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Décisions

CJCE, 4 octobre 1983, n° 191-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération de l'Industrie de l'Huilerie de la CEE

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Ehle

CJCE n° 191-82

4 octobre 1983

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 juillet 1982, la Fédération de l'industrie de l'huilerie de la CEE (FEDIOL) a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation d'une communication, datée du 25 mai 1982, par laquelle la Commission a informé la requérante, conformément à l'article 5, paragraphe 5, du règlement n° 3017-79 du Conseil, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de 'dumping' ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté Économique européenne (JO L 339, p. 1), de ce qu'une procédure antisubventions ne serait pas ouverte à l'égard des importations de tourteaux de soja originaires du Brésil.

2 Par acte déposé le 11 octobre 1982, la Commission, en application de l'article 91 du règlement de procédure, a demandé à la Cour de statuer sur la recevabilité du recours sans engager le débat au fond.

3 Il apparaît du dossier que, le 2 avril 1980, la FEDIOL a introduit auprès de la Commission une plainte, dans laquelle elle faisait état de pratiques de subvention de la République Fédérative du Brésilien ce qui concerne l'exportation de tourteaux de soja et invitait la Commission d'ouvrir, en vertu du règlement n° 3017-79, une procédure antisubventions, de demander des explications au gouvernement brésilien et d'instituer un droit compensateur provisoire.

4 Dans cette plainte, ultérieurement complétée par de nouveaux renseignements, la FEDIOL expose que le Brésil subventionne ses exportations de tourteaux de soja par le jeu de diverses mesures combinées : d'une part, il exercerait une pression sur le prix intérieur des fèves de soja par l'institution de restrictions à l'exportation, de manière à les réserver, de préférence et à bon compte, à l'industrie nationale ; d'autre part, il accorderait des avantages à l'exportation de tourteaux par l'effet de mesures prises dans le cadre de la fiscalité interne, par une imposition différentielle à l'exportation des fèves de soja et des tourteaux et par l'octroi de facilités en matière de crédits à l'exportation de tourteaux. Dans l'ensemble, ces mesures seraient destinées à favoriser le développement de l'industrie de trituration du soja au Brésil et créeraient des difficultés sérieuses pour l'industrie européenne, dont la rentabilité serait ainsi mise en question.

5 Il n'est pas contesté que la Commission a mené une investigation sur les pratiques critiquées par la FEDIOL, qu'elle a engagé des négociations avec le gouvernement brésilien et qu'elle a obtenu certains résultats ; enfin, qu'elle a tenu la requérante au courant de toutes ces tractations.

6 Le 30 septembre 1981, la FEDIOL a adressé à la Commission une mise en demeure au titre de l'article 175, alinéa 2, du traité CEE, en exigeant l'ouverture immédiate d'une procédure antisubventions contre le Brésil. Dans la même lettre, elle a averti la Commission de ce qu'elle porterait l'affaire devant la Cour de justice et de ce qu'elle se réserve de mettre en cause la responsabilité de la Communauté pour le dommage que lui causerait le refus d'instituer un droit compensateur.

7 Par télex du 4 décembre 1981, la Commission a informé la requérante du progrès des consultations entreprises avec la mission du Brésil, conformément aux prévisions du code antisubventions du GATT, en faisant connaitre, en même temps, qu'elle n'avait pas l'intention, pour l'instant, d'ouvrir une procédure antisubventions.

8 Le 5 février 1982, la Commission a communiqué à la requérante un document de travail, daté du 4 février 1982, dans lequel elle examine, d'une part, les différentes mesures brésiliennes critiquées par la FEDIOL et, d'autre part, la question du préjudice subi par l'industrie européenne. Dans cette note, la Commission constate que la plupart des mesures critiquées par la requérante avaient été, entre-temps, retirées par le Brésil et que l'effet des mesures résiduelles laisserait subsister une marge de subvention économiquement négligeable. Elle déclare que, dans ces conditions, l'ouverture d'une procédure antisubventions lui semble 'peu opportune', et rappelle que l'appréciation globale du dossier doit tenir compte, non seulement de l'intérêt de l'industrie européenne, mais également de celui des consommateurs.

