CJCE, 3e ch., 6 octobre 1982, n° 307-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Alusuisse Italia Spa
Défendeur :
Conseil des Communautés européennes , Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes Celona, Gabardini
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 3 décembre 1981, la société Alusuisse Italia, Spa, à Milan, a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours tendant à l'annulation du règlement n° 1411-81 de la Commission, du 25 mai 1981, instituant un droit anti-dumping provisoire sur l'orthoxylène (o-xylène) originaire de Porto Rico et des États-Unis d'Amérique (JO L 141, p. 29), ainsi que du règlement n° 2761-81 du Conseil, du 22 septembre 1981, instituant un droit anti-dumping définitif sur l'o-xylène (orthoxylene) originaire de Porto Rico et des États-Unis d'Amérique (JO L 270, p. 1).
2 Ces règlements instituent, respectivement à titre provisoire et définitif, un droit anti-dumping sur l'orthoxylène relevant de la sous-position 29.01 di du tarif douanier commun et correspondant au code Nimexe 29.01-65, originaire des deux pays précités, à l'exception toutefois de l'orthoxylène exporté par certaines entreprises nommément désignées. Le règlement de la Commission, applicable pendant une période de quatre mois ou jusqu'à l'adoption par le Conseil de mesures définitives, subordonne la mise en libre pratique de ce produit au dépôt d'une garantie correspondant au montant du droit provisoire. Le règlement du Conseil, quant à lui, détermine, entre autres, dans quelle mesure les montants garantis à titre de droit provisoire sont définitivement perçus.
3 La requérante produit de l'anhydride phtalique, destinée à la fabrication de plastifiants phtaliques et de résines. La matière première essentielle nécessaire à cette production est l'orthoxylol (orthoxylène), que la requérante importe, en tant qu'importatrice indépendante, c'est-à-dire non affiliée à une entreprise productrice ou exportatrice, entre autres des États-Unis et de Porto Rico.
4 Le Conseil et la Commission ayant soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Cour a décidé, sans engager le débat au fond, de statuer sur la recevabilité de cette demande en annulation.
5 L'exception soulevée par le Conseil consiste à soutenir que son règlement n° 2761-81 constitue un règlement de portée générale et ne concerne pas individuellement la requérante, laquelle en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, ne serait pas habilitée à demander l'annulation d'un acte réglementaire. La Commission, pour sa part, conteste la recevabilité du recours pour autant qu'il est dirigé contre son règlement n° 1411-81, pour non-respect du délai prescrit par l'article 173, alinéa 3, et se rallie à l'argumentation du Conseil en ce qui concerne la recevabilité du recours introduit contre le règlement de ce dernier.
6 Il est constant que le règlement n° 1411-81 de la Commission a essentiellement le même objet que le règlement n° 2761-81 du Conseil, les deux actes instituant un droit anti-dumping sur le même produit en provenance des mêmes pays tiers. Il en résulte que, si le recours, en tant qu'il est dirigé contre l'acte définitif du Conseil, est irrecevable, du fait de la portée normative de celui-ci à l'égard de la requérante, la même conclusion vaut en ce qui concerne l'acte provisoire de la Commission. Par conséquent, il y a lieu d'examiner si le présent recours tendant à l'annulation des deux règlements est recevable au titre de l'article 173, alinéa 2, du traité.
7 L'article 173, alinéa 2, du traité subordonne la recevabilité d'un recours en annulation formé par un particulier à la condition que l'acte attaqué, même s'il a été pris sous l'apparence d'un règlement, constitue en réalité une décision qui concerne le requérant directement et individuellement. L'objectif de cette disposition est notamment d'éviter que, par le simple choix de la forme d'un règlement, les institutions communautaires puissent exclure le recours d'un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement, et de préciser ainsi que le choix de la forme ne peut pas changer la nature d'un acte.
8 Un recours formé par un particulier n'est toutefois pas recevable dans la mesure où il est dirigé contre un règlement de portée générale au sens de l'article 189, alinéa 2, du traité, le critère de distinction entre le règlement et la décision devant être recherché, selon une jurisprudence établie de la Cour, dans la portée générale ou non de l'acte en question. Il y a donc lieu d'apprécier la nature des actes attaqués et en particulier les effets juridiques qu'ils visent à produire ou produisent effectivement.
9 A cet égard, il y a lieu de considérer que les règlements litigieux ont pour objet d'instituer un droit anti-dumping sur toutes les importations d'orthoxylène originaire des États-Unis d'Amérique et de Porto Rico, sous réserve de certaines exemptions prévues pour les produits exportés par des entreprises nommément désignées. Ces mesures se présentent donc, à l'égard des importateurs indépendants qui, au contraire des exportateurs, ne sont pas nommément spécifiés dans la réglementation, comme des mesures de portée générale au sens de l'article 189, alinéa 2, du traité, car elles s'appliquent à des situations déterminées objectivement et comportent des effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite.
10 La requérante soutient sous ce rapport que les actes attaqués, bien que pris sous forme de règlements, constituent en réalité des décisions à son égard, étant donné que les importateurs d'orthoxylène, qui seraient en même temps les utilisateurs de cette matière, constitueraient une catégorie fermée d'operateurs de nombre limité, et dont l'identité aurait été connue à la date de l'adoption des règlements.
11 Cette argumentation doit être rejetée. Ainsi que la Cour l'a déjà constaté, la nature réglementaire d'un acte n'est pas mise en cause par la possibilité de déterminer le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels il s'applique à un moment donné, tant qu'il est constant que cette application s'effectue en vertu d'une situation objective de droit ou de fait définie par l'acte, en relation avec la finalité de ce dernier. Tel est le cas pour les importateurs indépendants d'orthoxylène. L'imposition du droit anti-dumping résultant de l'application des règlements n'opère en effet à l'égard de ces importateurs, en provenance des pays dont il s'agit, en raison de leur seule qualité objective d'importateur de ce produit. Dès lors, les règlements litigieux constituent, à leur égard, des actes de portée générale, au sens de l'article 189, alinéa 2, du traité, et non des décisions les concernant directement et individuellement.
12 La requérante soutient également en faveur de la recevabilité de son recours que les particularités de la procédure conduisant à l'adoption des règlements anti-dumping, notamment la participation des diverses parties intéressées aux phases successives de cette procédure amènent à conclure qu'il s'agit en l'espèce d'actes administratifs individuels, susceptibles d'être attaqués par des particuliers au titre de l'article 173, alinéa 2, du traité.
13 Ce raisonnement ne saurait non plus être retenu, la distinction entre le règlement et la décision ne pouvant être fondée que sur la nature de l'acte lui-même et les effets juridiques qu'il produit, et non pas sur les modalités de son adoption. Cette solution est par ailleurs conforme au système de voies de recours institué par le droit communautaire, les importateurs étant habilités à attaquer devant les juridictions nationales les actes individuels pris par les autorités nationales pour l'application des règlements communautaires.
14 Pour toutes ces raisons, il y a lieu de conclure que les actes attaqués sont des règlements et non pas des décisions au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité, de sorte que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ; la requérante ayant succombé en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Déclare et arrête :
1) le recours est rejeté comme irrecevable.
2) la requérante est condamnée aux dépens.