dossier non confidentiel.
30 Il appartient au législateur communautaire de considérer si le règlement antidumping de base devrait accorder à une association représentant les intérêts des consommateurs le droit de consulter le dossier non confidentiel.
31 Compte tenu de ce qui précède, le recours du BEUC doit être rejeté comme non fondé.
Sur les dépens
32 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Conseil, qui est intervenu au litige, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme non fondé.
2) La requérante est condamnée aux dépens, à l'exception de ceux de la partie intervenante.
3) Le Conseil supportera ses propres dépens.