9 Le 5 mars 1982, une réunion a été organisée par les services de la Commission avec les représentants de la Fédération requérante. A la suite de cette réunion, la Commission a, le 25 mai 1982, adressé à la requérante une lettre, sous la signature du directeur compétent de la direction générale des relations extérieures, dans laquelle, après avoir rappelé les échanges d'informations mentionnés ci-dessus, elle s'exprime en ces termes :

'Pour cette raison, et conformément à l'article 5, paragraphe 5, du règlement (CEE) n° 3017-79 du Conseil, j'ai l'honneur de vous informer qu'une procédure antisubventions à l'égard des importations de tourteaux de soja originaires du Brésil ne sera pas ouverte par la Commission.

Je souhaiterais cependant ajouter que la Commission restera attentive aux développements de la situation dans ce secteur, d'autant plus que l'évolution de la politique brésilienne en matière de crédit est de nature à susciter certaines inquiétudes, à la fois en ce qui concerne les délais et les taux.'

10 C'est contre cette communication que la FEDIOL a introduit un recours en annulation au titre de l'article 173, alinéa 2, du traité.

11 Dans son mémoire incident, la Commission fait valoir que sa communication du 25 mai 1982 constitue une simple information au sens de l'article 5 du règlement n° 3017-79 et qu'elle n'implique aucune décision d'une autre portée. Le règlement, selon elle, tout en reconnaissant aux entreprises et fédérations le droit de porter plainte, ne confère pas à celles-ci le droit d'obtenir l'ouverture d'une procédure antisubventions. La Commission souligne l'ampleur du droit d'appréciation qui lui est réservé dans le cadre du règlement et relève que l'exercice de ce pouvoir touche à l'intérêt économique et politique de la Communauté comme des états tiers intéressés. Le but du règlement, selon elle, consiste, non seulement à protéger l'industrie européenne, mais à sauvegarder l'intérêt général de la Communauté dans toute sa complexité.

12 Pour ces raisons, la Commission considère que la lettre du 25 mai 1982 ne saurait constituer un acte attaquable au sens de l'article 173, alinéa 2, et que, de ce fait, le recours est irrecevable.

13 La requérante, pour sa part, estime que le règlement n° 3017-79 impose à la Commission l'obligation d'ouvrir une enquête officielle, au titre de l'article 7, dès lors que lui sont apportés, au cours de la phase préliminaire de la procédure, des éléments de preuve suffisants pour établir l'existence d'un effet de subvention et d'un préjudice causé à l'industrie européenne. Une fois ces faits établis, la Commission ne jouirait plus d'un pouvoir d'appréciation en ce qui concerne les conséquences à en tirer.

14 En conséquence, la requérante estime qu'en cas de subvention et de préjudice en résultant, les producteurs de la Communauté ont le droit d'exiger des institutions communautaires compétentes qu'elles prennent, après la constatation des faits, les mesures de défense nécessaires. Au présent stade, la requérante estime qu'elle est en droit d'exiger, au vu des éléments de conviction qu'elle a fournis, que la Commission ouvre la phase d'enquête formelle prévue par l'article 7 du règlement.

15 Cette contestation doit être résolue à la lumière de l'ensemble du système d'investigation et de défense crée par le règlement n° 3017-79. C'est dans le cadre de ce système que doivent être définis les droits de la requérante.

16 Aux termes de l'article 5, paragraphes 1 et 3, toute entreprise ou fédération d'entreprises de la Communauté, qui s'estime lésée ou menacée par des importations faisant l'objet de subventions, a le droit de formuler une plainte à l'adresse de la Commission ou d'un État membre, ce dernier ayant l'obligation de la transmettre à la Commission. L'introduction d'une plainte donne lieu à une consultation des gouvernements des États membres, selon les modalités définies par l'article 6 du règlement.

