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Décisions

CJCE, 3e ch., 27 mars 1990, n° C-189/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cartorobica SpA

Défendeur :

Ministero delle Finanze dello Stato

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Zuleeg

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Grévisse

Avocat :

Me Capelli

CJCE n° C-189/88

27 mars 1990

LA COUR (troisième chambre),

1 Par ordonnance du 23 juin 1988, parvenue à la Cour le 11 juillet suivant, le Tribunale di Genova (prima sezione civile) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à la validité et à l'interprétation du règlement (CEE) n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983, portant institution d'un droit anti-"dumping" définitif sur le papier et le carton kraft originaires des États-Unis d'Amérique et acceptation des engagements offerts dans le cadre du réexamen de la procédure anti-"dumping" concernant le papier et le carton kraft originaires d'Autriche, du Canada, de Finlande, du Portugal, d'Union soviétique et de Suède (JO L 64, p. 25).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la demanderesse au principal, la société Cartorobica SpA (ci-après "Cartorobica "), au ministère italien des Finances.

3 Il ressort du dossier qu'en novembre 1985 et en avril 1986 Cartorobica a importé des États-Unis d'Amérique du papier et du carton kraft, sans acquitter les droits antidumping institués par le règlement n° 551-83, précité.

4 Le 19 juin 1987, le ministère italien des Finances (service des douanes) a notifié à la société un commandement d'avoir à payer les droits en cause dont le montant était de 11 276 500 lires italiennes (LIT) ainsi que les intérêts y afférents qui s'élevaient à 2 204 560 LIT.

5 Cartorobica a formé opposition contre ce commandement devant le Tribunale di Genova, en invoquant notamment l'invalidité du règlement n° 551-83 sur le fondement duquel étaient réclamés les droits antidumping litigieux.

6 C'est dans ces conditions que le Tribunale di Genova (prima sezione civile) a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes :

"1) Le règlement (CEE) n° 551-83 du Conseil est-il valide eu égard au fait qu'il ne permet pas aux autorités douanières des États membres de déterminer directement les droits antidumping sur la base d'un calcul automatique non affecté par les fluctuations monétaires et se réfère, au contraire, à un prix de seuil définitif et unique, qui n'a été prévu comme méthode de calcul ni par le règlement (CEE) n° 3017-79 du Conseil (JO 1979, L 339, voir en particulier article 2, sous D, paragraphe 9, et article 2, sous F, paragraphe 13), ni par l'accord relatif à l'application de l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (JO 1980, L 71, voir article 2, paragraphe 6)?

2) Le règlement (CEE) n° 551-83 est-il valide dans la mesure où il a fixé le montant du prix de seuil, auquel il y a lieu de se référer pour déterminer le droit antidumping, non pas en écus mais en dollars US, en introduisant donc, comme donnée de référence, une devise dont les fluctuations ne pouvaient pas être contrôlées par les institutions communautaires?

3) En cas de réponse affirmative aux deux questions précédentes et, partant, en cas de reconnaissance de la validité du règlement (CEE) n° 551-83, ce règlement doit-il être interprété en ce sens que la valeur, dans les différentes monnaies nationales, du prix de seuil de 333 dollars, auquel il convient de faire référence pour déterminer le droit antidumping, ne doit pas subir de variations, par suite de fluctuations monétaires, par rapport à la valeur, toujours en monnaie nationale, déterminée au moment où ce prix a été institué?"

7 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Il y a lieu de constater que la réponse à donner aux deux premières questions préjudicielles relatives à la validité du règlement litigieux dépend partiellement de l'interprétation de ce règlement, visée par la troisième question préjudicielle. En effet, les doutes émis par la juridiction nationale sur sa validité reposent notamment sur une interprétation du règlement selon laquelle le montant du prix de seuil, étant exprimé en dollars des États-Unis, est influencé par les variations des taux de change entre le dollar et les monnaies des États membres, alors que la troisième question tend en substance à savoir si le règlement doit être interprété en ce sens. Il ne peut donc être répondu aux deux premières questions qu'après avoir apporté une réponse à la troisième.

Sur la troisième question

9 Par cette question, la juridiction nationale demande si le règlement n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983, doit être interprété en ce sens que le taux de change à utiliser pour convertir dans la monnaie de l'État membre d'importation le prix de seuil fixé par l'article 2 dudit règlement reste celui applicable à la date d'entrée en vigueur du règlement, quelle que soit la date de l'importation des marchandises.

