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Décisions

Conseil Conc., 20 septembre 2006, n° 06-D-27

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Demande de mesures conservatoires présentée par les sociétés Autodistribution et AD Net à l'encontre de pratiques mises en œuvre par la société Automobiles Citroën

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Fenayrou-Degas, par Mme Perrot, vice-présidente, présidant la séance, ainsi que MM. Flichy, Honorat, membres.

Conseil Conc. n° 06-D-27

19 septembre 2006

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre, enregistrée le 5 avril 2006, sous les numéros 06/0030 F et 06/0031 M, par laquelle les sociétés Autodistribution et AD Net ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Automobiles Citroën et ont demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié, fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par la société Automobiles Citroën et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Autodistribution et AD Net ainsi que les représentants de la SA Automobiles Citroën entendus lors de la séance du 11 juillet 2006 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Le Conseil de la concurrence a été saisi par les sociétés Autodistribution et AD Net, qui estiment que la société Automobiles Citroën met en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur " le marché des informations techniques de la société Citroën pour toutes les réparations sur sa gamme de véhicules ".

2. Autodistribution et AD Net soutiennent que Citroën abuse de sa position dominante sur ce marché en refusant de leur donner accès aux informations techniques et à un logiciel de diagnostic " renfermant les informations nécessaires aux réparations des véhicules de cette marque ". En réservant ces informations au réseau officiel de ses réparateurs, Citroën exclurait les réparateurs indépendants du marché de la réparation des véhicules Citroën. En outre, la société d'édition d'informations techniques AD Net ne pourrait pas proposer un service complet à ses clients réparateurs.

3. Selon les sociétés plaignantes, les pratiques dénoncées constitueraient également des restrictions caractérisées aux termes de l'article 4, paragraphe 2, du règlement européen (CE) n° 1400-2002 de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (JOCE L 203, p. 30).

4. En conséquence, Autodistribution et AD Net sollicitent " l'application des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 81 et 82 du traité CE ".

5. Accessoirement à leur saisine au fond, Autodistribution et AD Net demandent, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, que des mesures conservatoires soient enjointes à Citroën afin de faire cesser l'atteinte grave et immédiate qui serait portée à l'économie du secteur et aux intérêts des saisissantes et des consommateurs.

B. LE SECTEUR

6. Le secteur de l'entretien et de la réparation automobiles est important pour le consommateur : le coût des services après-vente représenterait en effet 40 % du coût global d'utilisation d'un véhicule, les 60 % restants couvrant le prix de vente (40 %) et les frais financiers et d'assurance (20 %) du véhicule (Andersen, Study on the impact of the future legislative scenarios for motor vehicles distribution on all parties concerned, 3 décembre 2001).

7. Alors que l'activité en volume est orientée à la baisse depuis 2003, l'activité en valeur de l'entretien-réparation progresse de manière constante, compte tenu de la sophistication croissante des réparations qui nécessitent un matériel plus performant et une main-d'œuvre plus qualifiée.

8. Les réseaux des constructeurs et les réparateurs indépendants, tels que les chaînes spécialisées dans l'entretien et la réparation (Midas, Speedy) et les centres automobiles, se partagent le secteur. Selon les indications fournies par les saisissantes, la part de marché après-vente des réparateurs agréés par les constructeurs automobiles est de 83,5 % pour les véhicules de moins de 2 ans, eu égard notamment à la période de garantie pendant laquelle les réparations sont essentiellement assurées par les réparateurs agréés. Elle demeurerait de 51,9 % pour les véhicules de 5-6 ans mais ne serait plus que de 22,2 % pour les véhicules de plus de 15 ans (Etude du 26 avril 2006 " Groupement inter-professionnel de l'automobile, de ses produits et de ses services ").

C. LES ENTREPRISES

1. AUTODISTRIBUTION

9. La société Autodistribution est le premier distributeur indépendant de pièces détachées pour les véhicules automobiles et les poids lourds (12 % de part de marché tous canaux confondus). Elle s'appuie sur un réseau de 117 distributeurs, dont les deux tiers sont des filiales du groupe, répartis en 525 magasins. Certains distributeurs allient des activités de grossistes et de réparateurs.