17 La portée de l'examen auquel la Commission doit procéder à ce stade résulte de l'article 6, paragraphe 4, qui indique l'objet sur lequel portent les consultations préalables à toute décision : l'existence et l'importance de l'effet de subvention, la réalité et l'importance du préjudice, le lien de causalité entre les importations favorisées par la subvention et le préjudice et, enfin, la nature des mesures appropriées en vue de prévenir le préjudice pouvant résulter de la subvention ou d'y remédier.

18 Lorsque, après avoir achevé les consultations portant sur ces différents objets, la Commission estime que la plainte ne comporte pas d'éléments de preuve suffisants pour justifier l'ouverture d'une enquête, elle a l'obligation d'en informer le plaignant.

19 Par contre, lorsque la Commission estime disposer d'éléments de preuve suffisants pour justifier l'ouverture d'une enquête formelle, elle doit, aux termes de l'article 7, prendre un ensemble de mesures de publicité, dont un avis au Journal officiel, et faire des recherches, soit directement, soit en coopération avec les États membres. Aux termes des paragraphes 4, 5 et 6 du même article, les plaignants doivent être mis en mesure de prendre connaissance, sous réserve de certaines exceptions, des renseignements fournis à la Commission. A leur demande, ils doivent être entendus par celle-ci et ils peuvent également demander à la Commission d'avoir l'occasion de se rencontrer avec les autres parties mises en cause par l'enquête. Dès ce stade, aux termes du paragraphe 7 du même article, les autorités de la Communauté peuvent prendre des décisions préliminaires ou appliquer des mesures provisoires, celles-ci devant intervenir 'avec promptitude'.

20 En vue de permettre l'élimination ou la neutralisation d'un éventuel effet de subvention, le règlement prévoit un échelonnement de mesures, qui peuvent consister en la souscription d'engagements de la part du pays d'origine ou d'exportation des marchandises en cause, en la fixation d'un droit compensateur provisoire et en la fixation d'un droit compensateur définitif.

21 Les modalités des engagements sont précisées par l'article 10 du règlement, qui prévoit également des mesures pour le cas où les engagements pris ne seraient pas respectés. Ces engagements sont acceptés par la Commission après accomplissement de la procédure de consultation de l'article 6.

22 A la demande d'un État membre ou de sa propre initiative, la Commission peut, aux termes de l'article 11, instituer un droit compensateur provisoire lorsqu'il ressort d'un examen préliminaire qu'une subvention existe et lorsqu'il y a des éléments de preuve suffisants d'un préjudice causé de ce fait et que les intérêts de la Communauté nécessitent une action en vue d'empêcher qu'un préjudice ne soit causé pendant la procédure. L'institution de ces droits est soumise aux exigences de la consultation prévue par l'article 6, sous réserve du cas d'extrême urgence. En vertu du paragraphe 4 de l'article 11, la Commission a l'obligation d'informer immédiatement le Conseil et les États membres de toute décision prise en matière de droits provisoires.

23 Lorsqu'il ressort de la constatation définitive des faits par la Commission qu'il y a subvention ainsi qu'un préjudice en résultant et que les intérêts de la Communauté nécessitent une action communautaire, un droit compensateur définitif est institué par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur une proposition soumise, après consultation, par la Commission, conformément à l'article 12.

24 Il est à noter que, selon l'article 13, paragraphe 1, les droits compensateurs, qu'ils soient applicables à titre provisoire ou définitif, sont institués par voie de règlement.

25 Il apparaît d'un rapprochement entre les dispositions qui régissent les phases successives de la procédure ci-dessus décrite que le règlement reconnait l'existence d'un intérêt légitime des producteurs de la Communauté à l'institution de mesures antisubventions et qu'il définit, en leur faveur, certains droits précis, à savoir le droit de soumettre, à la Commission, tous éléments d'information qu'ils estiment appropriés, de prendre connaissance, sous certaines réserves, des renseignements qui se trouvent entre les mains de la Commission, d'être entendus à leur demande et d'obtenir la possibilité de rencontrer les autres parties à la même procédure, enfin, d'être informés au cas où la Commission décide de ne pas donner suite à une plainte. Il faut considérer que, dans le cas d'une clôture intervenant à l'issue de la phase d'enquête préliminaire réglée par l'article 5, cette information doit comporter au moins un exposé des conclusions essentielles de la Commission et un résumé des motifs de celle-ci, ainsi qu'il est disposé à l'article 9, pour le cas de la clôture des enquêtes formelles.