10 En vertu de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 551-83, le droit antidumping sur le papier et le carton kraft originaires des États-Unis d'Amérique est égal à la différence entre, d'une part, la valeur normale existant sur le marché nord-américain, ramenée à une base caf frontière communautaire et, d'autre part, le prix net par tonne, franco frontière communautaire, non dédouané, pour le premier acheteur sur le territoire douanier de la Communauté. Le montant de la valeur normale, fixé par le paragraphe 2 du même article, est exprimé en dollars. Cette méthode de calcul du droit a pour effet de garantir que les opérateurs de la Communauté auront à acquitter, lors de l'importation de papier et de carton kraft en provenance des États-Unis d'Amérique, un prix qui, compte tenu le cas échéant du droit antidumping, sera au moins égal à un prix de seuil déterminé de manière fixe en dollars.

11 Pour déterminer le droit antidumping, il est donc nécessaire que la valeur de chacun des deux éléments servant à ce calcul, à savoir le prix de seuil et "le prix ... au premier acheteur", soit convertie dans la monnaie de l'État membre d'importation selon les taux de change applicables à une même date.

12 Le règlement n° 551-83 ne comporte aucune disposition relative aux taux de change qui permettrait par elle-même de décider si cette date doit être celle de l'entrée en vigueur du règlement ou celle à laquelle il est procédé à l'importation.

13 Toutefois, le règlement précise, au deuxième alinéa de son article 1er, que les dispositions en vigueur en matière de droits de douane sont d'application.

14 Or, ces dispositions, plus précisément celles des articles 1er, paragraphe 1, sous g), et 9 du règlement (CEE) n° 1224-80 du Conseil, du 28 mai 1980, relatif à la valeur en douane des marchandises (JO L 134, p. 1), imposent que le "prix ... au premier acheteur" soit converti dans la monnaie de l'État membre d'importation selon le taux de change applicable à la date qui serait à retenir pour la détermination de la valeur en douane des marchandises importées.

15 Ainsi, puisque cette date doit être retenue pour la détermination du taux de change utilisé pour la conversion du "prix ... au premier acheteur", c'est cette même date qui doit également être retenue pour déterminer le taux de change à appliquer pour la conversion du prix de seuil.

16 Cette conclusion se trouve d'ailleurs confirmée par le fait que l'imposition d'un droit antidumping à l'occasion d'une importation déterminée suppose la prise en compte de la situation existant à la date de cette importation.

17 Il y a donc lieu de répondre à la troisième question que le règlement n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983, doit être interprété en ce sens que le taux de change à utiliser pour convertir dans la monnaie de l'État membre d'importation le prix de seuil fixé par l'article 2 dudit règlement est celui applicable non pas à la date d'entrée en vigueur du règlement, mais à la date qui serait à retenir pour la détermination de la valeur en douane des marchandises importées.

Sur les deux premières questions

18 Par ces deux questions, la juridiction nationale interroge la Cour sur la validité du règlement n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983.

19 A titre liminaire, il convient de rappeler que ce règlement a été pris sur le fondement du règlement (CEE) n° 3017-79 du Conseil, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de "dumping" ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 339, p. 1). Ce dernier règlement a, pour sa part, été pris pour satisfaire aux obligations internationales de la Communauté, découlant notamment de l'accord relatif à la mise en œuvre de l'article VI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ci-après "code antidumping "), approuvé, au nom de la Communauté économique européenne, par la décision du Conseil, du 10 décembre 1979, concernant la conclusion des accords multilatéraux résultant des négociations commerciales de 1973-1979 (JO 1980, L 71, p. 1).

20 Au vu de leurs termes mêmes, les questions posées par la juridiction nationale conduisent à s'interroger sur la validité du règlement n° 551-83 en ce qu'il institue un droit antidumping qui :

- est fixé par référence à un prix de seuil;

- doit être déterminé par les autorités douanières nationales;

- dépend d'un prix de seuil exprimé en dollars et non en écus;

- est affecté par les variations des taux de change.

Sur la fixation du droit antidumping par référence à un prix de seuil

21 En premier lieu, il y a lieu de constater que c'est en vain que la juridiction nationale fait référence aux dispositions de l'article 2, paragraphes 9 et 13, du règlement de base n° 3017-79 et à celles de l'article 2, paragraphe 6, du code antidumping, pour relever que la méthode de calcul, retenue en l'espèce, n'est prévue ni par l'une ni par l'autre de ces réglementations.

