CA Douai, 2e ch. sect. 2, 9 décembre 2004, n° 02-07214
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Elidis Boissons Services (SA
Défendeur :
Interbrew France (SA), Verry (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bouly de Lesdain
Conseillers :
MM. Zanatta, Reboul
Avoués :
Me Lensel, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Mes Braun, Duchatelier, SCP Bignon Lebray
Motifs
Par acte sous seing privé du 13 février 1995 la BNP a consenti aux époux Verry un prêt de 201 000 F pour une durée de sept ans.
Interbrew s'est porté caution auprès de la banque pour les sommes dues au titre du remboursement de ce prêt. En contrepartie, les époux Verry s'engageaient à se fournir en exclusivité pendant sept ans en bières de marques commercialisées par Interbrew.
Dans la convention, Interbrew désignait comme entrepositaire pour l'exécution du contrat la société Claude Charie (devenue SA Elidis Boissons Services).
Dans la même convention M. Charie se portait garant à hauteur de 50 % de toutes les sommes que la brasserie aurait été amenée à régler à la banque au titre du prêt.
M. et Mme Verry ont cessé leur approvisionnement chez Elidis (ex-Claude Charie) en septembre 2000.
Après deux mises en demeure infructueuses, la SA Elidis Boissons Services a fait délivrer, les 26 et 27 avril 2001, assignation devant le Tribunal de commerce de Lille à M. et Mme Verry d'une part, à Interbrew, d'autre part, aux fins de:
- constater l'inexécution des obligations des consorts Verry;
- dire résiliée judiciairement la convention de stipulation pour autrui aux torts et griefs de M. et Mme Verry et d'Interbrew;
- condamner in solidum M. et Mme Verry et Interbrew à lui payer :
. 53 580,80 F, outre les intérêts au titre de l'indemnité de rupture du contrat (20 % TTC du chiffre d'affaires manquant)
. 30 000 F à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1153 § 4 du Code civil.
Par le jugement déféré, le Tribunal de commerce de Lille a débouté la SA Elidis de ses demandes tant à l'encontre des époux Verry qu'à l'encontre d'Interbrew en considérant aux visas des articles 1121 et 1134 du Code civil:
1°) sur les demandes à l'encontre d'Interbrew:
* que les dispositions de l'article 1121 du Code civil qui régissent les stipulations pour autrui n'autorisent pas le tiers bénéficiaire (Elidis) à agir directement contre le stipulant;
* que n'était pas démontrée la faute (au demeurant "probable") d'Interbrew dans la cessation par les époux Verry de leur approvisionnement chez Elidis
2°) sur les demandes à l'encontre des époux Verry, que c'est de bonne foi qu'ils se sont approvisionnés chez un autre entrepositaire parce qu'ils se sont vus proposer par Elidis des marques concurrentes à celles d'Interbrew;
La SA Elidis Boissons Services qui poursuit l'infirmation de la décision déférée demande à la cour de faire droit à son assignation en faisant valoir essentiellement :
- Sur la responsabilité contractuelle des époux Verry:
* que la convention du 13 février 1995 était conclue jusqu'au 13 février 2002 et que la dernière livraison a été effectuée fin septembre 2000, que les époux Verry ont donc méconnu leurs obligations contractuelles alors qu'elle-même s'était portée garantie à hauteur de 50 % des sommes qu'Interbrew aurait été amenée à régler, l'exclusivité d'approvisionnement étant la contrepartie de cet engagement;
* que rien ne permettait au tribunal de dire que les époux auraient cessé de "bonne foi" à s'approvisionner chez un autre entrepositaire;
- Sur la responsabilité délictuelle d'Interbrew:
* que cette responsabilité est fondée sur l'article 1165 du Code civil selon lequel toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre ses obligations contractuelles, commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction;
* qu'Interbrew a engagé sa responsabilité en faisant approvisionner les époux Verry par un concurrent;
Les époux Verry concluent à la confirmation du jugement déféré sur les observations principales suivantes :
. la convention du 13 février 1995 stipulait expressément: "le client se fournira soit auprès de la Brasserie (Interbrew) soit auprès de tel entrepositaire qui lui sera désigné" et qu'étant en accord avec Interbrew qu'ils se sont faits approvisionner par une société concurrente;
. un reçu pour solde de tout compte a été signé entre eux et Elidis le 21 février 2001, et que les demandes d'Elidis sont ainsi irrecevables à leur encontre
