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Décisions

CJCE, 6e ch., 11 juin 1992, n° C-358/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Extramet Industrie (SA)

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes, Commission des Communautés européennes, Péchiney Électrométallurgie (SA), Chambre syndicale de l'électrométallurgie et de l'électrochimie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Schockweiler

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Kapteyn, Mancini, Kakouris, Murray

Avocats :

Mes May, Momège, Michel, Voillemot, de Roux

CJCE n° C-358/89

11 juin 1992

LA COUR (sixième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 novembre 1989, Extramet Industrie SA (ci-après "Extramet"), société de droit français, a, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation du règlement (CEE) n° 2808-89 du Conseil, du 18 septembre 1989, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et d'Union soviétique et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations (JO L 271, p. 1), ou, à tout le moins, du point 24 des considérants de ce règlement.

2 Extramet est le plus important importateur dans la Communauté de calcium-métal en provenance, essentiellement, de la République populaire de Chine et d'Union soviétique. Les importations de calcium-métal constituent la principale source d'approvisionnement d'Extramet qui fabrique, à partir de ce produit, selon un procédé de redistillation développé et breveté par elle, des granulés de calcium pur employés principalement dans l'industrie métallurgique.

3 A la suite d'une plainte déposée par la chambre syndicale de l'électrométallurgie et de l'électrochimie (ci-après "chambre syndicale"), au nom de Péchiney Électrométallurgie SA (ci-après "Péchiney"), producteur exclusif de calcium-métal dans la Communauté et transformateur de calcium-métal pur selon un procédé de distillation propre, la Commission a adopté le règlement (CEE) n° 707-89, du 17 mars 1989, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et d'Union soviétique (JO L 78, p. 10).

4 Après une prorogation du droit provisoire, le Conseil a, par le règlement litigieux, entré en vigueur le 21 septembre 1989, institué un droit antidumping définitif de 21,8 et 22 % sur les importations de calcium-métal originaires respectivement de la République populaire de Chine et d'Union soviétique, et prévu la perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations.

5 Selon les considérants de ce règlement, le producteur communautaire, en l'occurrence Péchiney, et un importateur indépendant (qui est aussi le transformateur du produit), en l'occurrence Extramet, avaient, après l'institution du droit provisoire, sollicité et obtenu la possibilité d'être entendus par la Commission et avaient présenté des observations écrites à celle-ci.

6 Il résulte desdits considérants que l'importateur avait notamment fait valoir que le producteur communautaire était lui-même à l'origine du préjudice subi par suite de son refus d'approvisionner l'importateur en calcium-métal, ce qui avait amené ce dernier à déposer plainte auprès des autorités compétentes françaises pour abus de position dominante.

7 Il est indiqué, par ailleurs, au point 24 des considérants que l'importateur avait demandé une dérogation exceptionnelle dans l'hypothèse où une décision instituant un droit antidumping définitif serait prise et que le Conseil n'avait pas été en mesure d'accéder à cette demande.

8 Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 11 décembre 1989, Extramet a introduit une demande en référé visant à obtenir notamment le sursis à l'exécution du règlement n° 2808-89, précité, jusqu'à ce que la Cour ait statué au fond. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 14 février 1990.

9 Par ordonnances des 17 janvier et 22 mai 1990, la Cour a admis la Commission, Péchiney et la chambre syndicale à intervenir à l'appui des conclusions du Conseil.

10 Par arrêt du 16 mai 1991, la Cour a rejeté une exception d'irrecevabilité soulevée par le Conseil à l'encontre du recours d'Extramet.

11 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

12 A l'appui de son recours, Extramet invoque quatre moyens tirés d'erreurs commises respectivement dans la définition des produits similaires pris en considération, dans la détermination de la valeur normale, dans la détermination du préjudice subi par l'industrie communautaire et dans l'appréciation des intérêts de la Communauté. Il convient d'examiner en premier lieu le moyen relatif à la détermination du préjudice subi par l'industrie communautaire.