22 En effet, les dispositions du règlement n° 3017-79 mentionnées par la juridiction nationale sont relatives à la détermination de la marge de dumping et aux modalités de la comparaison qui doit être établie à cette fin entre la valeur normale et le prix à l'exportation des produits. Elles ne sauraient donc être utilement invoquées pour apprécier la validité des méthodes de calcul d'un droit antidumping.

23 Il en est de même des dispositions du code antidumping, également mentionnées par la juridiction nationale. Sans même qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le point de savoir si ces dispositions sont de nature à engendrer pour les justiciables le droit de s'en prévaloir en justice, il suffit de constater qu'elles portent sur les modalités de détermination de la marge de dumping, et non sur celles du droit antidumping.

24 En second lieu, il convient de relever que les modalités de fixation des droits antidumping sont régies par l'article 13 du règlement n° 3017-79, qui dispose notamment que les droits antidumping sont institués par voie de règlement et que "ces règlements indiquent en particulier le montant et le type de droit institué ".

25 Ces dispositions laissent aux institutions communautaires un large pouvoir d'appréciation pour déterminer, dans chaque cas, le "type de droit" qui est de nature à assurer, avec la plus grande efficacité, la défense contre les importations qui font l'objet de dumping.

26 En l'espèce, le Conseil n'a pas excédé ce pouvoir d'appréciation, en instituant un droit antidumping qui soit fixé par référence à un prix de seuil, exprimant la valeur normale des marchandises sur le marché nord-américain, ramenée à une base caf frontière communautaire, et qui varie en fonction du prix payé lors de l'importation des marchandises dans la Communauté.

27 Une telle méthode de calcul était, en effet, la mieux à même de compenser la marge de dumping ainsi que d'"assurer un traitement équitable des importations effectuées à des prix différents", selon les termes du dernier considérant du règlement (CEE) n° 2133-78 du Conseil, du 8 septembre 1978, portant institution d'un droit antidumping définitif sur le papier et le carton kraft originaires des États-Unis d'Amérique (JO L 247, p. 22), règlement auquel a fait suite le règlement n° 551-83.

Sur la détermination du droit antidumping par les autorités douanières des États membres

28 Dans ses observations devant la Cour, Cartorobica fait valoir que le prix à l'importation dans la Communauté, qui constitue l'un des deux éléments, l'autre étant le prix de seuil, servant au calcul du droit antidumping institué par le règlement n° 551-83, ne serait pas défini de manière précise par ce règlement. Les autorités douanières nationales disposeraient ainsi d'une marge d'appréciation excessive pour calculer ce prix à l'importation et, partant, pour déterminer le montant du droit antidumping, ce qui pourrait avoir pour conséquence que le droit ne serait pas appliqué de manière uniforme dans tous les États membres de la Communauté.

29 Il convient de constater que, contrairement à ces allégations, le prix à l'importation, défini par le règlement n° 551-83 comme étant le prix net, franco frontière communautaire, non dédouané, pour le premier acheteur sur le territoire douanier de la Communauté, peut être fixé avec précision et certitude par les autorités douanières des États membres.

30 En effet, ce prix correspond à celui réellement payé ou à payer lors de l'importation en cause, y compris les frais encourus jusqu'au lieu d'introduction des marchandises dans le territoire douanier de la Communauté et non compris les droits et taxes exigibles dans ce territoire.

Sur la fixation du prix de seuil en dollars et non en écus

31 Dans ses observations devant la Cour, Cartorobica soutient que le droit antidumping, destiné à s'appliquer dans tous les États membres de la Communauté, ne pouvait pas dépendre d'un prix de seuil exprimé dans la monnaie d'un État tiers et que ce prix de seuil aurait dû être fixé en écus.

32 Il convient de noter, d'une part, qu'aucune disposition de droit communautaire, et en particulier ni le règlement (CEE) n° 2779-78 du Conseil, du 23 novembre 1978, portant application de l'unité de compte européenne (UCE) aux actes pris dans le domaine douanier (JO L 333, p. 5), ni le règlement (CEE) n° 3308-80 du Conseil, du 16 décembre 1980, relatif au remplacement de l'unité de compte européenne par l'écu dans les actes communautaires (JO L 345, p. 1), n'imposait l'utilisation de l'écu pour exprimer la valeur du prix de seuil servant au calcul du droit antidumping en cause.

