CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 18 mai 2006, n° 04-08829
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Viastael (SAS)
Défendeur :
Maille du Pévèle (SA), Ministère de l'Economie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
Me Binoche, SCP Bommart Minault
Avocats :
Mes Paley-Vincent, Perreau
Faits et procédure :
La SAS Viastael créé et commercialise des chaussettes sous la marque Achile dont elle a confié la fabrication à la SA Maille du Pévèle et à la société Desmazières à concurrence respectivement de 60 % et de 40 %.
Les sociétés Viastael et Maille du Pévèle avaient des liens étroits par l'intermédiaire de leurs actionnaires et stylistes tandis que la seconde était fournisseur de la première depuis 1989.
En mai 2003, lors de l'arrivée d'un nouveau dirigeant, la société Viastael a engagé des négociations pour obtenir de la société Maille du Pévèle un allongement des délais de paiement à 60 jours ainsi qu'une remise de 5 % sur le prix de vente des chaussettes qui lui ont été accordés, malgré l'absence d'assurance d'un maintien des commandes réclamé par le fournisseur.
Dans les premiers mois de l'année 2004, les relations entre les deux sociétés se sont dégradées à la suite du refus de la société Maille du Pévèle de consentir à nouveau une remise sur les prix, sans engagement sur les quantités de produits, et de la réduction des commandes de la part de la société Viastael entraînant elle-même la cessation de l'application de la remise de 5 % par la société Maille du Pévèle puis la décision de cette dernière, le 28 mai 2004, de ne plus délivrer les marchandises tant que la société Viastael n'accepterait pas, par écrit, ses nouvelles conditions générales de vente.
Les relations entre les parties ont cessé à cette date.
Les fabrications de la société Viastael précédemment confiées à la société Maille du Pévèle sont désormais réalisées par la société marocaine Belcho7.
Le 17 mai 2004, la société Maille du Pévèle a initié une action devant le Tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce à l'encontre de la société Viastael.
La société Maille du Pévèle a parallèlement informé le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du litige, qui a procédé à une enquête effectuée au cours des mois de juin et de juillet 2004 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes - DGCCRF - auprès des deux sociétés, puis est intervenu à l'instance le 1er septembre 2004.
Par jugement rendu le 1er décembre 2004, cette juridiction a dit n'y avoir lieu à expertise, condamné la société Viastael à verser une indemnité de 1 172 444,85 euro et une somme de 15 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile avec le bénéfice de l'exécution provisoire sous la condition d'une caution bancaire d'égal montant, rejeté les prétentions du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et de la société Viastael et condamné cette dernière aux dépens.
Appelante de cette décision, la société Viastael expose l'origine des relations commerciales l'ayant unie à la société Maille du Pévèle, le cycle de production saisonnier des chaussettes fantaisie été et hiver d'une durée d'environ un an pour elle mais seulement de trois à quatre mois pour les fabricants.
Elle relève l'absence de dispositions contractuelles particulières ayant régi les relations qui ont suivi l'évolution normale du marché et le caractère fluctuant des commandes en fonction des saisons.
Elle soutient que le contexte de l'étroite dépendance économique prétendument imposée à la société Maille du Pévèle ne repose sur aucun argument fondé.
Elle fait état du caractère occulte du protocole de commandes qui serait intervenu en mars 2002 avec son ancienne dirigeante Madame Florence Dostal et la société Maille du Pévèle, s'avère aberrant et n'a en tout cas jamais été mis en œuvre.
Elle souligne l'incidence de l'évolution générale du marché de la chaussette de fabrication française qui était bouleversé depuis longtemps lorsque Monsieur Thierry Baudard-Contesse a repris la direction de la société Viastael, début mai 2003, les délocalisations dans les pays du Maghreb n'étant déjà plus d'actualité au profit de l'Asie ainsi que le déclin de cette activité ayant entraîné son lancement en 1999 sur le marché de la lingerie.
Elle indique que la nécessité d'une amélioration de la gestion des stocks accumulés en raison d'un système instauré par l'ancienne dirigeante de passation de commandes sans corrélation avec des commandes d'achats par ses clients, explique la chute importante de ses propres commandes en juillet et août 2003, n'ayant suscité aucune réaction de la part de la société Maille du Pévèle.