La société Interbrew France SAS conclut pour sa part:
- à l'irrecevabilité des demandes d'Elidis à son encontre et au débouté de ses demandes;
- reconventionnellement, à la condamnation d'Elidis à lui payer 10 000 euro à titre de dommages et intérêts;
Au résumé des moyens et arguments suivants:
1°) Sur l'irrecevabilité des demandes : un reçu pour solde de tout compte a été signé le 21 février 2001 entre Elidis et les époux Verry après les mises en demeure des 23 octobre et 27 octobre 2000;
2°) Sur le débouté des demandes:
a) la stipulation pour autrui (article 1121 du Code civil) contenue dans la convention ne confère aucun droit et aucune action du tiers bénéficiaire (Elidis) à l'encontre du stipulant mais, au contraire, impose au tiers bénéficiaire (Elidis) des obligations qu'il n'a, en l'espèce, pas respectées en proposant aux cafetiers un contrat d'exclusivité avec Kronenbourg moyennant une subvention de 150 000 F;
b) qu'elle n'a commis aucun faute délictuelle et, en particulier, aucune preuve n'est apportée qu'elle aurait " pris l'initiative de ne plus faire approvisionner les consorts Verry pour le distributeur agréé dans le contrat de fourniture ";
Sur la mise en cause de la responsabilité des époux Verry-Mercy à l'égard d'Elidis sur le fondement de l'article 1121 du Code civil:
Attendu que la convention du 13 février 1995 qui consacrait pour sept années un ensemble de droits et d'obligations réciproques entre les parties s'analyse en une stipulation pour autrui régie par l'article 1121 du Code civil ce que personne ne conteste;
Attendu qu'en vertu de cette convention, les époux Verry-Mercy promettants, s'engageaient à se fournir en bières Interbrew auprès de la société Claude Charie devenue Elidis, tiers bénéficiaire;
Attendu qu'il est constant que les époux Verry-Mercy ont cessé de s'approvisionner en bières Interbrew auprès du distributeur Elidis à compter du 17 octobre 2000 sans motif valable et en particulier sans qu'il soit démontré ou même prétendu qu'Elidis quoique passé sous contrôle de Kronenbourg ait refusé de livrer des bières Interbrew;
Attendu que cette rupture du contrat par la faute des époux Verry-Mercy oblige ceux-ci à réparer le préjudice qu'ils ont causé à Interbrew, aucune conséquence ne pouvant être tirée d'un solde de tout compte qu'ils invoquent et qui ne concernait que les "créances marchandises" ;
Attendu qu'Elidis [selon arrêt rectificatif du 3 mars 2005] évalue son préjudice à la somme TTC de 8 460,03 euro sur la base d'une marge brute de 20 % du chiffre d'affaires manquant ; qu'eu égard aux justifications produites en l'espèce la cour considère qu'une somme de 5 000 euro réparera l'entier préjudice subi par Elidis, aucune taxe n'étant à ajouter à des dommages et intérêts ; que la demande fondée sur un préjudice commercial n'est pas motivée ;
Sur la mise en cause de la responsabilité d'Interbrew, stipulant dans la rupture du contrat par les époux Verry-Mercy sur le fondement de l'article 1382 du Code civil:
Attendu qu'il est de principe, ici rappelé par Elidis, que toute personne qui, en connaissance de cause, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction;
Attendu qu'en l'espèce :
- selon M. Verry (sa lettre du 6 mars 2001 à Elidis) c'est en accord avec Interbrew que le contrat du 15 février 1995 s'est poursuivi avec la société Brebent, un autre distributeur;
- par lettre du 1er décembre 2000 à Elidis, Stella Artois (devenue Interbrew), prenait la défense des époux Verry mis en demeure par Elidis de respecter le contrat du 15 février 1995 et considérait " votre société (Elidis) n'est pas désignée dans cet acte "... "on ne voit pas dans ces conditions ce qui pourrait contraindre (les époux Verry-Mercy) à respecter ce contrat";
Attendu que ces éléments de fait révèlent que c'est en pleine connaissance de cause qu'Interbrew est intervenu activement dans la rupture des relations entre les époux Verry-Mercy et Elidis ; qu'il en résulte qu'Interbrew doit réparer le préjudice subi in solidum avec les époux Verry-Mercy;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirmant, Condamne in solidum Interbrew et M. et Mme Verry-Mercy à payer à la société Elidis : [selon arrêt rectificatif du 3 mars 2005] - 5 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt; - 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne in solidum Interbrew et M. et Mme Verry-Mercy aux dépens avec le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile pour l'avoué adverse.