10. Les clients d'Autodistribution sont soit des garages ou carrossiers sous enseigne AD ou Autoprimo (2 600), soit des garages hors réseau, indépendants ou agents d'une marque, auxquels Autodistribution apporte notamment une aide en termes d'informations techniques et de communication.

2. AD NET

11. L'activité d'AD Net, détenue à 99 % par Autodistribution, est dédiée à l'exploitation du portail internet du groupe. Autodistribution a créé cette filiale en 2000 pour offrir à sa clientèle de réparateurs la possibilité d'accéder aux informations techniques sur les véhicules des différents constructeurs via un site internet.

12. Le site Autossimo, destiné à la réparation et à l'entretien automobiles, permet notamment aux réparateurs d'accéder à plusieurs bases de données techniques multimarques qui mettent à leur disposition des méthodes de réparation et des schémas électriques pour les véhicules les plus courants. Ces bases de données couvriraient environ 70 % des besoins des utilisateurs. Pour les 30 % restants, les réparateurs devraient avoir recours à la documentation des constructeurs. Le portail Autossimo compte 2 800 abonnés.

3. AUTOMOBILES CITROËN

13. Filiale du groupe PSA, Citroën est un constructeur automobile qui a commercialisé en France 341 208 véhicules neufs en 2005, ce qui représente environ 13 % des véhicules neufs vendus.

14. Le réseau de distribution de Citroën en France était constitué, en 2005, de 346 concessionnaires de véhicules neufs, de 318 distributeurs officiels de pièces de rechange et de 2 313 réparateurs agréés. Le réseau de réparateurs agréés a été mis en place sur la base d'accords de distribution sélective.

II. Sur la recevabilité

15. L'article 42 du décret n° 2002-689 énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond est recevable et n'est pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'article L. 462-8, alinéa 2, du Code de commerce.

A. SUR LES MARCHÉS EN CAUSE

16. Autodistribution et AD Net définissent le marché pertinent comme " le marché des informations techniques de la société Citroën pour toutes les réparations sur sa gamme de véhicules (...) ".

17. Se situent sur un même marché les produits et services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande.

18. En l'espèce, il n'est pas contesté que les informations techniques relatives aux véhicules d'une marque automobile ne sont pas substituables aux informations techniques d'une autre marque automobile et font l'objet de demandes spécifiques des éditeurs d'informations techniques, d'une part, et des réparateurs automobiles, d'autre part. Dès lors, il peut être raisonnablement présumé qu'il existe deux marchés : le marché caractérisé par la demande des réparateurs vis-à-vis des informations techniques de Citroën et le marché caractérisé par la demande des éditeurs d'informations techniques vis-à-vis des informations techniques de Citroën. En séance, les sociétés saisissantes ont soutenu qu'AD Net était en concurrence avec Citroën sur le marché de l'édition d'informations techniques.

19. Par ailleurs, il ne peut être exclu qu'un marché aval de ces marchés soit le marché de l'entretien et la réparation des véhicules Citroën sur lequel les réparateurs indépendants et les réparateurs agréés offrent aux consommateurs des services en partie substituables.

B. SUR L'ENTENTE VERTICALE DÉNONCÉE

1. UN ACCÈS AU LOGICIEL DE DIAGNOSTIC LEXIA/PROXIA DÉNONCÉ COMME INSUFFISANT

20. Selon les sociétés saisissantes, le logiciel de diagnostic Lexia/Proxia destiné par Citroën aux réparateurs indépendants serait tellement bridé que ces derniers seraient cantonnés à diagnostiquer l'origine des pannes électroniques sans pouvoir les réparer : cette version du logiciel Lexia/Proxia donnerait accès à l'affichage de codes défauts mais non à l'ensemble des méthodes de réparation, conçues pour guider le réparateur pas à pas dans son opération. A cet égard, les saisissantes se plaignent tout particulièrement de ne pas avoir accès, d'une part, à la fonction " télécodage " et, d'autre part, à la " base de cas CBR ", base de données issue de la pratique quotidienne de réparateurs automobiles.