Elle considère qu'eu égard au constat économique défavorable dressé lors de son entrée en fonction, la nouvelle direction devait rediscuter les conditions tarifaires en vue d'obtenir des modalités plus proches de la réalité économique.
Elle affirme n'avoir jamais garanti à aucun prestataire un volume de commandes comparable aux années précédentes.
Elle précise que ses commandes à la société Maille du Pévèle ont toujours été variables, que les deux sociétés en cause sont de taille modeste exclusive d'une position de domination technique ou économique, qui n'est pas établie par l'intimée, laquelle ne saurait faire peser sur elle les conséquences de ses errements ayant consisté en 14 ans d'activité à ne pas développer sa clientèle et à se contenter du confort des relations avec elle et qu'enfin les conditions tarifaires discutées en mai 2003 par sa nouvelle direction ont été acceptées et appliquées par la société Maille du Pévèle sans jamais être subordonnées à des volumes de commandes totalement impensables.
Elle prétend que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, aucune rupture ne pouvait être constatée à partir de janvier 2004 et que sa cause est imputable à l'intransigeance et au chantage de la société Maille du Pévèle.
Elle soutient à cet effet, que l'entretien du 30 janvier2004 dans ses locaux avait pour seul objet de négocier légitimement les prix tout en poursuivant ses relations avec la société Maille du Pévèle, que l'absence de commandes pour les mois de janvier et février 2004 était normale en raison du caractère saisonnier de son activité.
Elle invoque la remise en cause, le 6 février 2004, par la société Maille du Pévèle des accords de mai 2003 en conditionnant le maintien de la réduction de 5 % à une garantie de volumes d'achats qu'elle ne pouvait lui consentir ne lui ayant laissé d'autre choix que de retenir la majeure partie de ses commandes en continuant à négocier avec elle et en sollicitant dans l'urgence un autre prestataire, la société Belcho7 pour la fabrication de quelques modèles.
Elle allègue qu'ensuite fin mars 2004, la société Maille du Pévèle lui a imposé des conditions générales de vente exorbitantes.
Elle estime que la société Maille du Pévèle a créé toutes les conditions d'une rupture en cherchant à lui en imputer la responsabilité.
Elle dénie la prétendue obtention d'un avantage particulier non assorti d'un engagement sur un volume d'achat en se référant aux motifs du tribunal et en spécifiant qu'en mai 2003, les conditions tarifaires ont été négociées et appliquées sans condition préalable.
Elle considère que s'il a existé une rupture brutale des relations commerciales entre les parties, la responsabilité en incombe à la société Maille du Pévèle qui a manqué à ses engagements.
Elle fait valoir que le ministre de l'Economie, s'il est en charge de l'intérêt public doit comme tout justiciable rapporter la preuve de l'existence du trouble qu'il invoque et qui justifierait le prononcé de l'amende civile qu'il réclame et dont le montant est exorbitant.
La société Viastael critique, en toute hypothèse, la durée d'un an de préavis retenue par les premiers juges en l'absence de dépendance démontrée par l'intimée, compte tenu du cycle de production.
Elle ajoute que la demande de doublement du préavis formulée par la société Maille du Pévèle n'est pas fondée, la relation commerciale litigieuse n'ayant pas porté sur la fourniture de produits "sous marque distributeur".
Elle réfute l'argumentation de la société intimée quant à la notoriété des produits concernés, au courant d'affaires prétendument en hausse puis maintenu, et à ses possibilités de reconversion.
Elle considère infondée les demandes au titre des remises de 5 %, du coût financier des délais de paiement et des prototypes, du reconditionnement des matériels, des investissements non amortis ainsi que des licenciements et indemnités de chômage partiel.
Elle souligne que le préjudice subi par la société Maille du Pévèle ne pourrait être évalué qu'à l'absence de résultat et non à la marge brute admise par le tribunal.
Elle sollicite donc l'entier débouté de la société Maille du Pévèle et du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
Elle demande subsidiairement à la cour de retenir la responsabilité de la société Maille du Pévèle dans la fin des relations entre les parties, de rejeter toute prétention à provision de la société intimée, d'ordonne une expertise et de lui accorder, si une condamnation devait être prononcée, un délai de deux ans sur le fondement de l'article 1244-1 du Code civil.
Elle réclame une indemnité de 15 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Maille du Pévèle soutient que les circonstances particulières qui ont présidé à sa création en 1989 résultent d'un besoin spécifique de la société Viastael qui vont, selon elle, expliquer l'ensemble des relations contractuelles entre les deux sociétés.