26 S'il est vrai que la Commission, dans l'exercice des compétences que lui reconnait le règlement n° 3017-79, a l'obligation de constater de manière objective les faits relatifs à l'existence de pratiques de subventions et au préjudice qui peut en résulter pour les entreprises de la Communauté, il n'en reste pas moins qu'elle dispose d'un très large pouvoir d'appréciation pour déterminer, en fonction des intérêts de la Communauté, les mesures qu'il convient éventuellement de prendre pour faire face à la situation constatée.

27 C'est à la lumière de ces considérations, dérivées du système du règlement n° 3017-79, qu'il convient de déterminer si un droit de recours est ouvert aux plaignants.

28 Il apparait tout d'abord certain, à cet égard, et ce point n'est pas contesté par la Commission, qu'un droit de recours doit être reconnu aux plaignants au cas où il est allégué que les autorités communautaires auraient méconnu les droits qui leur sont spécifiquement reconnus par le règlement, c'est-à-dire le droit de porter plainte, le droit, qui y est inhérent, de voir examiner cette plainte par la Commission avec un soin adéquat et selon la procédure prévue, l'obtention d'informations dans les limites fixées par le règlement et, enfin, au cas où la Commission décide de ne pas donner suite à la plainte, le droit d'obtenir des informations comportant le minimum d'explications garanties par l'article 9, paragraphe 2, du règlement.

29 Au surplus, il convient de reconnaitre aux plaignants, dans l'esprit des principes qui inspirent les articles 164 et 173 du traité, le droit de se prévaloir, en ce qui concerne tant l'appréciation des éléments de fait que l'institution des mesures de défense prévues par le règlement, d'un contrôle judiciaire approprié à la nature des pouvoirs réservés, en la matière, aux institutions de la Communauté.

30 On ne saurait, dès lors, refuser aux plaignants le droit de soumettre au juge toutes considérations qui permettraient de vérifier si la Commission a respecté les garanties procédurales accordées aux plaignants par le règlement n° 3017-79 et si elle n'a pas commis des erreurs manifestes dans son appréciation des faits, ou omis de prendre en considération des éléments essentiels qui seraient de nature à faire croire à l'existence d'un effet de subvention, ou fait entrer dans sa motivation des considérations constitutives d'un détournement de pouvoir. A cet égard, sans qu'il puisse intervenir dans l'appréciation réservée aux autorités communautaires par le règlement cité, le juge est appelé à exercer le contrôle qui est normalement le sien en présence d'un pouvoir discrétionnaire conféré à l'autorité publique.

31 Il résulte de ce qui précède que la position prise par la Commission est excessive en ce qu'elle considère comme irrecevable, en principe, tout recours introduit par les parties plaignantes désignées par l'article 5 du règlement. Ainsi qu'il a été établi ci-dessus, ce règlement reconnait aux entreprises et à leurs fédérations, lésées par des pratiques de subventions de la part d'états tiers, un intérêt légitime à voir mettre en mouvement une action défensive de la Communauté ; il faut donc leur reconnaitre un droit de recours dans le cadre de la position juridique définie en leur faveur par le règlement.

32 Il appartiendra donc à la requérante de faire valoir ses moyens au cours de la procédure ultérieure et d'établir que ceux-ci entrent dans les limites de la protection juridique qui lui est accordée par le règlement n° 3017-79 et les principes généraux du traité.

33 Pour toutes ces raisons, il y a donc lieu de déclarer le recours recevable et d'ordonner la poursuite de la procédure.

Sur les dépens

34 Il y a lieu de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant avant dire droit sur le fond, déclare et arrête :

1) Le recours est recevable.

2) Les dépens sont réservés.