21. Selon Citroën, le logiciel de diagnostic comporterait " une méthode guidée de diagnostic qui permet, à l'issue de la lecture des codes défauts, d'identifier pas à pas le composant à l'origine du ou des codes défauts affectant le véhicule ". Citroën assure que la version du logiciel proposée aux réparateurs indépendants comprend les mêmes fonctionnalités que celles figurant dans la version proposée aux réparateurs agréés, à l'exception de la fonction d'écriture dans les calculateurs, à savoir le télécodage et le téléchargement, et de la base de cas CBR. Il est précisé que le télécodage intervient pour introduire dans les calculateurs les données de configuration nécessaires à l'adaptation du calculateur au véhicule sur lequel il est monté et aux équipements avec lesquels il doit fonctionner, alors que le téléchargement consiste à réinstaller un logiciel applicatif dans un calculateur dont le logiciel est déficient.

22. S'agissant du télécodage, Citroën fait valoir qu'elle prive les réparateurs indépendants de cette fonction dans le seul but de protéger l'accès aux informations sensibles. Citroën explique que l'architecture électronique de ses véhicules ne lui permet pas de séparer les informations afférentes aux opérations courantes, tendant à rétablir les fonctionnalités des véhicules, des informations dont le règlement européen n° 1400-2002 autoriserait la non-divulgation à des fins de " protection contre le vol, le recalibrage et la manipulation ".

23. En effet, afin de limiter l'augmentation de câblage liée au développement des calculateurs embarqués, Citroën dit avoir eu recours notamment au multiplexage qui consiste à faire passer une multitude d'informations sur un fil unique au lieu de faire usage de fils dédiés. Elle verse aux débats un rapport technique validé par l'UTAC (Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle) qui conclut à l'impossibilité de différencier les données de configuration en fonction de leur impact sur le fonctionnement des véhicules en cause.

24. Citroën considère que c'est à bon droit qu'elle ne donne pas accès à la fonction de télécodage, eu égard au considérant 26 du règlement n° 1400-2002 qui précise qu'il est " légitime et approprié que [les constructeurs] refusent l'accès aux informations techniques qui permettraient à un tiers de déjouer ou de neutraliser les dispositifs antivol installés à bord, de recalibrer les dispositifs électroniques ou de manipuler les dispositifs qui, par exemple limitent la vitesse des véhicules ... ".

25. Il ressort cependant de ce qui précède que Citroën ne satisfait a priori pas aux conditions posées à l'article 4, paragraphe 2 du règlement d'exemption n° 1400-2002, aux termes duquel l'accès aux informations techniques " doit comprendre, en particulier, l'utilisation sans restriction des systèmes électroniques de contrôle et de diagnostic d'un véhicule automobile, la programmation de ces systèmes conformément aux procédures types du fournisseur, les instructions en matière de réparation et de formation et les informations nécessaires à l'utilisation des outils et des équipements de diagnostic et d'entretien ".

26. Si le considérant 26 du règlement semble atténuer cette obligation, ce n'est qu'à condition que " la protection contre le vol, le recalibrage, ou la manipulation ne puisse être assurée par d'autres moyens moins restrictifs ". Or, il n'est pas exclu, en l'état du dossier et sous réserve de l'instruction au fond, qu'il existe d'autres moyens moins restrictifs permettant à Citroën de satisfaire aux obligations du règlement. Cette pratique serait ainsi susceptible d'être qualifiée de restriction caractérisée au sens du règlement.

2. DES DÉLAIS D'ACCÈS À LA BASE DE DONNÉES LASERTEC ET AU LOGICIEL DE DIAGNOSTIC LEXIA/PROXIA ESTIMÉS EN TOUT ÉTAT DE CAUSE EXCESSIFS

27. Par courrier du 3 octobre 2003, les saisissantes ont adressé à Citroën une demande d'informations relative aux conditions d'accès à sa base d'informations techniques, à ses méthodes de réparations, à ses équipements spécialisés, à ses formations techniques ainsi qu'aux critères de sélection des réparateurs agréés posés par Citroën.