Elle affirme avoir travaillé quasiment à titre exclusif pour la société Viastael dès sa création et l'a incitée à ne se consacrer qu'à sa production afin de protéger ses modèles en la chargeant suffisamment pour s'en assurer l'exclusivité.
Elle estime que cette situation qui était dans l'intérêt des deux sociétés a pris fin avec l'arrivée du nouveau dirigeant de la société Viastael, Monsieur Baudard-Contesse qui ne s'est pas senti engagé par les obligations existantes de cette société.
Elle précise que les deux sociétés étaient antérieurement très intégrées dans le déroulement des opérations de fabrication et qu'elle est devenue, en 2000, le fournisseur principal de chaussettes à plus de 80 % de la société Viastael.
Elle prétend avoir été contrainte en avril 2002 de racheter les matières premières les plus utilisées et les autres coloris au fur et à mesure des besoins à la demande de la dirigeante de la société Viastael et avoir toujours réalisé ses investissements en accord avec elle ou à sa requête.
Elle indique que le partenariat entre les deux sociétés découlait aussi de l'accord de mars 2002, ayant permis de mieux gérer les collections.
Elle affirme que le cycle habituel de production qui lui est applicable est aussi d'un an puisqu'il comporte l'établissement des prototypes et des échantillons pour les représentants ainsi que la confection proprement dite jusqu'aux réassorts et que les commandes de l'hiver sont passées fin janvier début février.
Elle fait état d'une baisse de commande de 88 % au 1er trimestre 2004.
Elle prétend que le courrier du 6 février 2004 ne constitue pas une remise en cause des prix de sa part, mais une mesure permettant d'appliquer l'accord conclu en 2002 et de loi résultant de l'article L. 442-6-I-3° du Code de commerce.
Elle argue avoir été dans la dépendance économique et technique de la société Viastael.
Elle fait grief au tribunal de ne pas avoir répondu à sa demande sur le fondement de l'article L. 442-6-I-3 du Code de commerce alors qu'elle estime établi que la société Viastael a obtenu des avantages particuliers préalablement à la passation des commandes pour la saison suivante tout en refusant de l'assortir d'un engagement sur un volume,
Elle fait valoir qu'eu égard à la chute des commandes, la rupture des relations commerciales a été totale.
Elle considère qu'un minimum d'un an de préavis aurait dû lui être accordé devant être doublé en raison de la vente de produits sous marque de distributeur.
Elle estime ce préavis raisonnable eu égard à la notoriété et la spécificité des produits concernés, le courant d'affaires d'abord en hausse puis maintenu, les investissements spécifiques réalisés et la possibilité de reconversion.
Elle objecte que la marge brute est le seul critère économique indemnitaire valable pour évaluer son préjudice.
Elle oppose que la société Viastael avait décidé du transfert de sa fabrication auprès de la société Belcho7 depuis longtemps.
Elle allègue avoir subi un préjudice causé par les nouvelles conditions de paiement des factures et particulièrement de la remise de 5 % imposée par la société Viastael.
Elle relève que la société Viastael a appliqué rétroactivement et unilatéralement des remises de 5 % sur ses règlements des factures d'avril et de mai 2002 à hauteur de 12 310,82 euro et que celles postérieures effectuées à concurrence de 51 904,90 euro doivent lui être aussi restituées.
Elle argue du coût financier des délais de paiement qu'elle calcule en fonction du nombre de jours de retard au 4 mai 2004 et des taux d'intérêts légaux de 2003 et de 2004.
Elle précise que la moyenne de la marge brute des trois derniers exercices avant la rupture s'est élevée à 936 024,85 euro et revendique donc une indemnité à ce titre de 1 872 049,70 euro,
Elle allègue encore avoir subi des préjudices tenant aux coûts de l'établissement des modèles prototypes et des essais de coloris pour la collection été et hiver 2004 (5 700 euro), du reconditionnement des matériels (143 640 euro HT), des investissements non amortis (136 420 euro), du chômage partiel (12 303,05 euro), et des licenciements intervenus (184 209,74 euro).
Elle s'oppose à tout délai.
La société Maille du Pévèle sollicite, en conséquence, la condamnation de la société Viastael au versement de dommages et intérêts de 2 419 834,72 euro en réparation du préjudice subi par la rupture brutale et abusive et les autres griefs ainsi que son entier débouté.
