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Décisions

CJCE, président, 11 mars 1994, n° C-6/94 R

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Descom Scales Manufacturing Co. Ltd

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Didier, Bentley

CJCE n° C-6/94 R

11 mars 1994

LE PRÉSIDENT DE LA COUR

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 janvier 1994, la société Descom Scales Manufacturing Co. Ltd (ci-après "Descom") a, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, demandé l'annulation du règlement (CEE) n° 2887-93 du Conseil, du 20 octobre 1993, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines balances électroniques originaires de Singapour et de la République de Corée (JO L 263, p. 1), dans la mesure où ce règlement la concerne.

2 Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le même jour, la requérante a introduit, en vertu de l'article 185 du traité et de l'article 83 du règlement de procédure de la Cour, une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution, à son égard, du règlement précité, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur le recours formé au principal.

3 La partie défenderesse a présenté ses observations écrites le 11 février 1994.

4 L'article 1er du règlement (CEE) n° 1103-93 de la Commission, du 30 avril 1993, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations dans la Communauté de certaines balances électroniques originaires de Singapour et de la République de Corée (JO L 112, p. 20), a institué un droit antidumping provisoire sur les importations de balances électroniques destinées au commerce de détail, avec affichage numérique du poids, du prix unitaire et du prix à payer, équipées ou non d'un dispositif permettant d'imprimer ces indications. En ce qui concerne les produits fabriqués par Descom, le droit provisoire a été fixé à 29 %.

5 L'article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 2887-93, du 20 octobre 1993, précité, a fixé à 26,7 % le taux du droit antidumping définitif applicable aux produits fabriqués par Descom. L'article 2 dispose que les montants garantis par le droit antidumping provisoire sont définitivement perçus à raison du taux définitif, ajoutant que les montants garantis en plus du taux du droit définitif sont libérés.

6 La requérante fait valoir que le règlement n° 2887-93 est dépourvu d'une apparence de légalité pour les motifs suivants:

- une erreur manifeste a été commise dans le calcul du prix à l'exportation, en violation de l'article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1),

- elle a été victime d'une violation des droits de la défense résultant d'un refus de lui communiquer des données essentielles à la défense de ses intérêts, en violation de l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 2423-88, précité.

7 Selon elle, l'urgence d'un sursis à l'exécution est caractérisée par le fait que depuis l'imposition des mesures antidumping provisoires, plus aucune unité n'a été exportée vers la Communauté. Le marché des produits concernés étant extrêmement concurrentiel, elle ne pourrait supporter un accroissement des prix de près de 30 %. La concurrence se serait par ailleurs largement renforcée depuis 1993, par suite d'importations de produits en provenance d'autres pays tiers, notamment Taïwan, la Turquie et la Thaïlande. L'application des mesures litigieuses ne pourrait qu'annoncer la fin définitive des exportations, par Descom, des balances destinées au commerce de détail. Ses trois importateurs établis dans la Communauté auraient déjà choisi des sources d'approvisionnement alternatives. Cette situation devrait avoir pour résultat un retrait complet de Descom et du groupe dont elle fait partie du secteur des balances commerciales, non seulement dans la Communauté mais également, par ricochet, dans l'ensemble de l'Europe.

8 La réquérante affirme enfin, s'agissant de l'équilibre des intérêts en cause, que la part du marché communautaire détenue par sa société mère et elle-même était de 1,25 %.

9 Le Conseil conclut au rejet de la demande en référé.

10 Il estime que le règlement entrepris est conforme aux dispositions de l'article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement n° 2423-88, ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour. Il conteste le moyen tiré d'une prétendue violation des droits de la défense.

11 Le Conseil soutient que la partie requérante n'a pas produit des éléments de preuve établissant qu'elle subit un préjudice grave et irréparable, et non pas seulement la conséquence normale et directe de l'imposition des droits définitifs.

12 En troisième lieu, il oppose à Descom le défaut de preuve d'une absence de préjudice appréciable pour les producteurs communautaires, en cas de suspension du règlement n° 2887-93, outre l'absence d'un système de garanties, essentiel pour protéger l'équilibre des intérêts de la requérante et des producteurs communautaires.

13 Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 185 du traité:

"Les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. Toutefois, la Cour de justice peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué."

14 En vertu de l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, une décision de sursis est subordonnée à l'existence de circonstances établissant l'urgence, ainsi que de moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure sollicitée (fumus boni juris). Selon une jurisprudence constante, elle suppose également que la balance des intérêts en cause penche en faveur de l'octroi de cette mesure (voir notamment ordonnances du président de la Cour du 17 décembre 1984, Nippon Seiko/Conseil, 258-84 R, Rec. p. 4357, du 18 octobre 1985, Brother Industries/Conseil, 250-85 R, Rec. p. 3459, et du 9 avril 1987, Technointorg/Conseil, 77-87 R, Rec. p. 1793).

15 Ces trois conditions sont cumulatives.

16 L'urgence d'une demande de sursis doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite le sursis. Afin de l'établir, il ne suffit pas d'invoquer des effets inhérents à l'institution d'un droit antidumping, à savoir une augmentation du prix du produit frappé par ce droit et une diminution corrélative des parts du marché communautaire. En effet, l'objet même d'un droit antidumping est, pour compenser la marge de dumping constatée, d'accroître le prix du produit en cause (voir notamment ordonnances des 17 décembre 1984, 258-84 R, 18 octobre 1985, 250-85 R, 9 avril 1987, 77-87 R, précitées, et ordonnances du président de la Cour du 8 juin 1989, Nakajima All Precision/Conseil, 69-89 R, Rec. p. 1689, et du 14 février 1990, Extramet Industrie/Conseil, C-358-89 R, Rec. p. I-431).

17 La jurisprudence exige la preuve d'un préjudice grave et irréparable qui soit particulier à la partie requérante du fait de l'institution du droit antidumping.

18 En soutenant qu'elle n'a plus exporté une seule unité depuis l'application de droits antidumping provisoires, que les trois importateurs paraissent avoir choisi des sources d'approvisionnement alternatives, et que cette situation devrait avoir pour résultat un retrait complet du secteur des balances commerciales dans la Communauté et l'ensemble de l'Europe, la partie requérante procède par voie de simple affirmation ou supposition. Elle ne produit aucune pièce justificative de ces éléments de fait ni d'autres circonstances qui permettraient éventuellement de considérer que le préjudice allégué est grave, irréparable et particulier à la requérante. Elle ne satisfait donc pas à la charge de la preuve qui lui incombe.

19 De surcroît, elle souligne elle-même des circonstances de nature à faire douter que le préjudice allégué, indépendamment de son étendue, soit la conséquence principale des droits antidumping. Elle invoque en effet une accentuation importante de la concurrence sur le marché communautaire, liée aux importations de plusieurs autres pays tiers, et ajoute que ses exportations vers la Communauté étaient stables, globalement et modèle par modèle, avec une tendance vers la décroissance au cours des cinq dernières années.

20 L'urgence n'étant pas établie, la demande en référé doit être rejetée sans qu'il y ait lieu d'examiner si les deux autres conditions, fumus boni juris et balance des intérêts, sont réunies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR

ordonne:

1) La demande en référé est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.