28. S'agissant du pack Lasertec, qui est une base de données sous la forme de DVD incluant des méthodes de réparation telles que les plans électriques et mécaniques des véhicules, les saisissantes ont formalisé une demande plus précise le 12 janvier 2005 et Citroën leur a adressé une offre commerciale en juillet 2005.

29. S'agissant du logiciel de diagnostic Lexia/Proxia, Autodistribution et AD Net ont fait valoir lors des auditions que Citroën ne pouvait ignorer que les négociations commerciales portaient à la fois sur la base de données Lasertec et sur le logiciel de diagnostic. Une mention de l'aspect diagnostic figure dans leur courrier du 29 novembre 2004 et, dans leur courrier du 28 juillet 2005, elles précisent à Citroën que son offre est incomplète puisqu'elle ne porte pas sur les informations relatives au diagnostic. La première réponse de Citroën est datée du 4 octobre 2005 et les conditions d'accès au logiciel sont explicitées le 17 novembre 2005.

30. Les faits rapportés montrent que les saisissantes et Citroën ont échangé divers courriers du 3 octobre 2003 au 5 janvier 2006. La longueur de ces négociations commerciales s'explique, selon les saisissantes, par la réticence de Citroën à délivrer les informations techniques sollicitées et, selon Citroën, par le caractère imprécis des demandes formulées. Compte tenu des délais indiqués et sous réserve d'une instruction au fond, cette pratique est également susceptible d'être regardée comme non conforme à l'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1400-2002 qui indique que l'accès aux informations techniques doit être accordé " rapidement ".

3. DES INFORMATIONS JUGÉES TROP ONÉREUSES ET FOURNIES SOUS UNE FORME NON UTILISABLE

31. Les saisissantes souhaiteraient pouvoir utiliser les données de diagnostic Citroën à l'aide d'une carte de communication multimarques et contestent l'obligation imposée par Citroën d'acquérir une carte de communication spécifique pour utiliser le logiciel de diagnostic. Une carte de communication comprend un boîtier électronique, intégrant du logiciel, relié à deux câbles de raccordement, l'un qui doit être branché sur le véhicule et l'autre sur l'ordinateur.

32. Par ailleurs, selon les saisissantes, la nécessité pour les réparateurs de recourir à un outil de diagnostic spécifique oblige chaque réparateur indépendant à se le procurer auprès de Citroën et réduit à néant le rôle d'un éditeur technique qui devrait pouvoir fournir ces informations aux réparateurs pour qu'ils les utilisent grâce à des outils de diagnostic multimarques. Lors de la séance, AD Net a demandé " l'accès à l'information technique brute ". En qualité d'éditeur d'informations techniques, AD Net souhaite recevoir les informations sous forme électronique afin d'intégrer les données de diagnostic notamment sur son portail internet. En outre, lors de son audition du 26 juin 2006, le représentant des saisissantes regrettait que l'outil de diagnostic de Citroën ne permette pas l'achat de l'information au cas par cas et qu'il faille acquérir l'entier logiciel de diagnostic pour des réparations ponctuelles.

33. Enfin, les saisissantes ont reproché, en séance, à Citroën le prix élevé de l'outil de diagnostic. Elles estiment que le prix de 2 495 euro hors taxe, dont témoigne une facture du 29 août 2005 versée au dossier, auquel s'ajoute le prix des mises à jour annuelles du logiciel de diagnostic et du pack Lasertec, rend l'information technique Citroën inaccessible aux réparateurs indépendants.

34. Selon Citroën, la carte de communication conçue par son fournisseur Actia " intègre elle-même un logiciel d'adaptation aux véhicules Citroën afin de pouvoir interopérer avec ceux-ci ", ce qui justifierait que le logiciel de diagnostic ne puisse être utilisé sans cette carte. Citroën souligne que les réparateurs agréés sont soumis aux mêmes conditions d'utilisation du logiciel de diagnostic, et notamment à l'obligation de se munir d'une carte de marque Citroën. Le prix de cette carte ne serait que de 593 euro.