Elle conclut subsidiairement à une expertise et à l'octroi en sa faveur d'une provision de 1 872 049,70 euro au titre du préavis ainsi que dans tous les cas, d'une indemnité de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie soutient qu'au sens de l'article L. 442-6-I du Code de commerce, la baisse des commandes de 98,7 % enregistrée par la société Maille du Pévèle dès janvier 2004 doit être analysée comme une rupture partielle et brutale des relations commerciales entre les deux sociétés qui sont anciennes et régulières, qui est devenue totale en juin 2004.
Il observe que la rupture n'a été précédée d'aucun préavis écrit,
Il objecte que les justifications de la ruptures avancées par la société Viastael et tirées de l'existence d'une clause des nouvelles conditions générales et du refus de livraison de la société Maille du Pévèle ne sont pas fondées dès lors qu'elles sont intervenues postérieurement à la baisse des commandes.
Il relève que la société Viastael a commencé à travailler avec la société Belcho7 à compter d'avril 2004 et donc antérieurement à la rétention des livraisons.
Il affirme que la rupture résulte d'un choix de stratégie d'entreprise de la part de la société Viastael consistant dans un transfert d'activités vers le Maghreb.
Il estime que toute violation aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce porte atteinte à l'ordre public économique et qu'il ne lui appartenait pas de rapporter la preuve de la manifestation de ce trouble comme l'a retenu le tribunal.
Il fait valoir que le montant de l'amende civile doit prendre en considération la gravité des pratiques susvisées, le trouble occasionné à l'ordre public économique et les conséquences sur la poursuite de l'activité de la société Maille du Pévèle.
Le ministre de l'Economie réclame en raison de la rupture brutale des relations en cause une amende civile de 100 000 euro.
Le Ministère public conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré abusive la rupture par la société Viastael des relations commerciales entretenues avec la société Maille du Pévèle.
Il soutient que cette rupture est par elle-même constitutive d'un trouble à l'ordre public économique.
Il affirme que le tribunal a estimé à tort que les effets de cette rupture étaient limités à des relations entre personnes privées alors que celle-ci a des conséquences plus larges caractérisées par une délocalisation de la production de chaussettes vers un pays à coût de main d'œuvre plus faible et par une prise en charge par les finances publiques du coût du chômage partiel auquel la société MDP a été contrainte de recourir.
Il en déduit que le prononcé de l'amende civile demandée par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie est justifié.
Motifs de la décision :
Sur les relations entre les sociétés Viastael et Maille du Pévèle:
Considérant que la société Viastael créée en 1986 à l'initiative de Madame Florence Dostal exerce son activité dans le secteur textile essentiellement de la chaussette de fantaisie dans lequel elle a connu un succès incontestable jusqu'au milieu des années 1990 et dans une moindre mesure de la lingerie destinée à une clientèle jeune;
Que son principal marché est la France, ses produits étant proposés dans plus de 1 200 points de vente de proximité ainsi que dans plusieurs grands magasins parisiens et dans quelques pays étrangers;
Considérant qu'à l'origine, la fabrication des chaussettes commercialisées par la société Viastael était assurée en majeure partie par la société Desmazières dont le responsable technique était Monsieur Scalabre, lequel en 1989, a quitté cette société pour créer la société Maille du Pévèle, dont Madame Dostal, fondatrice de la société Viastael est devenue actionnaire à hauteur de 10 % ;
Considérant, par ailleurs, que la société Maille du Pévèle a toujours réalisé tous les prototypes de collections avec des dessins fournis par la société Viastael établie jusqu'en 2002 par Madame Dostal, laquelle initialement effectuait les essais de coloris exécutés depuis quelques années par la société Maille du Pévèle;
Considérant que si les prémices de l'entrée en relations des deux sociétés restent controversés, il n'en demeure pas moins que celles-ci ont noué dès l'origine, des liens étroits dans leur intérêt commun de confectionner un produit ayant alors du succès dans un marché à l'époque normalement concurrentiel et dans un secteur qui n'était pas à ce moment là en crise ;
Considérant que ce contexte, comme le caractère mutuellement profitable de telles relations, permettant à l'une, de disposer d'un fabricant compétent techniquement et connaissant ses produits ainsi que leur conception et à l'autre, de bénéficier de commandes quasi-constantes expliquent que les deux sociétés les aient poursuivies sans obstacle pendant plusieurs années, dans un confort économique réciproque, sans qu'il ne soit démontré que la société Viastael ait imposé une dépendance économique ou technique à la société Maille du Pévèle, laquelle n'étant pas liée à celle-ci par un accord d'exclusivité conservait sa pleine faculté de rechercher d'autres débouchés en élargissant et en diversifiant sa clientèle;