13 Au soutien de ce moyen, la partie requérante fait notamment valoir que Péchiney est elle-même à l'origine du préjudice subi dès lors qu'elle a refusé d'approvisionner Extramet en calcium-métal. Selon Extramet, si Péchiney avait consenti à lui livrer du calcium-métal, elle n'aurait subi, au cours de la période choisie pour examiner le préjudice, aucune baisse de production et les importations soviétiques et chinoises dans la Communauté auraient diminué de moitié pour ne plus représenter qu'une part minime du marché communautaire.

14 Extramet rappelle, en outre, qu'à la suite du refus de Péchiney de lui vendre du calcium-métal elle a engagé à l'encontre de celle-ci une procédure judiciaire pour abus de position dominante auprès des autorités françaises compétentes. Elle estime que, dans le cadre d'une procédure antidumping, il doit être tenu compte de telles pratiques anticoncurrentielles et qu'un droit antidumping ne doit pas être institué s'il a pour effet de maintenir un avantage injustifié sur le marché communautaire résultant d'une entente ou d'un abus de position dominante, dès lors que des preuves formelles de telles pratiques sont présentées et qu'une action est intentée sur le fondement des règles de concurrence communautaires.

15 A cet égard, il convient de rappeler d'abord que, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2423-88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1), "il n'est déterminé de préjudice que si les importations qui font l'objet d'un dumping ... causent un préjudice" à la production communautaire et "les préjudices causés par d'autres facteurs ... ne doivent pas être attribués aux importations qui font l'objet d'un dumping...".

16 Lors de la détermination du préjudice, le Conseil et la Commission ont dès lors l'obligation d'examiner si le préjudice qu'ils entendent retenir découle effectivement des importations qui ont fait l'objet d'un dumping et d'écarter tout préjudice découlant d'autres facteurs, et notamment celui qui aurait sa cause dans le comportement propre des producteurs communautaires.

17 Il y a lieu de noter ensuite que, pour réfuter l'argumentation d'Extramet, le Conseil s'est borné, dans la procédure devant la Cour, à renvoyer au point 15 des considérants du règlement attaqué pour faire valoir qu'en raison de son caractère spécifique une procédure antidumping ne saurait empêcher que d'autres actions visant à sanctionner d'autres comportements anticoncurrentiels soient engagées.

18 Or, au point 15 des considérants du règlement attaqué, le Conseil s'était déjà borné à signaler que, selon la Commission, d'une part, Péchiney aurait rejeté les affirmations d'Extramet et aucune décision définitive n'aurait encore été rendue par les autorités françaises saisies par Extramet, et, d'autre part, une enquête antidumping ne pourrait pas préjuger du résultat d'une action entreprise au titre des articles 85 ou 86 du traité et, si une infraction à ces règles devait être établie, l'article 14, paragraphe 1, du règlement n° 2423-88, précité, permettrait de procéder à un réexamen de la procédure antidumping en cause.

19 Il ne résulte d'aucune de ces considérations que les institutions communautaires aient effectivement examiné la question de savoir si Péchiney n'a pas elle-même contribué par son refus de vente au préjudice subi et établi que le préjudice retenu ne découle pas des facteurs allégués par Extramet. Dès lors, elles n'ont pas correctement procédé à la détermination du préjudice.

20 En conséquence, le moyen tiré d'erreurs commises dans la détermination du préjudice subi par l'industrie communautaire doit être accueilli et il convient d'annuler le règlement attaqué, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens et arguments invoqués par la partie requérante.

Sur les dépens

21 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure en référé. La Commission ainsi que Péchiney et la chambre syndicale, qui sont intervenues à l'appui des conclusions du Conseil, supporteront, en application de l'article 69, paragraphe 4, premier et deuxième alinéas, chacune leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

déclare et arrête:

1) Le règlement (CEE) n° 2808-89 du Conseil, du 18 septembre 1989, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de calcium-métal originaires de la République populaire de Chine et d'Union soviétique et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations, est annulé.

2) Le Conseil est condamné aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure en référé.

3) La Commission, Péchiney et la chambre syndicale, parties intervenantes, supporteront chacune leurs propres dépens.