35. Citroën estime qu'on ne saurait lui reprocher d'avoir choisi de donner accès aux informations techniques par l'intermédiaire d'un logiciel interactif ne pouvant pas être mis en réseau, plutôt que par une simple brochure sur support électronique accessible en réseau.

36. Elle précise que le prix de l'outil réservé aux indépendants, qui s'élèverait actuellement à 2 225 euro (593 euro pour la carte de communication et 1 632 euro pour le logiciel de diagnostic), est inférieur à celui de l'outil vendu aux réparateurs agréés (2 737 euro) qui tient compte des plus grandes possibilités offertes par leur version.

37. L'article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1400-2002 dispose que " l'accès [aux informations] doit être accordé (...) de façon proportionnée et les informations doivent être fournies sous une forme utilisable ". De même, le fournisseur " ne doit pas obliger les opérateurs indépendants à acheter plus que les informations nécessaires pour réaliser les travaux en question " (considérant 26). En outre, le règlement indique que " le prix demandé pour les informations ne doit pas décourager l'accès à ces informations en ne tenant pas compte de l'usage qu'en fait l'opérateur indépendant " (considérant 26). Au vu de ces éléments, les pratiques alléguées sont susceptibles d'être regardées comme ne répondant pas aux conditions prévues par le règlement d'exemption précité.

4. CONCLUSION SUR L'ENTENTE VERTICALE DÉNONCÉE

38. L'un des principaux objectifs du règlement n° 1400-2002 consiste à créer les conditions d'une concurrence effective sur les marchés des services de réparation et d'entretien des véhicules automobiles et de permettre à tous les opérateurs présents sur ces marchés, y compris les réparateurs indépendants, de proposer des services de qualité. Afin d'atteindre cet objectif, l'article 4, paragraphe 2, du règlement, relatif à la fourniture de l'information technique va jusqu'à imposer des obligations très précises aux constructeurs pour que leurs réseaux de réparation puissent bénéficier de l'exemption par catégorie.

39. Or, il ressort de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'est pas exclu, en l'état du dossier, que Citroën n'ait pas respecté certaines conditions énoncées audit article 4, paragraphe 2, et que certaines pratiques dénoncées puissent être qualifiées, au sens du règlement n° 1400-2002, de restrictions caractérisées, dites clauses noires.

40. La présence d'une de ces restrictions gravement anti-concurrentielles se traduisant automatiquement par la perte du bénéfice de l'exemption par catégorie pour l'intégralité de l'accord vertical, les accords de distribution passés entre Citroën et ses réparateurs agréés sont susceptibles d'être regardés comme contraires aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 CE.

C. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE DÉNONCÉ

41. Dès lors que la société Citroën détient les droits de propriété intellectuelle sur des informations techniques relatives aux véhicules de sa marque, il peut être raisonnablement présumé que Citroën est en position dominante sur les marchés des informations techniques relatives aux véhicules de sa marque pour les éditeurs et pour les réparateurs. A cet égard, Citroën ne conteste pas la réalité de sa position dominante.

42. En revanche, Citroën cherche à démontrer qu'aucun abus ne peut être établi puisque ces informations ne constituent pas des facilités essentielles. Elle soutient en premier lieu que les informations demandées par les saisissantes ne seraient pas indispensables à l'exercice de leurs activités et, en second lieu, que le prétendu refus d'accès aux informations demandées ne poursuivrait pas un objectif anticoncurrentiel, notamment d'éviction du marché de la réparation d'Autodistribution.

43. Toutefois, le Conseil estime que les pratiques dénoncées sont susceptibles d'être qualifiées d'abusives si elles sont avérées. Faute d'un accès complet à toutes les informations techniques et à tous les systèmes de diagnostic pour la réparation et l'entretien des véhicules automobiles Citroën, les réparateurs indépendants ne seraient pas en état d'effectuer certaines réparations et mises à jour. Ne pouvant fournir aux consommateurs un service complet, il est possible que ces réparateurs ne soient pas en mesure de concurrencer efficacement les réparateurs agréés et encourent le risque d'être fortement pénalisés.