Considérant que ces relations se sont détériorées consécutivement à la conjonction de deux événements, l'un général, résultant de l'évolution bouleversée du marché de la chaussette de fabrication française elle-même induite par la survenance de la crise du secteur textile engendrée par les délocalisations en Asie et l'arrivée en masse de la confection chinoise à très moindre coût et l'autre, particulier, provenant du changement de capital et de direction de la société Viastael en mai 2003, Monsieur Baudard-Contesse succédant à Madame Dostal;
Sur la rupture des relations établies entre les deux sociétés :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6-I du Code de commerce engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par, tout producteur, commerçant, industriel ou artisan... de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, la faculté de résilier sans préavis étant toutefois réservée par ce texte en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations;
Considérant qu'il n'est pas discuté que les relations entre les sociétés Viastael et Maille du Pévèle étaient établies puisqu'elles ont duré de manière continue de 1989 jusqu'en 2004 et ont fait l'objet d'une régularité des échanges matérialisés par les commandes passées et les factures payées;
Considérant qu'il s'infère du tableau comparatif du nombre de paires de chaussettes commandées par la société Viastael à la société Maille du Pévèle de janvier à juillet pour les collections hiver 1999/2000 à 2004/2005 hors réassortissement, que dès le mois de janvier 2004, la société Maille du Pévèle a enregistré une baisse des commandes à venir de 98,7 % au-delà des fluctuations d'une année sur l'autre et que la rupture a été intégrale en juin 2004 ainsi que l'a, d'ailleurs, reconnu Monsieur Baudard-Contesse dans le procès-verbal du 20 juillet 2004;
Considérant que cette rupture présente un caractère brutal puisqu'elle n'a été précédée d'aucun préavis écrit.
Sur les justifications alléguées de la rupture:
Considérant que si la société Viastael sous l'impulsion de son nouveau dirigeant a souhaité modifier sa politique d'entreprise afin de l'adapter aux difficultés rencontrées dans son secteur hautement concurrentiel et d'assurer sa pérennité, ce souci légitime ne la dispensait pas de respecter l'obligation légale qui lui était impartie par l'article L. 442-6 du Code de commerce envers son ancien partenaire depuis 14 ans;
Considérant que la société Viastael invoque encore trois autres arguments et en premier lieu, la remise en cause par la société Maille du Pévèle, par lettre du 6 février 2004, des accords de mai 2003 sur une remise de 5 % et un allongement des délais de paiement à son profit;
Considérant toutefois, que cette position a été prise par la société Maille du Pévèle après qu'elle ait dû accepter l'accord précité violant l'article L. 442-6-I-3 du Code de commerce, qu'elle ait constaté une chute des commandes de la société Viastael de 115 000 paires environ au cours de son exercice 2003, que l'appelante ait encore sollicité de sa part, le 30 janvier 2004, une nouvelle remise sans vouloir s'engager en contrepartie sur un certain volume de commandes et que la société Viastael ait commencé de réduire ses commandes en janvier 2004 en sorte que la décision de la société Maille du Pévèle qui apparaît comme une réaction à la réitèration de l'attitude répréhensible de la société Viastael ne saurait constituer un fait justificatif de la rupture sans préavis par celle-ci;
Considérant que l'apparition de conditions générales de ventes au verso de factures reçues le 29 mars 2004, par la société Viastael qui en conteste une disposition n'est pas non plus de nature à justifier la rupture des relations, dès lors que lesdites conditions, aux dires mêmes de l'appelante, étant nouvelles ne pouvaient s'analyser en une inexécution d'une obligation antérieurement souscrite par son partenaire à son égard, qu'elles lui ont été communiquées postérieurement à la rupture partielle des relations et que si elle entendait ne pas les agréer, ni donc poursuivre ces dernières sous leur égide, cela ne la dispensait d'accorder à l'intimée un préavis, étant observé que la société Viastael ne démontre pas leur caractère exorbitant;
Considérant que la société Viastael ne peut non plus se prévaloir sur ce fondement du refus de livraison de la société Maille du Pévèle dans l'attente d'une acceptation de sa part des conditions générales de vente critiquées et en raison du non-respect des délais de paiement fixés par l'appelante ;
Qu'en effet, qu'outre que la société Maille du Pévèle pouvait légitimement invoquer ce second motif, l'absence de livraison de sa part prévue au plus tôt le 14 avril 2004 est intervenue ultérieurement à la chute des commandes et alors même que la société Viastael avait commencé à travailler avec la société marocaine Belcho7 antérieurement à la rétention de livraison;
Considérant qu'il suit de là que la société Maille du Pévèle a droit une indemnité de brusque rupture.