33 Il y a lieu de relever, d'autre part, que le Conseil n'a pas excédé le pouvoir d'appréciation dont il disposait en la matière, en décidant de libeller le prix de seuil en dollars, pour tenir compte notamment du fait que ce prix reflétait la valeur normale des marchandises faisant l'objet du dumping, telle qu'elle existait sur le marché des États-Unis d'Amérique.

Sur le fait que le montant du droit est affecté par les variations des taux de change

34 Cartorobica prétend que le montant, converti en monnaies des États membres, du prix de seuil, et donc celui du droit antidumping, est affecté par les variations des taux de change du dollar. Il en résulterait que la très forte appréciation du dollar par rapport à la lire entre la date d'intervention du règlement n° 551-83 et celle des importations en cause dans le litige au principal aurait conduit à faire peser sur les importateurs italiens des charges supplémentaires et discriminatoires par rapport à celles supportées par leurs concurrents des États à monnaie forte, telle la République fédérale d'Allemagne. Cette situation ne se serait pas produite si le prix de seuil avait été libellé en écus.

35 Il y a lieu de souligner que la circonstance que le montant du droit à acquitter par les importateurs dépende notamment d'un paramètre, exprimé dans une monnaie sujette à des fluctuations qui ne peuvent être contrôlées par les institutions communautaires, ne saurait, par elle-même, conduire à déclarer le règlement n° 551-83 non valide.

36 En effet, d'une part, tout droit antidumping, quel que soit son type et quelle que soit la monnaie dans laquelle il est libellé ou à laquelle il se réfère, peut être influencé par les variations des taux de change.

37 D'autre part, dans l'état actuel du droit communautaire, les institutions communautaires ne peuvent pas davantage contrôler les fluctuations de l'écu que celles de toute autre monnaie.

38 Il convient toutefois de se demander si la validité du règlement litigieux pourrait être remise en cause par la circonstance, à la supposer établie, que, postérieurement à son entrée en vigueur, les fluctuations des taux de change auraient pour effet de modifier la valeur, convertie en monnaies nationales des États membres d'importation, du prix de seuil fixé dans ce règlement, dans des conditions telles qu'à un moment donné le droit antidumping ne serait plus justifié dans son existence ou dans son montant.

39 A cet égard, il convient d'observer que la réglementation de base en matière de droits antidumping offre aux opérateurs économiques des moyens d'action pour remettre en cause des droits qui seraient devenus injustifiés en totalité ou en partie.

40 Ces opérateurs peuvent en effet demander à la Commission de procéder au réexamen des règlements instituant les droits et obtenir ainsi, le cas échéant, la modification, l'abrogation ou l'annulation des mesures prescrites par ces règlements.

41 En outre, les importateurs peuvent obtenir le remboursement partiel ou total des droits payés par eux s'ils sont en mesure d'établir que ces droits dépassent la marge de dumping effective.

42 Il ressort des considérations qui précèdent que l'examen des deux premières questions posées par le Tribunale di Genova n'a pas révélé d'éléments de nature à mettre en cause la validité du règlement n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983.

Sur les dépens

43 Les frais exposés par le Royaume des Pays-Bas, par le Conseil des Communautés européennes et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale di Genova (prima sezione civile), par ordonnance du 23 juin 1988, dit pour droit :

1) Le règlement (CEE) n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983, portant institution d'un droit anti-"dumping" définitif sur le papier et le carton kraft originaires des États-Unis d'Amérique et acceptation des engagements offerts dans le cadre du réexamen de la procédure anti-"dumping" concernant le papier et le carton kraft originaires d'Autriche, du Canada, de Finlande, du Portugal, d'Union soviétique et de Suède, doit être interprété en ce sens que le taux de change à utiliser pour convertir dans la monnaie de l'État membre d'importation le prix de seuil fixé par l'article 2 dudit règlement est celui applicable non pas à la date d'entrée en vigueur du règlement, mais à la date qui serait à retenir pour la détermination de la valeur en douane des marchandises importées.

2) L'examen des questions posées n'a pas révélé d'éléments de nature à mettre en cause la validité du règlement (CEE) n° 551-83 du Conseil, du 8 mars 1983.