44. De même, il n'est pas exclu, sous réserve de l'instruction au fond, que Citroën, titulaire de droits de propriété intellectuelle sur les informations de sa marque, exploite abusivement son pouvoir de marché sur le marché des informations techniques Citroën pour les éditeurs d'informations techniques pour altérer la structure concurrentielle de l'accès à ces informations par les réparateurs.

45. A ce stade de l'instruction, les pratiques dénoncées sont donc susceptibles d'être prohibées par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 CE.

D. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

1. SUR LES MESURES DEMANDÉES PAR LES SOCIÉTÉS AUTODISTRIBUTION ET AD NET

46. Dans leur saisine, Autodistribution et AD Net demandent, à titre conservatoire, qu'il soit enjoint à Citroën les mesures suivantes :

• " Injonction à la Société Citroën de communiquer à la Société AD Net, la documentation technique, sous une forme électronique utilisable relative à l'intégralité de sa gamme de produits disponibles, permettant leur intégration et leur exploitation dans le portail Autossimo édité par la Société AD Net ".

• " Injonction à la Société Citroën de livrer ou faire livrer le logiciel de diagnostic en état de marche à l'ensemble des membres du réseau AD Net qui en ferait la demande, conformément aux tarifs actuels en vigueur ".

47. Lors d'une audition le 26 juin 2006, les saisissantes ont modifié le champ des mesures sollicitées : " nous voulons obtenir la communication de toute la documentation technique, autre que celle contenue dans Lasertec que nous avons déjà en notre possession, y compris d'un logiciel de diagnostic qui, sans nous donner accès aux informations sensibles protégées par le règlement européen, permettrait de réaliser les opérations de réparation des véhicules Citroën dans les mêmes conditions que les réparateurs agréés, comme le règlement n° 1400-2002 le garantit. Nous souhaitons que cette documentation technique se présente sous une forme électronique et qu'elle ne nous oblige pas à acquérir une interface de communication Citroën. "

2. SUR L'ATTEINTE GRAVE ET IMMÉDIATE À L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE, A CELLE DU SECTEUR, AUX INTÉRÊTS DES CONSOMMATEURS ET A L'ENTREPRISE PLAIGNANTE

48. L'article L. 464-1 du Code de commerce prévoit que le Conseil de la concurrence ne peut imposer des mesures conservatoires que " si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante " et que ces mesures doivent " rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".

a) En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts des plaignants

49. Les pratiques dénoncées ne causent pas d'atteinte grave et immédiate à la société Autodistribution qui a vu son chiffre d'affaires augmenter constamment de 2002 à 2005 et passer de 982 à 1 116 millions d'euro.

50. AD Net, quant à elle, indique que la rétention d'informations par Citroën conduit à la stagnation du nombre d'adhérents au portail Autossimo à hauteur de 2 800 depuis plusieurs années, contrairement aux 4 000 adhérents prévus lors de sa création en 2000. Elle estime que Citroën met en échec la stratégie commerciale d'AD Net et que son manque à gagner pour la période 2001-2004 s'élève à 2,1 millions d'euro et à 2 millions d'euro pour l'année 2005.

51. Toutefois, un manque à gagner ou un simple risque hypothétique sur la pérennité de l'entreprise ne peut caractériser, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle constantes, une atteinte grave et immédiate aux intérêts des plaignants (voir, notamment, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 21 septembre 2004 statuant sur le recours déposé par 20 Minutes France à l'encontre de la décision n° 04-D-40 du Conseil de la concurrence, relative à une demande de mesures conservatoires déposée par cette société). Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet à ce stade de considérer qu'un lien de causalité pourrait être établi entre les pratiques dénoncées, relatives au plus à 13 % des véhicules du parc automobile, et l'absence de développement des activités d'AD Net.