Sur l'obtention d'un avantage particulier par la société Viastael :
Considérant qu'en vertu de l'article L. 442-6-I-3 du Code de commerce constitue aussi une faute, l'obtention ou la tentative d'obtention d'un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné;
Considérant qu'il s'infère des courriers échangés entre les parties, les 13 et 21 mai 2003 et 3 et 10 juin 2003, que la société Viastael a obtenu de la société Maille du Pévèle une remise de 5 % et un allongement des délais de paiement de 30 jours à 60 jours fin de mois le 10, préalablement à la passation des commandes pour la saison suivante tout en refusant de l'assortir d'un quelconque engagement de volume;
Qu'il suit de là que l'appelante a aussi engagé sa responsabilité à cet égard.
Sur le préjudice de la société Maille du Pévèle:
Sur l'indemnisation de la rupture:
Considérant qu'il importe de constater, sur ce point, l'ancienneté des relations commerciales pendant plus de 14 ans nouées et poursuivies dans des conditions d'étroit partenariat, de la très importante part du client Viastael dans la production de la société Maille du Pévèle à concurrence d'environ 90 % ;
Considérant qu'en outre, la durée du cycle de production pour chaque collection d'été ou d'hiver est de 12 mois sans que la société Viastael ne puisse utilement prétendre qu'il serait limité pour la confection par le fabricant à 4 mois, dès lors que cette phase comprend aussi l'établissement des prototypes, des échantillons pour les représentants et la confection proprement dite jusqu'au réassort comme le corroborent les justificatifs des commandes Viastael produites par la société intimée et n'ayant pas trait aux chaussettes dites "permanentes" comme le prétend à tort la société Viastael;
Considérant qu'il n'existe pas formellement d'accord interprofessionnel établissant la durée du préavis, le syndicat de la fédération des industries textiles indiquant à ce sujet que pour des relations datant de 1 à 5 ans, le préavis raisonnable est en moyenne de 3 à 6 mois, au-delà une durée d'un an peut être envisagée comme raisonnable, en fonction de la nature de la relation commerciale;
Considérant qu'en fonction de l'ensemble de ces éléments, la durée de préavis dont aurait du bénéficier la société Maille du Pévèle a été déterminée, à juste titre, à un an par le tribunal;
Considérant que lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis doit être le double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous cette marque en application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce;
Considérant qu'un produit est considéré comme vendu sous marque de distributeur lorsque ses caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et est propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu ;
Que tel n'étant pas le cas, en l'occurrence, la demande de la société Maille du Pévèle de doublement du préavis sera rejetée;
Considérant que la marge brute étant le critère économique qui permet de prendre en compte l'ensemble des charges de l'entreprise, à l'exclusion des matières premières, est adéquat pour évaluer le préjudice lié à l'absence de préavis ;
Considérant qu'au vu de l'état des marges brutes annuelles des trois derniers exercices certifié par le commissaire aux comptes de la société Viastael, rendant ainsi inutile le recours à la mesure d'instruction sollicitée par la société Viastael, il apparaît que la moyenne s'élève à la somme de 936 024,85 euro qui sera retenue.