b) En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts des consommateurs

52. Les saisissantes avancent que les consommateurs sont privés, pour les réparations que les garages indépendants ne peuvent pas réaliser, de la possibilité de bénéficier des tarifs du réseau AD qui seraient plus bas que ceux des réparateurs agréés. Toutefois, cette éventuelle atteinte aux intérêts de possesseurs de véhicules Citroën relativement récents ne saurait, en l'état actuel des choses, être qualifiée d'atteinte grave et immédiate aux intérêts des consommateurs en l'absence de démonstration de l'impossibilité pour les possesseurs des véhicules concernés de les faire réparer en cas de panne ou de ne pouvoir le faire qu'à un prix excessif.

c) En ce qui concerne l'atteinte au secteur ou à l'économie générale

Le secteur de la réparation et de l'entretien automobiles

53. Autodistribution et AD Net font valoir que les réparateurs indépendants sont " dans l'incapacité de procéder aux réparations plus sophistiquées que les réparations courantes et de ce fait, ne peuvent proposer un service identique à leurs clients qui sont inévitablement détournés vers les réparateurs agréés ". Si elles perduraient, ces pratiques les empêcheraient " dans un avenir proche, d'exercer leur activité dans des conditions de concurrence normale, face à des véhicules de plus en plus sophistiqués où l'électronique va représenter une part de plus en plus importante des réparations ".

54. Citroën rappelle cependant que les véhicules de sa marque ne représentent qu'environ 13 % du secteur de la réparation automobile toutes marques confondues, ce chiffre n'étant pas contesté. Selon elle, les pratiques alléguées " ne sauraient donc mettre en péril l'entièreté du secteur ".

55. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les équipements électroniques embarqués se sont fortement développés depuis la fin des années 1990. Toutefois, l'âge moyen des véhicules en circulation étant de 8,3 ans en 2005, les véhicules multiplexés ne sont pas encore majoritaires. En séance, Autodistribution a précisé que ces véhicules représentaient environ 20 % du parc automobile en 2005 tout en indiquant que leur nombre était en augmentation constante et qu'ils représenteraient 41 % du parc en 2009.

56. Les réparateurs doivent donc faire face actuellement à des degrés divers de technicité. La majorité des activités des réparateurs, agréés comme indépendants, consiste encore en des réparations sur les parties mécaniques des véhicules et des travaux d'entretien qui ne concernent pas les composants électroniques embarqués.

57. Citroën verse au dossier les résultats d'une enquête effectuée début 2006 auprès d'un panel de 100 réparateurs agréés. Selon Citroën, 37 % des incidents constatés sur ses véhicules seraient des incidents électroniques mais la plupart de ces incidents surviendraient pendant la période de garantie du constructeur et ne relèveraient donc pas des réparateurs indépendants. Citroën estime que " la part des interventions non réalisables de façon directe par les réparateurs indépendants correspond à moins de 1 % des cas ".

Le secteur de l'édition d'informations techniques

58. S'agissant du secteur de l'édition d'informations techniques, les saisissantes n'ont versé au dossier aucun élément susceptible de démontrer qu'il existe à ce jour une atteinte grave et immédiate à ce secteur considéré dans sa globalité.

d) Conclusion

59. Les données recueillies à ce stade de l'instruction tendent à indiquer qu'un certain nombre d'opérations sur les véhicules récents de la gamme Citroën ne peuvent être effectuées par les réparateurs indépendants compte tenu des restrictions à l'accès à l'information ou à l'outillage technique dénoncées par la présente saisine. Pris dans leur ensemble, ces éléments ne permettent pas de considérer qu'il existe à ce jour une atteinte grave et immédiate aux intérêts mentionnés à l'article L. 464-1 du Code de commerce en raison des pratiques dénoncées et la demande de mesures conservatoires doit par conséquent être rejetée. Toutefois, l'importance croissante prise par la question de l'accès aux informations techniques pourrait conduire à un réexamen de ce point de vue, notamment si la proportion des véhicules multiplexés augmentait sensiblement. Il importe en tout cas que l'instruction au fond soit menée dans des délais suffisamment rapides pour que le Conseil puisse se prononcer en temps opportun compte tenu de l'évolution évoquée ci-dessus.

Décision

Article 1er : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 06-0031 M est rejetée.

Article 2 : La saisine enregistrée sous le numéro 06-0030 F est instruite au fond.