Sur les autres demandes indemnitaires de la société Maille du Pévèle:
Considérant que les prétentions formulées au titre du coût de l'établissement des modèles prototypes et essais de coloris pour les collections 2004, du montant du chômage partiel et du licenciement intervenu qui pour les premiers, font partie de l'élaboration du produit et sont couverts dans son prix de revient inclus dans la marge et qui pour tous résultent de la rupture brutale des relations sont déjà réparés par l'octroi de l'indemnité pour absence de préavis ;
Considérant qu'il n'est pas démontré que la société Maille du Pévèle ait besoin d'opérer un reconditionnement de ses machines pour poursuivre la fabrication de chaussettes, celles évoquées par ses soins "de 144 aiguilles" étant, en outre, encore en usage dans d'autres entreprises et aucun élément technique n'ayant été produit sur ce point;
Considérant que la société Viastael n'est pas davantage fondée à rechercher le remboursement d'investissements non amortis alors qu'elle n'établit pas qu'ils auraient été spécifiquement dédiés à l'activité de la société Viastael;
Que le jugement attaqué sera donc infirmé pour lui avoir accordé de ce chef une indemnité de 136 420 euro HT;
Considérant que la société Viastael qui n'était pas autorisée à imposer rétroactivement la remise de 5 % sur ses règlements des factures antérieures à l'accord intervenu, sera condamnée à en restituer le montant non discuté de 12 310,82 euro ;
Considérant qu'au motif de l'instauration de nouvelles conditions de paiement sans contrepartie d'un volume d'achat proportionné, la société Maille du Pévèle qui les a finalement acceptées puisqu'elles les a appliquées systématiquement et sans aucune réserve après l'accord réalisé sur ces points, qu'elle ne peut donc réclamer rétroactivement le remboursement des remises de 5 % par elle accordées à la société Viastael à compter d'avril 2003, ni du coût financier des délais de paiement;
Considérant, en revanche, que la violation par la société Viastael des dispositions de l'article L. 442-6-I-3° du Code de commerce a nécessairement entraîné un préjudice au détriment de la société Maille du Pévèle tenant à une perte de chance de résultat découlant d'un volume d'achats proportionné consenti qui, au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation dont la cour dispose sera indemnisée par l'octroi d'une somme de 40 000 euro.
Sur la demande d'amende civile du ministre de l'Economie:
Considérant que la société Maille du Pévèle ne fournit aucune donnée probatoire sur sa situation actuelle;
Que les deux sociétés en cause sont de taille similaire et relativement modeste dans le secteur concerné sans qu'il ne soit établi leur position exacte sur le marché de la chaussette de fabrication française
Considérant que la société Viastael n'est pas un acteur économique majeur dans son domaine d'activité;
Considérant que la cessation des relations entre les deux sociétés est intervenue dans un contexte de lourde crise du textile à laquelle la société Viastael a été confrontée comme tous les agents économiques de ce secteur et a répondu comme beaucoup d'entre eux en modifiant ses modalités d'approvisionnement et en transférant sa production à l'extérieur afin d'obtenir des prix plus compétitifs dans un marché hautement concurrentiel;
Considérant que cette restructuration relevant de la politique commerciale de la société Viastael qualifiée par le ministre de l'Economie lui-même de légitime n'est pas interdite en tant que telle ;
Considérant qu'il suit de là que la rupture sans préavis écrit des relations commerciales par la société Viastael n'a pas généré, en l'espèce, de troubles à l'ordre public économique, de nature à justifier le prononcé d'une amende civile;
Que la demande du ministre de l'Economie sera donc rejetée.
Sur les délais:
Considérant que la société Viastael n'ayant communiqué aucun élément sur sa situation financière actuelle et ayant déjà disposé de délais par l'effet de son recours, sera déboutée de cette prétention.
Sur les demandes accessoires:
Considérant qu'eu égard à l'indemnité très conséquente déjà accordée à la société Maille du Pévèle par le tribunal, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'équité ne commande pas de lui en accorder une nouvelle en cause d'appel;
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Viastael ses frais non compris dans les dépens;
Considérant qu'eu égard aux succombances respectives des parties, les dépens d'appel seront supportés à concurrence de 3/4 par la société Viastael et d'1/4 par la société Maille du Pévèle.
Par ces motifs, Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré hormis en sa disposition concernant le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de la SAS Viastael, Et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la SAS Viastael à verser à la SA Maille du Pévèle 988 335,67 euro de dommages et intérêts, Déboute les parties de toutes leurs autres prétentions et le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie de sa demande d'amende civile, Dit n'y avoir lieu à application en la cause de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SAS Viastael et la SA Maille du Pévèle aux dépens d'appel à concurrence des 3/4 pour la première et d'1/4 pour la seconde et Autorise leurs avoués à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.